Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission organise une table ronde sur la décentralisation culturelle. Sont entendus :
MM. Jean-Michel Le Boulanger, vice-président chargé de la culture et des pratiques culturelles, et Thierry Le Nédic, directeur de la culture, au Conseil régional de Bretagne ;
MM. Jean-François Burgos, vice-président, et Hervé Pérard, membre du bureau de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) ;
Marie-Laure Atger, présidente, et M. Didier Salzgeber, délégué général, du Comité de liaison des établissements publics de coopération culturelle ;
Claire Guillemain, déléguée générale, du Syndicat professionnel des producteurs, festivals, ensembles, diffuseurs indépendants de musique (PROFEDIM) ;
Madeleine Louarn, présidente du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC).
Merci d'être venus nombreux à cette table ronde, la présence de nombreux acteurs de la culture dans le public témoigne d'ailleurs de l'importance et de l'actualité du sujet. J'indique qu'au-delà des personnes invitées aujourd'hui, nous avons adressé un courrier à l'ensemble des organisations représentatives du secteur concerné, en leur proposant de nous faire part de leur analyse de la décentralisation, aussi bien que de leurs suggestions.
Depuis les années 1980, la logique de la décentralisation culturelle a été celle d'un exercice conjoint d'une compétence générale par chacun des niveaux de collectivités publiques, par opposition à la logique de transfert de blocs de compétences exclusives. Les lois de décentralisation de 1982 et 1983 ont consacré la clause générale de compétence, considérée à la fois comme une forme d'expression du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et comme la référence de la gouvernance des politiques publiques culturelles.
Cette organisation a permis aux collectivités territoriales d'affirmer progressivement leur poids et leur place incontournable, pour le financement - elles comptent pour 70 % des dépenses culturelles dans notre pays - mais également à travers l'exercice de compétences précisées dans un cadre partenarial avec l'État, je pense en particulier aux archives ou à la lecture publique.
La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a constitué une nouvelle étape, notamment dans le domaine de la politique patrimoniale avec le transfert de propriété de 65 monuments historiques de l'État à des régions, départements et communes. Cette loi a également tenté de clarifier le rôle de chaque collectivité publique dans l'organisation des compétences en matière d'enseignements artistiques - sans y parvenir cependant. On doit aussi à notre ancien collègue Ivan Renar l'institution des établissements publics de coopération culturelle (EPCC), qui se sont multipliés, proposant un mode de coopération souple et original entre collectivités et, dans la majorité des cas, avec l'État.
La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a supprimé, à compter du 1er janvier 2015, la clause de compétence générale des départements et des régions - tout en instituant, grâce à des amendements vigoureusement défendus, une compétence partagée dans le domaine de la culture. Or, l'article 1er de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « MAPAM », a inséré dans le code général des collectivités territoriales un article disposant que « sauf lorsque sont en cause des intérêts nationaux, l'État peut déléguer par convention à une collectivité territoriale ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre qui en fait la demande l'exercice de certaines de ses compétences. »
Dernier événement en date, le Président de la République a récemment annoncé la nécessité d'une clarification stricte des compétences entre collectivités. Un projet de loi est en cours de rédaction ; il pourrait être soumis au Parlement dès le mois de mai prochain.
Dans un tel contexte, il m'a paru nécessaire de prendre le temps de la réflexion pour que soit abordée en profondeur et hors de toute polémique la question de la décentralisation culturelle, dont les acteurs principaux n'ont pas été aux premières loges des débats jusqu'à maintenant. Je vous proposerai ainsi d'évoquer le bilan de la décentralisation culturelle depuis les années 1980, en mettant en évidence les réussites et les éventuels dysfonctionnements observés sur le terrain ; les débats suscités par l'article 1er de la loi « MAPAM », ainsi que par le « Pacte d'avenir pour la Bretagne », puisque nous accueillons aujourd'hui le vice-président du conseil régional de Bretagne en charge de la culture. Enfin, parce que la culture n'est pas une marchandise et parce que le Parlement ne confond pas intérêts sectoriels et intérêt général, au-delà de la question des compétences ou des perspectives d'évolution de l'offre artistique territoriale et des modalités de son financement, il nous faut préciser le sens et l'ambition que nous donnons à l'action publique pour favoriser le développement social et culturel de chacun sur le territoire, où qu'il soit et quel que soit son vécu propre.
Merci aux rédacteurs du « Manifeste pour les produits de haute nécessité » d'avoir cité, aux côtés du boire-survivre-manger - le prosaïque -, l'aspiration à un épanouissement de soi, là où la nourriture est de dignité, d'honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de lecture, de philosophie, de spiritualité, d'amour, de temps libre affecté à l'accomplissement du grand désir intime - en un autre mot : le poétique.
De cela nous devons être garants.
Notre table ronde ne constitue que la première étape d'une réflexion globale que nous poursuivrons dans les prochains mois au sein de notre commission.
En signant avec l'État un « Pacte d'avenir pour la Bretagne », nous nous inscrivons précisément dans la perspective que vous appelez de vos voeux, celle consistant à donner sens et ambition à l'action publique - au besoin par des délégations de compétences, dont les périmètres restent à définir.
Je veux souligner, pour commencer, une singularité forte de la Bretagne : sa vitalité culturelle, tous domaines confondus, avec des pratiques culturelles très vivaces et très liées à la création - ces pratiques ne sont pas folklorisées et c'est pourquoi je ne parle jamais de « culture bretonne », tant l'imbrication est forte entre partitions anciennes et pratiques actuelles, entre amateurs et professionnels, entre culture savante et culture populaire. L'égale dignité des cultures est au fondement de notre politique culturelle - je le dis avec d'autant plus de force que nous sommes salle « Clemenceau », lui qui s'était battu pour l'égale dignité des civilisations, quand la colonisation de la fin du 19e siècle voulait se justifier par la hiérarchie entre les civilisations. La Bretagne, ensuite, est historiquement décentralisatrice. La décentralisation y a trouvé parmi ses plus grands défenseurs et initiateurs, en particulier René Pleven, dès les années 1960.
