La séance, suspe ndue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures.
La séance est reprise.
Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point au sujet du scrutin n° 146 sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la proposition de loi relative à l’interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON 810 : M. Pierre Jarlier a été déclaré comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’il souhaitait voter contre.
Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
Est autorisée la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République du Pérou, signé à Lima le 21 février 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Le projet de loi est adopté.
Est autorisée l'approbation du deuxième protocole d'amendement à l'accord relatif au groupe aérien européen, signé à Londres le 1er mars 2012, dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi portant approbation du deuxième protocole d’amendement à l’accord relatif au groupe aérien européen (projet n° 656 [2012-2013], texte de la commission n° 354, rapport n° 353).
Le projet de loi est adopté.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (projet n° 349, résultat des travaux de la commission n° 360, rapport n° 359 et avis n° 350).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de réforme relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.
Ce texte est porteur de réformes d’ampleur, cohérentes, qui marquent l’aboutissement de négociations et de concertations réussies.
Avant d’apporter des éléments de réponse à quelques critiques partielles, afin d’éviter toute forme de caricature sur tel ou tel aspect du texte, je souhaiterais exposer la philosophie d’ensemble de celui-ci, en deux temps.
En premier lieu, il faut souligner à quel point ces réformes sont fondatrices, ou plutôt refondatrices, construisant de nouveaux équilibres autour d’acteurs « matures » : l’individu et l’entreprise dans notre système de formation professionnelle, les partenaires sociaux dans notre démocratie sociale.
En second lieu, je veux dire que la liberté laissée à ces acteurs ne peut fonctionner que dans le cadre de solidarités fortes, autour d’une régulation territoriale, professionnelle et nationale. C’est vrai pour la formation professionnelle, pour la démocratie sociale, pour notre système d’inspection du travail.
Je ne crains pas de l’affirmer, le texte qui vous est présenté ici est fondateur, ou plutôt – disais-je – refondateur. Les sujets qu’il aborde ne sont pas nouveaux : ils ont fait l’objet de nombreuses réformes, parfois trop nombreuses… Mais nous avons l’ambition de revenir aux fondements des politiques concernées, en les repensant à l’aune des enjeux que nous connaissons aujourd’hui et des équilibres nouveaux qui peuvent être construits avec des acteurs ayant gagné en maturité.
Dans le champ de la formation professionnelle, la loi dite « Delors » de 1971 a été décisive. Elle est en elle-même l’expression du consensus politique qui peut se nouer sur ces questions. Portée par un homme de gauche, issue d’un accord entre le patronat et les syndicats, mise en œuvre par le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, elle a été à l’origine du développement de la formation professionnelle dans notre pays. Nombre de ses objectifs demeurent d’actualité et guident la réforme présentée aujourd’hui : je pense, par exemple, à l’élévation du niveau de qualification comme facteur de compétitivité ou à la promotion sociale et professionnelle.
Mais on ne peut pas penser aujourd’hui le système de formation professionnelle comme en 1971.
Au début des années soixante-dix, l’effort de formation des entreprises était légèrement supérieur à 1 % de la masse salariale ; il est passé à près de 3 % aujourd’hui, mais il connaît une érosion depuis le début des années quatre-vingt-dix.
Au début des années soixante-dix, seulement 7 % de la population avait le baccalauréat et 20 % d’une génération réussissait cet examen, contre plus de 75 % aujourd’hui.
Au début des années soixante-dix, surtout, on connaissait le plein emploi, alors qu’aujourd’hui le chômage est une réalité durable.
Ce sont là autant de raisons pour refonder la formation professionnelle sur des bases nouvelles, reposant sur l’autonomie et la liberté, celles de l’individu pour construire son parcours, d’une part, celles de l’entreprise pour investir dans la formation et dans les compétences, d’autre part.
Bien entendu, l’apport majeur de la réforme est le compte personnel de formation, entièrement portable et transférable : il suivra l’individu tout au long de sa vie, lui permettant de faire des choix là où la formation n’était souvent qu’une obligation à la main de l’employeur.
Par son financement renforcé, parce qu’il peut se combiner aux autres dispositifs de formation, parce qu’il est un élément de négociation avec l’employeur, parce qu’il redonnera l’envie de se former, le compte personnel de formation ramène la personne sur le devant de la scène et met une partie de son destin entre ses mains.
Mais le changement qu’il induit est plus profond encore.
En attachant les droits à la personne et non plus au poste de travail, le compte personnel de formation est un levier de ce que l’on appelle, en termes académiques, la sécurisation des parcours professionnels.
Puisque l’univers de l’emploi est mouvant et que les emplois se succèdent au cours d’une vie, nous voulons que la formation professionnelle soit présente et mobilisable à tout instant, surtout lorsqu’une fragilité survient, par exemple sous la forme d’un licenciement. Et si ce n’est pas une fragilité, mais une opportunité, qui surgit – une promotion à saisir –, l’enjeu est le même : la formation doit être accessible et permettre de convertir l’esquisse d’un rêve en une réalité tangible.
Peu importe les cases, les cloisons ou les statuts : les droits à la formation les enjamberont grâce au compte personnel de formation. Au centre, il y aura désormais le choix de chacun.
Le DIF, le droit individuel à la formation, avait ouvert la voie, trop timidement. Le nouveau compte personnel de formation représente un pas immense. Il est la réponse sociale au changement économique et outille les salariés dans l’économie moderne.
Sur ces travées, vous êtes nombreux à rêver depuis longtemps de la sécurité sociale professionnelle. Nous en construisons aujourd’hui une composante essentielle, centrée sur chaque travailleur et garantie collectivement.
Du côté des entreprises, la réforme vise à faire de la formation professionnelle un investissement reposant sur le développement des compétences. Tel est l’objet de ce texte : passer d’une obligation formelle de financer à une obligation réelle de former.
Cela signifie que la formation professionnelle sera demain davantage un objet de discussion et d’implication des acteurs. Le changement du système est aussi un changement d’esprit.
Ce changement suppose des acteurs forts, ce qui m’amène à la présentation du titre II de la réforme.
Pour poursuivre la refondation de notre démocratie sociale, il nous faut des acteurs en mesure de dialoguer, c’est-à-dire reconnus, légitimes et donc forts : reconnus parce que légitimes, légitimes parce que responsables, responsables parce que forts, forts parce que capables d’obtenir des avancées par le compromis. Voilà la mécanique vertueuse du dialogue social à la française.
Cette mécanique a aujourd’hui besoin d’aller plus loin, pour asseoir la légitimité et la représentativité du patronat, d’une part, pour apporter plus d’efficacité et de transparence dans le financement des acteurs sociaux, d’autre part.
Le texte apporte ainsi les compléments nécessaires à la réforme de la représentativité syndicale, dont je n’oublie pas qu’elle a été engagée par Gérard Larcher. Sur ce sujet également, nous sommes des forces politiques différentes, mais nous pouvons nous entendre sur la nécessité d’accorder une légitimité suffisante à la négociation sociale.
Bien souvent, notre pays est caricaturé comme le pays du conflit social. Le conflit social existe, bien évidemment. Personne ne peut nier les divergences d’intérêts, ni la nécessité de les dépasser, au bénéfice de tous, en élaborant des compromis qui soient non seulement solides économiquement et socialement, mais aussi de nature à permettre à chacun de garder la tête haute – je pense notamment aux représentants syndicaux qui retournent devant leur base après avoir signé un accord.
Contrairement aux idées reçues, notre pays a connu une diminution très importante de la conflictualité dans les entreprises. La négociation collective est intense dans les branches et dans les entreprises, tous les syndicats signent des accords.
Dans une société marquée par l’individualisme, il en faut, du courage, pour endosser la responsabilité de parler au nom de ses camarades et collègues ; il en faut, du dévouement, pour essayer d’améliorer sans cesse le sort du collectif.
Bien des représentants du patronat le savent, être patron, c’est non pas régner sans partage, mais avoir la responsabilité d’une équipe et d’un dialogue. Ceux-là ont compris que le dialogue social n’est pas une perte de temps ou d’argent, mais plutôt un facteur d’efficacité de l’entreprise et de notre économie.
Nous rendrons service à ces acteurs de la démocratie sociale, souvent trop peu considérés, en renforçant leur légitimité, en fondant leur représentativité sur des bases désormais claires, y compris du côté patronal –c’était une lacune de notre système –, en rendant leur financement plus transparent, en particulier en reconnaissant que, au-delà du socle essentiel que constitue l’adhésion, les missions d’intérêt général qu’exercent les syndicats et les organisations patronales doivent être financées dans un cadre clair.
Il en va de même pour les comités d’entreprise. Nous avions eu l’occasion d’en parler ici avec Mme Procaccia il y a quelques mois. Madame la sénatrice, je m’étais engagé à revenir vers vous avant les calendes de mars : je suis au rendez-vous !
La refondation que traduit ce texte ne sera fructueuse que dans un cadre de garanties collectives, de solidarités, de régulations, qui doivent s’exprimer à trois niveaux : territorial, professionnel et national.
Je commencerai par évoquer les solidarités et régulations territoriales en matière de formation professionnelle.
Ce point est essentiel, pas seulement parce que nous sommes au Sénat. Les réformes proposées ont une forte résonance territoriale ; c’est là qu’elles prendront leur force et toucheront leurs destinataires.
Un ancrage territorial fort sera tout d’abord assuré par l’achèvement de la décentralisation de la formation professionnelle des personnes privées d’emploi, mais aussi du pilotage de l’apprentissage et du service public de l’orientation.
L’espace régional est reconnu comme celui de la mise en cohérence, en complémentarité, de toutes les interventions, au-delà même de celles de la collectivité régionale.
C’est ainsi que se construiront les réponses adaptées à chaque territoire, à chaque bassin d’emploi, à chaque tissu économique et social. Ce point me paraît fondamental.
En effet, la formation professionnelle est gage d’insertion si et seulement si elle est adaptée aux besoins en compétences – toujours spécifiques – d’un territoire : quelle localisation de l’offre de formation ? Quelles formations prioritaires ? Quelle adaptation aux besoins des publics et à ceux des entreprises du territoire ? Comment incarner un service public de l’orientation qui soit bien identifié par tous, capable de répondre aux demandes, mais aussi d’aller chercher les jeunes qui ne poussent pas sa porte ? Si ces questions concernent tous les acteurs, les réponses sont à construire territorialement, en cohérence avec les stratégies de développement économique.
Au-delà du territoire, la réforme de la formation professionnelle repose aussi sur des solidarités et des garanties collectives au niveau professionnel, dans la branche, ou au niveau interprofessionnel. Il ne s’agit pas de laisser l’individu seul avec ses doutes et ses projets. Le compte personnel de formation n’est pas un « chèque formation » que le salarié ou le demandeur d’emploi devrait mobiliser seul.
C’est pourquoi la réforme affirme le droit à la qualification, donne corps au conseil en évolution professionnelle, élargit l’accès à la validation des acquis de l’expérience. En effet, à notre époque, l’enjeu n’est plus seulement d’obtenir un diplôme, mais bien de se former tout au long de la vie.
Au fond, la réforme porte un message que l’on peut résumer ainsi : vive la deuxième chance, et même la troisième ou la quatrième ! Être brillant – ou non – à 20 ans ne signifie plus qu’on le sera encore – ou toujours pas – à 50 ans…
C’est ainsi que nous pourrons, me semble-t-il, remettre en marche l’ascenseur social !
Les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, ne seront pas les abandonnées de cette réforme. La mutualisation au bénéfice des très petites entreprises est renforcée de manière inédite, et le débat à l’Assemblée nationale a permis de conforter les outils de mutualisation au profit des PME. Les fonds mutualisés de la formation professionnelle seront affectés plus fortement à des enjeux relevant de l’intérêt général et pour lesquels une régulation publique est légitime : l’accès à un premier niveau de qualification, la progression et la promotion professionnelles, le retour à l’emploi durable.
Du territoire, il est encore question dans la réforme de la démocratie sociale. Les acteurs sociaux, dans l’entreprise, dans les branches, dans les régions, doivent être renforcés pour pouvoir négocier sur une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences adaptée aux enjeux territoriaux. Je crois notamment que la prise en compte de l’espace régional est un défi à relever pour le renforcement des partenaires sociaux, afin que ceux-ci puissent répondre efficacement aux enjeux de la réforme : compte personnel de formation, apprentissage, formations prioritaires.
Je veux encore vous parler de solidarités territoriales en abordant le titre III de la réforme, qui concerne notamment l’inspection du travail.
L’inspection du travail est elle-même enracinée sur le territoire, au point que son organisation est entièrement territoriale : cette organisation repose sur la section.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis pour dissiper d’éventuelles craintes : la section de l’inspection du travail est évidemment préservée. Elle est et restera la réponse de proximité pour un salarié qui n’a pas été payé ou dont les droits sont bafoués, mais aussi pour une entreprise en quête d’un conseil pour répondre de manière adéquate à une situation.
Cela étant, nos territoires sont parfois bien peu de choses face aux grands mouvements économiques que sont la mondialisation, la liberté de circulation au niveau européen, l’éloignement des lieux de décision par rapport aux lieux de production.
Je pense, par exemple, aux fraudes au détachement de travailleurs étrangers ou à la sous-traitance en cascade. L’effet de ces montages complexes et illicites est double : la concurrence déloyale et le dumping social mettent sur le flanc nos entreprises et détruisent nos emplois ; parallèlement, ces montages exploitent des travailleurs étrangers qui ne demandent qu’à améliorer leur sort et se trouvent précipités dans des situations de travail sans protection, avec une rémunération indécente et des conditions de travail insupportables.
Il nous faut nous organiser, adapter notre inspection du travail au monde du travail du XXIe siècle et apporter les bonnes réponses au meilleur niveau. À côté de la section, niveau confirmé de proximité, des unités régionales de contrôle et un groupe national de contrôle sont créés par la réforme. Ils faciliteront le travail collectif, avec les autres corps de contrôle. Surtout, les inspecteurs vont pouvoir remonter les cascades de sous-traitance, disposer de moyens nouveaux et donc agir plus efficacement pour la protection de tous les travailleurs et pour l’égalité de concurrence entre toutes les entreprises.
Il m’est arrivé d’aller sur des chantiers. J’y ai vu des travailleurs venus de pays de l’est de l’Europe. Je mesure les situations de concurrence déloyale et leur potentiel de destruction de la cohésion nationale et européenne. Nous allons combattre ces situations et protéger ces travailleurs, comme les entreprises qui payent leurs cotisations, respectent le droit du travail et créent de l’emploi en France. Tel est le sens du service public de contrôle du travail, tel est le sens d’une politique régalienne ! Nous ne laisserons pas choir nos entreprises et nos travailleurs, au motif que seul le marché gouvernerait et que nous serions peu de choses face à la délinquance internationale.
Vous le percevez, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que je vous présente est porteur de réformes puissantes et ambitieuses.
Je souhaite néanmoins apporter quelques éléments de clarification, en réponse à certaines interrogations sur tel ou tel aspect du projet de loi dont l’écho m’est parvenu.
S’agissant, d’abord, de la méthode, les trois volets de la réforme ont été bien préparés et, dans l’ensemble, bien accueillis.
Ainsi, un large accord national interprofessionnel a été conclu sur la formation professionnelle, preuve que le dialogue social est la bonne méthode pour réformer la France. Une grande concertation a été conduite entre l’État, les régions et les partenaires sociaux sur le compte personnel de formation. Une concertation approfondie a été menée sur la réforme de l’apprentissage avec plus d’une trentaine d’organisations, à l’automne dernier. De très nombreux échanges avec les partenaires sociaux ont eu lieu sur la question de la démocratie sociale et de son financement. Un dialogue intense est à l’œuvre depuis près de deux ans sur la réforme de l’inspection du travail : j’ai personnellement présidé cinq comités techniques ministériels, et de multiples réunions de concertation ont été organisées lieu aux niveaux national, régional ou local. Le dialogue est donc partout dans cette réforme !
Pour autant, comme toutes les grandes réformes, celle-ci suscite des questionnements, toujours légitimes, auxquels je veux maintenant apporter quelques éléments de réponse. Elle soulève aussi parfois – plus rarement – des doutes, voire des oppositions, relevant de deux registres diamétralement opposés.
Pour certains, cette réforme ne changerait en fait rien, ou pas grand-chose ; elle serait inodore et sans saveur. Selon ces tenants d’un changement plus profond, nous proposerions de « faire du neuf avec du vieux » ou, pour reprendre une formule bien connue, nous prétendrions « tout changer pour que rien ne change ».
Pour d’autres, davantage convaincus des vertus de notre système actuel, cette réforme serait, au contraire, porteuse de trop grands changements, de bouleversements dangereux ou d’effets pervers redoutables.
Face à ces deux critiques assez classiques, que tout oppose et qui ne peuvent se rejoindre que dans une posture stérile de rejet, on peut se demander où se situe la vérité de notre ambition. Je me propose de répondre à cette question sur chacun des sujets abordés par le texte.
Pour ce qui concerne la réforme de la formation professionnelle, j’entends parfois dire que nos ambitions sont vaines et que le système restera cloisonné et complexe, que sa gestion demeurera opaque, que les partenaires sociaux ne donneront pas davantage la priorité, dans leurs actions, aux publics présentant les besoins les plus importants, que le compte personnel de formation ne sera qu’un DIF à peine renforcé, passant de 120 à 150 heures… À l’opposé, j’entends parfois s’exprimer une vision catastrophiste de la réforme, qui produirait tant de changements qu’elle réduirait l’effort de formation des entreprises ou qu’elle empêcherait les PME de continuer à former leurs salariés.
Eh bien toutes ces allégations sont inexactes !
Le compte personnel, c’est le décloisonnement et la porte d’entrée unique vers tous les dispositifs existants. Il représente, pour le salarié ou le chômeur ayant besoin de formation, une simplification considérable du système actuel, dont l’opacité est remise en cause du fait que le financement de la démocratie sociale et celui de la formation professionnelle seront désormais totalement séparés.
La différence entre le compte personnel de formation et le DIF est criante puisque, en plus d’être portable tout au long de la vie et d’être le support d’abondements complémentaires, le CPF disposera de moyens multipliés par plus de cinq par rapport au DIF, dont les financements n’étaient d’ailleurs pas dédiés. Près de 1 milliard d'euros sera consacré à la formation des salariés au titre de leur compte personnel, auquel s’ajouteront 300 millions d’euros pour la formation des demandeurs d’emploi via le CPF. C’est ainsi que la réforme oriente les fonds mutualisés vers les demandeurs d’emploi, en augmentant de plus de 50 % la contribution du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels aux formations qui leur seront destinées.
Comme il s’agit de débusquer une fois pour toutes les approximations et les erreurs, je veux dire un mot de l’apprentissage. Là encore, nous sommes accusés, par certains, de ne rien faire, et, par d’autres, de trop réformer…
Je tiens à redire clairement que le Gouvernement est extrêmement attaché au développement de l’apprentissage, lequel a abondamment fait les preuves de son efficacité en termes de qualification et d’insertion professionnelle des jeunes. C’est pourquoi l’objectif de porter le nombre d’apprentis à 500 000 en 2017 a été inscrit dans le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi.
