Intervention de Michel Savin

Réunion du 18 février 2014 à 15h00
Formation professionnelle — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Michel SavinMichel Savin :

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de réforme relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Ce texte est porteur de réformes d’ampleur, cohérentes, qui marquent l’aboutissement de négociations et de concertations réussies.

Avant d’apporter des éléments de réponse à quelques critiques partielles, afin d’éviter toute forme de caricature sur tel ou tel aspect du texte, je souhaiterais exposer la philosophie d’ensemble de celui-ci, en deux temps.

En premier lieu, il faut souligner à quel point ces réformes sont fondatrices, ou plutôt refondatrices, construisant de nouveaux équilibres autour d’acteurs « matures » : l’individu et l’entreprise dans notre système de formation professionnelle, les partenaires sociaux dans notre démocratie sociale.

En second lieu, je veux dire que la liberté laissée à ces acteurs ne peut fonctionner que dans le cadre de solidarités fortes, autour d’une régulation territoriale, professionnelle et nationale. C’est vrai pour la formation professionnelle, pour la démocratie sociale, pour notre système d’inspection du travail.

Je ne crains pas de l’affirmer, le texte qui vous est présenté ici est fondateur, ou plutôt – disais-je – refondateur. Les sujets qu’il aborde ne sont pas nouveaux : ils ont fait l’objet de nombreuses réformes, parfois trop nombreuses… Mais nous avons l’ambition de revenir aux fondements des politiques concernées, en les repensant à l’aune des enjeux que nous connaissons aujourd’hui et des équilibres nouveaux qui peuvent être construits avec des acteurs ayant gagné en maturité.

Dans le champ de la formation professionnelle, la loi dite « Delors » de 1971 a été décisive. Elle est en elle-même l’expression du consensus politique qui peut se nouer sur ces questions. Portée par un homme de gauche, issue d’un accord entre le patronat et les syndicats, mise en œuvre par le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, elle a été à l’origine du développement de la formation professionnelle dans notre pays. Nombre de ses objectifs demeurent d’actualité et guident la réforme présentée aujourd’hui : je pense, par exemple, à l’élévation du niveau de qualification comme facteur de compétitivité ou à la promotion sociale et professionnelle.

Mais on ne peut pas penser aujourd’hui le système de formation professionnelle comme en 1971.

Au début des années soixante-dix, l’effort de formation des entreprises était légèrement supérieur à 1 % de la masse salariale ; il est passé à près de 3 % aujourd’hui, mais il connaît une érosion depuis le début des années quatre-vingt-dix.

Au début des années soixante-dix, seulement 7 % de la population avait le baccalauréat et 20 % d’une génération réussissait cet examen, contre plus de 75 % aujourd’hui.

Au début des années soixante-dix, surtout, on connaissait le plein emploi, alors qu’aujourd’hui le chômage est une réalité durable.

Ce sont là autant de raisons pour refonder la formation professionnelle sur des bases nouvelles, reposant sur l’autonomie et la liberté, celles de l’individu pour construire son parcours, d’une part, celles de l’entreprise pour investir dans la formation et dans les compétences, d’autre part.

Bien entendu, l’apport majeur de la réforme est le compte personnel de formation, entièrement portable et transférable : il suivra l’individu tout au long de sa vie, lui permettant de faire des choix là où la formation n’était souvent qu’une obligation à la main de l’employeur.

Par son financement renforcé, parce qu’il peut se combiner aux autres dispositifs de formation, parce qu’il est un élément de négociation avec l’employeur, parce qu’il redonnera l’envie de se former, le compte personnel de formation ramène la personne sur le devant de la scène et met une partie de son destin entre ses mains.

Mais le changement qu’il induit est plus profond encore.

En attachant les droits à la personne et non plus au poste de travail, le compte personnel de formation est un levier de ce que l’on appelle, en termes académiques, la sécurisation des parcours professionnels.

Puisque l’univers de l’emploi est mouvant et que les emplois se succèdent au cours d’une vie, nous voulons que la formation professionnelle soit présente et mobilisable à tout instant, surtout lorsqu’une fragilité survient, par exemple sous la forme d’un licenciement. Et si ce n’est pas une fragilité, mais une opportunité, qui surgit – une promotion à saisir –, l’enjeu est le même : la formation doit être accessible et permettre de convertir l’esquisse d’un rêve en une réalité tangible.