Or, la période de difficultés économiques et sociales que nous traversons, avec ses replis budgétaires généralisés, nous paraît propice à expérimenter une nouvelle gouvernance des politiques culturelles. Pourquoi ? D'abord parce que nous avons des atouts en Bretagne, nés des relations de travail étroites que nous entretenons depuis longtemps avec la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et avec les autres collectivités locales - en particulier une table-ronde régulière de la région et des quatre départements -, mais aussi avec les artistes eux-mêmes. C'est sur ce terreau déjà ancien de travail en commun, de co-construction de projets, que nous avons proposé, avec le Pacte d'avenir, qu'il y ait mieux d'État, non par le transfert, mais par la délégation de compétences, dans un cadre contractuel énonçant les grands objectifs des politiques publiques de l'État et de la région, en lien avec les autres collectivités locales. C'est le sens du Pacte d'avenir, signé le 13 décembre dernier, mais aussi la lecture que nous faisons de l'article 1er de la loi « MAPAM ».
Pour nous, la proximité n'est pas synonyme de vertu : ce n'est pas parce que le décideur est proche qu'il est équitable - mais la proximité n'est pas davantage synonyme de clientélisme, non plus que l'éloignement, de rectitude : la vertu est moins une question de distance que de conscience, d'esprit public et d'éthique. Ensuite, la décentralisation ne doit pas être la victoire de l'un sur l'autre, de l'État sur les collectivités, de la région sur les départements - mais la victoire de l'esprit public et de l'efficacité de la dépense publique, celle du mieux d'État.
Le Président de la République et le Premier ministre ont appelé à supprimer les doublons, partout où cela est possible. Nous en avons-nous-mêmes observés entre collectivités et avec l'État, alors même qu'en Bretagne nous construisons nos politiques publiques ensemble. C'est le cas, par exemple, pour notre politique du cinéma : l'État conduit une politique nationale avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Il dépense en Bretagne 150 000 euros par an et deux agents sont affectés à cette mission au sein de la DRAC ; de notre côté, nous dépensons 5 millions par an, avec trois postes et demi : n'y a-t-il pas là un doublon, la possibilité que l'État délègue l'exercice de cette compétence à la région ? Il garderait les grands axes, avec le CNC, et nous agirions pour son compte, sur le territoire régional : nous le proposons, après une concertation avec les agents concernés.
J'ajoute, pour finir, que nous sommes parvenus à maintenir le budget régional pour la culture à l'euro près, ceci après plusieurs années d'augmentation : ce n'était pas gagné, dans le contexte que nous savons.
Je passe la parole aux représentants de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), qui représente des collectivités très mobilisées pour la culture dans sa plus grande diversité, et dont les responsables, je le dis pour avoir assisté à des réunions de cette fédération, connaissent très bien les ressorts et les modalités de l'action publique.
Grâce à un débat approfondi en bureau de la Fédération, nous avons rédigé une contribution que nous tenons à votre disposition et qui considère les politiques culturelles comme des politiques pour les personnes, par les territoires. Dans cette contribution, nous invitons chacun à se repositionner, à réinvestir des notions passées dans le langage courant et qui ne vont pourtant pas de soi. Ainsi en est-il de la notion de « compétence » : le nom requiert une épithète, nous parlons bien de la « compétence culturelle » ; or, pour la FNCC, la culture ne doit pas être comprise comme une compétence particulière des politiques publiques, mais comme une responsabilité - une responsabilité partagée par les différents échelons des pouvoirs publics, pour l'État aussi bien que pour les collectivités locales. Car la culture associe un acte producteur à de la transmission, à l'expérience d'être auprès d'un autre, l'autre de quelqu'un d'autre - la culture nous place d'emblée dans un champ où l'homme ne peut se mesurer géométriquement à l'autre. C'est ce qui fait que la culture ne peut coïncider avec le périmètre d'une compétence, mais qu'elle est une responsabilité - humaine et c'est pourquoi la culture interroge non l'échelon territorial, mais la nature même de la collectivité qui en fait un objet de politique publique. Aussi préférons-nous parler de cofinancement plutôt que de financements croisés : car toute participation financière manifeste la volonté de participer à un projet, de s'y inscrire.
La décentralisation ne peut se réduire à la question des compétences, nous avons besoin d'une ouverture, d'un encouragement au dialogue entre les collectivités, pour que le fait culturel se développe, et avec lui son propre maillage. Les collectivités territoriales ont largement investi dans des équipements culturels, elles y ont acquis un savoir-faire largement reconnu ; il leur faut maintenant déployer le fait culturel, dans et hors les murs, par le maillage. Des outils existent pour cela, par exemple les schémas d'orientation de développement des lieux de musiques actuelles (SOLIMA), où des acteurs territoriaux de la culture se mettent autour de la table pour projeter et mettre en mouvement des territoires au-delà des seuls équipements et de leurs publics.
La loi « MAPAM », aussi bien que la loi en préparation sur la décentralisation, nous font craindre pour l'équité territoriale, que l'État est censé garantir. Elles nous paraissent également augurer une « recentralisation territoriale » autour de la région chef de file, alors que le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC), présidé par la ministre de la culture et ouvert à toutes les associations de collectivités, nous paraît l'outil pertinent pour débattre des politiques culturelles. La conférence territoriale de l'action publique, pilotée par la région, serait chargée de l'éducation artistique et culturelle, alors que les établissements d'enseignement relèvent généralement des intercommunalités ou des communes : le schéma qui se prépare n'est pas le plus pertinent.
Ensuite, nous voulons souligner que l'action publique culturelle doit être transversale, plutôt que découpée sectoriellement, car la culture concerne l'ensemble des secteurs d'intervention publique - le social, l'urbain, l'économique, l'environnement... Cette transversalité va dans le sens de la modernisation de l'action publique.
Enfin, nous réaffirmons que la commune est l'interlocuteur privilégié de l'action culturelle publique.