Le bilan de l’année 2013 est maintenant connu. Certes, la tendance est à la baisse, mais la diminution observée sur la période la plus significative, allant de la rentrée de juin à décembre, ne s’élève qu’à quelque 4 %. Cette situation n’est pas satisfaisante, évidemment, mais il faut avant tout y voir le signe d’une conjoncture hésitante, dans un contexte de réduction engagée du chômage des jeunes.
Pour progresser, les petites entreprises, qui accueillent plus de la moitié des apprentis, doivent être rassurées et soutenues. C’est dans ce but que l’architecture des aides aux employeurs d’apprentis a été ciblée sur elles et sur les premiers niveaux de qualification.
Surtout, le texte qui vous est présenté apporte des modifications importantes pour donner corps à l’ambition de développement de l’apprentissage.
En effet, la réforme de la taxe d’apprentissage qu’il poursuit permettra d’orienter davantage de financements vers l’apprentissage, sans remettre en cause le libre choix des entreprises en termes d’affectation de cette taxe.
Par ailleurs, des dispositions sont prévues pour sécuriser les apprentis et leurs employeurs, via l’accompagnement des centres de formation d’apprentis et la prévention des ruptures, ainsi que grâce à la nouvelle possibilité de conclure un contrat d’apprentissage dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, qui est une innovation remarquable.
Pour ce qui concerne la réforme de l’inspection du travail, les critiques qui s’expriment s’opposent entre elles sur certains points. Pour certains, nous affaiblirions l’inspection du travail en la mettant au pas pour satisfaire les revendications patronales. D’autres, à l’inverse, craignent que nous ne renforcions les pouvoirs de contrôle des inspecteurs, au détriment des entreprises.
À nouveau, où est la vérité ? Elle est dans l’équilibre de ce texte.
Ne rien changer serait condamner l’inspection du travail à une forme de fossilisation, à rester figée dans un format qui n’a jamais changé depuis sa création. Il faut conserver l’inspecteur du travail généraliste actif dans sa section de proximité, mais y adjoindre une organisation collective plus efficace.
Quant aux pouvoirs de l’inspecteur, ils sont garantis et augmentés, dans des cadres qui existent dans d’autres corps d’inspection : la liberté de décision de donner des avertissements ou des conseils plutôt que d’intenter ou de recommander des poursuites est confortée ; le responsable hiérarchique n’aura pas plus demain qu’il ne l’a aujourd'hui le droit de dessaisir l’agent d’un dossier ou de le changer d’affectation, ni de lui donner un ordre sur le contenu d’une décision ; les agents auront toujours une liberté d’organiser et de conduire des contrôles – sur les chantiers, dans les entreprises, ce sont eux qui continueront de décider, de constater, de dresser le procès-verbal, en toute indépendance, une indépendance d’ailleurs désormais gravée dans la loi, grâce à l’adoption d’un amendement important à l’Assemblée nationale.
Mettre en place une inspection indépendante, mais sachant s’organiser de manière à lutter collectivement contre la grande délinquance ou les grands risques : telle est l’ambition de la réforme, qui y ajoute un mouvement exceptionnel de promotion professionnelle, puisque les contrôleurs sont appelés à être transformés en inspecteurs dans les dix années qui viennent.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, un texte d’une telle ampleur ne peut satisfaire chacun sur tous les points, mais il en est de même des avancées que les partenaires sociaux obtiennent grâce à des compromis et qui ne peuvent satisfaire toutes leurs revendications. C’est un texte de progrès, qui instaure de nouveaux équilibres et apporte de nouvelles réponses aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.
Les forces qui croient au progrès le savent au fond d'elles-mêmes : chaque progrès est une conquête, rien ne vient jamais d'un seul coup. Ce texte fait de nombreux pas en avant, que je vais maintenant détailler.
Le pas puissant d'un texte produit par et dans le dialogue : donnons un signe fort en démontrant que cette méthode est la seule qui permette de réformer notre pays, et qu'elle est au fond acceptée et souhaitée par tous !
Le pas en avant d'un texte qui réforme la formation professionnelle comme elle ne l'a pas été depuis la loi Delors de 1971 et qui, pour quarante ans peut-être, refonde le système. Nous avons ici l'occasion d’écrire une page de l’histoire économique et sociale de la France.
Le pas décidé d'un texte qui affronte les déséquilibres du système : 50 % des salariés des entreprises qui en emploient plus de 1 000 ont accès à la formation, contre 30 % des salariés des entreprises qui en emploient moins de dix et 20 % des chômeurs. Une telle situation n’est plus admissible.
Le pas léger d'un texte qui simplifie le paysage complexe de la formation en créant une contribution unique de 1 % de la masse salariale tout en ramenant le nombre d'organismes collecteurs de près de 200 à une vingtaine au niveau national et à un par région.
Le pas important d'une loi qui crée le compte personnel de formation universel, portable et attaché à la personne.
Le pas résolu d'un texte qui remplace une obligation de financer par une obligation de former, en pariant sur la responsabilité des acteurs.
Le « pas après pas » qui achève de transférer à la région les compétences en matière de formation professionnelle, constituant ainsi un bloc homogène de compétences, au plus près du tissu économique et de ses besoins en savoir-faire.
Le pas décisif d'une réforme qui prend acte que la compétition mondiale se joue désormais majoritairement sur le terrain des compétences et des connaissances. Cette réforme doit donc encourager et donner envie à chacun de progresser d'un niveau.
Le pas d'une réforme qui règle le sujet resté pendant de la représentativité patronale – une question épineuse depuis bien longtemps –, selon un mécanisme clair et pertinent, fondé sur l'adhésion et un socle de critères communs à la représentativité syndicale.
Le pas de la transparence des mécanismes de financement du dialogue social, de manière à dissiper les fantasmes et les soupçons, ainsi qu'à assumer le fait que la démocratie sociale a un coût et que la démocratie politique s'honore à le garantir.
Enfin, le pas résolu, après deux ans de dialogue, vers la réforme d'une inspection du travail confrontée au changement du monde.
Face à autant de grands et de petits pas, je me félicite d’avoir maintenant avec vous un débat qui s'annonce riche et intéressant, comme il le fut à l'Assemblée nationale. Je ne peux que vous engager à réserver un accueil favorable à ce texte, pour lui permettre d'entrer en vigueur rapidement et favoriser ainsi une mise en œuvre fluide de ces réformes d'ampleur qui supposent l'intervention non seulement de textes réglementaires, mais aussi de négociations, en particulier dans les branches et les entreprises.
J'en terminerai en adressant un mot de remerciement à vous tous qui allez contribuer à ce débat. Je salue en particulier la présidente de la commission des affaires sociales, Mme David, qui comme toujours, malgré des délais très resserrés, a œuvré pour la qualité des travaux en commission. Je salue aussi la commission des finances et son rapporteur pour avis, M. Patriat, qui connaît parfaitement tous ces sujets, notamment la formation professionnelle et l'apprentissage, ainsi que, bien entendu, M. Claude Jeannerot, dont chacun connaît ici la maîtrise des dossiers, le sens de la pédagogie et l’humeur toujours égale. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, plus de quarante ans après l'examen, au mois de juin 1971, des lois Delors qui ont bâti notre régime de formation professionnelle et d'apprentissage, je pourrais faire miens les propos alors prononcés à cette même tribune par celui qui me précédait dans la fonction de rapporteur, notre ancien collègue Adolphe Chauvin. Il émettait, selon ses propres termes, une « protestation solennelle » concernant les conditions d'examen de ces quatre textes, …
Si le célèbre avis reçu de son neveu Tancrède par le Guépard était qu'il fallait que tout change pour que rien ne change, on constate au contraire ici qu'il faut que rien ne change pour que tout change
Sourires.
… en revanche, grâce à ce texte, tout change dans les principes du système de formation professionnelle français.
Comme vous l’avez bien expliqué, monsieur le ministre, il était en effet urgent que la formation professionnelle redevienne un levier de qualification de tous les actifs, et donc un facteur de compétitivité pour nos entreprises et de sécurisation des salariés dans leurs parcours professionnels.
Ce texte est fidèle à l'objectif que Jacques Chaban-Delmas avait fixé en 1971 à la réforme dont il était l'initiateur : « donner à chacun une deuxième, voire une troisième chance, au cours de son existence professionnelle ».
Ce n'est pas là l'unique volet de ce projet de loi, qui comporte également d'importantes mesures visant à accroître la légitimité des acteurs du dialogue social, au niveau national comme à celui de la branche, achevant ainsi l’œuvre engagée par la réforme de la représentativité syndicale de 2008. Il poursuit également la réforme de l'inspection du travail, qui voit ses capacités d'action renforcées.
Son élaboration, précédée de la négociation et de la signature, par la majorité des partenaires sociaux, d'un accord national interprofessionnel, traduit l'engagement du Gouvernement en faveur d'une démocratie sociale vivante et respectée dans son domaine de compétence, défini à l'article L. 1 du code du travail. La preuve est ainsi apportée de la complémentarité des démocraties sociale et parlementaire, cette dernière restant bien sûr souveraine, mais se trouvant enrichie de cet apport essentiel.
Sans revenir sur l'ensemble des dispositions du projet de loi – le ministre en a fait une présentation exhaustive –, j'aimerais insister sur plusieurs innovations majeures de ce texte, pour lesquelles j'entrevois une pérennité comparable aux mesures de 1971, celles qui visaient – rappelez-vous – à construire la « nouvelle société ».
Les limites du modèle français de formation professionnelle sont bien connues. Tous les diagnostics réalisés ces dernières années – je pense au rapport remis en 2007 au nom de la mission commune d’information sénatoriale par notre collègue Jean-Claude Carle et notre ancien collègue Bernard Seillier ou à celui d’avril 2012 de notre collègue Gérard Larcher – mentionnent de nombreuses inégalités d'accès selon le niveau de formation initiale ou encore la taille de l'entreprise et l'inefficacité d'une partie des dépenses engagées en raison de l'obligation fiscale de financement du plan de formation.
Vous l'avez sans doute observé, les recommandations des rapports que j’ai cités sont convergentes : supprimer l'obligation légale afin que la formation redevienne, pour les entreprises, un investissement à part entière et mettre en place un compte individuel de formation attaché à chaque individu, et non à son statut. Ce projet de loi, mes chers collègues, en est la traduction. La réflexion mérite d'ailleurs d'être poursuivie pour que, d'un point de vue comptable, la formation figure un jour en haut de bilan, et ne soit plus considérée comme une charge.
À l'article 1er, le compte personnel de formation marque une rupture forte avec les outils de formation tels qu'ils ont été conçus jusqu'à présent et constitue – reconnaissons-le – une avancée réelle par rapport au droit individuel à la formation institué en 2004, qui est resté, malheureusement, inabouti. Plafonné à 150 heures – contre 120 heures pour le DIF – et alimenté à hauteur de vingt-quatre heures par an, le compte personnel de formation aura une validité permanente jusqu'au départ à la retraite de son bénéficiaire.
Surtout, les droits devront être utilisés pour financer des formations qualifiantes. À cette fin, le CPF s'articulera avec des abondements complémentaires, pour permettre de suivre des formations longues.
Vous l'avez compris, contrairement au DIF, le compte personnel de formation bénéficiera d'un financement dédié versé par les entreprises et défini dans le cadre de la refonte de l'obligation légale de financement.
En effet, les partenaires sociaux se sont accordés pour transformer l'obligation de dépenser, adoptée en 1971, en une obligation de former.
En lieu et place de l'obligation de financement du plan de formation et des divers dispositifs professionnalisants, une contribution au taux unique de 1 % de la masse salariale, contre 1, 6 % aujourd'hui, est instaurée par l'article 4. Elle sera entièrement mutualisée selon plusieurs usages.
J’en ai la conviction, ce pari visant à responsabiliser les entreprises sera couronné de succès : en moyenne, elles consacrent déjà plus de 2 % de leur masse salariale à leur plan de formation. Le taux réduit applicable aux très petites entreprises est maintenu et la mutualisation en leur faveur renforcée.
Contrairement à ce que certains prétendent, les PME ne sont pas les laissées pour compte de cette réforme – je le souligne avec force –, puisqu’un nouveau versement mutualisé est institué au titre de leur plan de formation . Aujourd'hui, reconnaissons que le système est tellement peu redistributif que les PME de dix à quarante-neuf salariés financent à hauteur de 50 millions d’euros par an la politique de formation des entreprises de plus grande taille.
Pour les demandeurs d'emploi, le CPF sera une clé pour bénéficier de formations longues, auxquelles ils ont difficilement accès aujourd'hui, en particulier grâce à 300 millions d'euros de ressources supplémentaires.
Dans le même temps, le projet de loi procède à une clarification bienvenue de la répartition des compétences en matière de formation et de gouvernance régionale et nationale du système. En se voyant confier l'organisation et le financement du service public régional de la formation professionnelle, la région en devient le véritable chef de file. Elle pourra mettre en œuvre, dans le respect du droit communautaire, un service d'intérêt économique général.
Au niveau national, le Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles – le CNEFOP – se substituera aux instances existantes. Au niveau régional, un comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles – le CREFOP – rassemblera toutes les parties prenantes pour adapter les politiques de formation, notamment le CPF, aux besoins des territoires.
L'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, n'est pas oubliée : le patrimoine actuellement détenu par l'État qui est mis à sa disposition pourra, dans certaines conditions, être transféré aux régions. Sur ce point, le texte a connu des avancées à l'Assemblée nationale, mais il peut encore être amélioré. Nous nous y emploierons ensemble.
Ce texte contient de nombreuses autres mesures, toutes d’importance, sur la formation professionnelle, visant notamment à encourager le dialogue social dans l’entreprise à ce sujet. Il élargit également l’accès à la formation pour les personnes en insertion par l’activité économique. Enfin, il contribue à la modernisation de l’apprentissage en sécurisant le parcours des apprentis, en rationalisant le processus de collecte de la taxe d’apprentissage et en garantissant que son produit aille prioritairement à l’apprentissage.
Je ne développe pas ces points pour l’instant, car nous aurons l’occasion d’y revenir plus en détail lors de la discussion des articles et des amendements.
Venons-en maintenant au deuxième volet du projet de loi, relatif à la démocratie sociale.
L’article 16 tend à définir les règles de la représentativité patronale et vient ainsi combler un vide juridique préjudiciable à la légitimité du dialogue social.
Cette réforme résulte, d’une part, de la position commune signée le 19 juin 2013 par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, la CGPME, le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF et l’Union professionnelle artisanale, l’UPA, et, d’autre part, du protocole d’accord conclu le 30 janvier dernier entre ces trois organisations et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, l’Union nationale des professions libérales, l’UNAPL, et l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, l’UDES. Le projet de loi fixe ainsi un cadre global pour établir la représentativité des organisations patronales aussi bien au niveau des branches professionnelles qu’au niveau national interprofessionnel ou multiprofessionnel.
Il prévoit que la mesure de l’audience sera fondée non sur une élection, mais sur le nombre d’entreprises adhérentes, comme l’a fort bien expliqué M. le ministre.
Il définit par ailleurs des règles spécifiques en cas d’adhésion d’une organisation de branche à plusieurs organisations qui ont vocation à devenir représentatives au niveau national et interprofessionnel. La multi-adhésion n’est pas rare au niveau des branches. Ainsi, le Conseil national des professions de l’automobile, le CNPA, adhère à la fois au MEDEF, à la CGPME et à l’UPA.
Le projet de loi maintient cette liberté, mais prévoit que l’organisation de branche devra affecter une part déterminée de ses entreprises adhérentes à chacune des organisations de niveau national et interprofessionnel. Cette part ne pourra être inférieure à un seuil fixé par décret, seuil que le projet de loi encadre dans une fourchette comprise entre 10 % et 20 %.
Le texte définit également le droit d’opposition patronale à l’extension d’une convention ou d’un accord, et instaure quatre dispositifs ambitieux pour accélérer la restructuration des branches professionnelles.
L’article 18 institue un fonds paritaire afin de rendre transparent le financement des partenaires sociaux et de mettre ainsi un terme à un climat délétère de suspicion. Leur financement sera maintenu au même niveau qu’aujourd’hui, mais les circuits seront simplifiés, rendus publics et mieux contrôlés.
Je présenterai un amendement de la commission tendant à ce que toutes les organisations qui bénéficieront de financements du fonds paritaire soient informées des projets de décision et de délibération relatifs à la répartition de ces crédits.
L’article 19 traite de la transparence des comptes des comités d’entreprise, question sur laquelle notre commission s’est penchée en octobre dernier. Le projet de loi reprend l’essentiel des dispositions du texte que nous avions alors adopté sur proposition de son rapporteur, Catherine Procaccia, et il emporte par conséquent notre pleine adhésion.
Le troisième et dernier volet a pour objet une réforme de l’inspection du travail, sans doute la plus importante et la plus ambitieuse depuis des décennies. Je veux saluer ici l’engagement du Gouvernement, tout particulièrement celui du ministre du travail, dans l’élaboration d’un projet qui est, j’en suis convaincu, porteur de progrès. Pourtant, il fédère contre lui des critiques émanant des deux bords de l’hémicycle, qui me semblent méconnaître les garanties qu’apporte ce projet de loi équilibré.
Certains dénoncent une réforme qui porterait atteinte aux principes essentiels fondant l’inspection du travail, comme l’indépendance et la liberté dans les suites données à un contrôle. Je rappellerai tout d’abord que l’Assemblée nationale a consacré ces principes dans le code du travail, répondant ainsi à une demande des agents.
En outre, les futurs responsables d’unité de contrôle seront des inspecteurs comme les autres, chargés d’assurer, notamment dans la mise en œuvre des actions collectives, l’animation et l’accompagnement des agents de contrôle placés sous leur autorité. En somme, ce lien ne sera pas plus attentatoire à la liberté des agents que ne l’est celui qui existe aujourd’hui entre les inspecteurs et les contrôleurs au sein d’une section d’inspection.
Enfin, le risque de chevauchement des compétences, lors d’un contrôle commun, entre les agents des unités de contrôle territorialisées, des unités régionales de contrôle et du groupe national de contrôle d’appui et de veille me semble essentiellement théorique. En pratique, les structures régionales et nationales agiront évidemment en concertation avec les agents de terrain ; elles se concentreront surtout sur les chantiers et les entreprises mobiles, pour lutter contre le fléau du travail illégal, tandis que chaque agent de contrôle demeurera libre de déterminer quelles suites il entend donner à ses contrôles.
