Intervention de Danièle Bousquet

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 12 février 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Danièle Bousquet présidente du haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes

Danièle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes :

Le chapitre II organise un parcours de sortie de la prostitution au bénéfice des victimes. Nous saluons la création, au sein de chaque conseil départemental de prévention de la délinquance, d'aide aux victimes et de lutte contre la drogue, les dérives sectaires et les violences faites aux femmes, d'une instance chargée de coordonner l'action. Les préfets n'auront ainsi d'autre choix que de se saisir de la question.

La proposition de loi initiale prévoyait l'octroi d'une allocation temporaire d'attente. A l'initiative du Gouvernement, un autre type d'aide y a été substitué. Espérons que son montant ne sera pas inférieur. Nous estimons, en outre, que celles qui ont le courage d'aller plus loin, en dénonçant leur proxénète, devraient bénéficier du revenu de solidarité active.

Il importe également que les associations qui vont accompagner les personnes prostituées dans ce parcours s'engagent à en respecter les conditions. Il s'agit bien d'organiser la sortie de la prostitution, non d'aménager les conditions d'exercice de la profession. C'est un long parcours, qui suppose aussi que l'Etat y mette les moyens financiers et humains : tel est l'objet de l'article 4 qui crée un fond dédié.

L'article 6, déterminant, prévoit l'attribution d'un titre de séjour temporaire aux étrangers qui entreprendraient de sortir de la prostitution - le texte initial réservait le bénéfice de cette disposition, dont nous nous réjouissons qu'elle ait été étendue, aux seules personnes témoignant contre leur exploiteur. Cette attribution ne saurait cependant demeurer une simple faculté laissée au préfet, et l'expression « peut être délivré » retenue dans la rédaction de l'Assemblée nationale mériterait, à notre sens, d'être remplacée par l'expression « est délivré ».

Les articles 8 et 9 concernent l'hébergement par des associations agréées. Il conviendrait de prévoir, pour leurs membres, une formation à la sécurité, car les personnes prostituées qui ont le courage de s'en sortir s'exposent à des mesures de rétorsion très violentes.

L'article 13 supprime le racolage passif. On peut s'en réjouir, car cela est conforme à l'esprit de la convention de 1949, qui voit dans les personnes prostituées des victimes, non des délinquants. Nous insistons pour que soit assurée la sécurité de ces personnes, que la pénalisation, dont on a vu les conséquences, a mises en danger. Nous souhaitons également que les mentions au casier judiciaire puissent être effacées.

L'article 14 ter, ajouté en séance à l'initiative du Gouvernement, dispose que la politique de réduction des risques relève de l'Etat. Les enjeux sanitaires sont énormes, et ne touchent pas seulement à la prévention du sida. Imaginez ce que ce peut être que de subir une succession de rapports sexuels non désirés. La santé psychique est en jeu, tout autant que la santé physique.

Le texte s'inscrit dans une approche globale : le meilleur moyen de réduire les risques, c'est d'aider à sortir de la prostitution. Cependant, toutes les personnes prostituées ne veulent pas en sortir. Il faudra améliorer encore leur prise en charge, tant la situation sanitaire est désastreuse.

L'article 16, objet de bien des débats, interdit l'achat d'un acte sexuel et sanctionne le recours à la prostitution. C'est là une grande avancée. Il s'agit de soustraire la sexualité à la violence et à la domination masculines. On ne peut pas laisser penser aux clients de la prostitution, des hommes pour 99 % d'entre eux, qu'ils peuvent payer pour imposer un acte sexuel. Une telle mesure est, de surcroît, propre à dissuader les proxénètes et les réseaux de traite de choisir le territoire français, puisqu'il amenuisera leurs bénéfices.

Il est bon de faire évoluer les représentations et les comportements, en éduquant les jeunes dans l'idée que la société française interdit que l'on paye en échange d'une relation sexuelle. Ségolène Neuville, députée des Pyrénées-Orientales, raconte qu'à Perpignan, ville très proche des maisons de passe espagnoles de la Jonquera, les jeunes garçons qui veulent imposer à leur amie - ou leur ami - certaines pratiques sexuelles sans y parvenir se disent tout simplement « Tant pis ! J'irai à la Jonquera. » Pour changer les représentations, il faudra être pédagogue. J'ajoute qu'avec ce texte, les personnes prostituées pourront dénoncer leur client - s'il exige, par exemple, un rapport sans préservatif.

Le texte initial prévoyait une contravention de cinquième classe. Mais pour prévenir de telles pratiques, il faut en marquer la gravité, et c'est pourquoi nous souhaitions que l'achat d'un acte sexuel soit passible du tribunal correctionnel. L'Assemblée nationale a fait évoluer le texte : il s'agira d'un délit en cas de récidive.

L'article 17, enfin, prévoit un stage dit de sensibilisation pour les clients sanctionnés. Ce terme est malheureux, il minimise la gravité de l'infraction. Mieux vaudrait retenir celui de responsabilisation.

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