Je passe la parole aux représentants du Comité de liaison des établissements publics de coopération culturelle, qui, sur le terrain, sont en prise directe avec la coopération culturelle entre collectivités et avec l'État.
Effectivement, les EPCC sont, depuis une dizaine d'années, des laboratoires de la coopération culturelle entre collectivités - et notre comité de liaison en est l'observatoire.
Je crois qu'il est devenu nécessaire que les collectivités locales, d'une manière générale, énoncent plus clairement les raisons de leur engagement dans les EPCC. Car si la culture compte pour la notoriété des territoires, ce qui peut paraître un motif suffisant pour s'y engager - et un objet de compétition, du reste, entre collectivités -, les apports de la culture au développement territorial vont bien au-delà : ils concernent l'économie, l'emploi, l'aménagement et l'attractivité du territoire, autant d'objectifs qui importent davantage, pour la collectivité territoriale, que l'objet artistique même de l'EPCC. Une fois que les collectivités territoriales auront énoncé les raisons de leur soutien, les objectifs qu'elles fixeront aux EPCC seront plus clairs.
L'article 3 de la loi « MAPAM », qui range des compétences par collectivité « chef de file », ne mentionne pas la culture - mais l'aménagement et le développement durable du territoire, le développement économique, ou encore le soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche. Que vise-t-on lorsqu'on parle de « compétence culture » ? Il y a des équipements et des services culturels, mais la culture coïncide-t-elle avec une compétence définie par la loi ? Ces questions sont anciennes et récurrentes. On se souvient de l'éclairage que leur ont donné René Rizzardo et Pierre Moulinier dès les années 1990 - en particulier ce fait que les compétences en matière culturelle résultent de circulaires plutôt qu'elles ne sont délimitées par la loi, exception faite de politiques particulières comme celle du patrimoine ou du cinéma.
Le périmètre de la culture se laisse d'autant moins circonscrire qu'il progresse constamment - et cela va continuer, si l'on en croit le rapport de prospective « Culture et Médias 2030 ». C'est pourquoi il paraîtra contradictoire de vouloir en figer le cadre de gouvernance avec des définitions « enfermantes ».
En fait, nous sommes au croisement de trois référentiels : l'historique, centré sur l'aide à la création professionnelle et visant l'excellence scientifique, artistique, culturelle, avec une préoccupation d'accès au plus grand nombre ; l'économique, centré sur l'importance de l'activité, de l'emploi, de la valeur créée, facteur d'attractivité des territoires ; enfin, un référentiel en émergence, centré sur le droit à chaque personne de voir reconnaître son identité culturelle. Chacun de ces référentiels importe mais ne peut constituer, à lui seul, la clé de voûte du système, d'où ses oscillations et les difficultés à définir des priorités. Travailler au développement des industries culturelles, ce n'est pas le même métier que gérer, dans un territoire, les aspirations et les tensions entre identités sociales, culturelles et ethniques.
Dès lors, trois questions me paraissent se poser. « La » culture est-elle un concept politique suffisant ? Le terme est pratique, mais il ne coïncide avec aucune compétence bien délimitée. L'organisation de la culture, ensuite, ne joue-t-elle pas contre les singularités qui s'expriment ? Il y a ici une tension, qu'on voudrait constructive, entre la norme organisationnelle et la réalité hybride, hétérogène. Enfin, comment construire une politique publique avec autant d'intervenants et de perspectives ? Il me semble indispensable de sortir de cette espèce de poker menteur où chacun fait comme s'il pouvait tout faire ; il y a des financements croisés, mais chacun entre dans la ronde pour des motifs bien différents. Et ce déficit de clarté empêche de définir non pas une organisation, mais un système de responsabilité publique pour la culture.
L'expérience montre, ensuite, que le multilatéral est préférable au bilatéral, eu égard à la complexité des enjeux liés à la culture. Le récent rapport d'inspection sur les politiques culturelles outre-mer est édifiant à cet égard, démontrant toutes les difficultés quand il n'y a plus qu'une seule collectivité territoriale compétente en matière culturelle.
La contribution de notre comité de liaison soulignera donc la complexité du sujet, les risques qu'à vouloir faire coïncider la culture avec une compétence, on la fasse sinon disparaître, du moins conduire à la fragmenter, alors qu'il serait bien plus utile d'articuler les politiques culturelles. Faut-il expérimenter de nouveaux modes d'action publique, comme le fait la Bretagne ? C'est possible, mais à condition que l'expérimentation contribue à mieux expliciter, à clarifier les objectifs portés par la puissance publique.
Vous rejoignez ici la Société française d'évaluation, qui préconise que toute action publique explicite ses objectifs.
Je passe la parole à Claire Guillemain, déléguée générale du Syndicat professionnel des producteurs, festivals, ensembles, diffuseurs indépendants de musique (PROFEDIM), un syndicat très engagé dans ce débat puisque lors de l'examen du projet de loi « MAPAM », il nous proposait de supprimer tout un pan de l'article 2 - au risque de priver les collectivités locales de compétences qui sont pourtant indispensables, par exemple en matière de transports ferroviaires... Puis je passerai la parole à Madeleine Louarn, présidente du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelle (SYNDEAC), qui avait une position moins radicale sur la loi « MAPAM ».
déléguée générale du Syndicat professionnel des producteurs, festivals, ensembles, diffuseurs indépendants de musique (PROFEDIM). - Cette proposition n'émanait pas seulement du PROFEDIM, mais de vingt-cinq organisations professionnelles, effectivement très mobilisées contre la perspective de délégation des compétences en matière culturelle.
Le syndicat PROFEDIM réunit près de 80 entreprises dans le champ des musiques savantes - musique contemporaine, ancienne ou classique -, tels que des centres nationaux de création musicale, des centres de recherche musicale, des compagnies lyriques, des ensembles musicaux, des festivals et des lieux de production musicale. Ce champ musical est d'une grande vitalité, il s'exporte - 20 % des concerts des ensembles musicaux ont lieu à l'étranger - et il est la source même de la diversité de l'offre artistique présente sur notre territoire. Les entreprises que nous représentons réalisent près de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, constitué de recettes propres à plus de 58 %, dont 8 % de mécénat, tandis que les subventions d'État représentent 18 % et celles des collectivités locales, 23 %.