D’autres, à l’inverse, soulignent les risques d’arbitraire que ferait courir la réforme à l’encontre des employeurs. Je veux rappeler que si la procédure de sanction administrative est engagée par l’agent de contrôle, c’est le directeur de la DIRECCTE, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi, qui prendra la décision de sanctionner l’employeur, après l’avoir invité à présenter ses observations dans un délai d’un mois. L’agent de contrôle ne sera donc pas juge et partie ; des contre-pouvoirs existeront au sein même de la DIRECCTE et les droits de la défense seront respectés. Toute sanction pourra être contestée devant le juge administratif dans les conditions de droit commun. De même, la transaction pénale sera engagée par le directeur de la DIRECCTE, mais nécessitera l’homologation préalable du procureur de la République. Quant aux plafonds des amendes administratives, ils sont cohérents avec ceux que prévoit actuellement le code du travail.
Monsieur le ministre, nous devrons ensemble faire œuvre de pédagogie pendant l’examen de ce texte au Sénat afin de dissiper les inquiétudes que suscite cette réforme. Je considère pour ma part, je l’ai dit, que le texte qui nous est proposé est équilibré : il donne de nouveaux pouvoirs à l’inspection du travail pour mieux défendre les intérêts élémentaires des travailleurs, tout en respectant les droits des employeurs et les principes de l’État de droit. Nous présenterons néanmoins un amendement visant à améliorer encore l’information des agents de contrôle lorsque la procédure de transaction pénale est engagée.
Je vois donc une grande cohérence dans ce projet de loi, qui répond tout à la fois aux besoins des salariés et à ceux des entreprises françaises. Une formation professionnelle efficace, adaptée aux besoins de l’économie et redevenue un outil de qualification et de promotion sociale, un dialogue social marqué par la légitimité de ses acteurs et la transparence de leurs financements, une inspection du travail efficace et impartiale : cela ne correspond-il pas aux exigences de notre économie et, plus largement, de notre société ?
La commission des affaires sociales n’a pas semblé le croire puisque, contre l’avis de son rapporteur, elle n’a pas adopté de texte sur ce projet de loi lors de sa réunion du mercredi 12 février dernier. Elle avait néanmoins auparavant adopté les cinquante-trois amendements que je lui avais proposés. Nos débats porteront donc sur le texte du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale en première lecture. §
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Claude Jeannerot, rapporteur sur le fond, vient de nous décrire en détail les enjeux du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. J’approuve ses conclusions, aussi irai-je pour ma part droit au but s’agissant de ce que j’estime être les principales vertus de ce texte et des raisons qui ont conduit la commission des finances a en recommander également l’adoption dans le cadre de sa saisine pour avis, sous réserve des quelques modifications, pour la plupart de forme, qu’elle a proposées.
La question de l’opportunité de la saisine pour avis de la commission des finances s’est d’emblée posée en raison de l’ampleur de la réforme proposée et des modifications profondes apportées au financement de la formation professionnelle, dont les chiffres ont été présentés, à l’organisation des organismes paritaires et à la collecte de la taxe d’apprentissage, au périmètre de compétences et de financement de la formation professionnelle par les régions et, enfin, au financement des organisations syndicales et patronales.
L’examen de ce projet de loi montre que, malgré la diversité des questions traitées, il se dégage une cohérence d’ensemble et trois objectifs majeurs, en tous cas trois qualités essentielles qu’il convient de reconnaître au texte, à savoir la simplification, la clarification et l’optimisation.
J’ai plus particulièrement considéré que les cinq articles qui justifiaient la saisine pour avis de la commission des finances répondaient à ces trois objectifs.
Ainsi, l’article 9 vise à simplifier le dispositif de collecte de la taxe d’apprentissage, à clarifier le circuit de répartition du produit de cette taxe et à en optimiser la gestion. Monsieur le ministre, pour avoir présidé une grande région française, vous êtes parfaitement au fait de ce sujet de la formation professionnelle et de l’apprentissage.
Pour leur part, les articles 9 bis et 9 ter, adoptés par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement pour remédier à la censure par le Conseil constitutionnel de plusieurs alinéas de l’article 60 de la loi de finances rectificative pour 2013, tendent également à répondre à ces trois objectifs en réformant la taxe d’apprentissage.
De son côté, l’article 15 prévoit la compensation par l’État des transferts de compétences aux régions prévus aux articles 6 et 11 en matière d’apprentissage et de formation professionnelle. Là encore, l’achèvement du processus de transfert aux régions de ces compétences va dans le sens de la simplification, de la clarification et de l’optimisation.
Enfin, il en va de même de l’article 18, qui vise à réformer le financement des organisations syndicales et patronales en créant un fonds paritaire dont les ressources émaneront des employeurs, des organismes paritaires et de l’État.
Il faut saluer ces avancées, qui mettent en application la plupart des recommandations que j’avais formulées l’an dernier, au nom de la commission des finances et avec votre accord, monsieur le ministre, pour une réforme de la collecte et de la répartition du produit de la taxe d’apprentissage ; j’en tire tout de même une petite fierté !
Sourires.
Dans ce rapport, nous avions appelé à une réforme profonde et urgente, dans le respect des trois principes de simplification, de décentralisation et de paritarisme. Je rappellerai maintenant quelles étaient nos principales préconisations.
Nous recommandions tout d'abord de simplifier, de clarifier et d’homogénéiser la collecte en rationalisant le réseau des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage, les OCTA, en réduisant leur nombre, en créant une « tête de réseau » des organismes collecteurs et en instaurant une comptabilité analytique obligatoire, ainsi que des conventions d’objectifs et de moyens.
Nous avions ensuite proposé d’introduire un pilotage régional dans la répartition de la taxe d’apprentissage en fonction des priorités de formation définies, par exemple, au travers du contrat de plan régional de développement de la formation professionnelle, le CPRDFP.
Nous avions enfin recommandé d’associer l’ensemble des acteurs en introduisant le paritarisme dans la collecte et la répartition des fonds, de fusionner la taxe d’apprentissage avec la contribution de développement de l’apprentissage, la CDA, et de recentrer la taxe d’apprentissage vers le financement de l’apprentissage en augmentant la place des régions dans la gouvernance de la répartition des fonds, notamment en leur confiant la gouvernance des fonds non affectés par les entreprises, en coordination avec l’État et les partenaires sociaux. Il s’agit bien là de paritarisme !
Il faut se féliciter que l’essentiel de ces recommandations ait été mis en œuvre par le Gouvernement, d’abord par le biais de la loi de finances pour 2014, ensuite dans la loi de finances rectificative pour 2013 et enfin au travers du présent projet de loi. C’est la raison pour laquelle la commission des finances, saisie pour avis, a émis un avis favorable à l’adoption de ce texte.
Pour autant, comme je l’ai annoncé en introduction, je présenterai, au nom de la commission des finances, quatre amendements : le premier de fond, le deuxième de précision et les deux derniers purement rédactionnels.
Je m’arrêterai quelques instants sur les deux premiers amendements, portant sur l’article 9, qui réforme profondément les modalités de collecte et de répartition de la taxe d’apprentissage et opère une rationalisation du réseau des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage aux niveaux national et régional, ramenant leur nombre de 147 à une vingtaine à l’échelle nationale – les OPCA nationaux de branches professionnelles ou interprofessionnelles seront agréés pour remplir les fonctions d’OCTA – et à un par région, soit 46 au total.
À l’échelon régional, une seule chambre consulaire sera habilitée à collecter et à reverser les fonds affectés de la taxe d’apprentissage, selon des modalités définies dans le cadre d’une convention conclue avec les autres chambres consulaires de la région. Cela va dans le sens de la simplification, de la clarification et de l’optimisation que j’évoquais tout à l'heure.
De plus, l’article 9 instaure une procédure nouvelle associant la gouvernance régionale, en particulier le conseil régional, aux termes de laquelle les OCTA procèderont dorénavant à l’affectation des fonds dits « libres », non affectés par les entreprises. Vous avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre, que le principe de la liberté d’affectation des fonds était maintenu, mais qu’une partie de ces derniers serait affectée ensuite.
Nous avons estimé – il s’agit là d’un point de désaccord entre nous – que la rédaction retenue dans le projet de loi était perfectible. En effet, elle ne précise pas si les versements effectués par les organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage doivent être ou non réalisés conformément aux observations et aux propositions issues de la concertation organisée par la région. En un mot, les préconisations de la région fondées sur les besoins du territoire seront-elles respectées par les OCTA ? Cette procédure n’offre pas de lisibilité sur le point de savoir si les propositions de la région et des partenaires sociaux seront prises ou non en considération.
Notre premier amendement aura donc pour objet de clarifier les conditions de répartition des fonds du solde du quota non affectés par les entreprises en renforçant le rôle de la gouvernance régionale.
Aussi je suggère que, à l’issue d’une concertation sur la proposition des organismes de collecte, la région décide de la répartition des fonds dits « libres » qui ne sont pas affectés par les entreprises. Je sais que le Gouvernement ne sera pas nécessairement favorable à cet amendement, mais je préfère défendre ici cette position quelque peu « maximaliste », quitte à me rallier, lors de la discussion des articles, à une solution de repli permettant aux organismes de collecte de continuer à procéder à leurs propres versements, par décision motivée si les versements en question ne sont pas conformes aux recommandations émises par la région.
Un deuxième amendement aura pour objet d’étendre aux organismes de collecte de la taxe d’apprentissage l’application des dispositions introduites sur l’initiative du Sénat dans la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie et visant à instaurer la conclusion d’une convention triennale d’objectifs et de moyens entre les organismes de collecte paritaires agréés et l’État ainsi que leur évaluation et la publication triennale d’un bilan.
Pour conclure, j’aborderai très rapidement les deux autres articles faisant l’objet de notre saisine pour avis.
Les articles 9 bis et 9 ter visent à remédier aux conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2013 ayant censuré, parce qu’insuffisamment précis, plusieurs alinéas de l’article 60, portant réforme de la taxe d’apprentissage, de la loi de finances rectificative pour 2013, relatifs aux règles d’affectation du produit de la taxe d’apprentissage. En un mot, le Conseil constitutionnel a jugé que cette affectation ne pouvait relever parfois de la loi et parfois du règlement, et qu’il fallait statuer une fois pour toutes.
Il faut se souvenir que les dispositions de l’article 60 de la loi de finances rectificative pour 2013 opéraient la fusion de la taxe d’apprentissage et de la contribution au développement de l’apprentissage et posaient de nouvelles règles d’affectation du produit. Ainsi, une « première fraction », dont le montant est au moins égal à 55 % du produit de la taxe due, était affectée aux régions, tandis que les modalités d’affectation du produit de la taxe d’apprentissage d’une « deuxième fraction », dénommée « quota », attribuée aux centres de formation d’apprentis et aux sections d’apprentissage, étaient renvoyées au pouvoir réglementaire.
C’est sur ce dernier point que le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article 60, estimant que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence.
Aussi les deux articles 9 bis et 9 ter du présent projet de loi prévoient-ils de réintégrer les dispositions censurées en veillant à préciser dans la loi le taux – 21 % – de la fraction du quota de la taxe d’apprentissage réservée au développement de l’apprentissage et celui – 23 % – du hors quota au titre des dépenses réellement exposées en vue de favoriser les formations technologiques et professionnelles initiales.
De facto, la part régionale du produit de la taxe d’apprentissage s’établira à 56 %, et je m’en réjouis. Il était nécessaire d’introduire ces dispositions dès maintenant, afin de permettre à toute la chaîne des acteurs de l’apprentissage de préparer l’application de cette réforme pour le 1er janvier 2015.
L’article 15, quant à lui, prévoit la compensation par l’État des transferts de compétences aux régions, dont le coût est estimé entre 150 millions et 200 millions d’euros. Monsieur le ministre, il faudra que le Gouvernement soit plus précis et explicite sur la question du financement de ce transfert de compétences. Les régions doivent savoir sur quels types de recettes de compensation elles pourront compter pour 2015 et les années suivantes. Il s’agit d’un sujet rémanent, si j’en juge par les différents textes de loi que nous allons examiner d’ici à cet été !
Enfin, je terminerai par l’un des articles emblématiques de ce projet de loi, à savoir l’article 18, relatif à la réforme et à la modernisation du financement du paritarisme.
La philosophie générale du dispositif est de passer d’un système opaque et illisible de financements éclatés entre différentes sources, principalement liées à la gestion paritaire d’organismes, à un système transparent de financement du coût du dialogue social, centralisé dans un nouveau fonds paritaire. Il s’agit d’instaurer un financement mutualisé à coût constant avant et après la réforme.
Si la réforme doit normalement être neutre pour les entreprises, il faut souligner que le budget global de ce nouveau fonds paritaire devrait dépasser 140 millions d’euros, dont près de 30 millions d’euros de subventions de l’État. Là encore il conviendra, dès le projet de loi de finances pour 2015, de s’assurer que cette dotation budgétaire réponde à ces mêmes impératifs de simplification, de clarification et d’optimisation que j’ai évoqués.
Enfin, monsieur le ministre, je présenterai, à titre personnel et avec quelques-uns de mes collègues, un certain nombre d’amendements n’entrant pas dans le cadre de la saisine de notre commission.
Au bénéfice de ces observations, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent projet de loi. §
Je le sais bien, monsieur le ministre !
Nous examinons aujourd’hui le projet de loi issu de l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013, l’ANI. Formation professionnelle, démocratie sociale, inspection du travail : voilà des sujets qui auraient mérité mieux qu’un débat parlementaire précipité.
Le Gouvernement a fait le choix d’engager la procédure accélérée pour l’examen de ce projet de loi. On comprend mal cette volonté d’agir aussi vite, on voit mal où se situe l’urgence. Des délais aussi courts pour l’examen d’un tel texte nuisent grandement à la qualité de nos travaux et témoignent, monsieur le ministre, d’un manque de considération pour les parlementaires.
Exclamations amusées.
Sur le fond, la première partie du projet de loi, relative à la formation professionnelle, traite d’un sujet central. Le montant élevé de la dépense nationale pour la formation professionnelle et l’apprentissage témoigne de l’importance de ce sujet : 32 milliards d’euros en 2011, soit 1, 6 % du PIB, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES. Les entreprises sont de loin les premiers financeurs – à hauteur de 43 % – et les montants alloués ont progressé de 3, 1 % par rapport à 2010. L’État est le deuxième contributeur, avec 15 % de la dépense, malgré une baisse de 1, 1 % des crédits alloués. Ensuite viennent les régions, qui assument 14 % de la dépense totale.
Les fonds sont donc là, mais il existe de grandes disparités entre les bénéficiaires. Selon une étude de l’INSEE de 2012, si 51 % des 25-54 ans en emploi ont suivi une formation pour raisons professionnelles dans l’année, seuls 27 % des chômeurs de cette même classe d’âge ont pu bénéficier d’une telle formation.
De grandes disparités existent également au sein même du monde du travail : selon la même étude, dans la catégorie des actifs occupant un emploi, 66 % des diplômés de niveau supérieur à bac+2 ont suivi au moins une formation professionnelle dans l’année, contre 25 % des personnes sans diplôme. Les inégalités sont ainsi très fortes, et la formation professionnelle profite peu ou pas suffisamment à ceux qui en ont le plus besoin.
Que les choses soient claires, la formation doit naturellement profiter à l’ensemble des salariés, y compris aux cadres. Améliorer ses compétences en permanence permet une adaptation aux nouvelles techniques et une transmission du savoir au sein de l’entreprise dont chacun bénéficie. Mais la formation doit aussi être rendue plus accessible aux chômeurs et aux précaires, afin de leur permettre d’apprendre un nouveau métier et de développer des compétences nouvelles.
La formation professionnelle est également – on l’oublie parfois – un moteur de développement personnel et d’épanouissement des individus, un moyen de préparer l’avenir s’accompagnant du plaisir d’apprendre.
Adaptation aux nouvelles technologies, réinsertion et réorientation des chômeurs et précaires, épanouissement : la formation professionnelle recouvre tous ces aspects et il nous faut trouver, ensemble, le juste équilibre.
Je le disais, la formation professionnelle est un outil d’adaptation aux changements de la société qui permet de se former aux nouvelles technologies et aux nouveaux métiers. Dans cette perspective – j’insiste sur ce point, monsieur le ministre, et j’y reviendrai au cours du débat –, il faut concevoir une démarche prospective à l’échelon national, et pas simplement dans les régions, pour identifier les métiers de demain et les techniques qu’ils mobiliseront, afin d’anticiper le changement plutôt que de le subir.
Si l’on doit préparer l’émergence des métiers de demain, il ne faut pas pour autant oublier ceux d’hier. Chaudronniers, ébénistes, tailleurs de pierre : tous ces professionnels se raréfient, alors qu’ils sont demandés. Une politique de formation cohérente doit nécessairement prendre en compte ces métiers et assurer leur pérennité. S’agissant de créneaux étroits, cela nécessite une coopération entre régions.
Par ailleurs, dans notre monde aux ressources de plus en plus limitées, nous devons faire preuve de volontarisme pour orienter nos modes de production vers la proximité, vers l’économie énergétique. Pour cela, nous avons besoin de techniciens compétents dans les domaines des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique des bâtiments, du recyclage des déchets. La formation professionnelle a tout son rôle à jouer dans la transition écologique : elle doit devenir un outil pour accompagner les mutations.
Le compte personnel de formation constitue un premier pas important vers la formation pour tous que nous appelons de nos vœux. Il est directement attaché au salarié, qui le conservera tout au long de sa carrière et en bénéficiera dès son entrée dans le monde du travail, indépendamment de sa situation et de son entreprise. Le détenteur du compte, s’il suit des heures de formation en dehors de son temps de travail, ne sera pas tenu d’en informer son employeur, ni d’obtenir son accord.
Je vous félicite, monsieur le ministre : ce dispositif représente une avancée réelle par rapport au droit individuel à la formation, dont le bénéfice était ouvert aux seuls salariés ayant un an d’ancienneté et subordonné à l’accord de l’employeur et dont la portabilité entre deux emplois posait parfois problème.
Néanmoins, le volume horaire du CPF reste faible : 150 heures sur sept ans et demi. Cette durée peut-elle vraiment permettre à un individu de suivre une formation qualifiante en vue de se réorienter en cours de carrière ?
En particulier, ce faible volume horaire est encore loin de permettre à des personnes éloignées de l’emploi de repartir sur de nouvelles bases. De fait, le CPF, comme aujourd’hui le DIF, risque d’être utile principalement aux salariés déjà qualifiés qui ont besoin d’une mise à niveau sur une nouvelle technologie, plutôt qu’aux personnes qui en auraient le plus besoin : les chômeurs, les précaires, les seniors…
Monsieur le ministre, l’augmentation de 600 millions à 900 millions d’euros des fonds consacrés aux demandeurs d’emploi est-elle suffisante ? Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Malgré ces insuffisances, qu’il nous reviendra de combler, nous tenons, nous écologistes, à saluer la mise en place du CPF. Nous considérons cette réforme comme une première étape majeure vers un droit universel à la formation tout au long de la vie.
M. le ministre acquiesce.
En ce qui concerne la démocratie sociale, le projet de loi réforme la représentativité des organisations syndicales et patronales, ainsi que leur financement.
