… ni aux opérateurs des machines destinées à maintenir artificiellement en vie des patients : seule la volonté de ces derniers devrait être prise en compte.
Sur ces questions, il ne s’agit pas de savoir qui a définitivement raison : les avis sont divergents et le resteront. Laissons donc aux individus la possibilité de décider pour eux-mêmes. Ils sont le juge suprême de leur propre volonté.
Depuis 2002, le consentement libre et éclairé est requis pour les actes de soins. Le patient n’est plus contraint à subir passivement les traitements, il en est acteur à part entière. On doit les lui expliquer, et il peut les refuser ou les accepter. Il est un individu autonome, libre de ses choix et traité en tant que tel. L’écrivain suédois Stig Dagerman l’exprimait parfaitement : « Il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites. »
L’adoption d’une loi sur l’assistance médicalisée pour mourir marquera l’aboutissement du mouvement qui reconnaît la primauté du respect de la volonté individuelle comme principe fondamental de la mise en œuvre des soins. Elle mettra fin au paradoxe selon lequel une personne peut prendre l’ensemble des décisions qui orientent son existence, indiquer par testament ce qu’il doit advenir de ses biens après son décès, mais est privée d’un tel droit au moment de sa mort.
C’est donc un texte de liberté que nous souhaitons ! D’ailleurs, qu’il en soit fait usage ou non, le simple fait de disposer du droit de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir, lorsque des conditions strictes sont réunies, constituerait une liberté en soi, qui suffirait, parfois, à apaiser psychologiquement certains malades.
Bien sûr, nous entendons les craintes. Le débat sur la fin de vie met en cause deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : le respect de la vie, d’une part, le respect de la dignité et de la liberté de l’homme, d’autre part.
Il ne s’agit pas de revenir sur l’interdit éthique et social « Tu ne tueras point », qui concerne la mort imposée à ceux qui ne la désirent pas, mais bien, dans le prolongement de la loi de 2005, de regarder en face la question de la fin de vie et de cesser de nous réfugier derrière des faux-semblants. Dans la proposition de loi que j’ai déposée avec mes collègues socialistes, l’assistance médicalisée pour mourir est prévue comme une exception dans le code de la santé publique et ne modifie en rien le code pénal. Le Conseil d’État n’y avait vu aucun problème juridique.
L’irréversibilité de l’acte fait peur. Comme si c’était l’assistance à mourir qui rendait la mort irréversible ! Quoi de plus respectueux, de plus digne, de plus moral que d’interrompre, comme le permet la loi de 2005, les traitements d’un individu qui demande à ce que ses souffrances soient abrégées, en cessant son alimentation et son hydratation, en lui administrant des sédatifs pour pallier les douleurs qui en résultent ? Il s’agit bien d’une assistance médicale pour mourir, proche de celle que nous préconisons et qui s’effectuerait par un acte délibéré, exécuté à la demande du patient.
Quel sens moral peut-on trouver au fait de laisser un individu mourir dans des conditions contraires à sa volonté ? D’autant que l’omission ou l’interruption d’un traitement ne suffisent pas toujours. La sédation endort, elle ne sert qu’à faire perdre au patient la perception de la réalité, du temps et de sa propre fin de vie. Ne devrait-on pas plutôt l’accompagner dans ses derniers moments, conformément à ses souhaits les plus intimes ? Faut-il continuer à prolonger la vie de ceux qui ne le souhaitent pas ? Laisser mourir est parfois bien plus inhumain que ne le serait une assistance médicalisée active. D’ailleurs, la distinction morale entre assistance médicale active et passive me paraît bien ambiguë.
La seule question est de savoir si l’on reconnaît ou non à chacun le droit à disposer de sa mort. Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort : c’est un choix entre deux façons de mourir.
Dans son ouvrage Je ne suis pas un assassin, le docteur Chaussoy, malheureusement confronté à ce problème, écrit : « Il faut une sage-femme pour mettre l’homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l’accompagner dans ce monde et l’aider à bien le quitter. » C’est bien ainsi que je conçois l’acte d’assistance pour mourir.
Aussi, je souhaite insister sur un point : contrairement à ce que l’on entend souvent, l’assistance médicalisée pour mourir ne s’oppose pas aux soins palliatifs. Ce ne sont pas là les deux termes d’une alternative : assistance médicalisée pour mourir et soins palliatifs sont complémentaires. Ne pourrait-on pas admettre que l’assistance médicalisée pour mourir soit intégrée au parcours de soins, comme le suggère un rapport de la commission des affaires sociales du gouvernement du Québec ?
Je suis persuadé qu’une loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir apporterait une quadruple réponse.
Premièrement, elle garantirait le respect des souhaits de la personne en lui permettant de rester maîtresse de toutes les décisions concernant la fin de son existence et la manière dont elle souhaite la vivre avant de disparaître. La volonté du patient doit être absolument respectée.
Deuxièmement, elle répondrait aux besoins des médecins confrontés à ces cas douloureux, dans le respect de leur clause de conscience, en leur proposant un cadre juridique au sein duquel ils pourraient satisfaire cette demande d’une manière humaine, sans se mettre eux-mêmes dans l’illégalité. Car, nous le savons bien, il arrive que des médecins accèdent par compassion à la sollicitation pressante de leur patient.
Troisièmement, une telle loi répondrait aux besoins des proches, qui finissent parfois, par amour, par accéder au souhait de la personne malade, mais se mettent ainsi eux-mêmes en danger devant la justice. Si cette dernière fait généralement preuve de clémence dans son verdict, elle n’en poursuit pas moins les personnes concernées pour meurtre. Il faut mettre un terme à cette situation horrible : le malade, avant de fermer les yeux, réclamant ce geste d’amour, ignore ce qu’il adviendra judiciairement de celui qui l’aide.
Enfin, quatrièmement, elle satisferait les juges, qui sont souvent cléments, mais qui doivent être en mesure d’apporter une réponse au nom du peuple français, et non pas seulement en leur âme et conscience.
J’estime que c’est au législateur qu’il revient de fixer les règles autorisant un tel acte de compassion. Nous sommes donc déterminés à traiter les insuffisances de notre droit actuel. Les auditions qui ont été conduites ont d’ailleurs bien montré la nécessité de légiférer.
Dans l’attente d’un projet de loi qui devrait nous être présenté avant ou après l’été ou, à défaut, d’une proposition de loi qui serait le résultat d’un travail commun entre les différents auteurs de propositions de loi déposées devant notre assemblée, je défendrai, non pour le reporter mais pour disposer d’un texte commun, une motion de renvoi en commission.
Celle-ci ne dissimulera pas, comme trop souvent, un rejet, mais offrira une occasion d’approfondir la question en commission pour nous préparer à recevoir le texte du Gouvernement ou à étudier en commun le sujet, dans la perspective d’une nouvelle niche.