La décentralisation du domaine musical a été pensée dans les années 1960, l'époque du Plan Landowski, qui a équipé notre pays de son réseau d'opéras, d'orchestres symphoniques, écoles de musique et de conservatoires. Ce grand mouvement d'équipement n'a pas intégré les nouveaux acteurs que sont les festivals, les centres de création et de recherche musicale, les ensembles instrumentaux et vocaux. C'est la raison pour laquelle la création musicale ne dispose pas aujourd'hui d'un réseau d'équipement dans la danse ou l'art dramatique et que les festivals assurent la majeure partie de la production musicale.
Cependant, l'implantation territoriale de la création musicale a souvent été impulsée par l'État, c'est le cas par exemple des ensembles d'Ars Nova à Poitiers, des Arts florissants en Basse-Normandie ou encore du festival Musica à Strasbourg. Les festivals ont trouvé toute leur place dans la décentralisation, surtout depuis que l'État s'est désengagé du secteur, en 2006.
Si les équipements comme les centres de création musicale ou les salles de concert sont plutôt bien intégrés aux politiques culturelles dans les territoires, la situation est plus difficile pour les équipes artistiques, qui ont parfois du mal à concilier un ancrage territorial et une activité internationale. On peut s'étonner, du reste, que les collectivités encouragent l'ancrage local sans reconnaître l'activité internationale des artistes, alors qu'elles soutiennent l'exportation d'une manière générale, en particulier celle des entreprises...
Autre difficulté importante : la relation contractuelle entre l'ensemble des partenaires. Les EPCC sont certainement un bon outil, mais pas toujours adapté aux festivals ni aux équipes artistiques, qui ont besoin de structures plus légères et plus souples. Il faut rechercher une nouvelle forme de conventionnement, qui accueillerait chacun autour de la table pour réaliser une partie du projet d'ensemble - avec des enveloppes financières conformes au droit communautaire des aides d'État.
La décentralisation, ensuite, ne peut pas se faire sans l'État. La loi « MAPAM » inquiète les professionnels - et les propos de la ministre de la culture, du Premier ministre aussi bien que ceux du Président de la République ne nous ont pas rassurés. On pourrait penser que la culture sera exclue des délégations de compétences puisque, comme le texte le prévoit, les compétences d'intérêt national ne sont pas concernées. Mais la réalité est plus ambiguë et l'on comprend mal les mécanismes de délégation. Dans les faits, comment l'État pourra-t-il refuser la délégation à une collectivité volontaire, sachant que les économies budgétaires poussent à diminuer les effectifs des DRAC, quand ce n'est pas à les supprimer ? On l'a vu avec le « Pacte d'avenir pour la Bretagne », où le ministère de la culture ne paraît pas avoir été consulté. Lorsque M. Le Boulanger évoque des doublons, parle-t-il de l'action, ou bien des personnels ? Comment, lorsque la « compétence culture » aura été déléguée, l'État tiendra-t-il son engagement de ne supprimer aucune DRAC, comme on nous l'affirme aujourd'hui ? Maintiendra-t-on des agents sans mission ? Avouez qu'il y a là un paradoxe, qui explique l'inquiétude sur le terrain - y compris dans les collectivités locales, où l'on mesure très bien l'utilité des conseillers de la DRAC pour monter les projets et aller chercher des financements, notamment à l'échelon européen.
Le projet de loi annoncé pour avril inquiète tout autant : la suppression de la clause de compétence générale serait une catastrophe pour la culture, qui saperait jusqu'aux fondements juridiques des EPCC. L'instauration d'une compétence obligatoire serait également catastrophique. Les services du Premier ministre assurent aux professionnels que la culture relèvera d'une compétence partagée, ce que nous avions obtenu dans la loi de 2010 : nous demandons que la compétence soit partagée, mais qu'en est-il exactement ? Il faut que les associations d'élus se prononcent, comme l'a déjà fait l'Association des régions de France, il faut que les parlementaires se saisissent de cette question - nous comptons sur les commissions de la culture du Parlement !
Quelle est la meilleure enceinte pour que l'État et les collectivités territoriales débattent de la culture ? Le Haut conseil des territoires étant supprimé et le CCTDC n'ayant pas été décliné régionalement, la Conférence territoriale de l'action publique est-elle le bon lieu pour concevoir et orienter les politiques culturelles sur les territoires ? Nous ne le croyons pas, au moins parce que l'État n'y est pas toujours partie prenante... Ensuite, comment une telle conférence prendrait-elle en compte la dimension exportatrice de la culture ?
Nos inquiétudes ont de quoi se nourrir, enfin, lorsqu'on voit le peu de place que les contrats de plan font à la culture : pourquoi la culture est-elle à ce point absente du débat sur le développement local et de la négociation sur le renouvellement des contrats de projets État-région (CPER) ? Le constat est le même dans les programmes opérationnels négociés par chaque région dans le cadre de la gestion du Fonds européen de développement régional (FEDER). Les préfets ont pris toute leur place dans la modernisation de l'action publique, avec les responsables des budgets opérationnels de programmes ; nous craignons que la culture perde aussi beaucoup dans cette nouvelle architecture.
Notre débat d'aujourd'hui est essentiel et je ne doute pas qu'il va nous occuper pour quelque temps, avec les remous budgétaires que nous connaissons mais aussi notre actualité sociale, en particulier la question du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Le SYNDEAC représente l'ensemble des institutions et lieux de création de notre pays, les scènes nationales, les centres d'art. Ils ont été aux premières loges de la décentralisation : les théâtres nationaux, par exemple, ont été parmi les premiers à s'implanter en province, au nom de la décentralisation culturelle et pour rapprocher du public les oeuvres et la création. Les années 1980 ont vu se multiplier les actions, les lieux culturels et s'affirmer la présence des artistes sur l'ensemble du territoire. Ce vaste mouvement s'accompagnait alors du doublement du budget de la culture et traduisait un engouement généralisé pour les arts et la culture.