Nous nous réjouissons que l’Assemblée nationale ait inclus dans le dispositif du projet de loi les acteurs dits du « hors champ ». Au demeurant, cette appellation est trompeuse, car les acteurs en question ne sont absolument pas marginaux. Économie sociale et solidaire, agriculture, professions libérales : telles sont les activités du « hors champ », qui représente un tiers de l’activité économique et des emplois en France.
Concernant la transparence des comptes des comités d’entreprise, l’obligation d’établissement et de certification des comptes, en fonction de seuils fixés selon la taille du comité, est une mesure équilibrée permettant un meilleur contrôle de l’utilisation des fonds.
À cet égard, monsieur le ministre, je constate que vous avez tenu l’engagement que vous aviez pris, en octobre dernier, devant notre assemblée, lors de l’examen de la proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise présentée par Mme Procaccia : en effet, vous nous aviez alors assuré que les dispositions de cette proposition de loi seraient reprises dans le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
M. Michel Sapin, ministre. Promesse tenue aux calendes de février, et non aux calendes grecques !
Mme Catherine Procaccia rit.
M. Jean Desessard. J’arrive maintenant, monsieur le ministre, à la question qui fâche : la réforme de l’inspection du travail, à laquelle nous sommes fortement opposés.
Ah ! sur les travées de l’UMP.
Sur la forme, tout d’abord, on comprend mal la nécessité de faire figurer un chapitre sur l’inspection du travail dans un projet de loi traitant de la formation professionnelle.
Cette réforme verticale, imposée, est très mal vécue par les inspecteurs du travail, qui craignent une remise en cause de leur indépendance.
Cette indépendance est pourtant consacrée par l’article 6 de la convention n° 81 de l’Organisation internationale du travail sur l’inspection du travail. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous donner lecture de cet article, au cas où vous ne l’auriez pas consulté.
Cette indépendance est affirmée par le projet de loi, au cas où vous ne l’auriez pas consulté !
« Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue. »
Mais le projet de loi prévoit une refonte de la hiérarchie au sein de l’inspection du travail, avec la création d’unités de contrôle, régionales et locales, dans lesquelles des « responsables d’unité de contrôle », des RUC, choisis parmi les inspecteurs, auront carte blanche pour imposer leurs méthodes aux autres agents.
Monsieur le ministre, les inspecteurs du travail ont-ils donc démérité, pour qu’on veuille ainsi les encadrer ? En quoi n’ont-ils pas rempli leurs missions ? Nous en apprendrons certainement davantage au cours de ce débat…
Nous pouvons aussi craindre que la création d’environ 200 postes de responsable ne conduise fatalement à une diminution sensible des effectifs présents sur le terrain, au détriment du respect de la réglementation sociale.
En outre, la possibilité donnée aux directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de prononcer des sanctions administratives nous pose problème, dans la mesure où les DIRECCTE sont également chargées de la lutte contre le chômage. Dès lors, que se passera-t-il le jour où une entreprise d’un secteur jugé stratégique ne respectera pas le droit du travail ? Les sanctions lui seront-elles appliquées de la même manière qu’à une autre ? On peut se poser la question.
Aussi bien sur le fond que sur la forme, nous nous opposons à cette réforme hâtive et dangereuse, qui remet en cause l’indépendance de l’inspection du travail. Nous appelons de nos vœux son report, ainsi qu’un dialogue social apaisé au sein de cette administration, qui permette de déboucher sur des solutions consensuelles et acceptées par les intéressés.
En définitive, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre jugement sur le projet de loi est donc mitigé : si nous nous réjouissons de la mise en place du compte personnel de formation, l’article 20, relatif à l’inspection du travail, ne nous donne pas satisfaction. Dans ces conditions, le groupe écologiste ne peut être favorable au projet de loi dans sa rédaction actuelle. §
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, une fois de plus, la procédure accélérée ayant été engagée, nous sommes saisis dans l’urgence d’un texte fondamental, sans disposer du recul ni des évaluations suffisants. Dans ces conditions, monsieur le ministre, vous comprendrez que je ne partage pas votre autosatisfaction sur la méthode employée. Du reste, je me réjouis que le même avis ait été exprimé par M. Desessard et par M. le rapporteur, qui mérite un sérieux coup de chapeau pour avoir écrit son rapport en une nuit !
Compte tenu de ce contexte extrêmement difficile, notre groupe votera très probablement contre le projet de loi.
Nous déplorons que, une fois de plus, le Gouvernement ait compliqué le dispositif en ajoutant dans le projet de loi de nombreuses mesures étrangères à l’ANI. Il avait déjà agi de la sorte ; le voilà qui persévère !
Malgré les dénégations que vous nous avez opposées en commission, monsieur le ministre, nous persistons à soutenir que ce projet de loi est un texte fourre-tout.
En outre, les partenaires sociaux n’ont pas été saisis, comme le prévoit l’article L. 1 du code du travail, pour toutes les dispositions hors ANI. Il y a bien eu une concertation, mais pas de véritable saisine.
En vérité, monsieur le ministre, les expériences précédentes auraient dû être méditées.
Je pense d’abord au contrat de génération et aux modifications apportées au temps partiel, imparfaitement conçus et que vous cherchez à améliorer à l’article 10.
Je pense ensuite au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, un dispositif compliqué que vous envisagez d’abandonner dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi.
Je pense aussi aux emplois d’avenir, dont nous avions beaucoup discuté et que, bien timidement et après coup, vous avez ouverts au secteur marchand.
Je pense enfin à la clause de désignation prévue dans la loi relative à la sécurisation de l’emploi, qui a été invalidée à deux reprises par le Conseil constitutionnel, et à la TVA anti-délocalisations, que la majorité a supprimée dès son arrivée au pouvoir avant de la rétablir sous une autre forme pour financer le CICE.
À chaque fois, en raison de l’engagement de la procédure accélérée, nous avons été obligés de travailler dans l’urgence. Bien que souvent d’accord avec certains objectifs, nous avons mis en garde la majorité et avancé des propositions d’amélioration constructives. Après les avoir rejetées, le Gouvernement s’en inspire aujourd’hui, sans clairement l’admettre, pour modifier à la marge ses dispositifs.
Confrontés aujourd’hui à la même nécessité de travailler dans l’urgence et sans recul, nous regrettons que le Gouvernement ne se soit pas borné à transcrire l’ANI approuvé par les partenaires sociaux. Nous déplorons surtout qu’il n’ait pas pris le temps de travailler avec beaucoup plus de recul. Du reste, que la CGT et la CGPME – un syndicat de salariés et un syndicat d’employeurs, et non des moindres – n’aient pas signé l’accord est une preuve de son imperfection !
La principale impression que le projet de loi nous inspire est qu’il s’agit d’un texte d’affichage, préparé dans l’urgence et reposant sur cette simple équation : une baisse des charges sociales des entreprises, assurément très nécessaire dans le contexte actuel, contre un dialogue social réussi. Au-delà de ce principe, le fond des problèmes n’est pas totalement abordé.
À la vérité, ce projet de loi est hétéroclite, complexe et souvent incompréhensible ; surtout, ses conséquences financières ne sont pas évaluées et aucune régulation ultérieure n’est prévue.
(Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Chers collègues de la majorité, ne soyez pas inquiets : je reviendrai ensuite sur les aspects négatifs !
Sourires.
Avant d’entrer dans les détails de ce tableau un peu noir, il faut tout de même que je souligne certains aspects positifs du projet de loi. §
Au nombre des points sur lesquels nous sommes d’accord figure le compte personnel de formation, que l’article 1er prévoit de substituer au droit individuel à la formation. Nous soutenons également le renforcement du dialogue social au sein des entreprises, prévu à l’article 2, et la simplification résultant du fait qu’il n’y ait plus que deux taxes. Nous nous félicitons que les formalités administratives soient considérablement allégées par l’article 4 et que la transparence dans le financement du dialogue social soit améliorée par l’article 18.
Nous sommes très favorables à toutes ces dispositions. Du reste, je remercie M. le rapporteur d’avoir cité, parmi ceux qui, par le passé, ont travaillé sur ces sujets, nos collègues Gérard Larcher et Jean-Claude Carle, qui sont un peu les initiateurs de ces réformes : cela montre que nous pouvons avoir des convergences sur certains problèmes de fond.
Pourquoi donc a-t-il fallu que le Gouvernement ajoute dans le projet de loi des dispositions hors ANI ?
En ce qui concerne les comités d’entreprise, nos collègues Catherine Procaccia et Caroline Cayeux avaient présenté une proposition de loi dont la teneur est pratiquement identique à celle du projet de loi. Monsieur le ministre, pourquoi ne pas avoir laissé vivre cette proposition de loi ?
À propos de l’inspection du travail, nous sommes relativement d’accord avec les mesures visant à modifier sa gouvernance et son organisation, mais pas avec les sanctions qui sont prévues. Cela étant, la plupart des syndicats de salariés sont vent debout contre ce projet de réforme.
Quant à la présence dans le projet de loi d’ajustements au temps partiel, assurément nécessaires, et au contrat de génération, elle illustre le caractère hétéroclite du texte que je viens de dénoncer.
La réforme qui fâche, c’est l’apprentissage. Je ne développerai pas énormément ce point, car Jean-Claude Carle, qui est un éminent spécialiste en la matière, le fera tout à l’heure au nom de notre groupe. Je constate simplement, tout en vous donnant crédit de votre bonne foi, monsieur le ministre, que l’apprentissage est simplement considéré, dans ce texte, comme une variable d’ajustement financier par rapport aux besoins des régions et du Gouvernement.
Pour ne pas vous décevoir, chers collègues, passons maintenant rapidement en revue les points négatifs, à propos desquels nous proposerons un certain nombre d’amendements.
Pour ce qui concerne le compte personnel de formation, vous ne disposez ni d’un recul financier suffisant ni d’une évaluation du financement, corrélativement à la baisse de la collecte. On diminue le montant de la taxe, qui passera grosso modo de 1, 6 % de la masse salariale à 1 % et 0, 9 %. Cela engendrera des baisses de ressources pour les OPCA, lesquels, comme l’ont dit certains orateurs, avaient besoin d’être remis en cause concernant l’utilisation de leurs excédents. Néanmoins, c’est une opération hasardeuse, dans la mesure où le fameux fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels est financé en partie par le basculement des excédents des OPCA au-delà de 35 %.
Par ailleurs, dans la mesure où le financement de l’employeur a été sanctuarisé à hauteur de 0, 20 % de la masse salariale, qu’arrivera-t-il si le fonds paritaire ne peut plus faire face aux besoins de formation ?
J’en reviens donc toujours à ma petite logique comptable ! Il aurait été utile de dresser un tableau d’emplois et de ressources, dans le cadre d’une réflexion prospective nuancée par toutes les réserves qui s’imposent, afin de mettre en place cette réforme avec une plus grande humilité, c'est-à-dire en étalant la réduction du montant de la taxe sur une, deux ou trois années.
On estime aussi que la formation des demandeurs d’emploi est insuffisante. Les sommes qui y seront consacrées passeront de 600 millions à 900 millions d’euros. Sur ce point, au reste anecdotique, permettez-moi de vous reprendre, monsieur le ministre : il s’agit non pas d’une augmentation de plus de 50 %, mais de 50 % exactement.
Sourires.
Cette augmentation de 300 millions d’euros se fera au détriment du parcours de sécurisation professionnelle, je l’ai déjà dit en commission. C’est la raison pour laquelle notre groupe proposera un amendement visant à porter, pour les demandeurs d’emploi, dans le cadre des abondements prévus par le texte, à 250 heures le plafond du CPF.
Nous estimons que la mutualisation en faveur des TPE et des PME est insuffisante, même si l’Assemblée nationale a introduit un amendement visant à redonner du grain à moudre aux entreprises de plus de cinquante salariés. Toutefois, le problème des entreprises employant de cinquante à deux cents personnes n’est pas réglé.
Concernant la représentativité patronale, l’article 16 est contesté. Certaines organisations ont rejeté ce texte, tout en éprouvant un sentiment de frustration, ce qui n’est pas sain. Il aurait été nécessaire d’avoir un peu plus de recul.
J’évoquerai également les incertitudes liées à la participation des « hors champ ». Vous avez traité cette question extrêmement rapidement, par voie de convention négociée dans l’urgence, ce qui prouve bien que ce cas n’avait pas été suffisamment étudié en amont.
Ces « hors champ » seraient consultés sur les problèmes de financement du dialogue social et des formations. Surtout, on ne sait pas actuellement s’ils seront associés, avec voix délibérative, au comité en question. J’attends confirmation de ce point, monsieur le ministre.
Quant à la décentralisation, nous ne la contestons pas. Nous constatons simplement que l’État se désengage totalement du financement, en particulier en supprimant les contrats d’objectifs et de moyens État-région. Selon moi, il aurait été également nécessaire de lisser dans le temps ce désengagement, pour permettre aux uns et aux autres de s’y habituer. Qui plus est, malgré la fusion de deux institutions, vous instaurez une gouvernance nationale et régionale complexe, avec une représentation limitée, puisque, dans les COPIDEF et les CREFOP, un certain nombre de partenaires ne sont pas associés. Je pense en particulier aux chambres consulaires, tout au moins dans les CREFOP, qui sont des comités consultatifs, et aux départements, qui sont chefs de file en matière de handicap, d’insertion et de RSA. Il aurait été tout à fait naturel de les associer aux organes de réflexion sur la formation de ces publics.
S’agissant des trois listes de formations qualifiantes, elles seront relativement complexes à mettre en œuvre. Dans le cadre du choc de simplification que le Gouvernement entend mettre en avant, une telle mesure aurait nécessité une réflexion préalable. J’espère que, compte tenu des incertitudes liées au financement, il ne s’agit pas d’un obstacle supplémentaire destiné à écarter du dispositif certains bénéficiaires du CPF.
En outre, comme l’écrit M. le rapporteur dans son rapport, et comme l’ont souligné certains intervenants au cours des auditions que nous avons menées, prétendre que les OPCA vont complètement changer de mentalité représente un vrai pari, compte tenu des incertitudes pesant sur le financement. Certes, une telle évolution est tout à fait souhaitable, et il convient de sortir d’une logique de collecte forcée et d’adopter une logique d’offre à l’égard des partenaires sociaux et des entreprises. Toutefois, êtes-vous sûr qu’une telle évolution sera aussi rapide et immédiate que vous l’affirmez ? Vous connaissez aussi bien que moi, dans ce domaine, la force d’inertie des intervenants. Je nourris donc quelques doutes sur ce sujet. Il aurait été certainement nécessaire d’aller un peu plus loin dans l’analyse prospective, afin d’instaurer des garde-fous plus importants.
Pour ce qui concerne la réorganisation de l’inspection du travail, nous n’y sommes pas opposés, je l’ai déjà dit. Gérard Larcher avait d’ailleurs préconisé une réforme de l’organisation des inspections du travail. En revanche, donner des pouvoirs exorbitants, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 10 000 euros par salarié si l’employeur ne respecte pas une décision d’arrêt temporaire de travaux ou d’activité, c’est faire peser une épée de Damoclès sur les entreprises. Surtout, par une procédure exorbitante du droit commun, les inspecteurs du travail pourraient, pour les besoins de leurs missions, non seulement prendre connaissance, au siège de l’entreprise, comme ils le faisaient auparavant, de certains documents, mais aussi les emporter avec eux. Une telle mesure ne s’inscrit pas dans le cadre d’un dialogue constructif, même s’il est nécessaire de contrôler les sociétés qui ne respecteraient pas le droit du travail.
Supprimer de telles dispositions serait de nature à rassurer les entreprises quant aux intentions du Gouvernement.
J’en viens au temps partiel. Chacun se rend bien compte que seulement deux ou trois branches – les autres jouant probablement la montre – ont accepté de négocier les accords en question, qui déstructurent des secteurs d’activité complets, notamment celui des services à la personne. Je pense en particulier aux municipalités confrontées à la modification des rythmes scolaires. En la matière, il faut prendre le temps de réfléchir, pour améliorer la situation.
Je le répète, l’apprentissage a été sacrifié. Il servira désormais de variable d’ajustement. Et je n’oublie pas que la formation des personnes handicapées fait désormais l’objet d’un désengagement total de l’État !
Vous en conviendrez, voilà une longue liste de critiques ! À mon avis, ce texte a été bâti trop vite, sans recul suffisant. Ce point de vue est corrélé par le fait que, malgré mon peu d’appétence pour le dépôt d’amendements, notre groupe a été amené à déposer presque quatre-vingts amendements, ce qui est tout de même symptomatique de l’insatisfaction engendrée par ce texte. En effet, après avoir terminé nos auditions, nous nous sommes rendu compte que de nombreux problèmes n’étaient pas abordés par le projet de loi.
Je terminerai en disant que nous avons voulu, au vu des nombreux points positifs de ce texte, ouvrir la porte à des amendements de sagesse, malgré les sujets qui fâchent comme l’apprentissage ou l’inspection du travail. Je le reconnais volontiers, le sentiment de frustration de certaines organisations patronales au sujet de la représentativité mérite d’être pris en compte. Voilà pourquoi, à la fin de l’examen de l’article 16, nous proposerons un amendement visant à donner un peu de temps au temps et à attendre l’échéance de 2017, qui permettra d’obtenir la « photo de la représentativité patronale ». Un comité de suivi pourrait être établi et ces deux années mises à profit pour que les partenaires sociaux rediscutent, évoluent et, surtout, essaient de se comprendre. Car bien souvent, il s’agit uniquement d’un problème de compréhension ! À mon avis, vous feriez un geste d’apaisement en acceptant cet amendement.
Par ailleurs, s’agissant du temps partiel, compte tenu des blocages que ce sujet implique, nous pourrions peut-être envisager de redemander aux négociateurs de l’ANI d’arrondir le texte et de répondre aux frustrations observées dans certains secteurs.
Dans ces conditions, je ne vois vraiment pas comment le groupe UMP pourrait voter ce texte.
Au demeurant, nous observerons l’évolution du débat.
Pour conclure, monsieur le ministre, puisque j’ai fait référence au pacte de compétitivité, je vous propose maintenant un pacte de responsabilité. Fort des expériences passées que j’ai citées, je vous invite à prêter une oreille attentive à nos propositions, dans le cadre d’un dialogue constructif, qui devrait toujours s’établir entre la majorité et l’opposition. Plutôt que de rejeter certaines initiatives du Sénat en les marginalisant, pourquoi ne pas établir entre nous, Gouvernement et Sénat, un pacte de responsabilité, afin de ne plus travailler dans l’urgence et de nous donner le temps de la réflexion ?
M. Jean-Noël Cardoux. Je suis tout à fait dans l’air du temps en formulant une telle proposition. Désormais, la balle est dans votre camp !
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la position que je vais soutenir ne vous surprendra pas, puisque c’est celle que nous avons défendue à l’Assemblée nationale.
Je me concentrerai sur le sujet de la formation professionnelle, mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe s’apprêtant à traiter de manière plus approfondie les questions relatives au dialogue social.
Ce texte comporte énormément de points positifs.
