Intervention de Danièle Bousquet

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 12 février 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Danièle Bousquet présidente du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

Danièle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes :

Je rends hommage au travail de Guy Geoffroy, qui fut rapporteur de la mission d'information que j'ai eu l'honneur de présider.

Le Haut Conseil est une instance consultative placée auprès du Premier ministre, formée de cinq collèges rassemblant élus, associations, personnalités qualifiées et représentants de l'Etat. Il a adopté son rapport sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel à l'unanimité moins une voix, le 4 novembre dernier, ce qui témoigne de l'attachement de l'ensemble de ses membres à la lutte contre les violences faites aux femmes et la prostitution.

La prostitution est un obstacle majeur à l'égalité entre les femmes et les hommes. Tant qu'elle sera acceptée, tant que l'on trouvera normal qu'un homme paye pour disposer du corps d'une femme, l'égalité restera un vain mot.

Nous saluons la cohérence de la proposition de loi, qui, prenant en compte l'ensemble du système prostitutionnel et de ses acteurs - proxénètes et réseaux mafieux, personnes prostituées, clients - repose sur quatre piliers. Il renforce, en premier lieu, la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Il organise, en deuxième lieu, l'accompagnement des personnes prostituées dans quatre domaines. Il conforte, tout d'abord, le droit au séjour des victimes. Une grande majorité des personnes prostituées, dont 80 % viennent de l'étranger, quand ce n'était que 20 % il y a trente ans, sont sans papiers. Comment imaginer sortir de la prostitution si l'on n'est pas assuré de bénéficier d'un titre de séjour ? Il assure, ensuite, un minimum de ressources aux personnes souhaitant sortir de la prostitution. Il leur garantit l'accès au droit et à la santé - et les problèmes tant physiques que psychologiques sont légion - ainsi que l'accès à un logement d'urgence, afin de favoriser leur réinsertion sociale.

Troisième pilier, la prévention des pratiques prostitutionnelles. On peut éduquer les jeunes à l'idée que dans une relation sexuelle, l'autre doit être respecté, que c'est dans l'égalité que deux personnes peuvent se retrouver. Cela suppose de conforter l'éducation à la sexualité à l'école en renforçant ses moyens.

Quatrième pilier, enfin, la responsabilisation du client, seul moyen de tarir la demande. S'il y a moins de clients, il y aura moins de personnes prostituées, donc moins de traite. C'est pourquoi le texte prévoit d'interdire l'achat d'un acte sexuel.

Pour nous, il y a là deux innovations majeures. Pour la première fois, on organise un parcours de sortie de la prostitution, en l'assortissant de moyens. Pour la première fois, on interdit l'acte d'achat, et l'on sanctionne les clients.

Le Haut Conseil salue la volonté dont témoigne ce texte de situer la prostitution dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de la convention des Nations Unies de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui. La France, en ratifiant, en 1960, cette convention, s'est rangée, de facto, parmi les pays abolitionnistes. La convention ne déclare-t-elle pas, dans son Préambule, que « la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de prostitution, sont incompatibles avec la dignité humaine et la valeur de la personne humaine » ?

Ce texte est le fruit d'un long et patient travail législatif, entamé au Sénat à l'initiative de Dinah Derycke, dont je salue la mémoire. Il faut se féliciter d'une constance qui témoigne de la volonté du législateur d'aller au bout de sa démarche.

Le vote de cette proposition de loi sera un moment historique. Pour la première fois, on ouvre une perspective de sortie de la prostitution, que l'on cesse d'envisager comme une fatalité. Cela fera date dans le chemin vers l'égalité. Cinq pays ont déjà franchi cette étape. Il y faudra le temps, mais on peut changer les choses en faisant obstacle aux réseaux mafieux.

Le Sénat a montré qu'il savait jouer son rôle dans la lutte contre les violences faites aux femmes et pour l'égalité. Le Haut Conseil compte sur sa détermination.

J'en viens à nos recommandations. L'article premier de la proposition de loi, calqué sur ce qui prévaut pour l'incitation à la haine raciale, l'apologie de crimes contre l'humanité ou la pédopornographie, dispose que les fournisseurs d'accès à Internet doivent participer à la lutte contre le proxénétisme, en bloquant l'accès aux sites qui, hébergés à l'étranger, contreviennent aux dispositions de la loi française sur le proxénétisme et la traite des êtres humains. Nous nous félicitons d'une disposition qui vise à faire respecter notre arsenal juridique. Internet n'a certes pas créé la prostitution, mais il facilite, via l'hébergement de sites à l'étranger, le développement de pratiques illégales. Pour lutter efficacement contre les mafias de la traite, il est indispensable de donner des moyens à l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains et aux brigades régionales. L'expérience suédoise montre qu'avec des moyens humains suffisants, on peut s'appuyer sur les informations recueillies sur Internet pour conduire des enquêtes.

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