Intervention de Éric Doligé

Réunion du 12 février 2014 à 14h30
Accueil et prise en charge des mineurs isolés étrangers — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé :

Par ailleurs, avec un certain nombre d’autres collègues, dont René-Paul Savary et Christian Favier, je participe régulièrement au comité de suivi, donc au dispositif qui nous permet de voir comment les choses évoluent. J’ai également pu constater que ce comité était davantage dans l’analyse des statistiques que dans la recherche de solutions. Il ne formule pas de propositions.

Notre rôle est de proposer des solutions. C'est ce que fait, selon moi, cette proposition de loi. Certes, ces solutions sont discutables, mais, comme l’a dit Yves Détraigne, ce n’est pas la peine d’invoquer l’article 40 de la Constitution. Laissons vivre le débat, nous verrons bien si des amendements permettront d’améliorer le texte.

Je tiens à dire également que le phénomène des mineurs isolés étrangers, s’il est peu connu de nos concitoyens, interpelle ceux à qui l’on en parle.

Je ferai un bref rappel historique. Cela a été dit, M. Bartolone, à l’époque président de conseil général, a estimé, pour des raisons que l’on peut comprendre – c’est dans son département qu’il y avait le plus grand nombre de mineurs étrangers, pour des motifs historiques –, qu’il ne pouvait plus accueillir autant de mineurs : il a donc pris un arrêté de suspension.

Dans le compte rendu du début du mois de janvier dernier, j’ai lu qu’il y avait eu neuf arrêtés, auxquels il faut ajouter les recours de douze départements contre la circulaire. Si la quasi-totalité de ces arrêtés ont été retirés, au dernier moment d’ailleurs, c'est non pas parce que nous pensions que le problème était résolu ou que nous avions trouvé des solutions, mais parce que nous voulions attirer votre attention sur les problèmes que nous rencontrons sur nos territoires, madame le garde des sceaux.

Nous ne pouvons en effet plus continuer à accueillir les mineurs étrangers dans de telles conditions, pour un certain nombre de raisons, qui tiennent bien sûr au coût de la prise en charge, mais aussi à l’importance du nombre de ces mineurs. Vous avez évoqué, madame le garde des sceaux, le pourcentage de 4 %. Dans mon département, j’ai la responsabilité d’environ 1 200 mineurs, dont 200 peuvent être étrangers, ce qui représente davantage que 4 % !

Ces chiffres sont relativement significatifs. Lorsque l’on a l’habitude d’avoir la responsabilité d’un volant de 1 200 mineurs et que l’on dispose d’un nombre de places fixe en maison d’enfants à caractère social, dans des familles ou en maison de l’enfance, l’arrivée d’un nombre important de mineurs pose problème. On ne peut alors plus accueillir les mineurs locaux que la justice nous confie. On doit parfois les loger dans des hôtels, alors qu’ils sont tout jeunes, car nous ne pouvons pas trouver du jour au lendemain de solution d’accueil. Tels sont les problèmes que nous rencontrons et que nous devons réussir à résoudre.

À l’époque, M. Bartolone s’était arrangé avec M. Mercier. Je me souviens que des réunions avaient été organisées au ministère sur cette question. Puis il y a eu une explosion du nombre de mineurs isolés étrangers. Je rappelle qu’en 2011 leur nombre ne représentait qu’un tiers de celui de 2013. Le problème existait, mais il était tout à fait « absorbable », en tout cas dans le département que je gère. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, pour des raisons tant techniques que financières. Cette situation met en difficulté l’ensemble des mineurs du département.

Je souhaiterais aborder un autre problème, qui n’a pas encore été évoqué : celui des jeunes majeurs. C'est une évidence, madame le garde des sceaux, mais ces mineurs isolés étrangers finissent par devenir des majeurs ! Je constate une augmentation considérable du nombre de ces jeunes majeurs. Dans mon département, j’en ai actuellement 82, soit davantage que de jeunes majeurs du département.

Cela soulève un véritable problème « d’embouteillage » et d’acceptation pour nos structures d’accueil des jeunes, qu’ils soient mineurs ou jeunes majeurs. Je rappelle que, la plupart du temps, bien que ce ne soit pas une obligation, les départements accueillent les jeunes de 18 à 21 ans, parce que l’État, qui en a en principe la charge, est défaillant et que les régions, comme Pôle emploi, ne font peut-être pas toujours leur travail s’agissant de la formation de ces jeunes majeurs étrangers.

Cette problématique des mineurs qui deviennent de jeunes majeurs a été évoquée de nouveau lors du dernier comité de suivi, notamment par le Réseau éducation sans frontières et par le président Touraine. Nous ne parvenons pas à obtenir pour ces jeunes des papiers qui leur permettraient de travailler et de sortir de la situation dans laquelle ils sont. Je vous ai écrit à ce sujet voilà près d’un an ; je n’ai pas eu de réponse.

C’est la raison pour laquelle nous avons pris des arrêtés : nous voulions vous alerter sur un certain nombre de problèmes que nous rencontrons.

Je vais maintenant évoquer le problème de la durée moyenne d’accueil des mineurs dans les foyers de l’enfance : alors qu’elle est de trois mois et demi pour un mineur placé par un juge, elle est de dix-huit mois pour les mineurs étrangers. Un mineur étranger est donc accueilli cinq fois plus longtemps dans un établissement qu’un mineur du département. Cela soulève, là aussi, un problème « d’embouteillage ». Si un foyer dispose de quarante places, la rotation est plus importante avec les jeunes mineurs du département qu’avec les mineurs étrangers.

Voilà des sujets que l’on n’ose pas aborder et qui sont pourtant bien réels !

Je terminerai mon intervention en évoquant – je ne devrais pas le faire – la question financière. Pour un département – nous sommes tous d’accord sur ce point ! –, le coût d’un mineur étranger, ou local d’ailleurs, est de 50 000 à 60 000 euros. Si l’on multiplie cette somme par le nombre de mineurs, on dépasse largement le montant de 250 millions d’euros que vous a donné l’Assemblée des départements de France puisqu’on obtient un montant de 600 ou 700 millions d’euros ! Cela pose véritablement problème.

Dans mon département, le coût annuel, qui s’élevait à 1, 5 million d’euros voilà trois ans, est de 7 millions d’euros aujourd'hui. Pour les majeurs étrangers, nous sommes passés de 1, 5 million d’euros à 5 millions d’euros. Au total, cela fait 12 millions d’euros, contre 3 millions d’euros il y a trois ans. C’est insupportable ! Il ne faut pas penser que ce sont des montants insignifiants, qui ne représentent rien dans un budget départemental : je le redis, c’est un problème que l’on ne peut plus gérer.

C’est pourquoi je souhaite, madame le garde des sceaux, que nous puissions aller au terme de notre débat, pour entrer véritablement dans la problématique. Nous ne pouvons pas nous cacher derrière notre petit doigt !

La situation est dramatique : on traite mal ces enfants, qu’ils soient locaux ou étrangers – je ne veux pas faire de différence –, car nos capacités tant d’accueil que financières ne nous permettent plus de les recevoir dans des conditions acceptables.

Monsieur le président, sur un tel sujet, compte tenu des problèmes que cela nous pose, j’aurais pu parler toute la journée. §

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