Nous sommes très favorables au compte personnel de formation, qui vise à créer un droit attaché à la personne, et non au contrat de travail. Vous le savez, c’est une évolution que nous souhaiterions voir élargie à l’essentiel des droits sociaux.
Nous sommes également favorables, étant adeptes de la décentralisation, au principe de responsabilisation des régions. Nous aurions même aimé que vous alliez beaucoup plus loin dans cette logique, monsieur le ministre, en confiant une responsabilité pleine et entière aux régions, notamment pour gérer les fonds de la formation professionnelle, tandis que les partenaires sociaux auraient été simplement associés à l’élaboration et l’évaluation des plans et programmes de formation. Il s’agit d’ailleurs là d’un point de divergence fondamental, qui explique que nous soyons très réservés sur l’ensemble du texte. Jean-Louis Borloo s’est d’ailleurs beaucoup exprimé à ce propos.
Sur le fond, nous ne partageons pas le principe selon lequel la formation professionnelle relève uniquement de l’initiative des partenaires sociaux, le législateur étant lié par leur accord. Cette vision était juste dans les années soixante-dix, quand le chômage constituait un phénomène marginal. Il était alors logique de consacrer l’essentiel des moyens à l’adaptation des salariés à leurs postes de travail. Tel n’est plus le cas aujourd'hui, les enjeux contemporains de la formation professionnelle relevant fondamentalement de l’intérêt général et, donc, du législateur.
Ces enjeux, vous les connaissez. Premièrement, il s’agit de lutter contre les inégalités, comme l’a évoqué Jean Desessard. L’école ne les corrige plus et la formation professionnelle, finalement, les aggrave, celle-ci bénéficiant essentiellement aux personnes les plus qualifiées. Deuxièmement, il convient de lutter contre le déclassement et l’exclusion liés au chômage de longue durée. Troisièmement, il faut s’adapter aux secteurs d’avenir, identifiés par les investissements d’avenir.
En d’autres termes, ce que nous aurions souhaité, c’est non pas l’évolution d’un système mutualisé vers un système incitatif, mais au contraire un système où la mutualisation tiendrait une plus grande place, le législateur définissant prioritairement les orientations de la formation professionnelle. De fait, la philosophie de ce texte nous pose problème.
Une autre difficulté réside dans le fait que le projet de loi ne remédie pas complètement aux trois grandes insuffisances de la formation professionnelle.
Première insuffisance : nous dépensons beaucoup – 32 milliards d’euros – pour de maigres résultats. Le problème, ce n’est pas de dépenser beaucoup, ce n’est pas non plus que les grandes entreprises consacrent le double de leurs obligations légales à la formation professionnelle. Le vrai problème, c’est la faiblesse des résultats, notamment pour les salariés les moins qualifiés.
Ce n’est pas parce qu’on va réduire de 70 % l’obligation de financement des plans de formation et qu’on va augmenter de 0, 1 point la mutualisation des fonds – en la portant de 0, 8 % à 0, 9 % – qu’on va améliorer la situation. Nous aurions préféré qu’on mette réellement l’accent sur la qualité des formations. Or le texte ne contient rien sur la certification des organismes de formation – ce point est régulièrement soulevé – et ne prévoit aucun accompagnement des PME pour les aider à mieux identifier leurs besoins et les organismes qui sont capables d’y répondre. Il contient très peu de mesures relatives à l’évaluation ; même si le CNEFOP, dans sa structure même, est un bon outil de concertation, il n’a a priori pas du tout vocation à faire de l’évaluation.
Deuxième insuffisance : si je m’en réfère au rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, la formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les personnes sans qualification ou les moins qualifiées ainsi que les demandeurs d’emploi. Ce sont pourtant eux, nous en conviendrons tous ici, qui devraient être prioritaires. Ce public est presque totalement absent de ce texte. En réalité, le compte personnel de formation bénéficiera à ces personnes, mais de manière marginale – de manière collatérale, irai-je jusqu’à dire –, et non principalement. Si l’on avait voulu qu’il en soit ainsi, il aurait fallu abonder le compte personnel de formation de manière inversement proportionnelle au niveau de qualification initiale des personnes. Il aurait même fallu le surabonder pour les personnes en situation de chômage de longue durée. Pareillement, il aurait fallu quasiment doubler les crédits du congé individuel de formation, identifié dans la plupart des rapports comme un système extrêmement efficace pour les demandeurs d’emploi. Or tel n’est pas le cas. Nous vous proposerons donc plusieurs amendements directement tirés du rapport de l’IGAS.
Troisième insuffisance, notée également dans la plupart des rapports, dont celui de M. Jeannerot : nous sommes confrontés à un problème de redistribution entre les financeurs puisque ce sont les petites entreprises qui payent pour les grosses. Demain, ce sera un peu chacun pour soi. On ne voit pas vraiment quels avantages en retireront les PME, qui sont justement celles que nous devons aujourd’hui le plus aider – cela a été dit par l’ensemble des membres du Gouvernement. Alors qu’il est nécessaire de les faire grossir, ce sont précisément elles qui sont les plus insatisfaites de cet accord, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre. Cela nous pose un problème, parce qu’elles ne sont pas accompagnées dans le cadre de ce plan. D’ailleurs, certains de nos collègues de l’Assemblée nationale ont plutôt tendance à considérer que cet accord est un beau cadeau qui a été fait aux grandes entreprises.
Pour résumer notre position, nous sommes assez réservés sur ce texte, qui ne répond que de manière extrêmement marginale aux orientations politiques que défend le groupe UDI-UC. Par conséquent, nous serons très attentifs au contenu du débat parlementaire.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi, singulièrement les articles relatifs à la formation professionnelle destinés à transposer l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013, est d’une grande complexité tant les sujets sont techniques. Ce n’en est pas pour autant une question inintéressante.
En travaillant sur le sujet, j’ai pu mesurer combien parler de la formation professionnelle, c’est en réalité parler des conditions de travail des salariés. C’est aussi parler des discriminations en raison de l’âge, du genre, des classes sociales et de la taille des entreprises qui emploient les salariés, c’est parler de la transparence comme de la démocratie, trop souvent absente, c’est parler de la précarité, des conséquences néfastes des temps partiels et des contrats précaires. Enfin, sans vouloir dresser de listes exhaustives, c’est parler du partage des richesses dans l’entreprise, du rôle des travailleurs, de leur reconnaissance, de la manière dont ils sont ou non reconnus dans les entreprises, de la responsabilité sociale de ces dernières envers celles et ceux qui créent des richesses.
Vous le savez, monsieur le ministre, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen défendent, avec d’autres – des économistes et des syndicalistes, notamment –, l’idée d’un élargissement de la sécurité sociale, afin que cette dernière protège nos concitoyens contre tous les risques ; une sécurité sociale rénovée et renforcée qui répondrait aux besoins des femmes et des hommes de notre pays, de leur naissance jusqu’à leur mort, une sécurité sociale qui assurerait plus qu’aujourd’hui les risques professionnels et où la solidarité et la mise en commun auraient vocation non plus seulement à indemniser le chômage, mais bel et bien à permettre aux salariés de ne plus connaître le chômage.
Ce projet ambitieux, nous le nommons sécurité d’emploi et de formation quand d’autres l’appellent sécurité sociale professionnelle. Bien qu’il porte deux noms différents, il s’agit bel et bien d’un projet commun, celui d’agir simultanément sur deux leviers : la sécurisation de l’emploi et le renforcement du droit effectif à la formation initiale et professionnelle, de telle sorte que celle-ci protège les salariés des aléas économiques.
Force est de constater, monsieur le ministre, que, si à de nombreuses reprises nos vocabulaires se sont croisés ou se répondent, nous divergeons sur les mesures qu’il convient de prendre. Alors que, pour nous, la sécurité des parcours professionnels passe inéluctablement par l’interdiction des licenciements boursiers, par l’instauration d’une fiscalité du capital plus forte, par la modulation des cotisations sociales en fonction de la politique sociale et d’emploi des entreprises, bref, par un renforcement de la responsabilité sociale des entreprises, vous faites quant à vous le pari inverse.
J’en veux pour preuve que le Gouvernement a été le premier à instaurer une taxe sur les retraites pour financer la dépendance, plutôt que de créer, comme nous le proposions, une taxe sur les revenus financiers des entreprises.
J’en veux également pour preuve la manière dont vous avez permis, à l’occasion de la loi dite de « sécurisation de l’emploi », aux dirigeants d’entreprises de licencier sans motif économique les salariés qui refuseraient d’appliquer les accords de compétitivité, imaginés hier par Nicolas Sarkozy et Mme Parisot.
J’en veux encore pour preuve la manière dont vous avez imposé un allongement de la durée de cotisations sociales pour accéder à la retraite quand, dans le même temps, vous réduisiez les cotisations patronales sur la branche famille.
La réalité, c’est qu’il ne suffit pas de déclarer vouloir sécuriser l’emploi pour le faire réellement. La proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle en est un exemple de plus. Or comment garantir la sécurité des parcours professionnels sans s’attaquer à la racine du mal, c’est-à-dire sans combattre réellement et de front les conséquences désastreuses du capital et de son appétit sur le travail et les salariés ?
Certains, au MEDEF et parfois même à gauche, hélas ! semblent n’avoir, pour relancer notre économie, qu’un seul mot, celui de la réduction des coûts. Des coûts qui, soyons clairs, sont toujours salariaux ou sociaux. Ceux-là ne s’intéressent jamais à un autre coût, bien plus préoccupant à nos yeux, celui du capital.
Voilà peu, une étude a été menée par des économistes du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, le CLERSÉ, à la demande de la CGT et de l’Institut de recherches économiques et sociales, l’IRES. Cette étude ne manque pas d’intérêt : elle montre que ce surcoût du capital est considérable. À titre d’illustration, en 2011, il représentait en France, pour l’ensemble des sociétés non financières, 94, 7 milliards d’euros. Or cette captation par les actionnaires et les dirigeants des richesses produites dans les entreprises n’est pas sans conséquence sur la question de la formation professionnelle. Ces sommes accaparées pourraient utilement être consacrées à la recherche, à la modernisation des outils productifs, à l’investissement et à la formation des salariés.
Ces sommes colossales, qui ne servent aujourd’hui qu’à enrichir une minorité et à alimenter la bulle spéculative, manquent en réalité à l’économie réelle et privent les entreprises des moyens dont elles ont besoin pour se développer et réussir les innovations de demain. Cette ponction du capital nous prive en fait des outils dont nous avons besoin pour faire en sorte que les entreprises soient demain plus compétitives. Cette compétitivité retrouvée ne passera que par l’innovation et celle-ci suppose, outre un renforcement massif des moyens dédiés à la recherche et à l’investissement, des salariés formés aux techniques de pointe et aux enjeux de demain, notamment environnementaux.
En ce sens, parler de formation professionnelle, c’est parler inéluctablement du partage des richesses. De la même manière qu’hier, pour financer la protection sociale, le législateur a imaginé une ponction sur les richesses produites, nous sommes convaincus que, pour assurer un haut niveau de formation, il faut réduire la part de ces richesses qui alimentent le capital, il faut penser une nouvelle contribution sociale, mutualisée et solidaire, pour financer la formation professionnelle, soit l’inverse de ce qui est proposé dans le projet de loi. Car, ne l’oublions pas, sous prétexte d’instaurer un taux unique de contributions patronales, vous réduisez celui-ci de 1, 6 % de la masse salariale à 1 % !
Comme s’il était possible de former plus et mieux avec des ressources réduites. Nous en doutons ! D’autant que cette mesure profitera aux entreprises les plus grandes, qui, non contentes de bénéficier d’une réduction notable de leur obligation de financement, pourront désormais faire le choix de ne plus mutualiser une partie de celui-ci, au détriment bien entendu des salariés des petites entreprises. Sans doute s’agit-il ici d’une anticipation de ce que sera le « pacte de responsabilité », à savoir des cadeaux faits au patronat, sans contreparties réelles.
La création de la sécurité sociale professionnelle que nous souhaitons bâtir repose également sur un principe d’universalité totale, de telle sorte que l’ensemble de nos concitoyens, en activité ou privés d’emploi, puissent acquérir des droits individuels et entièrement transférables leur garantissant l’absence de périodes de chômage.
En la matière, je dois dire que certaines dispositions prévues à l’article 1er sont salutaires. Je pense par exemple au fait que, contrairement aux dispositions actuellement en vigueur, les droits accumulés sur le compte personnel de formation le seront tout au long de la vie professionnelle et non uniquement pour une période de deux ans.
De la même manière, nous apprécions le fait que, comme nous l’avions proposé en 2009 et lors de l’examen du projet de loi relatif à la sécurisation des parcours professionnels, vous ayez supprimé la disposition qui privait les salariés licenciés pour faute de la possibilité de conserver les droits accumulés au titre de leur droit individuel à la formation.
Pour autant, cela ne suffit pas à assurer réellement la formation de tous les salariés. Les salariés à temps partiel, qui sont les plus fragilisés économiquement, qui sont les plus soumis aux risques économiques et qui, dans l’immense majorité des cas, sont des femmes, continueront demain à être soumis à la règle de la proratisation, qui veut que les salariés à temps partiel ne puissent accéder qu’à des droits partiels en matière de formation. Maintenus dans la précarité, ces salariés demeureront parmi ceux qui peineront encore demain à accéder à la formation professionnelle. Des salariés que ce projet de loi n’épargne d’ailleurs pas, en repoussant de plusieurs mois, sans doute jusqu’à l’adoption du pacte de responsabilité, la règle de l’interdiction des contrats à temps partiel inférieurs à vingt-quatre heures.
Nous demeurons également inquiets quant au champ réel que recouvre le projet de loi. En effet, dans sa rédaction actuelle, il prévoit que les salariés qui ont perdu leur emploi pourront prétendre à la portabilité des droits acquis. La notion de perte ayant un caractère involontaire, nous sommes conduits à nous interroger sur le sort qui sera réservé aux salariés qui auront démissionné ou qui auront, de leur plein gré ou de manière plus ou moins contrainte, signé une rupture conventionnelle.
De la même manière, le projet de loi prévoit que le compte personnel de formation sera ouvert aux demandeurs privés d’emploi, sans préciser si cette expression inclut ceux qui ne sont pas inscrits à Pôle emploi ou qui ne perçoivent aucune indemnisation. Ces derniers sont quasiment plus nombreux que les chômeurs inscrits et indemnisés.
Assurer à toutes et à tous un droit effectif à la formation professionnelle tout au long de la vie suppose d’élever nos ambitions collectives et de faire confiance aux salariés. Dans cet esprit, nous refusons que les employeurs puissent avoir leur mot à dire sur le contenu des formations ; ils ne disposent d’aucune compétence en la matière. C’est aux pouvoirs publics, en lien avec les professionnels de la formation, avec les représentants des employeurs et des salariés, de définir quelles formations peuvent ou non être éligibles. La ligne doit être claire : favoriser l’accès aux formations les plus qualifiantes, de telle sorte qu’elles constituent une opportunité pour les salariés.
Assurer à toutes et à tous un droit effectif à la formation professionnelle tout au long de la vie suppose également de lever l’ensemble des freins que rencontrent les salariés. Je pense par exemple au fait que les employeurs puissent s’opposer à ce que le salarié se forme dès lors que la formation se déroule pendant le temps de travail.
Nous le savons pourtant toutes et tous, il est bien plus difficile de se former en dehors du temps de travail, après des journées professionnellement déjà bien remplies. D’autant que se pose la question terriblement concrète, mais réelle, de la conciliation des formations en dehors du temps de travail avec la vie privée et familiale. Malheureusement, la société est telle que, là encore, ce sont les femmes qui subissent cette double peine. C’est pourquoi, au groupe CRC, nous défendons l’idée que l’utilisation du compte personnel de formation soit impérativement individualisée. Autrement dit, il appartient au salarié et à lui seul de décider de la formation qu’il entend poursuivre et des conditions de sa réalisation.
Au regard des éléments que je viens de soulever, vous devinez, monsieur le ministre, combien nous aurions souhaité que vous alliez plus loin, par exemple en supprimant la référence à un plafond d’heures cumulables sur le compte personnel de formation ou même en organisant une portabilité totale du congé individuel de formation, dont le mécanisme ne fait l’objet d’aucune mesure.
Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots de l’articulation que vous proposez entre l’État et les régions.
Comme vous et avec celles et ceux qui, dans les régions, ont la responsabilité d’animer les politiques régionales en matière de formation, nous sommes convaincus de la pertinence de cet échelon. Pour autant, il nous semble important de réaffirmer que la formation professionnelle doit rester dans un cadre national, afin que chacun puisse bénéficier d’un égal accès à la formation.
Nos craintes en la matière sont importantes, car le projet de loi confie aux régions des missions en matière de formation professionnelle qui ne sont pas les leurs aujourd’hui. Ainsi, lorsqu’il est prévu que les régions assument l’information et l’orientation en matière de formation professionnelle tout au long de la vie, faut-il comprendre que l’orientation scolaire leur sera transférée ? Qu’adviendra-t-il des centres d’information et d’orientation, les CIO ? Parties prenantes du service public national de l’orientation, ils contribuent à garantir aux jeunes une information et des formations de qualité.
Notre crainte en la matière est que, demain, les CIO soient intégrés dans une logique de guichet unique, avec le risque que, par le biais de conventions entre les régions et différents acteurs, cohabitent des structures publiques et des structures privées, sans que les rectorats et l’éducation nationale puissent s’assurer de la qualité des informations prodiguées ou des formations proposées.
Je pourrais évidemment poursuivre sur le rôle des régions en matière de formation professionnelle, mais, le temps m’étant compté, j’y reviendrai lors de l’examen des articles.
Pour conclure – trop rapidement compte tenu du peu de temps qu’il me reste –, je tiens à vous exprimer, monsieur le ministre, notre opposition aux dispositions relatives à l’inspection du travail. Il s’agit d’une opposition de forme et de fond.
En intégrant cette question dans le projet de loi, censé transcrire dans la loi un accord national interprofessionnel, vous agissez comme d’autres le faisaient hier et que nous condamnions ensemble. Vous prenez appui sur un texte qui est le fruit d’une négociation et d’un accord pour imposer une mesure qui, vous le savez, n’a pas fait l’objet d’une concertation et est loin de faire l’unanimité. À tout le moins, vous auriez dû, comme vous l’avez fait avec les élections prud’homales, séparer des sujets qui n’ont rien à voir entre eux.
Quant au fond, nous sommes sceptiques, pour ne pas dire inquiets.