Peu importe les cases, les cloisons ou les statuts : les droits à la formation les enjamberont grâce au compte personnel de formation. Au centre, il y aura désormais le choix de chacun.

Le DIF, le droit individuel à la formation, avait ouvert la voie, trop timidement. Le nouveau compte personnel de formation représente un pas immense. Il est la réponse sociale au changement économique et outille les salariés dans l’économie moderne.

Sur ces travées, vous êtes nombreux à rêver depuis longtemps de la sécurité sociale professionnelle. Nous en construisons aujourd’hui une composante essentielle, centrée sur chaque travailleur et garantie collectivement.

Du côté des entreprises, la réforme vise à faire de la formation professionnelle un investissement reposant sur le développement des compétences. Tel est l’objet de ce texte : passer d’une obligation formelle de financer à une obligation réelle de former.

Cela signifie que la formation professionnelle sera demain davantage un objet de discussion et d’implication des acteurs. Le changement du système est aussi un changement d’esprit.

Ce changement suppose des acteurs forts, ce qui m’amène à la présentation du titre II de la réforme.

Pour poursuivre la refondation de notre démocratie sociale, il nous faut des acteurs en mesure de dialoguer, c’est-à-dire reconnus, légitimes et donc forts : reconnus parce que légitimes, légitimes parce que responsables, responsables parce que forts, forts parce que capables d’obtenir des avancées par le compromis. Voilà la mécanique vertueuse du dialogue social à la française.

Cette mécanique a aujourd’hui besoin d’aller plus loin, pour asseoir la légitimité et la représentativité du patronat, d’une part, pour apporter plus d’efficacité et de transparence dans le financement des acteurs sociaux, d’autre part.

Le texte apporte ainsi les compléments nécessaires à la réforme de la représentativité syndicale, dont je n’oublie pas qu’elle a été engagée par Gérard Larcher. Sur ce sujet également, nous sommes des forces politiques différentes, mais nous pouvons nous entendre sur la nécessité d’accorder une légitimité suffisante à la négociation sociale.

Bien souvent, notre pays est caricaturé comme le pays du conflit social. Le conflit social existe, bien évidemment. Personne ne peut nier les divergences d’intérêts, ni la nécessité de les dépasser, au bénéfice de tous, en élaborant des compromis qui soient non seulement solides économiquement et socialement, mais aussi de nature à permettre à chacun de garder la tête haute – je pense notamment aux représentants syndicaux qui retournent devant leur base après avoir signé un accord.

Contrairement aux idées reçues, notre pays a connu une diminution très importante de la conflictualité dans les entreprises. La négociation collective est intense dans les branches et dans les entreprises, tous les syndicats signent des accords.

Dans une société marquée par l’individualisme, il en faut, du courage, pour endosser la responsabilité de parler au nom de ses camarades et collègues ; il en faut, du dévouement, pour essayer d’améliorer sans cesse le sort du collectif.

Bien des représentants du patronat le savent, être patron, c’est non pas régner sans partage, mais avoir la responsabilité d’une équipe et d’un dialogue. Ceux-là ont compris que le dialogue social n’est pas une perte de temps ou d’argent, mais plutôt un facteur d’efficacité de l’entreprise et de notre économie.

Nous rendrons service à ces acteurs de la démocratie sociale, souvent trop peu considérés, en renforçant leur légitimité, en fondant leur représentativité sur des bases désormais claires, y compris du côté patronal –c’était une lacune de notre système –, en rendant leur financement plus transparent, en particulier en reconnaissant que, au-delà du socle essentiel que constitue l’adhésion, les missions d’intérêt général qu’exercent les syndicats et les organisations patronales doivent être financées dans un cadre clair.

Il en va de même pour les comités d’entreprise. Nous avions eu l’occasion d’en parler ici avec Mme Procaccia il y a quelques mois. Madame la sénatrice, je m’étais engagé à revenir vers vous avant les calendes de mars : je suis au rendez-vous !

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