Intervention de Didier Salzgeber

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 février 2014 : 2ème réunion
Décentralisation culturelle — Table ronde

Didier Salzgeber, délégué général du Comité de liaison des établissements publics de coopération culturelle :

L'article 3 de la loi « MAPAM », qui range des compétences par collectivité « chef de file », ne mentionne pas la culture - mais l'aménagement et le développement durable du territoire, le développement économique, ou encore le soutien à l'enseignement supérieur et à la recherche. Que vise-t-on lorsqu'on parle de « compétence culture » ? Il y a des équipements et des services culturels, mais la culture coïncide-t-elle avec une compétence définie par la loi ? Ces questions sont anciennes et récurrentes. On se souvient de l'éclairage que leur ont donné René Rizzardo et Pierre Moulinier dès les années 1990 - en particulier ce fait que les compétences en matière culturelle résultent de circulaires plutôt qu'elles ne sont délimitées par la loi, exception faite de politiques particulières comme celle du patrimoine ou du cinéma.

Le périmètre de la culture se laisse d'autant moins circonscrire qu'il progresse constamment - et cela va continuer, si l'on en croit le rapport de prospective « Culture et Médias 2030 ». C'est pourquoi il paraîtra contradictoire de vouloir en figer le cadre de gouvernance avec des définitions « enfermantes ».

En fait, nous sommes au croisement de trois référentiels : l'historique, centré sur l'aide à la création professionnelle et visant l'excellence scientifique, artistique, culturelle, avec une préoccupation d'accès au plus grand nombre ; l'économique, centré sur l'importance de l'activité, de l'emploi, de la valeur créée, facteur d'attractivité des territoires ; enfin, un référentiel en émergence, centré sur le droit à chaque personne de voir reconnaître son identité culturelle. Chacun de ces référentiels importe mais ne peut constituer, à lui seul, la clé de voûte du système, d'où ses oscillations et les difficultés à définir des priorités. Travailler au développement des industries culturelles, ce n'est pas le même métier que gérer, dans un territoire, les aspirations et les tensions entre identités sociales, culturelles et ethniques.

Dès lors, trois questions me paraissent se poser. « La » culture est-elle un concept politique suffisant ? Le terme est pratique, mais il ne coïncide avec aucune compétence bien délimitée. L'organisation de la culture, ensuite, ne joue-t-elle pas contre les singularités qui s'expriment ? Il y a ici une tension, qu'on voudrait constructive, entre la norme organisationnelle et la réalité hybride, hétérogène. Enfin, comment construire une politique publique avec autant d'intervenants et de perspectives ? Il me semble indispensable de sortir de cette espèce de poker menteur où chacun fait comme s'il pouvait tout faire ; il y a des financements croisés, mais chacun entre dans la ronde pour des motifs bien différents. Et ce déficit de clarté empêche de définir non pas une organisation, mais un système de responsabilité publique pour la culture.

L'expérience montre, ensuite, que le multilatéral est préférable au bilatéral, eu égard à la complexité des enjeux liés à la culture. Le récent rapport d'inspection sur les politiques culturelles outre-mer est édifiant à cet égard, démontrant toutes les difficultés quand il n'y a plus qu'une seule collectivité territoriale compétente en matière culturelle.

La contribution de notre comité de liaison soulignera donc la complexité du sujet, les risques qu'à vouloir faire coïncider la culture avec une compétence, on la fasse sinon disparaître, du moins conduire à la fragmenter, alors qu'il serait bien plus utile d'articuler les politiques culturelles. Faut-il expérimenter de nouveaux modes d'action publique, comme le fait la Bretagne ? C'est possible, mais à condition que l'expérimentation contribue à mieux expliciter, à clarifier les objectifs portés par la puissance publique.

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