Si nous ne refusons pas l’idée que les inspecteurs puissent disposer demain de plus de pouvoirs, nous sommes opposés à la réorganisation qui accompagnerait cette montée en puissance. La disparition des sections d’inspection du travail actuelles et la création d’unités de contrôle au sein desquelles la répartition des entreprises et des secteurs géographiques sera confiée à un responsable, couplée à un renforcement de l’autorité hiérarchique sur les pouvoirs de contrôle des inspecteurs et contrôleurs du travail, nous font craindre à terme la disparition de l’autonomie d’action des inspecteurs et contrôleurs qui leur permettait d’agir librement, en dehors de toute pression, et notamment sur la base des informations transmises par les salariés eux-mêmes. C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe CRC, j’ai déposé un amendement de suppression de ces dispositions.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les insuffisances que nous avons constatées, nos craintes quant à certaines dispositions et notre opposition à d’autres nous conduiront, à moins qu’une part significative de nos amendements ne soit adoptée – j’ai bon espoir qu’il en soit ainsi, car il y a toujours un esprit constructif dans cet hémicycle –, à voter contre le texte.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le niveau élevé du chômage et l’accélération des mutations économiques doivent nous conduire à considérer le développement des compétences et des qualifications comme un outil majeur de l’accès, du maintien ou du retour à l’emploi des personnes et de la compétitivité des entreprises.
Le potentiel humain est la principale richesse de nos entreprises et sa valorisation peut en faire un véritable moteur de la croissance. Pourtant, force est de constater que notre système de formation est complexe, cloisonné et opaque, en un mot : inefficace. Ce constat, nul ne peut le contester. N’oublions pas que l’architecture actuelle de notre système de formation professionnelle date de 1971 et de la loi Delors, à une époque où le chômage n’existait presque pas. Il s’agissait alors de faciliter la promotion professionnelle et sociale, de donner en quelque sorte une seconde chance à tous les salariés qui n’avaient pas bénéficié d’une solide qualification au cours de leur formation initiale. Aujourd’hui, les besoins ne sont plus les mêmes, et si de nombreuses réformes ont permis quelques adaptations, aucune réforme globale n’a jamais été entreprise.
De nombreux rapports ont pourtant mis en évidence la nécessité de faire évoluer un système qui montre ses limites, en passant d’une logique de dépense à une logique d’investissement et en répondant aux besoins de sécurité et de promotion professionnelles des salariés. La France souffre en effet d’une inadéquation structurelle entre les compétences disponibles sur le marché du travail et les besoins nécessaires à la relance de son économie. Selon une étude parue en mars 2012, cette inadéquation produirait, à l’horizon de 2020, 2, 3 millions d’actifs n’ayant pas les qualifications nécessaires, alors que 2, 2 millions d’emplois seront non pourvus faute de compétences disponibles, avec un risque élevé que cette pénurie n’entraîne une délocalisation des activités concernées.
Malgré un financement considérable – 32 milliards d’euros –, le système profite surtout aux salariés qui en ont le moins besoin, c’est-à-dire aux salariés les plus qualifiés et à ceux issus des grandes entreprises. Les chiffres sont à cet égard éloquents : 56, 5 % des ingénieurs et des cadres, contre seulement 32, 4 % des ouvriers et 53 % des salariés dans les entreprises de plus de 1 000 employés, contre 29 % dans les très petites entreprises accèdent à une formation.
Nous le voyons bien, le système ne répond pas de manière satisfaisante aux besoins des salariés les plus vulnérables et les moins qualifiés. Selon un récent rapport, particulièrement critique, de l’Inspection générale des affaires sociales, seul un chômeur sur cinq bénéficierait d’une formation. C’est dans cet esprit que le Gouvernement a demandé aux partenaires sociaux d’engager une négociation en vue de réformer en profondeur la formation professionnelle. L’accord national interprofessionnel du 14 décembre dernier a jeté les bases du texte que nous examinons aujourd’hui.
Monsieur le ministre, nous saluons donc votre initiative d’avoir associé les partenaires sociaux, conformément aux vœux du Président de la République, qui affirmait : « Il n’y aura pas de loi dans le domaine de la vie économique et sociale qui pourrait être votée par le Parlement sans qu’il y ait eu une phase de dialogue et de concertation. » Nous devons bien évidemment nous en réjouir.
Après les emplois d’avenir, les contrats de génération et la sécurisation de l’emploi, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est un outil supplémentaire pour lutter contre le chômage et favoriser le retour à l’emploi. Cette réforme doit permettre « de renouer avec l’esprit de la loi Delors, qui prônait la promotion sociale des individus », comme l’a rappelé le Président de la République en ouverture de la deuxième conférence sociale. Il fallait surtout une réforme globale qui place l’individu au centre du dispositif et qui permette de passer d’une obligation de payer à une obligation de former. La formation doit être considérée comme un investissement et non plus comme une dépense.
La mesure phare de ce texte réside dans la mise en place du compte personnel de formation, créé par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Le CPF constitue un outil privilégié dans la réforme de notre système de formation. Ce dispositif permettra enfin à un grand nombre de salariés et de demandeurs d’emploi de se former. Surtout, il sera attaché à la personne et non plus au contrat de travail. Par ailleurs, l’augmentation du plafond à 150 heures, qui représentent le minimum horaire pour une formation qualifiante, est une avancée significative.
Nous saluons également la mise en place d’un entretien professionnel pour l’ensemble des salariés ainsi que la création du conseil en évolution professionnelle. Le texte prévoit également un bilan tous les six ans des actions accomplies et une sanction de l’employeur qui n’aura pas rempli ses obligations.
Toutes ces innovations vont dans le sens d’une meilleure sécurisation des parcours professionnels et apportent de nouvelles garanties aux travailleurs.
Concernant la gouvernance du système, la compétence de la région est enfin réaffirmée et renforcée. Elle sera dorénavant le véritable chef de file de la formation professionnelle, et plus seulement un financeur. Elle sera aussi chargée de la formation des personnes handicapées, des détenus et des Français établis hors de France, elle organisera les actions de lutte contre l’illettrisme et les formations pour acquérir le socle minimal de connaissances. La région devient l’échelon pertinent pour l’élaboration d’un service public régional de l’orientation et de la formation professionnelles tout au long de la vie, ce qui permettra d’améliorer le service rendu aux usagers par une meilleure prise en compte des besoins des entreprises et des territoires.
En matière d’apprentissage, il faut, à mon avis, aller plus loin. Une véritable réforme de l’apprentissage exige surtout une nécessaire valorisation de cet outil, qui souffre toujours aujourd’hui d’une image négative. Encore trop souvent considéré comme une « voie de garage », l’apprentissage constitue pourtant un véritable rempart contre le chômage. En effet, 60 % des apprentis décrochent un CDI à la fin de leur contrat d’apprentissage. Si nous voulons atteindre le niveau de l’Allemagne, où 60 % des entreprises ont recours à l’apprentissage, il nous faudra redoubler d’efforts.
S’agissant du deuxième volet portant sur « la démocratie sociale », nous en partageons l’essentiel et surtout l’esprit, à savoir la volonté de clarification : clarification dans le domaine de la représentativité des organisations patronales, du financement de la démocratie sociale, avec la création d’un fonds abondé à la fois par l’État et les entreprises, et enfin des comités d’entreprise. Sur ce dernier point, les mesures proposées renforceront, j’en suis sûre, la légitimité de ces instances sur lesquelles pèse depuis trop longtemps un climat de suspicion. Il fallait en finir avec une réglementation opaque, propice à une gestion inefficace dénoncée à maintes reprises par la Cour des comptes.
Enfin, nous comprenons que la réforme de l’inspection du travail ait pu susciter quelques inquiétudes, et je m’interroge effectivement sur l’opportunité d’introduire ce volet dans un projet de loi sur la formation professionnelle. Peut-être aurait-il été préférable de se pencher sur le sujet à l’occasion de l’examen d’un texte spécifique.
Pour autant, je sais que vous travaillez à cette réforme depuis un an et demi et que les amendements adoptés à l’Assemblée nationale ont réaffirmé l’indépendance des agents de contrôle, telle que prévue par la convention n° 81 de l’Organisation internationale du travail. Le texte précise désormais que les inspecteurs « disposent d’une garantie d’indépendance dans l’exercice de leurs missions » et qu’ils sont « libres d’organiser et de conduire des contrôles à leur initiative » et de décider « des suites à leur apporter ».
Monsieur le ministre, parce que ce projet de loi fait de la formation un levier de promotion sociale et professionnelle, un outil contre le chômage et un investissement indispensable à la relance de l’économie nationale, le groupe du RDSE, dans sa très grande majorité, lui apportera son soutien.
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est très important et très attendu. Après la loi relative à la sécurisation de l’emploi, qui avait notamment pour objet de limiter l’impact des difficultés conjoncturelles des entreprises sur l’emploi, le présent projet de loi vise à faire de la formation professionnelle un levier de qualification pour tous les actifs. Ce texte relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est issu en partie de l’accord national interprofessionnel conclu le 14 décembre dernier.
Avant d’en venir au contenu du projet de loi, je voudrais formuler deux remarques.
La première concerne la méthode utilisée par le Gouvernement, fondée sur la concertation et le dialogue social. N’en déplaise à certains, l’exercice de la démocratie sociale est non pas un frein, mais bien une force. Le fait que cet ANI ait été signé par la majorité des partenaires sociaux et non par l’ensemble ne le rend absolument pas illégitime. C’est le principe même de la démocratie, qu’elle soit politique ou sociale.
La seconde remarque porte sur le travail parlementaire. J’entends bien ceux qui déplorent la contrainte de temps qui a pesé sur l’examen de ce texte. Il est indéniable que nous avons dû travailler rapidement. Je veux d’ailleurs ici saluer le travail – l’exploit, oserais-je dire – réalisé par Claude Jeannerot. Dans ce temps contraint, notre rapporteur a su organiser toutes les auditions nécessaires et nous présenter un rapport de très grande qualité et très pédagogique – tous les membres de la commission des affaires sociales l’ont précisé – sur des sujets parfois très techniques. Toutefois, mes chers collègues, je me souviens d’autres textes pour lesquels cela a été bien pire. Souvenez-vous de la réforme des retraites de 2010 ou, auparavant, de la réforme « Hôpital, patients, santé, territoires » de 2009, dont l’examen, oserais-je le dire, a été particulièrement ubuesque.
Venons-en au fond du projet de loi.
Plus de quarante ans après la loi fondatrice de 1971, dite « loi Delors », le système de formation professionnelle se caractérise par sa complexité et son cloisonnement. N’est-ce pas, monsieur le président ?
Son financement, qui s’élève à 32 milliards d’euros par an, demeure d’une opacité aussi totale que néfaste. Pourtant, tout le monde en convient, la formation professionnelle est un outil essentiel de la gestion des ressources humaines des entreprises. Le texte que nous examinons vise à refaire de la formation professionnelle un levier de qualification de tous les actifs et donc un facteur de compétitivité pour nos entreprises et de sécurisation des salariés dans leur parcours professionnel.
Aujourd’hui, le constat que nous pouvons dresser laisse apparaître que la formation professionnelle est faiblement qualifiante et ne représente que 11 % des formations suivies. En outre, je le rappelle, il existe d’importantes disparités. Ainsi, l’accès à la formation est bien souvent conditionné par la taille de l’entreprise : 53 % des salariés d’entreprises de plus de mille salariés en bénéficient, contre 29 % seulement dans une entreprise de moins de dix salariés.
Cette disparité affecte aussi les catégories socioprofessionnelles : 56, 5 % des cadres y accèdent, contre 32, 4 % des ouvriers. Cela ne signifie pas, comme le dit M. Desessard, que nous ne voulons pas que les cadres ne bénéficient pas d’une formation ; nous voulons qu’un plus grand nombre d’ouvriers y aient accès.
Cette disparité existe aussi selon le sexe, puisque seulement 15 % des femmes accèdent à une formation qualifiante, …
… contre 22 % des hommes ; ma collègue Catherine Génisson y reviendra plus précisément.
Enfin, alors que lutter contre le chômage est une nécessité, en 2011, seuls 20 % des demandeurs d’emploi ont entamé une formation.
En définitive, ce système renforce les inégalités et a une efficience toute relative.
Malgré plus de 13, 7 milliards d’euros consacrés annuellement à la formation par les entreprises – soit bien plus que les obligations légales –, les enjeux prioritaires ne trouvent que peu de réponses satisfaisantes. Sans doute la complexité de notre système participe-t-elle de ce bilan. Je pense non seulement aux divers taux de contribution, mais aussi à la multiplicité des collecteurs ; j’y reviendrai tout à l’heure. Tout cela freine considérablement l’accès à la formation, pénalise nos concitoyens, nos entreprises et donc notre société.
En la matière, réformer, c’est faire de la formation professionnelle un instrument mobilisable à chaque instant, et il s’agit là d’une véritable révolution. Ainsi, l’article 1er a-t-il pour objet d’instaurer le compte personnel de formation. À la différence du droit individuel à la formation, encore attaché au statut professionnel, le CPF est attaché à la personne, quelle que soit sa situation au regard de l’emploi, et ne pourra être utilisé sans l’accord du titulaire. Le compte personnel de formation sera ouvert à tous les actifs dès l’âge de seize ans et aura une validité permanente jusqu’au départ à la retraite. Ce compte sera opposable pour acquérir le socle de connaissances et de compétences.
Mes chers collègues, ayons toujours à l’esprit que, dans notre pays, plus de deux millions de personnes sont illettrées et ne disposent pas des savoirs de base indispensables au quotidien et à l’accès à l’emploi. Via l’entretien professionnel, le salarié deviendra acteur de son devenir. Il ne sera plus dépendant des volontés de son employeur et pourra négocier la nature et la qualité de ladite formation. Il disposera donc d’un véritable pouvoir de choix de formation.
Ce compte sera crédité, cela a été dit, à hauteur de 2 heures par mois dans une limite de 120 heures, puis de 1 heure par mois jusqu’au plafond de 150 heures. Au-delà, il pourra être complété – j’y insiste en direction de nos collègues de l’opposition – par abondements supplémentaires, soit une centaine d’heures pour les salariés n’ayant pas connu d’évolution de leur situation professionnelle durant les six dernières années. Ce volume d’heures pourra également être revu à la hausse dans le cadre d’un accord d’entreprise ou de branche. S’ajoutent les heures que pourront prendre à leur charge les divers financeurs. Enfin, le financement du CPF est garanti au moyen du versement, par l’employeur, de 0, 2 % de la masse salariale.
À travers l’ANI, les partenaires sociaux se sont accordés pour transformer l’obligation de dépenses en une obligation de former. Aujourd’hui, le financement de la formation par les entreprises est soumis à des taux très divers selon leur taille. La mutualisation par les OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés, est parfois faible en faveur de ceux qui ont le plus besoin de formation, c’est-à-dire les salariés des plus petites entreprises. Le projet de loi institue une contribution au taux unique de 1 %, qui sera entièrement mutualisée au sein des OPCA.
Pour être allée, comme vous tous, à leur rencontre, j’entends bien la crainte des dirigeants de PME de voir la formation professionnelle diminuer au sein de leur entreprise. Je veux néanmoins rappeler qu’aujourd’hui le système est tellement peu redistributif que les PME de moins de cinquante salariés financent à hauteur de 50 millions d’euros par an la politique de formation des entreprises de plus grande taille. Pour autant, dans certaines régions, la mutualisation fonctionne mieux en faveur des petites entreprises, et il faudra être vigilant pour que cela puisse se poursuivre. L’évolution des missions des OPCA doit les conduire à développer une véritable offre de service à destination des entreprises, particulièrement des PME, partout sur le territoire.
Le conseil en évolution professionnelle est un service gratuit répondant à un cahier des charges national, mis en œuvre à l’échelon régional, qui doit apporter un appui aux personnes ayant besoin d’un conseil pour leur orientation professionnelle. Les cinq organismes cités dans le projet de loi chargés de ce conseil sont bien sûr incontestables. Néanmoins, il est important que les régions puissent s’appuyer sur d’autres organismes compétents, là où ils existent, comme les cités des métiers, les maisons de l’emploi, les plans locaux pour l’insertion et l’emploi, mais aussi les services de l’éducation nationale comme les centres d’information et d’orientation, qui peuvent contribuer eux aussi au service public régional de l’orientation. En se voyant confier l’organisation et le financement du service public régional de la formation professionnelle, la région en devient le chef de file.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi maintenant d’évoquer ici l’importance des articles 3 et 10 concernant la réforme du financement de l’insertion par l’activité économique.
Les mesures prises au sein du projet de loi ont pour objet d’adapter les dispositions existantes du code du travail en vue de l’entrée en vigueur de la réforme du financement des structures d’insertion par l’activité économique dans le courant de 2014. Cette réforme du financement de l’IAE se traduira par la généralisation, en 2014, d’une seule modalité de financement à toutes les structures d’insertion par l’activité économique : l’aide au poste d’insertion.
La loi de finances pour 2014 a supprimé le taux de prise en charge financière spécifique des contrats uniques d’insertion et des contrats d’accompagnement dans l’emploi conclus en ateliers et chantiers d’insertion, les ACI, auparavant fixé à 105 % du SMIC. Pour les ACI, l’aide au poste se substituera donc aux aides actuellement accordées via les contrats aidés à compter des embauches conclues à partir du 1er juillet 2014. Dans ce nouveau cadre, les embauches financées par aide au poste seront réalisées dans toutes les structures d’insertion par l’activité économique sous la forme de contrats à durée déterminée d’insertion.
L’article 10 permet aussi de garantir la continuité des parcours d’insertion dans les ateliers et chantiers d’insertion et les structures d’insertion par l’activité économique.
Les possibilités de recrutement par les collectivités territoriales et de dérogation individuelle à la durée hebdomadaire de travail qui existent actuellement pour les contrats aidés sont transposées pour les contrats à durée déterminée d’insertion en structures d’insertion par l’activité économique, afin de garantir la continuité des parcours d’insertion proposés aux personnes éloignées de l’emploi, quel que soit le support contractuel des embauches. Lors de l’examen en séance d’un amendement du député Christophe Cavard déposé à l’Assemblée nationale, un alinéa sur les groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification a été inséré, dont l’objet est de préciser que les GEIQ peuvent bénéficier d’une reconnaissance dans des conditions fixées par décret.
Le projet de loi que nous examinons crée donc les conditions de l’accès à la formation pour les salariés des structures de l’insertion par l’activité économique à travers les périodes de professionnalisation et de préparation opérationnelle à l’emploi.
Monsieur le ministre, la question de l’agrément pour les structures d’insertion par l’activité économique n’est pas abordée dans le texte de loi. Néanmoins, je ne doute pas qu’une solution puisse être trouvée dans les prochains mois afin que tous les salariés de l’IAE et leur structure employeuse puissent bénéficier, dans des conditions adaptées à leur parcours, de cet agrément.
Certains articles du projet de loi concernent l’apprentissage. M. le rapporteur pour avis, François Patriat, qui l’a évoqué tout à l’heure, a rédigé un rapport sur ce sujet. Force est de constater qu’un certain nombre de ses préconisations sont reprises dans le texte : le contrat d’apprentissage en contrat à durée indéterminée ou la clarification des missions des centres de formation d’apprentis, les CFA, transférés aux régions. Désormais, en lien avec le service public de l’emploi, notamment les missions locales, ces centres assisteront les jeunes dans la recherche d’un employeur. Ils chercheront aussi à résoudre les difficultés sociales et matérielles parfois très pénalisantes pour les apprentis. Ces dispositions, je n’en doute pas, seront de nature à sécuriser employeurs et apprentis et permettront d’atteindre l’objectif de 500 000 apprentis en 2017.
