Intervention de Stéphane Le Foll

Réunion du 17 février 2014 à 16h00
Interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié — Rejet en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Stéphane Le Foll, ministre :

Comme je l’ai dit lors du débat sur les semences, il faut garder son sang-froid et tenter de ne pas céder à la caricature. Nous avons besoin de retrouver objectivité et rationalité.

Un débat démocratique est nécessaire, car, au-delà des choix scientifiques, il faut déterminer où se situe l’intérêt général.

Je trouve frappant que de grandes sociétés privées se soient en quelque sorte approprié l’intérêt général. Je me souviens que les premiers OGM avaient ainsi été présentés comme étant « la » solution à la faim dans le monde ! Une entreprise privée proposait de prendre seule en charge ce grand enjeu pour l’humanité ! Or une telle question mérite tout de même un débat, des discussions, des analyses contradictoires, car il n’y a pas de sujets tabous.

Je rappelle que, aujourd'hui, le droit européen sur les OGM est totalement différent de celui qui s’applique aux produits phytosanitaires et aux médicaments, lesquels font systématiquement l’objet de débats contradictoires quant au rapport entre les coûts et les bénéfices qu’ils représentent, entre les avantages et les inconvénients qu’ils emportent. Je l’ai dit maintes fois, s’il est un sujet qui doit être porté à l’échelle européenne, c’est bien le changement de la législation sur les OGM !

Je ne me satisferai pas de ce qui s’est passé avec le fameux TS 1507, produit par la société Pioneer : il pourrait bien être autorisé par la Commission, alors que le Parlement européen a voté à une large majorité contre cette autorisation, dix-neuf États membres y étant hostiles quand seulement cinq pays ont donné leur accord et que quatre autres se sont abstenus. Et, M. Fauconnier l’a dit, parmi les pays qui ne sont pas opposés à cette autorisation, il en est un certain nombre qui ne produisent même pas de maïs ! À moins que le réchauffement climatique ne soit tel qu’ils finissent par pouvoir en cultiver un jour...

Les règles du débat doivent donc être changées. C’est le point de vue que je défends, au nom de la France, au sein du Conseil européen. Les débats sur les OGM doivent s’appuyer sur des données concrètes. Chaque État doit pouvoir faire des choix en fonction de critères environnementaux et sociaux, de critères de protection des productions de qualité. Les agricultures européennes sont diverses. Chacun doit pouvoir, en conscience, et à partir de critères objectifs, décider d’utiliser ou non des OGM, en se fondant sur un bilan entre avantages et inconvénients.

Je l’ai dit, je suis favorable à un débat. Le Haut Conseil des biotechnologies organisera d’ailleurs, le 1er avril prochain, un débat contradictoire.

Si les OGM utilisés ont pu, les premières années, avoir des effets positifs en termes économiques et de réduction de l’utilisation des pesticides, voire des herbicides, tel n’est plus le cas aujourd'hui. Quand on examine leurs effets sur des séquences beaucoup plus longues, on s’aperçoit que ces OGM ne sont pas si favorables ni d’un point de vue économique ni d’un point de vue environnemental, au regard des objectifs mis en avant au moment de leur mise en culture, que ce soit aux États-Unis, en Amérique latine ou même en Espagne.

Si la compétitivité de la filière des semences françaises dépend tant que cela des OGM, comment expliquer que notre pays se place au premier rang mondial pour les exportations de semences, au troisième rang mondial et au premier rang européen pour la production ?

Il va donc falloir changer la législation européenne. Le débat est en cours. Nous avons déposé un texte, qui fait actuellement l’objet de discussions avec l’ensemble de nos partenaires. Nous ne pouvons pas en rester à la situation actuelle. Dès lors que des critères seront définis, un débat démocratique pourra avoir lieu.

Je l’ai dit ici même la semaine dernière : une page de l’histoire des OGM va se tourner et une autre va s’ouvrir. Un certain nombre de pistes sont d’ailleurs explorées. Enrichir un riz en vitamine A est une bonne chose, sachant que cela permettra de lutter contre la cécité dans un certain nombre de grands pays où le taux de cécité, en particulier chez les enfants, est élevé.

Les critères qui devront être définis permettront de nourrir un débat et de déterminer ce qu’est, en l’espèce, l’intérêt général, qui ne saurait se confondre avec les intérêts de quelques-uns ou de quelques firmes.

Le changement de règles européennes doit résulter de débats s’appuyant sur des données objectives, afin que les États puissent faire des choix éclairés.

Dans le domaine des OGM, la recherche et l’innovation ne sauraient être freinés. Mais les choix qui seront faits doivent, eux, être effectués au nom de l’intérêt général. Et cela mérite un débat démocratique. Il n’appartient ni aux chercheurs ni à des entreprises privées de décider pour les populations des différents pays.

Voilà pourquoi je compte bien faire progresser l’idée de changement juridique.

Ce n’est pas tout ou rien. Il s’agit d’ouvrir des marges de débat démocratique, afin de pouvoir prendre des décisions sur des sujets extrêmement importants, qui engagent beaucoup, qu’il s’agisse du choix de techniques agricoles ou, plus largement, de notre conception de l’agriculture.

Jusqu’à présent, les OGM ont été utilisés avant tout pour prolonger un certain modèle de production. Or nous pouvons envisager sereinement, en particulier ici, au Sénat, de poser la question des modèles de production lors du débat que nous aurons sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, sans pour autant jamais remettre en cause le niveau de la production. La performance économique, je ne cesserai de le répéter, est tout à fait compatible avec une production agricole écologique.

Tels sont les termes du débat à moyen et à long terme.

Mais il faut aussi traiter les questions de court terme. Depuis que la mise en culture du maïs MON 810 a été autorisée en 1998, de l’eau a coulé sous les ponts. Plusieurs interdictions ont été prononcées en France, en particulier par des majorités différentes de celle d’aujourd'hui. En mars 2012, la clause de sauvegarde a été invoquée, mais elle a été remise en cause par le Conseil d’État l’an dernier, ce qui nous oblige aujourd'hui à prendre une décision.

Si l’on reste dans le flou juridique actuel, cet OGM pourra être mis en culture, ce que nous ne souhaitons pas, même si, je le rappelle, des professionnels se sont engagés à ne pas y avoir recours et si la firme Monsanto elle-même a indiqué qu’elle ne souhaitait pas vendre son maïs en France.

Toutefois, comme j’ai pu le constater, certains producteurs ont publiquement indiqué que, quelle que soit la situation en France et quels que soient les choix de Monsanto, on pouvait se procurer le MON 810 dans un pays limitrophe de la France, en particulier en Espagne. Cela me renforce dans l’idée qu’une mesure législative est nécessaire.

Je le sais, celle qui est ici proposée suscite des interrogations, car elle n’est pas compatible avec le cadre européen actuel.

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