C'est bien dans cette perspective que nous devons nous placer : l'art n'a jamais été aussi présent dans la société, partout sur le territoire, jamais la culture n'a été aussi attractive, mais l'investissement public est en repli. C'est pourquoi les lois dont nous débattons questionnent le sens même de l'action publique : quelle continuité non seulement de l'État, mais aussi de la culture sur l'ensemble de notre territoire ? Comment construire un pays avec une telle diversité d'expressions, sans une action forte et continue de la puissance publique ?
Je vous parle aussi depuis ma position de terrain, celle d'un metteur en scène implanté à Morlaix et dont la compagnie est soutenue par toutes les collectivités locales - région, département, agglomération, commune - aussi bien que par l'État. Si les cartes sont redistribuées comme on peut le craindre, si vous mettez fin aux financements croisés, la moitié des artistes professionnels devront arrêter leur activité, changer de métier, et vous compromettrez l'ensemble de l'éducation artistique dans notre pays. Nous disposons d'un maillage sans pareil, tissé patiemment par la coopération entre artistes et enseignants, entre professionnels et amateurs, entre public et privé, local et national : ce maillage est fragile et il est beaucoup plus facile à défaire, qu'à faire - soyez certains qu'une fois défait, il ne se refera pas !
Je voudrais également mentionner les difficultés que nous rencontrons pour construire un enseignement artistique avec l'éducation nationale, alors que l'enseignement artistique est essentiel pour la présence des artistes sur l'ensemble du territoire. L'éducation artistique manque de continuité, parfois d'intelligence ; trop souvent, les projets sont des coquilles vides. Pourquoi faire des projets artistiques à l'école ? Il est grand temps de le dire ! Qu'est devenu le « pacte territorial pour la culture » évoqué par le gouvernement lors du débat sur la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ? Quelle sera l'enceinte du débat et d'orientation des politiques culturelles ? Nous sommes dans le plus grand flou.
Je crois qu'en matière de culture, nous avons besoin d'une organisation qui nous oblige à nous entendre alors que pour se disputer, nous n'avons besoin de personne ... Il nous faut des procédures de débat et de construction des politiques publiques qui dépassent les questions de personnes, sur le modèle de ce qui existe au Parlement même, où le débat est de droit, pluraliste et organisé - et où la question du sens de l'action peut elle-même être débattue.
Le temps est venu d'inverser la tendance, l'enjeu est moins de préserver ce qui existe, que de réinvestir véritablement nos politiques culturelles qui sont mises à mal, depuis plusieurs années, par un retrait de l'État et des collectivités territoriales. Le débat ne doit pas se focaliser sur les équipements ; nous ne pensons pas que des EPCC soient nécessaires partout. Ce qui compte bien davantage, c'est que les différents échelons de la puissance publique coopèrent en matière de culture, c'est dans l'intérêt de l'art mais aussi de nos enfants et du pays tout entier. En outre, la culture n'est pas si coûteuse, quand on regarde tout ce qu'elle apporte. Il faut donc tourner la crise en une chance pour un nouvel élan des politiques culturelles, et non y voir la mort inéluctable des outils forgés patiemment depuis des décennies. Le manque de visibilité politique, vous l'aurez compris, est donc mortel en la matière.
Après ce tour de table de nos invités, qui ont assurément lancé le débat, je propose que les élus que nous sommes donnent aussi leur sentiment, à commencer par Maryvonne Blondin, rapporteur pour avis du budget de la culture pour le spectacle vivant, et Françoise Laborde, qui préside le groupe d'étude sénatorial sur les arts de la scène, les arts de la rue et les festivals en régions.
Ce débat est essentiel, passionnant, et je voudrais rappeler d'abord quelques éléments du contexte dans lequel le « Pacte d'avenir pour la Bretagne » a été signé en décembre dernier. Nous avons rédigé ce pacte alors que la Bretagne vit une crise économique et sociale d'une très forte intensité, qui se double d'une forte identité locale, régionale - comme en atteste notre action pour la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires, sur laquelle l'Assemblée nationale s'est prononcée il y a quelques jours. C'est cette crise, qui a produit le mouvement des « bonnets rouges », véritable agrégation de toutes les protestations forgées sur le territoire breton.
La question de la délégation de compétence est encore en négociation, rien n'est tranché en la matière et nous allons débattre de la meilleure façon de la mettre en place. Cependant, nous ne partons pas de rien, les contrats de territoires donnent des indications, contiennent des pistes de travail. En effet, les départements et les agglomérations, avec la région, y ont identifié des enjeux, défini des objectifs pour les politiques publiques, et déjà choisi les outils qu'ils entendaient utiliser. Je crois que nous devons être particulièrement pragmatiques en matière de politique culturelle, privilégier toujours la coopération, mutualiser nos ressources et nos équipements, sans perdre de vue que le secteur culturel est un vecteur de croissance bénéfique pour tous.
Nous devons donc discuter, nous rencontrer souvent entre collectivités, examiner ce que nous faisons déjà, définir nos objectifs communs, dire qui sera le chef de file pour tel ou tel projet, préciser les périmètres des délégations.
Nous sommes tous attachés à la culture et conscients de son importance pour le développement de nos territoires. La seule question, sur cette base, est donc celle-ci : comment met-on en oeuvre cet objectif commun ? Je suis bien consciente que je ne fais que poser une question, en réponse à celles qui me sont posées...