Je veux insister sur l’enjeu qu’il y a pour l’apprentissage de permettre aux jeunes d’atteindre le premier niveau de qualification. Les évolutions de ces dernières années, qui ont vu l’apprentissage se développer dans les niveaux de qualification supérieure, ne doivent pas se substituer aux formations préparant à une première qualification.
La gouvernance, en matière de formation professionnelle, a besoin d’être clarifiée et simplifiée : l’article 14 du projet de loi crée le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, qui remplace le CNE, le CRE et le CPNFPE – vous savez tous de quoi il s’agit.
Sourires.
Mon collègue Georges Labazée reviendra dans la suite de nos débats sur le rôle des régions dans le pilotage et le financement de la formation professionnelle. Par ailleurs, je laisserai le soin à Patricia Schillinger d’évoquer le titre II relatif à la démocratie sociale. Pour ma part, je conclurai mon intervention avec le titre III, qui est consacré à l’inspection et au contrôle et qui, nous le sentons bien, fait débat au sein de notre assemblée.
Mes chers collègues, la bataille de l’emploi, c’est aussi la bataille du travail et de sa qualité.
Il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux coûts que suscitent pour la collectivité les accidents du travail et les maladies professionnelles ainsi qu’aux 12 milliards d’euros que représentait cette branche de la sécurité sociale en 2011 – Jean-Pierre Godefroy pourrait nous en dire beaucoup plus sur ce sujet.
Ainsi, à travers les articles 20 et 21, le Gouvernement a décidé de se doter des moyens permettant de veiller au respect des droits des travailleurs. Les services de l’inspection du travail sont réorganisés dans un sens plus collectif et plus efficace. L’indépendance des agents est garantie et leurs pouvoirs d’intervention élargis. Quant au dispositif de sanction des infractions, il est amélioré, tout comme le contrôle de l’apprentissage et de la formation professionnelle.
Nous venons de le voir, le projet de loi frappe par sa cohérence et par sa portée innovante. Attendu par l’ensemble des partenaires sociaux et par nos concitoyens, il s’inscrit dans un monde en mouvement nécessitant adaptation et non pas renonciation.
C’est sur la base des valeurs fortes que nous défendons, la justice, la responsabilité et la liberté, que le projet de loi met en œuvre une série de réponses aux enjeux majeurs que sont la formation professionnelle et la démocratie sociale.
Malgré les divergences exprimées par nos collègues de l’opposition, ainsi que par les membres de certains groupes de la majorité sénatoriale, j’espère que nos débats contribueront à rapprocher nos positions et que nous pourrons, ensemble, enrichir encore le présent texte. Celui-ci constitue en effet une avancée de premier ordre pour notre histoire sociale et, surtout, pour chaque femme et chaque homme de notre pays.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
M. Charles Guené remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je centrerai mon propos sur la question de l’apprentissage. Toutefois, en préambule et en complément des éléments qui ont déjà été présentés par M. Cardoux, je formulerai quelques remarques d’ordre général sur l’organisation de la formation professionnelle et sur le texte que le Gouvernement nous présente aujourd’hui.
Les réformes de la formation professionnelle se succèdent à échéance régulière : 2004, 2009, 2013...
Or les constats qui président à son évolution sont toujours les mêmes.
Tout d’abord, notre système se caractérise par son iniquité. La formation ne profite pas prioritairement à celles et ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les demandeurs d’emploi et les travailleurs les moins qualifiés. Les évaluations montrent que, plus le salarié a cessé tôt sa formation initiale, moins grandes sont ses chances de la compléter par la suite.
Ensuite, la formation professionnelle se caractérise par sa complexité et son opacité. Il y a un très grand nombre de prestataires de formation. Il y a un très grand nombre de dispositifs de formation existants. Cette complexité est d’ailleurs un vecteur d’iniquité, dans la mesure où le choix d’une formation appropriée et l’accès à son financement relèvent d’un véritable parcours du combattant qui conduit à écarter les moins qualifiés.
J’avais déjà dressé ce constat en 2007, en élaborant mon rapport sur la formation professionnelle. J’avais alors dénoncé un système caractérisé par ce que j’appelais les « trois C » : la complexité, le cloisonnement et – le troisième n’est pas des moindres – les corporatismes. Mme Demontès en a cité les deux premiers. Je la gratifie donc d’une bonne note !
Sourires.
Nouveaux sourires.
Ces « trois C » ont des effets dévastateurs. Des priorités consensuelles s’égarent dans la complexité, se contredisent dans les corporatismes et s’immobilisent dans les cloisonnements.
Face à ces trois maux affligeant notre système de formation professionnelle, je préconisais trois remèdes centrés sur la personne, les partenariats et la proximité – ce que j’appelais les « trois P ».
Je préconisais que la personne, plus que son statut, soit désormais au centre de la politique de formation professionnelle, afin qu’un sens concret et un contenu effectif soient donnés au concept de formation tout au long de la vie.
Je préconisais que les partenariats soient systématisés et organisés autour de chefs de file identifiés, afin de rendre possible une meilleure allocation des moyens.
Je préconisais enfin que la proximité soit sans cesse renforcée, afin de favoriser l’accès de tous à la formation et de répondre aux besoins et aux diversités des territoires.
Monsieur le ministre, je me réjouis que vous repreniez trois de mes propositions : premièrement, en créant le compte personnel de formation – je l’appelais, pour ma part, « compte épargne formation », mais la terminologie n’a pas beaucoup d’importance ; deuxièmement, en mettant fin à une partie du financement des organisations syndicales par les fonds dédiés à la formation professionnelle ; troisièmement, en réduisant le nombre des organismes collecteurs.
La création d’un compte personnel de formation attaché à la personne représente une réelle avancée. Néanmoins, le plus dur reste à faire : résoudre les problèmes de gouvernance et de financement.
À mon sens, la gouvernance doit être assurée à trois niveaux : tout d’abord, au niveau de l’État, qui doit être garant de l’équité sur l’ensemble du territoire ; ensuite, au niveau de la région, qui doit être l’acteur principal de la cohérence et de la stratégie ; enfin, au niveau du bassin d’emploi et de formation, qui doit être le principal levier d’action.
Concernant les questions de financement, je ne reviendrai pas sur ce que M. Cardoux a déjà présenté. Je formulerai une remarque d’ordre général : la formation professionnelle n’est dans bien des cas qu’un palliatif tardif et extrêmement coûteux à une formation initiale défaillante. La priorité, aujourd’hui, c’est de s’attaquer à la racine du mal.
Les difficultés que rencontre la formation professionnelle pour répondre aux demandes de ceux qui en ont le plus besoin prennent leurs racines au début de la formation initiale. La recherche en éducation a établi que la petite enfance est la seule période appropriée pour poser les fondations du succès de tous les élèves et lutter efficacement contre les inégalités sociales. Tous les pays qui ont cherché à rationaliser la dépense publique ont investi davantage sur les enseignements précoces. Ils présentent aujourd’hui des taux de diplomation dans le supérieur plus élevés que la France et ont prémuni leur jeunesse contre le fléau du chômage. À cet égard, je rappellerai quelques chiffres.
Parmi les 150 000 jeunes qui sortent de notre système éducatif sans diplôme et sans qualification, un élève sur deux était en échec scolaire précoce et a redoublé son cours préparatoire.
Par ailleurs, je souligne que 40 % de nos élèves entrent en sixième sans savoir bien lire ni compter, et que ce sont entre 15 % et 20 % de nos jeunes qui sortent du système éducatif en situation d’illettrisme.
Nous ne répéterons jamais assez que le premier problème de la formation professionnelle, c’est la défaillance de notre formation initiale.
J’en viens à l’apprentissage, qui, aujourd’hui, me semble en danger.
Premièrement, je suis frappé depuis plusieurs années que l’intelligence de la main ne soit pas reconnue à sa juste valeur. Notre pays continue de hiérarchiser les formes d’intelligence, et le développement de l’apprentissage pâtit incontestablement de cette représentation. Nos voisins allemands ont fait de l’apprentissage une filière d’excellence : cela explique certainement que le chômage des jeunes soit trois fois plus faible en Allemagne qu’en France.
Deuxièmement, la gauche semble, pour des raisons idéologiques, faire de l’enseignement indifférencié un véritable sanctuaire. Cela explique certainement qu’il n’y ait pas eu, cette année, de campagne nationale de promotion de l’apprentissage.
Troisièmement, je le dis clairement, je suis persuadé que l’objectif fixé par le Président de la République d’inverser la courbe du chômage à la fin de l’année 2013 a largement nui aux entrées en apprentissage.
La majorité a préféré recourir massivement à des « emplois d’avenir », dont la pérennisation me semble loin d’être évidente. A contrario, nous aurions pu créer nombre d’emplois durables grâce à l’apprentissage.
Certes, monsieur le ministre, dans les discours, nous sommes tous d’accord pour développer l’apprentissage. Le Président de la République a fixé un objectif de 500 000 jeunes formés en alternance, c’est-à-dire en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, en 2017. Mais il y a la réalité !
Le nombre d’entrées en apprentissage a reculé de 8 % en 2013 par rapport à 2012. C’est le repli le plus important que notre pays ait connu en la matière depuis dix ans. En d’autres termes, l’entrée en apprentissage se portait mieux au plus fort de la crise économique !
Vous êtes responsable de cette tendance puisque c’est le gouvernement auquel vous appartenez qui, depuis juin 2012, a raboté de 950 millions d’euros les aides accordées à l’apprentissage.
Vous avez supprimé, dans les sociétés de plus de dix salariés, la prime à l’embauche de 1 000 euros.
Vous avez raboté le crédit d’impôt lié à la présence d’apprentis.
Vous avez diminué, en 2013, le montant de la prime versée aux employeurs, durant les deux années de formation qui suivent le recrutement des apprentis.
Sur le budget pour 2014, la plus grande économie opérée a été faite sur l’apprentissage, via une réduction des aides de l’ordre de 550 millions d’euros.
Cependant, j’en conviens, il faut également tenir compte d’un problème de fond : l’éducation nationale ne s’est jamais emparée de la question de l’apprentissage. J’avais déjà dit à Thierry Repentin – solidarité savoyarde oblige
Sourires.
L’une des premières décisions du ministre de l’éducation nationale a été de réduire la portée du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, le DIMA, et de le rendre quasiment inopérant.
Par ailleurs, tant que le classement des collèges reposera sur le taux de passage en seconde, l’apprentissage ne sera pas valorisé. Il s’agit là d’un frein important à son développement.
En outre, tant que les dispositifs d’information et d’orientation que sont l’application d’affectation des élèves sur le net, ou AFFELNET, et le site admission post-bac, ou APB, ne mentionneront pas l’offre de formation par apprentissage, il sera difficile de développer ce dernier.
J’ai déposé un amendement tendant à garantir cette information, et j’espère qu’il sera adopté.
De surcroît, le présent texte supprime les contrats d’objectifs et de moyens. Cela signifie que l’État se désengage totalement de la politique de l’apprentissage et qu’il ne sera donc plus en mesure de piloter le système.
Dès lors qu’il n’y a plus de politique nationale de l’apprentissage, je vois mal comment l’objectif, fixé par le Président de la République, de 500 000 jeunes formés en alternance en 2017 pourrait être atteint.
La diminution du nombre de collecteurs de la taxe d’apprentissage, qui répond à l’objectif de régionalisation de la politique d’apprentissage, est à mon sens une bonne chose.
Toutefois, à terme, nous devrions tendre vers un seul contrat d’alternance, un seul mode de financement et une organisation capable de disposer d’une vision globale de la formation tout au long de la vie. Cela signifie peut-être, au niveau de l’État, un seul ministre en charge des questions de formation initiale, de formation continue et d’emploi.
En conclusion, je veux souligner que la formation est le levier principal de la cohésion républicaine et que, sans elle, la France ne saurait affronter son avenir : celui de la croissance et du progrès. Nous ne pouvons plus tolérer qu’un jeune sur quatre qui sort du système éducatif pousse non la porte d’une entreprise ou d’une administration mais celle de Pôle emploi.
L’amélioration de la performance et de l’équité de notre système de formation est un enjeu considérable pour notre pays. Comme le disait John Fitzgerald Kennedy, « une seule chose est plus coûteuse que la formation permanente, c’est l’absence de formation ».
On dénonce souvent la manne financière de la formation professionnelle, et il est vrai que le budget que notre pays alloue aux formations initiale et professionnelle est extrêmement important. Mais ce qui doit nous réunir aujourd’hui, c’est moins la question des moyens que nous y consacrons que celle de l’efficacité et de l’équité de ce système. Il est temps de mettre un terme à un système de formation qui vit par défaillances successives du maillon précédent. La véritable réforme de la formation commence avec le cycle des apprentissages fondamentaux, tel que l’avait défini Lionel Jospin dans la loi de 1989.
Je ne puis achever mon intervention sans saluer le travail accompli par Claude Jeannerot. Si nous n’avons pas toujours le même avis et les mêmes positions, nous partageons à coup sûr la volonté d’améliorer une situation, qui n’est pas acceptable !
Applaudissements sur les travées de l'UMP . – M. Gérard Roche applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Chantal Jouanno ayant exposé notre position concernant la formation professionnelle, je me concentrerai sur le reste du projet de loi, dont le champ est très large, peut-être même un peu trop. La formation professionnelle étant un sujet à part entière, les autres aspects auraient sans doute pu faire l’objet de textes distincts.
C’est donc une question de méthode qui est posée : est-il lisible de mélanger des sujets qui relèvent de l’article L. 1 du code du travail, qui traite de la concertation avec les organisations paritaires, avec des thèmes qui n’en ressortissent pas ? Il s’agit également d’une question politique : une fois de plus, nous devons légiférer à marche forcée et, surtout, en changeant le moins de choses possible.
J’en viens au fond.
Le thème le plus consensuel de ce texte est l’organisation de la transparence des comptes des comités d’entreprise. Cette mesure, nous la réclamions de longue date. Elle avait été adoptée ici même dans le cadre de la proposition de loi de Mme Procaccia. Il n'était pas compréhensible que seul le comité d’entreprise échappe aux obligations de transparence des comptes.
Dans le même ordre d’idées, nous ne pouvons que souscrire aux mesures de transparence du financement des organisations représentatives.
Les autres volets sont plus problématiques. Certes, l’inscription dans la loi de critères de représentativité des organisations patronales est un progrès. Il était singulier que seule la représentativité des syndicats soit clairement définie par la loi, alors que celle du patronat ne l’était que par la jurisprudence. Mais, à bien y regarder, le progrès n’est que formel, puisque les critères retenus ne changent rien au paysage patronal actuel. Le critère qui évalue la représentativité en fonction du nombre d’entreprises adhérentes est sans aucun doute le plus contesté. Est-il satisfaisant sur le plan de la légitimité démocratique ? Sans doute pas complètement. En ce domaine, ne devrions-nous pas nous inspirer de la représentation parlementaire des États fédéraux ou de l’élection des chambres consulaires ? Telle est notre conviction, et nous déposerons un amendement tendant à transposer ce système à la représentativité patronale.
Nous franchissons un cran supplémentaire dans l’inquiétude avec la question de l’apprentissage, ainsi que M. Carle vient de le souligner.
Nous ne pouvons que souscrire à l’objectif fixé par le Gouvernement de parvenir à 500 000 apprentis d’ici à 2017, ce qui équivaudrait presque à un doublement des effectifs. Comment toutefois concilier un tel volontarisme avec la suppression de l’aide à l’embauche d’un jeune en alternance pour les PME, avec la division par deux, dans la loi de finances pour 2014, du crédit d’impôt en faveur de l’apprentissage, avec la réduction drastique de l’indemnité compensatrice forfaitaire accordée aux entreprises de plus de dix salariés s’investissant dans l’apprentissage et avec la suppression de passerelles entre l’école et l’apprentissage en fin de troisième ? De plus, cela a déjà été signalé, l’apprentissage est cannibalisé par les emplois d’avenir et les contrats de génération.
Les résultats sont là : le nombre de jeunes entrés en apprentissage en 2013 a reculé de 8 % ! Le projet de loi relatif à la formation professionnelle ne semble pas devoir corriger le tir, bien au contraire : 380 millions d’euros sont retirés aux CFA au profit des régions. Or l’efficacité du système repose en grande partie sur le lien tissé par les CFA avec les entreprises. En conséquence, nous déposerons une série d’amendements visant à remédier à cette situation.
Autre sujet qui fâche : la réforme de l’inspection du travail. Elle apparaît dans ce projet de loi comme un cavalier législatif, comme M. Desessard l’a souligné. Schématiquement, le texte pose trois problèmes, qui résonnent entre eux.
Le premier concerne la nature des pouvoirs qui sont conférés aux inspecteurs du travail. Ils doivent être définis de manière à concilier contrôle et liberté d’entreprendre. Au regard de cet impératif, la possibilité de prononcer des amendes administratives ou l’élargissement du dispositif d’arrêt temporaire ne nous semblent pas exorbitants, s’ils sont bien encadrés. En revanche, beaucoup plus problématique au regard de l’intelligence économique est le droit pour les inspecteurs de se faire communiquer tous les documents « nécessaires à l’accomplissement de leur mission ». Ce pouvoir est trop largement défini pour ne pas receler une part de danger. Nous proposerons donc un amendement visant à l’encadrer.
Le deuxième problème touche à l’organisation hiérarchique de l’inspection. Les agents craignent que la création d’unités de contrôle ne porte atteinte à leur indépendance réelle. A contrario, les entreprises, qui craignent, comme vous le savez, l’arbitraire de certaines décisions de l’inspection, doutent de l’efficacité de cette réorganisation.
Le troisième problème n’est tout simplement pas abordé dans le texte : il s’agit des moyens financiers et humains du corps. Pourtant, c’est une clef essentielle.
Tout cela ne permet pas d’avoir une vision claire des perspectives que l’on entend donner à l’inspection du travail. Autrement dit, il eût été préférable de préparer un texte spécifique, assorti du temps nécessaire à son examen. Nous demanderons donc la suppression de l’article en question et le report de la discussion concernant l’inspection du travail.
Le groupe UDI-UC se positionnera sur tous ces sujets en fonction du sort qui sera réservé à ses propositions.
Enfin, je tiens à mon tour à remercier Claude Jeannerot de la qualité du travail d’analyse qu’il a accompli dans des conditions difficiles.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
M. Jean-Claude Carle remplace M. Charles Guené au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale vise à dynamiser la lutte contre le chômage en en constituant l’une des clefs de voûte.
Le système fonctionne actuellement sur l’héritage de la loi fondatrice de 1971, mais se révèle aujourd’hui inadapté. Une évolution s’impose donc, malgré le constat de la bonne productivité horaire des salariés français, qu’il faut rappeler. Cette productivité horaire, qui nous place notamment devant les salariés allemands et nettement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, résulte non seulement des compétences indéniables et reconnues des travailleurs français – en témoigne l’ouverture, dans le Nord, d’une nouvelle chaîne de production par Toyota, qui a embauché 500 contractuels en vue de la construction d’une nouvelle voiture –, mais aussi de leur crainte de perdre leur emploi. Cette crainte, que connaît près d’un salarié sur quatre, est encore accrue par la crise économique que nous connaissons.
