Intervention de François Trucy

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 février 2014 : 1ère réunion
Services historiques de la défense — Communication

Photo de François TrucyFrançois Trucy, rapporteur :

Si, en principe, les archives de l'État sont conservées par les Archives nationales, la loi a créé une exception pour deux ministères : le Quai d'Orsay, avec les Archives diplomatiques, et la Défense, avec le service historique de la défense, qui est l'objet du contrôle que nous allons vous présenter.

Je précise d'entrée de jeu que nous sommes largement en retard pour produire devant vous ce rapport, qui était prévu au programme de l'année 2013.

Yves Krattinger et moi avons cependant des excuses exceptionnelles à ce retard. En 2013, ce service a vu exploser le binôme qui le dirigeait, formé d'un général et d'un cadre supérieur du ministère de la culture, et ce pour des raisons tout aussi inacceptables les unes que les autres.

Il nous aura fallu attendre longtemps la nomination d'un autre général et le temps qu'il lui fallait pour prendre en main sa direction.

Je suis personnellement très intéressé et très admiratif des services d'archives, qu'elles soient nationales ou locales, car elles sont le support de notre grande Histoire et de nos petites histoires, qui ont tant d'intérêt.

J'espère que ce contrôle vous permettra, à votre tour, de prendre la mesure de l'étendue des missions du service historique de la défense, de la variété et de la difficulté de ses tâches. Contrairement à une idée reçue, qui juge que le service historique de la défense n'a rien d'autre à faire que de stocker, entretenir et exploiter les archives les plus anciennes et les plus vénérables, le service historique de la défense vit dans l'actuel, reçoit, à longueur d'années, des masses énormes de données qu'on lui demande d'identifier, classer, stocker et qui proviennent d'une multitude de sites : bases de défense, unités, bâtiments de la Marine nationale, bases aériennes, écoles... À Pau, où vivent les archives de tout l'historique de tous les militaires, de toutes les époques, le service effectue un travail essentiel pour les intérêts de ces militaires.

Vous apprendrez aussi que la poussière, les moisissures et l'humidité sont les pires ennemis des manuscrits et des archives.

Créé le 1er janvier 2005, le service historique de la défense est un service à compétence nationale, rattaché à la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), l'une des directions du secrétariat général pour l'administration (SGA) du ministère de la défense. Il est le résultat de la fusion des quatre services historiques de l'armée de terre, de la marine, de l'air et de la gendarmerie nationale et du dépôt d'archives de la délégation générale pour l'armement (DGA).

Il est constitué d'un échelon de direction, dont les locaux se situent dans le château de Vincennes, et de trois centres :

- le Centre historique des archives (CHA) situé, à titre principal, à Vincennes et disposant d'un réseau territorial formé par les anciennes implantations portuaires du service historique de la marine (Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon). Le site du Blanc, qui recueille les archives de la Gendarmerie antérieures à 2009, lui est également rattaché ;

 - le Centre des archives de l'armement et du personnel civil (CAAPC), créé en 1969 sur le site de l'ancienne manufacture d'armes de Châtellerault. Il assure la conservation, la gestion et la communication des archives techniques et administratives relatives aux études, essais et fabrications d'armement, ainsi que les dossiers individuels des personnels civils du ministère de la défense nés après 1870 ;

- le Centre des archives du personnel militaire (CAPM), installé dans la caserne Bernadotte à Pau, détient notamment les archives du service national et a vocation à devenir le guichet unique pour l'accès aux archives du personnel militaire.

La fusion des services historiques des armées est intervenue dans le contexte de réforme du ministère de la défense et participe, plutôt tardivement, du mouvement d'interarmisation qui s'est véritablement enclenché à partir du début des années 1990.

Cette fusion a permis de progressivement réaliser des économies de fonctionnement, ce qui a donné l'occasion au ministère de la défense, dans le cadre de la réduction de ses dépenses dites de soutien, de réduire les moyens alloués au service historique de la défense.

Celui-ci a une autonomie budgétaire réduite. Il ne gère que ses dépenses de fonctionnement, ses dépenses de personnel étant regroupées, depuis le 1er janvier 2013, sur le budget opérationnel « Ressources humaines » du SGA. Les dépenses d'investissement et informatiques sont prises en charge directement par les entités compétentes du ministère.

Les ressources budgétaires du service historique de la défense inscrites en loi de finances pour 2014 s'élèvent à 4,95 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 4,54 millions d'euros de crédits de paiement (CP).

Les crédits sont en baisse d'environ 10 % sur les trois dernières années, alors même que le service historique de la défense a intégré, en 2012, le CAPM de Pau et donc plus de 100 km linéaires d'archives supplémentaires, des bâtiments et environ 270 personnels.

Au total, l'effectif du service historique de la défense s'élevait, en 2013, à 675 personnes. Hors centre de Pau, ses effectifs ont baissé de plus de 15 % depuis 2005. Les effectifs du CAPM ont eux-mêmes baissé de 21 % entre 2010 et 2013, avec une quasi disparition des postes militaires.

Ces réductions pèsent énormément sur un service qui a de multiples missions, dont certaines souffrent d'un manque de moyens.

Le service historique de la défense, c'est en effet, à la fois : le gardien des traditions et de la symbolique militaire, chargé d'homologuer, de répertorier et de rassembler les emblèmes et insignes ; une bibliothèque regroupant près d'un million d'ouvrages ; un centre de recherche historique ; un centre d'archives, et de manière connexe, un important centre administratif.