Mais ce jeu de miroirs entre des questions fait précisément partie du sujet, il tient à ce que la culture ne se laisse pas enfermer dans un périmètre d'action publique et qu'il est donc très difficile de trancher entre des priorités différentes et toutes aussi importantes. Vous nous appelez à travailler sur les points d'accord plutôt que sur ce qui nous sépare : je partage tout à fait votre perspective, d'autant que j'ai pu mesurer, lors de déplacements que nous faisons avec le groupe d'études que je préside, combien des différends de personnes, sur le terrain, peuvent contrarier les meilleurs objectifs... Ce qui ne doit pas pour autant nous conduire à occulter les débats - je pense par exemple aux avantages et aux inconvénients des EPCC, comme nous avons pu le constater hier encore avec une délégation du groupe d'études.
Cette table ronde a le mérite de nous forcer à réfléchir, si ce n'était pas déjà le cas. Je ne sais pas si c'est parce que nous sommes en avance en Aquitaine, mais la culture est partie intégrante du contrat de plan : le Fonds régional d'art contemporain (FRAC) a été reconstruit lors du précédent CPER et la négociation sur le prochain contrat porte aussi sur la culture.
Je crois, ensuite, qu'il ne faut pas se laisser abuser sur les financements croisés et que les collectivités territoriales savent bien pourquoi elles participent aux différents projets culturels. Ma commune accueille un centre de développement chorégraphique : la région y participe et ce faisant, elle demande qu'on réserve des places aux artistes régionaux. Il en va de même pour le département, qui assortit sa participation de demandes précises en direction des publics défavorisés ou handicapés, ou encore pour la commune, qui attend un retour pour l'éducation artistique des élèves de primaire ou de maternelle.
Toutes ces actions justifient le financement croisé. Par ailleurs, je n'aime guère cette expression, qui fait penser qu'on se prend les pieds dans le tapis, et je préfèrerais parler de financements « conjugués », car il faut être au moins deux pour se conjuguer...
Quant à ce que vous dites de l'équité territoriale, je partage tout à fait votre point de vue : l'État n'en n'est plus le garant.
Lors de ce débat, j'ai eu l'impression étrange que personne ne tenait compte de l'actualité de notre pays : le Président de la République vient d'annoncer 50 milliards d'euros d'économies, il serait extraordinaire que la culture échappe à cet effort général ! Nous voulons tous, cependant, que nos territoires continuent d'être irrigués par la culture, d'où cette question centrale : comment faire, avec moins de moyens - donc en étant plus efficace -, pour que l'activité culturelle soit présente sur tout le territoire ?
Les réflexions sur la clause de compétence générale, ensuite, ne datent pas d'aujourd'hui. L'inconvénient de cette organisation, ne l'oublions pas, c'est de démultiplier les interlocuteurs, donc le temps passé pour obtenir du soutien ; alors qu'on peut penser qu'une collectivité chef de file, étant plus investie, consacrera plus de moyens à la tâche qui lui sera confiée, avec l'avantage pour les artistes d'avoir un seul interlocuteur plutôt que quatre ou cinq à qui il faut répéter les mêmes choses et dont il faut parfois coordonner le travail. L'enjeu est donc bien, aussi, d'instaurer une nouvelle façon de travailler, plus efficace.
Devons-nous refuser toute spécialisation aux collectivités locales ? Et ne peut-on imaginer qu'elles déterminent, entre elles, l'organisation qui leur paraît la meilleure ? Je crois que nous devons être pragmatiques, sans interdire aux collectivités d'intervenir ; mais je crois aussi que le chef de filât est un changement de méthode bienvenu dans la crise actuelle : il faut tenir compte du contexte économique et social, ou bien nous connaîtrons de bien sérieux déboires. Les temps heureux où le budget de la culture progressait chaque année sont derrière nous et ce qui prime, c'est de maintenir notre exigence culturelle, tout en tenant compte des réalités : nous sommes, en fait, en réunion de crise, où il s'agit de trouver des moyens pour que la culture ne soit pas la victime de la crise financière grave que nous traversons.
Il faut affirmer que la culture n'est pas un supplément d'âme mais bien le fondement du vivre-ensemble, de notre participation au monde. Je me demande si nous n'avons pas mis la charrue avant les boeufs : nous allons changer l'organisation territoriale des politiques culturelles, avant d'avoir redéfini leurs objectifs et leurs moyens. La question à se poser d'abord, c'est de savoir de quelle démocratie culturelle nous voulons, et la bonne porte pour y entrer, c'est celle du réinvestissement des politiques culturelles, de l'éducation et de la formation artistique et culturelle -- au lieu de quoi nous laissons la place à cette rationalité financière brutale qui dicte des réductions budgétaires chaotiques, à ces méthodes qui ont cours depuis de trop nombreuses années alors que la crise nous pousse à inventer de nouvelles solutions ! Il faut se rencontrer, dialoguer, identifier ensemble des économies qui ne soient pas aveugles ; nous n'opposons pas le national et la proximité : la difficulté est précisément de bien les articuler, plutôt que choisir l'un contre l'autre - nous avons eu ce débat pour la loi sur la refondation de l'école.
Il y a une envie de plus de proximité, pour mieux répondre aux défis vécus localement, mais il ne faut pas sacrifier à cette perspective locale, l'égalité d'accès au droit. Comment garantir l'égal accès au droit - et non ce détestable principe d'équité, qui est le vrai nom de l'inégalité -, comment assurer que tous les citoyens puissent accéder à la culture, à une culture présente sur l'ensemble du territoire, tout en confiant plus de pouvoir aux collectivités locales ? Quelles articulations entre les différents échelons, entre les personnes publiques elles-mêmes ? Toutes ces questions sont devant nous.
Nous assistons partout à un véritable engouement pour la culture, nous voulons qu'elle soit présente sur tout le territoire, pour que tous nos concitoyens y accèdent, mais les dotations sont partout en repli, comme à Auray où elles ont reculé de 6 % l'an passé. La culture ne doit donc pas continuer à perdre des moyens - nous devons plutôt trouver de l'argent ailleurs, ou bien l'hyper-austérité nous tuera ! L'avenir, c'est la culture, portée par les institutions nationales et territoriales : il faut stopper l'hémorragie des dotations, ou bien les collectivités territoriales ne pourront plus rien faire.
