Merci d'être venus nombreux à cette table ronde, la présence de nombreux acteurs de la culture dans le public témoigne d'ailleurs de l'importance et de l'actualité du sujet. J'indique qu'au-delà des personnes invitées aujourd'hui, nous avons adressé un courrier à l'ensemble des organisations représentatives du secteur concerné, en leur proposant de nous faire part de leur analyse de la décentralisation, aussi bien que de leurs suggestions.
Depuis les années 1980, la logique de la décentralisation culturelle a été celle d'un exercice conjoint d'une compétence générale par chacun des niveaux de collectivités publiques, par opposition à la logique de transfert de blocs de compétences exclusives. Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont consacré la clause générale de compétence, considérée à la fois comme une forme d'expression du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et comme la référence de la gouvernance des politiques publiques culturelles.
Cette organisation a permis aux collectivités territoriales d'affirmer progressivement leur poids et leur place incontournable, pour le financement - elles comptent pour 70 % des dépenses culturelles dans notre pays - mais également à travers l'exercice de compétences précisées dans un cadre partenarial avec l'État, je pense en particulier aux archives ou à la lecture publique.
La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a constitué une nouvelle étape, notamment dans le domaine de la politique patrimoniale avec le transfert de propriété de 65 monuments historiques de l'État à des régions, départements et communes. Cette loi a également tenté de clarifier le rôle de chaque collectivité publique dans l'organisation des compétences en matière d'enseignements artistiques - sans y parvenir cependant. On doit aussi à notre ancien collègue Ivan Renar l'institution des établissements publics de coopération culturelle (EPCC), qui se sont multipliés, proposant un mode de coopération souple et original entre collectivités et, dans la majorité des cas, avec l'État.
La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a supprimé, à compter du 1er janvier 2015, la clause de compétence générale des départements et des régions - tout en instituant, grâce à des amendements vigoureusement défendus, une compétence partagée dans le domaine de la culture. Or, l'article 1er de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « MAPAM », a inséré dans le code général des collectivités territoriales un article disposant que « sauf lorsque sont en cause des intérêts nationaux, l'État peut déléguer par convention à une collectivité territoriale ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre qui en fait la demande l'exercice de certaines de ses compétences. »
Dernier événement en date, le Président de la République a récemment annoncé la nécessité d'une clarification stricte des compétences entre collectivités. Un projet de loi est en cours de rédaction ; il pourrait être soumis au Parlement dès le mois de mai prochain.
Dans un tel contexte, il m'a paru nécessaire de prendre le temps de la réflexion pour que soit abordée en profondeur et hors de toute polémique la question de la décentralisation culturelle, dont les acteurs principaux n'ont pas été aux premières loges des débats jusqu'à maintenant. Je vous proposerai ainsi d'évoquer le bilan de la décentralisation culturelle depuis les années 1980, en mettant en évidence les réussites et les éventuels dysfonctionnements observés sur le terrain ; les débats suscités par l'article 1er de la loi « MAPAM », ainsi que par le « Pacte d'avenir pour la Bretagne », puisque nous accueillons aujourd'hui le vice-président du conseil régional de Bretagne en charge de la culture. Enfin, parce que la culture n'est pas une marchandise et parce que le Parlement ne confond pas intérêts sectoriels et intérêt général, au-delà de la question des compétences ou des perspectives d'évolution de l'offre artistique territoriale et des modalités de son financement, il nous faut préciser le sens et l'ambition que nous donnons à l'action publique pour favoriser le développement social et culturel de chacun sur le territoire, où qu'il soit et quel que soit son vécu propre.
Merci aux rédacteurs du « Manifeste pour les produits de haute nécessité » d'avoir cité, aux côtés du boire-survivre-manger - le prosaïque -, l'aspiration à un épanouissement de soi, là où la nourriture est de dignité, d'honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de lecture, de philosophie, de spiritualité, d'amour, de temps libre affecté à l'accomplissement du grand désir intime - en un autre mot : le poétique.
De cela nous devons être garants.
Notre table ronde ne constitue que la première étape d'une réflexion globale que nous poursuivrons dans les prochains mois au sein de notre commission.