En termes de ressources, c'est la fonction archivistique et administrative qui pèse le plus. Le service historique de la défense est chargé des « 4 C » du travail d'un centre d'archives : collecter, classer, conserver, communiquer, autant de tâches qui correspondent à des obligations légales posées par le code du patrimoine. Ses fonds représentent plus de 400 kilomètres linéaires d'archives remontant jusqu'au 17e siècle. Il faut l'imaginer : mises bout à bout, les archives du service historique de la défense couvriraient presque la distance entre Paris et Lyon. En 2012, ce sont près de 15 kilomètres linéaires d'archives supplémentaires qui ont été collectés et que le service historique de la défense doit trier et classer.

La conservation n'est pas qu'un stockage passif : il convient de mettre en oeuvre des actions préventives et curatives, ainsi que de restaurer les documents dégradés. Il s'agit là d'un des points noirs du service historique de la défense, mais nous y reviendrons.

La communication des documents au public, enfin, est également une obligation légale, limitée seulement par les délais de communicabilité des documents ou leur caractère secret. Outre les nombreuses demandes liées à la généalogie ou à la recherche historique, cette mission de communication comprend un large aspect administratif.

C'est au service historique de la défense que vous vous adressez pour obtenir votre état signalétique et des services.

C'est également le service historique de la défense qui assure la qualification des unités combattantes et des actions de feu ou de combat pour l'établissement des droits des militaires. Pour prendre l'exemple de la marine, cette tâche nécessite des personnels capables de reporter des points de navigation sur une carte et sachant lire des journaux de bord et de navigation.

C'est enfin, mais je pourrais continuer, le service historique de la défense qui produits les certificats nécessaires à l'établissement par l'ONAC-VG des cartes de combattant et des titres de reconnaissance de la Nation.

Sans compter que le service historique de la défense réalise également des recherches pour le ministère et est régulièrement sollicité dans le cadre de procédures judiciaires au titre des archives de la Gendarmerie.

Malheureusement, le service historique de la défense peine à remplir ses missions. Les travaux de qualification des unités combattantes accusent un retard de près de dix ans pour certaines unités. Pour pouvoir répondre aux demandes des administrés, certains sites ont cessé de traiter les archives nouvellement versées, ce qui est très dommageable. La fonction de recherche historique, si elle continue de donner lieu à la publication d'articles, d'ouvrages et de la Revue historique des armées, est largement négligée. La communication d'archives en salle de lecture exige un délai de réservation de trois semaines et est limitée à un quota de cinq documents par jour et par lecteur.

Le diagnostic, pour Yves Krattinger et moi, est assez clair : le service historique de la défense est malade de la dispersion de ses sites et du piteux état de la plupart de ses locaux, notamment de conservation. Cette situation d'inertie historique et de sous-investissement a un coût : celui des rustines que constituent les chauffages installés dans les locaux mal isolés ou les déshumidificateurs qui tournent dans des casemates saturées d'humidité ; celui de la restauration des ouvrages anciens rongés par l'eau ; celui de la désinfection des documents contaminés par les moisissures ; celui du risque pour la santé des personnels qui travaillent dans des locaux dont l'air est rendu irrespirable par ces mêmes moisissures ; celui du transport des documents entre les salles de lecture et des magasins distants parfois de plusieurs kilomètres ; celui du temps passé par les personnels à se battre contre une infrastructure défaillante et des outils obsolètes.

Sans vouloir dramatiser, car tous les fonds du service historique de la défense ne sont pas en péril, il faut souligner que certains m'ont paru réellement menacés par des conditions de conservation déplorables.

Le service historique de la défense est détenteur d'un trésor qu'il faut protéger, mais, plus prosaïquement, il remplit un certain nombre de missions au profit du ministère de la défense et des administrés, à partir de dossiers pas toujours aussi fascinants que des cartes de marine du XVIIe siècle.

Ces missions sont néanmoins d'importance. Il s'agit rien moins que de fournir des informations nécessaires à l'établissement de droits sociaux, notamment de retraite, de centaines de milliers d'anciens militaires et de millions de Français ayant effectué leur service militaire.

Mes chers collègues vous savez tout.

J'espère que nous vous avons convaincus de l'importance du service historique de la défense et de l'ardente nécessité de ne pas amputer ses moyens, ni de différer sa modernisation.

Si l'État n'a pas les moyens de maintenir son effort, les crédits de fonctionnement, y compris ceux de la masse salariale, alors il est d'autant plus nécessaire de rechercher, pour le service historique de la défense, une autre distribution de ses sites.

S'agissant de la Marine nationale, il me paraît difficile de maintenir éternellement autre chose qu'un seul site par façade maritime et si, pour la façade méditerranéenne, le Pôle de Toulon s'impose, ne faudra-t-il pas, sur la façade atlantique, rassembler les activités de Brest, Rochefort, Lorient sur un seul pôle ?

S'agissant du site du Château de Vincennes, je forme le voeu que le service historique de la défense puisse, le plus vite possible, bénéficier ailleurs qu'à Vincennes des investissements immobiliers dont ont profité, il y a peu, les Archives nationales et les archives de la Diplomatie française et ce, avec des résultats excellents.

Vincennes est un lieu magnifique, prestigieux mais très difficile à gérer et chaque jour moins adapté aux missions du service historique de la défense. Il est illusoire de vouloir moderniser le site par quelques aménagements locaux. Ce serait du gaspillage et ne ferait que retarder les solutions qui s'imposent.

En conclusion, mes chers collègues, j'adopte, pour en finir, une sorte de raccourci.

Je crois plus que jamais à l'importance de la mission du service historique de la défense et je souhaite, maintenant, que vous puissiez partager ce point de vue. Cette institution a besoin de se moderniser et ses données doivent être mieux accessibles pour les usagers. Ceci est possible à condition que, dans le contexte de restrictions et de recherche d'économies que nous vivons, on lui permette de conserver ses moyens quitte à se montrer plus exigeant sur ses résultats.

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