Ce tour de table est très intéressant, je remercie chacun d'avoir exprimé avec clarté les messages forts que vous vouliez faire passer aux parlementaires. Vous aurez entendu le consensus dans leurs propos : nous refusons que la culture soit une variable d'ajustement des budgets. Personne, ensuite, n'a dit du mal de la décentralisation, bien au contraire, ni proposé qu'elle soit un jeu entre un État penseur et des collectivités à qui l'on ne demanderait rien d'autre que de payer.
Je remercie Françoise Cartron d'avoir rappelé que l'État est parfois injuste et qu'il peut se tromper ; c'est aussi pourquoi la décentralisation présente de l'intérêt - dans ma région, c'est grâce à elle que nous avons désamianté les établissements scolaires que l'État nous transmettait tels quels.
Chacun d'entre vous, ensuite, a demandé que soit énoncé le sens que chaque institution donne aux politiques culturelles qu'elle engage ; c'est un message fort, qui nous est commun : il serait bon qu'il se traduise en actes.
Certains voient dans la période actuelle de restriction budgétaire une possibilité d'inventer de nouvelles méthodes d'action, quand d'autres s'alarment des risques de ce saut dans le vide, surtout quand la perspective de délégation coïncide avec un retrait généralisé de l'État. Comme l'a dit Jacques Legendre, comment rester efficace et juste ? Chacun, me semble-t-il, se retrouve dans l'idée de responsabilité partagée entre l'État et les différents niveaux de collectivités, ainsi que sur l'utilité des financements « conjugués », selon l'heureuse formule de Françoise Cartron.
Brigitte Gonthier-Maurin fustige le fait qu'on veuille organiser avant de penser. Elle a raison dans le fond, mais il faut rappeler comment les choses se sont passées : nous attendons la loi sur la création depuis deux ans, et mais l'acte II de la décentralisation, puis la loi « MAPAM » lui sont passés devant, avec des dispositions concernant directement la culture - des articles de loi qui organisent la culture sans l'avoir pensée au préalable, avec, il faut bien le dire, nos collègues de la commission des lois en charge de leur examen. On nous annonce même, maintenant, qu'un acte III de la décentralisation précèderait la loi sur la création, qu'on nous promet encore pour l'automne. Puisque c'est dans cet ordre que le calendrier nous est imposé, nous devrons mettre du sens dans la loi de décentralisation...
Les dotations diminuent et l'édifice s'effrite déjà : la menace n'est pas pour demain, elle a déjà produit bien des effets. Je ne crois pas qu'on puisse faire mieux, avec moins de moyens - et ce que je sais d'expérience, c'est que ce sont toujours les plus fragiles qui paient en premier le manque de moyens et ce sont d'abord les artistes qui vont devoir changer de métier. Encore une fois, ne pensez pas qu'on refera ce qui aura été cassé : il est toujours plus long de construire, que de défaire.
Les bonnes volontés ne peuvent plus suffire, nous avons besoin d'une structuration qui assure aux projets culturels d'être partagés. C'est une condition de la réussite, qu'on voit déjà opérer dans les EPCC : les établissements qui ne fonctionnent pas sont ceux où le projet n'est pas suffisamment partagé, où il y a un équipement, mais pas les équipes.
La décentralisation n'est donc pas achevée, il nous manque cette capacité de définir les politiques en commun, aux différents échelons. C'est la condition pour sécuriser la création dans notre pays, pour qu'elle se développe - et c'est bien là notre véritable exception culturelle.
Je crois, enfin, que la pluralité d'interlocuteurs est une des clés de la liberté de la création. C'est parce qu'un artiste a plusieurs employeurs qu'il est entendu de plusieurs façons et qu'à travers elles, aussi, il affirme son projet. C'est le cas aujourd'hui, cette multiplicité d'interlocuteurs est un atout. L'artiste le perdrait s'il n'avait plus demain qu'un seul élu à qui s'adresser.
Le mot essentiel est celui de responsabilité. Comment le dialogue sera-t-il organisé ? C'est bien la clé, pour que se forgent des projets partagés. Il faut, ensuite, accompagner suffisamment les projets dans le temps, pour connaître leurs suites. En pratique, il est toutefois très difficile de signer des conventions pluripartites et c'est parce qu'on ne met pas suffisamment de partenaires autour de la table, dans la durée, qu'on réduit trop de projets à leur aspect budgétaire. Nous avons besoin de dialogue et de conventions pluripartites.
Je confirme que les budgets de la culture baissent partout. Au-delà, une forme de violence s'installe, dans une sorte de jeu consistant à trouver le « fautif » des dépenses publiques. Bien souvent le directeur de l'EPCC, renouvelable tous les trois ans, est tout désigné comme la cible prioritaire. Il faut faire des économies, le Président de la République fixe le cap de 50 milliards d'euros, mais ce qu'il faut avant tout, c'est changer de modèle d'action, définir la responsabilité comme principe de nos politiques publiques - ce qui impose d'en énoncer les choix stratégiques et politiques. Les perspectives changent, voyez comment des jeunes s'organisent par eux-mêmes, ne comptant plus sur les institutions, d'où des revendications d'une autre nature.
Il faut donc énoncer des choix de stratégie, qui articulent les échelons local, régional, national et européen, alors même que le « saut dans le vide » crée des tensions et avive la tentation de repli sur soi ; c'est bien pourquoi nous devons traduire, décrypter les aspirations et repenser notre organisation, en particulier l'articulation entre ses composantes.
Les EPCC sont certes des laboratoires de la coopération, mais ils ne sont pas la panacée - et les exemples de dérives sont aussi nombreux, sinon davantage, que les réussites. Cependant, ils présentent le grand avantage de manifester un engagement public dans un projet. Et l'on assiste à un progressif dévoiement du modèle statutaire des établissements, de la coopération elle-même, pour aller vers un modèle prescriptif plutôt que processuel, vers un système décisionnaire s'inspirant davantage de l'actionnariat, que de la coopération et de la responsabilité.
