Intervention de Madeleine Louarn

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 12 février 2014 : 2ème réunion
Décentralisation culturelle — Table ronde

Madeleine Louarn, présidente du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelle (SYNDEAC) :

Notre débat d'aujourd'hui est essentiel et je ne doute pas qu'il va nous occuper pour quelque temps, avec les remous budgétaires que nous connaissons mais aussi notre actualité sociale, en particulier la question du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Le SYNDEAC représente l'ensemble des institutions et lieux de création de notre pays, les scènes nationales, les centres d'art. Ils ont été aux premières loges de la décentralisation : les théâtres nationaux, par exemple, ont été parmi les premiers à s'implanter en province, au nom de la décentralisation culturelle et pour rapprocher du public les oeuvres et la création. Les années 1980 ont vu se multiplier les actions, les lieux culturels et s'affirmer la présence des artistes sur l'ensemble du territoire. Ce vaste mouvement s'accompagnait alors du doublement du budget de la culture et traduisait un engouement généralisé pour les arts et la culture.

C'est bien dans cette perspective que nous devons nous placer : l'art n'a jamais été aussi présent dans la société, partout sur le territoire, jamais la culture n'a été aussi attractive, mais l'investissement public est en repli. C'est pourquoi les lois dont nous débattons questionnent le sens même de l'action publique : quelle continuité non seulement de l'État, mais aussi de la culture sur l'ensemble de notre territoire ? Comment construire un pays avec une telle diversité d'expressions, sans une action forte et continue de la puissance publique ?

Je vous parle aussi depuis ma position de terrain, celle d'un metteur en scène implanté à Morlaix et dont la compagnie est soutenue par toutes les collectivités locales - région, département, agglomération, commune - aussi bien que par l'État. Si les cartes sont redistribuées comme on peut le craindre, si vous mettez fin aux financements croisés, la moitié des artistes professionnels devront arrêter leur activité, changer de métier, et vous compromettrez l'ensemble de l'éducation artistique dans notre pays. Nous disposons d'un maillage sans pareil, tissé patiemment par la coopération entre artistes et enseignants, entre professionnels et amateurs, entre public et privé, local et national : ce maillage est fragile et il est beaucoup plus facile à défaire, qu'à faire - soyez certains qu'une fois défait, il ne se refera pas !

Je voudrais également mentionner les difficultés que nous rencontrons pour construire un enseignement artistique avec l'éducation nationale, alors que l'enseignement artistique est essentiel pour la présence des artistes sur l'ensemble du territoire. L'éducation artistique manque de continuité, parfois d'intelligence ; trop souvent, les projets sont des coquilles vides. Pourquoi faire des projets artistiques à l'école ? Il est grand temps de le dire ! Qu'est devenu le « pacte territorial pour la culture » évoqué par le gouvernement lors du débat sur la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ? Quelle sera l'enceinte du débat et d'orientation des politiques culturelles ? Nous sommes dans le plus grand flou.

Je crois qu'en matière de culture, nous avons besoin d'une organisation qui nous oblige à nous entendre alors que pour se disputer, nous n'avons besoin de personne ... Il nous faut des procédures de débat et de construction des politiques publiques qui dépassent les questions de personnes, sur le modèle de ce qui existe au Parlement même, où le débat est de droit, pluraliste et organisé - et où la question du sens de l'action peut elle-même être débattue.

Le temps est venu d'inverser la tendance, l'enjeu est moins de préserver ce qui existe, que de réinvestir véritablement nos politiques culturelles qui sont mises à mal, depuis plusieurs années, par un retrait de l'État et des collectivités territoriales. Le débat ne doit pas se focaliser sur les équipements ; nous ne pensons pas que des EPCC soient nécessaires partout. Ce qui compte bien davantage, c'est que les différents échelons de la puissance publique coopèrent en matière de culture, c'est dans l'intérêt de l'art mais aussi de nos enfants et du pays tout entier. En outre, la culture n'est pas si coûteuse, quand on regarde tout ce qu'elle apporte. Il faut donc tourner la crise en une chance pour un nouvel élan des politiques culturelles, et non y voir la mort inéluctable des outils forgés patiemment depuis des décennies. Le manque de visibilité politique, vous l'aurez compris, est donc mortel en la matière.

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