Enfin, l'association du public et du privé va devenir possible, avec les sociétés d'économie mixte à opération unique, dites « SEM contrat », qui s'inscrivent dans la logique de la circulaire et permettront d'éviter le recours aux délégations de service public.
Il est bien regrettable de devoir travailler à ces réformes dans l'urgence, car c'est par la concertation qu'on trouvera des solutions adaptées aux territoires, lesquels ne sont pas tous, loin s'en faut, impliqués dans les mêmes champs culturels. En fait, les collectivités n'interviennent jamais sur tous les champs culturels, c'est bien pourquoi la délégation inquiète. La Franche-Comté, par exemple, a supprimé sa ligne de crédit au cinéma, par mesure d'économie : si demain la région dispose de la « compétence culture », quelle sera la politique du cinéma francomtoise ? Il faut au moins en débattre. En Ile-de-France même, qui conduit des politiques culturelles remarquables, la région n'intervient pas dans les cultures classiques - par exemple, la région n'accompagne pas la scène nationale implantée dans ma commune.
Nous avons besoin de temps pour réorganiser, co-construire les politiques culturelles : c'est une condition de réussite.
Je souhaite revenir sur la question de la Bretagne, à laquelle on peut souhaiter d'échapper à tout phénomène chaotique, puisque la théorie des systèmes qualifie ainsi la singularité.
Nous sommes confrontés à des difficultés sémantiques et de définition. À mon sens, la notion de « niveau » de collectivité territoriale a un effet catastrophique car elle a pour effet de retirer une part de sa souveraineté à chacun de ces niveaux et constitue un frein au dialogue entre les collectivités. En tant que représentant de la FNCC, je me dois d'insister sur ce point. J'en appelle à une substitution de la notion de « niveau » par celle de « nature » de collectivité. Aujourd'hui les décisions relatives aux territoires s'inscrivent dans la logique de l'attractivité. Cette notion d'attractivité revient-elle à mettre en compétition les Grottes de Lascaux avec la Tour Eiffel ?
Il faut reposer la question des finalités et ne pas les confondre avec la question des objectifs que nous poursuivons, qui peuvent alors venir nuancer les finalités au regard des moyens. Nous pouvons évoquer la question de l'économie, mais l'économie n'est pas une finalité. Elle est un moyen au regard de ce que l'on souhaite faire. La politique a pour fondement la détermination et le choix de ce que l'on veut faire.
Je reviens aux schémas d'orientation de développement des lieux de musiques actuelles (SOLIMA) puisque le thème a été évoqué. Nous avons introduit dans le vade-mecum, en accord avec tous les partenaires, la notion de « bienveillance », significative d'un passage de soi vers l'autre. Cela va dans le sens d'une intelligence du dialogue non hiérarchisé dans une optique beaucoup plus constructive.
Nous avons bien saisi les craintes des uns, les critiques des autres, tenant au grand flou qui domine la question des politiques culturelles. Je me souviens que lorsque la région Nord-Pas-de-Calais a pris en main la décentralisation de la gestion du transport express régional (TER), cela a été fait après un long débat, incluant les syndicats de cheminots et les usagers. C'était un excellent exemple d'exercice du service public au niveau régional. Dans le même temps, nous savions qu'il ne s'agissait que d'une expérimentation et qu'en cas d'extension autoritaire de ce modèle, les acteurs d'autres régions mettraient en concurrence la SNCF avec des transporteurs, afin de réaliser des économies - ce qui n'était évidemment pas l'objectif.
Je conclurai par quatre voeux que je me permets d'adresser aux parlementaires que vous êtes.
Le premier de ces voeux va dans le sens des propos tenus par Mme Madeleine Louarn. Derrière un geste artistique, il y a le doute, l'émancipation, la citoyenneté. Le geste artistique touche donc à des éléments liés au sens et auxquels il est très difficile de déroger. Derrière le geste artistique, il y aussi le lien social, composante extrêmement importante en ces temps d'individualisme. La culture constitue aussi une source d'attractivité et de développement économique des territoires. C'est donc un domaine essentiel.
Le deuxième voeu me ramène à la question de la clause de compétence générale. Je crois que la multiplicité des regards et des financements est un élément important pour les projets culturels. Et ce pour une raison qui n'a pas été évoquée : les projets culturels sont très divers et leurs tailles sont très différentes. Tous les niveaux de l'action de l'action publique doivent donc investir ces différents projets.
Troisièmement, à mon sens, il convient que l'État s'interroge aussi sur ses propres actions. Il y a de très fortes inégalités culturelles en France. Entre Paris et les régions, entre les régions elles-mêmes, nous constatons des écarts importants. Jusqu'à quel point sont-ils justifiables ? Il y a là un vrai problème, qui se double d'un autre : dans la très grande majorité des DRAC, une partie importante du budget est fléchée en direction de dépenses dites obligatoires. Ainsi, 93 % du budget de la DRAC en Bretagne est pré-fléché en direction d'organismes labélisés ou conventionnés. Cela signifie que la marge de manoeuvre laissée à la DRAC pour favoriser l'innovation et l'émergence de nouveaux artistes est résiduelle. L'État ne peut pas être innovant en région. L'État n'est pas toujours égalitaire et il est corseté par les figures de financement qui l'organisent.
Enfin, la Bretagne est prête pour une expérimentation. Il faudrait rassembler autour d'une table les représentants des différents échelons territoriaux, y compris l'État, autour de la question du partage des compétences. La région Bretagne ne rejette ni l'État ni la DRAC, mais est favorable à une délégation de compétences, portant sur un projet partagé, basé sur une convention. À la question des compétences, il faut apporter des réponses pragmatiques. Beaucoup ont évoqué la sensation de flou qui domine. Aujourd'hui, avant de définir une ligne méthodologique, il faut répondre à la question de savoir « qui fait quoi ».
Je remercie tous les intervenants de la qualité de leur contribution à nos débats, qui se poursuivront au cours des mois à venir, notamment lors de l'examen des projets de loi « mobilisation des régions » et « création ».