La loi de 1971, dite « loi Delors », a rendu possible les promotions individuelles de qualité en instaurant l’obligation pour les entreprises de financer la formation professionnelle des salariés. Mais le fameux ascenseur social, dont cette loi a été l’un des moteurs, se trouve dorénavant ralenti. Ce dysfonctionnement rend nécessaire une réforme de fond intégrant les mutations que connaît notre économie dans une « société en mouvement mondialisé ».
Destiné aux salariés, le système ne tient pas assez compte des publics précaires, des demandeurs d’emploi et de leurs besoins, ainsi que des exigences du marché du travail en termes de qualification, de mobilité et d’évolution permanente. Au sein même de l’entreprise, les salariés les moins qualifiés n’ont que peu accès à la formation professionnelle. En outre, le financement du système de formation se révèle très complexe, dans la mesure où une multitude d’intervenants et de règles en brouillent la compréhension et l’utilisation.
La formation professionnelle est une véritable richesse pour l’entreprise et doit être considérée comme un investissement et non plus comme une obligation.
Au-delà de la simple question de la formation professionnelle, ce texte a pour vocation de répondre aux exigences légitimes de démocratie sociale. Grâce à ce projet de loi, nous approfondissons le sujet de la représentativité des partenaires sociaux, en particulier de la représentativité patronale, quand la loi Larcher a clarifié celle des organisations syndicales.
Le compte personnel de formation constitue la mesure phare de la réforme et illustre notre attachement à la promotion professionnelle de la personne, et non plus au seul statut du salarié, lequel peut avoir connu ou être amené à subir des accidents de parcours. Ces derniers ne remettront plus en cause les droits acquis une fois pour toutes et ne feront plus obstacle à l’acquisition de nouvelles compétences professionnelles.
Au-delà de cette mesure, le projet de loi aborde avec cohérence l’ensemble des sujets relatifs à la formation professionnelle et à la démocratie sociale ainsi que des thèmes qui prêtent à débat, tels que la réforme de l’inspection du travail.
Au vu de l’ambition du projet de loi, je souhaite évoquer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, en rappelant des constats qui nous sont déjà familiers. Mais, après tout, la pédagogie n’est-elle pas l’art de la répétition ?
Les femmes subissent encore aujourd’hui une triple peine, qui débute dès la formation initiale et se poursuit au sein du monde du travail.
Tout d’abord, en matière d’orientation scolaire, alors qu’elles ont en moyenne de meilleurs résultats que les hommes durant la formation initiale, moins de 43 % des femmes obtiennent un baccalauréat scientifique, contre près de 65 % des hommes. Les filles représentent en outre moins d’un tiers des inscrits en classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques.
Ensuite, bien que le taux d’activité des femmes ait fortement augmenté depuis trente-cinq ans, il demeure inférieur de près de 9 points à celui des hommes.
Enfin, les inégalités en termes de salaires perdurent, avec un salaire moyen inférieur de 27 % à celui des hommes sur l’ensemble des temps de travail, de plus de 23 % parmi les cadres du secteur privé et semi-public et de plus de 18 % chez les ouvrières, ainsi qu’une rémunération de près de 33 % inférieure chez les dirigeantes d’entreprises.
Ces constats sont le résultat d’inégalités entre les femmes et les hommes non seulement dans leur orientation au moment de la formation initiale, mais aussi lors de l’accès à la formation professionnelle. Ainsi, la formation professionnelle demeure discriminante pour les salariés peu qualifiés comme pour les employés à temps partiel, qui n’y accèdent que peu. Or les femmes représentent plus de 80 % des emplois à temps partiel, ainsi qu’une majorité des emplois peu qualifiés.
Seules les femmes relevant de la catégorie des cadres bénéficient de plus de possibilités de formation professionnelle que leurs homologues masculins, mais elles demeurent minoritaires, ne constituant que moins de 40 % des effectifs de la catégorie. Les femmes les moins qualifiées, majoritaires dans l’entreprise, ont, elles, bien peu accès à la formation professionnelle. À âge égal, trente-cinq ans, une femme bénéficie de deux fois moins de chances qu’un homme d’accéder à une formation professionnelle.
Le compte personnel de formation s’applique au prorata des heures travaillées, ce qui pose problème pour de nombreux emplois à temps partiel, majoritairement exercés par des femmes. Dans les faits, 15 % des formations suivies par les femmes sont qualifiantes, certifiantes ou diplômantes, contre 25 % de celles que suivent les hommes, alors que le taux d’emploi des femmes, près de 60 %, reste bien inférieur à celui des hommes, qui dépasse 68 %.
Les problèmes de mobilité, de garde d’enfant, de prise en compte des tâches domestiques constituent encore des facteurs discriminants négatifs pour l’accès aux formations professionnelles des femmes. L’examen du texte à l’Assemblée nationale a toutefois apporté des améliorations dans la prise en compte de ces sujets.
Le temps partiel, encore trop souvent subi, et exercé à plus de 80 % par les femmes, reste un sujet prégnant. La loi relative à la sécurisation de l’emploi a permis de définir un plancher hebdomadaire de temps de travail de vingt-quatre heures, assorti d’un certain nombre de dérogations, qui avaient donné lieu à de vastes débats.
Monsieur le ministre, vous vous êtes engagé, avec Mme la ministre des droits des femmes, à produire au premier semestre de 2014 une évaluation des conséquences de ces dérogations. Nous attendons ce rapport avec intérêt.
Le champ d’application de ces dispositions n’est pas toujours aisé à définir. Néanmoins, vous nous avez indiqué en commission qu’un accord de branche, dans le cadre de la restauration rapide, venait d’être signé sur cette question. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
L’application de ces dispositions au secteur de l’emploi à domicile réclame une réflexion collective. Nos collègues Dominique Watrin et Jean-Marie Vanlerenberghe mènent d’ailleurs une mission d’information sur l’emploi à domicile ; nous attendons avec impatience les conclusions de ce rapport.
Il me semble intéressant de considérer que nous sommes au cœur du sujet de la formation professionnelle pour ce type d’emploi. En effet, même si l’emploi à domicile permet d’assurer l’accompagnement de la perte d’autonomie de personnes âgées ou handicapées et répond, à ce titre, à des horaires contraints, il me semble important de réfléchir à l’extension du périmètre de compétences des personnes qui travaillent dans ce domaine, car ces emplois peuvent aussi valoriser la richesse de l’expérience de vie des personnes accompagnées. En la matière, il nous faut explorer des champs d’investigation importants.
Au-delà de cette question, l’accès au compte personnel de formation se définit au prorata du nombre d’heures travaillées. Dès lors, il importe de pouvoir en améliorer l’égalité d’accès tant pour les hommes que pour les femmes, par rapport au plancher de vingt-quatre heures.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué en commission que le plafond-socle pourrait être abondé grâce à des dispositifs complémentaires. À ce titre, je me réjouis de l’amendement de notre collègue Claude Jeannerot, qui propose une « proratisation » au regard des heures travaillées. Cet amendement, que nous voterons avec grand plaisir, monsieur le rapporteur, vise à autoriser la mise en place, au travers d’un accord collectif, de dispositions plus favorables sur le modèle de ce que certaines branches ont prévu aujourd’hui pour le droit individuel à la formation.
Pour conclure, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d’avoir pris en compte ces cas particuliers, où le dialogue social peut se révéler complexe, et poursuivi ainsi les discussions avec les partenaires sociaux, en vue d’assurer la mise en œuvre des véritables avancées qui feront de l’égalité entre les femmes et les hommes une réalité et inscriront demain nos discussions d’aujourd’hui dans les « archives du parcours de notre société vers le chemin de l’égalité pleine et entière ».
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est important. Il transpose un accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle, traite de démocratie sociale et de représentativité patronale, réorganise l’inspection du travail, prévoit des dispositions sur le contrôle des comptes des comités d’entreprise que vous aviez demandé à votre majorité de repousser ici même il y a deux mois, revient sur le temps partiel ainsi que sur le contrat de génération. Tous ces sujets sont abordés dans un seul projet de loi qu’il nous est, en outre, demandé d’examiner en une seule lecture.
En 2009, nous avions passé trois jours entiers à examiner le texte relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie soumis à la commission spéciale que je présidais et dont notre collègue Jean-Claude Carle était rapporteur. Le texte sur la démocratie sociale nous avait occupés toute une journée ; seul l’examen de ma proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise n’avait pris qu’une matinée. Bref, il est facile de faire les comptes. Aussi m’est-il difficile de comprendre les raisons pour lesquelles un ministre qui prône en permanence le dialogue social nous demande de bâcler le travail sur des sujets aussi importants.
Si, depuis l’adoption de la loi de 2007 de modernisation du dialogue social, les syndicats répètent que démocratie sociale et démocratie parlementaire se complètent, vous nous donnez l’impression, monsieur le ministre, de sacrifier en permanence la seconde. Dès lors, comment vous étonnez que le Conseil constitutionnel revienne régulièrement sur vos textes ou que vous soyez obligé de faire un texte fourre-tout pour corriger des lois que vous nous avez fait voter il y a peu et, déjà, dans l’urgence ? C’est cette urgence non justifiée que je dénonce ici, à l’instar de mes collègues, car je ne nie pas qu’il y ait de bonnes choses dans ce texte.
Je commencerai naturellement par évoquer le contrôle des comptes des comités d’entreprise.
Les dispositions que vous proposez reprennent aussi fidèlement que ma proposition de loi les conclusions du groupe de travail tripartite animé par la Direction générale du travail.
Qui plus est, ce contrôle s’appliquera bien, comme je le proposais, à tous les comités d’entreprise, quelle que soit leur structure juridique, y compris aux comités d’entreprise des industries électriques et gazières. Cependant, certains anciens élus de ces grands comités d’entreprise issus de ces ex-entreprises publiques mis en cause par la justice ou par la Cour des comptes m’ont fait savoir que ces dispositions ne suffisaient pas. Je leur réponds aujourd'hui que légiférer en la matière constitue déjà un grand pas et que nous pourrons en faire d’autres ultérieurement. Aussi voterai-je cet article.
J’apprécie également l’instauration dans le code du travail des règles de représentativité patronale, même si celles-ci sont imparfaites. En 2008, j’avais regretté que seule la représentativité salariale soit traitée.
À l’époque, mener de front ces deux réformes aurait été impossible, d’autant qu’il est complexe de mesurer l’audience des organisations patronales.
Ce projet de loi s’inscrit dans le droit fil des réformes déjà engagées par Gérard Larcher, Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez, trois ministres avec lesquels j’ai beaucoup travaillé. Je ne suis donc pas vraiment perdue quant au contenu.
S’agissant de la formation professionnelle, beaucoup de choses ont été dites, que je ne répéterai pas. J’espère sincèrement que le compte personnel de formation ne se révélera pas aussi difficile à gérer que le droit individuel à la formation.
Vouloir réorienter les actions vers ceux qui en ont le plus besoin, tel était déjà l’objectif annoncé par le président Sarkozy en 2009 dans son discours de Valence. Mais moi qui ai commencé ma carrière professionnelle en mettant en application, dans une entreprise, la loi de 1971 citée par notre rapporteur Claude Jeannerot, moi qui ai testé tant de formations, qui se sont révélées surtout utiles aux finances de l’organisme qui les proposait, je dirai que, malheureusement, rien n’a changé en quarante ans : trop d’argent continue et continuera à être dépensé pour rien, parce que la notion de qualité ou d’efficacité n’existe toujours pas. Vous dites, monsieur le ministre, que la loi actuelle marquera les quarante ans à venir ; j’espère que cela ne se fera pas sans contrôle !
Les récentes révélations sur des gigantesques escroqueries de faux organismes de formation dans la région d’Île-de-France – plus de 4 millions d’euros ! – démontrent la fragilité d’un système incontrôlé dans les faits. Des milliers de témoignages existent sur ces formateurs incompétents, sur les fausses feuilles d’émargement et sur ces formations écourtées chaque jour, mais bel et bien facturées à temps plein.
La formation professionnelle est devenue un monstre complexe qui s’auto-alimente et entraîne une complexité réglementaire.
Le rapport remis par l’IGAS, en août 2013, suggérait d’ailleurs, à l’instar de ce que font nos partenaires étrangers, une démarche de certification et de contrôle, qui n’apparaît pas dans ce texte.
Évoquons maintenant la réforme de l’inspection du travail.
Grâce au cycle suivi à l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, j’ai une approche assez concrète de la réforme des « agents de contrôle ». Ce cycle, qui intègre, grâce à Gérard Larcher, des parlementaires, permet de travailler avec des directeurs des ressources humaines, des juristes du droit du travail, des syndicalistes et des directeurs ou inspecteurs du travail, à Marcy-L’Étoile, là où ces derniers sont formés.
Cette approche est complétée par mon passé dans une entreprise qui voyait débarquer très régulièrement des inspecteurs. Depuis que je suis parlementaire, j’ai pu mesurer combien mon entreprise était exemplaire, et, rétrospectivement, je comprends la notion d’acharnement. Il était bien plus confortable pour les inspecteurs de surveiller pendant des mois, bien au chaud, le pointage de 2 000 cols blancs que de vérifier les chantiers de travaux publics au pied de notre immeuble.
Loin de moi l’idée de stigmatiser tous les agents de contrôle, mais lorsque des directeurs du travail expliquaient que leurs inspecteurs refusaient d’aller vérifier les conditions de travail dans des entreprises susceptibles d’être amiantées, cela m’a troublée et marquée à tout jamais. C’est pourquoi je proposerai un amendement visant à encadrer le délai dans lequel un inspecteur garde une entreprise dans son giron.
Si mes propos montrent jusqu’à présent que je reconnais des avancées dans le projet de loi, il n’en sera pas de même s’agissant des dispositions relatives à l’apprentissage. J’y retrouve là le paradoxe français ou, pis, la schizophrénie de la gauche, qui déclare que l’apprentissage et l’alternance sont des voies d’excellence et qui, dans les faits, discrimine ce cursus professionnalisant. Je ne reviendrai pas sur les explications formulées par notre collègue Jean-Claude Carle à propos des mesures mises en place en faveur de l’apprentissage ou, plutôt, contre l’apprentissage. Au moment où le Sénat va recevoir, comme chaque année, les meilleurs apprentis de France, comment voulez être crédible, alors qu’il n’a jamais été aussi difficile de trouver un maître de stage et que les centres de formation d’apprentis sont au bord de la faillite ?
Enfin, dans la loi de 2009, nous avions fixé des règles d’indemnisation pour les stagiaires. Aussi, je ne comprends pas les raisons pour lesquelles une proposition de loi relative aux stages sera soumise au vote de l'Assemblée nationale. Dans le cadre de la loi de 2009, nous avions également évoqué les problèmes réguliers qui se posent en matière de droit du travail. J’interviens sur cette question depuis de nombreuses années, et j’ai pu aussi constater que les bonnes intentions se traduisaient souvent par des effets inverses à ceux qui sont recherchés.
Pour ma part, j’attendrai avec intérêt vos réponses, monsieur le ministre, et je mesurerai les avancées lors de nos débats pour me positionner définitivement sur le projet de loi.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer l’excellent travail réalisé par notre rapporteur, Claude Jeannerot, et notre rapporteur pour avis, François Patriat.
Depuis sa prise de fonctions, le Gouvernement accorde une place centrale au dialogue social dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques en matière d’emploi, de travail et de formation professionnelle. En témoigne, une fois de plus, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, qui renforce la légitimité des partenaires sociaux. Aussi, je me réjouis du texte qui nous est aujourd’hui présenté, car il met l’accent, une nouvelle fois, sur le dialogue social.
Issu de l’accord national interprofessionnel signé le 14 décembre dernier par l’ensemble des organisations syndicales et patronales, à l’exception de la CGT et de la CGPME, le projet de loi fait donc l’objet d’un large consensus. Il transforme en profondeur l’organisation de la formation professionnelle, en instaurant un compte personnel de formation et en réformant son financement, dont celui de l’apprentissage.
Mon intervention portera essentiellement sur la démocratie sociale. Celle-ci est essentielle et doit permettre de clarifier les responsabilités de chacun, de respecter les acteurs sociaux et de promouvoir la culture de la négociation et du compromis.
Ce projet de loi est crucial, car il vise à renforcer la démocratie sociale en termes de représentativité et de transparence. Pourquoi ce texte conforte-t-il notre démocratie sociale ?
Tout d’abord, il apporte des ajustements aux dispositions de la loi du 20 août 2008, qui traite de la représentativité syndicale et pose des règles en matière de représentativité patronale.
Contrairement aux organisations de salariés, aucun texte n’encadre actuellement l’établissement ni l’exercice de la représentativité patronale. L’article 16 du projet de loi définit – enfin ! – un cadre juridique. Les critères de représentativité patronale fixés sont calqués sur ceux qui sont déjà applicables aux syndicats, tels que le respect des valeurs républicaines, l’indépendance, la transparence financière, ... Ainsi, les organisations patronales seront habilitées à négocier et signer des accords si elles remplissent plusieurs critères, le principal d’entre eux étant l’audience, qui sera appréciée en fonction du nombre d’entreprises adhérentes : au moins 8 % des adhérents aux organisations professionnelles dans une même branche. La prise en compte du nombre d’adhésions plutôt que du résultat d’un suffrage représente un véritable progrès.
Ensuite, il reconnaît les organisations professionnelles qui représentent les employeurs dans les secteurs de l’agriculture, des professions libérales et de l’économie sociale, à savoir, respectivement, la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, l’UNAPL, l’Union nationale des professions libérales, et l’UDES, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire. Pendant longtemps, ces organisations « hors champ » n’ont pas eu la capacité de signer des accords interprofessionnels et demandaient à voir leur représentativité reconnue. C’est maintenant chose faite. Ce texte est donc porteur d’une réelle avancée quant à la représentativité patronale.
En matière syndicale, il constitue aussi un véritable progrès, car il assouplit les règles de désignation des délégués syndicaux lorsque l’organisation syndicale représentative ne dispose d’aucun candidat ayant recueilli 10 % des suffrages sur son nom propre, une mesure dont on peut se féliciter.
S’agissant de la réforme du financement des organisations syndicales et patronales, je salue la volonté de transparence en la matière. Leur financement évolue pour laisser plus de marge de manœuvre au dialogue social.
Ce texte a trois objectifs : la transparence quant à l’origine des fonds et leur répartition, la clarification des financements résultant de politiques publiques et, enfin, la justification par les partenaires sociaux des missions d’intérêt général qu’ils assument.
Ainsi, les financements du paritarisme et de la formation professionnelle ont été déliés.
Le dialogue social et sa mise en œuvre seront financés par une cotisation versée par l’ensemble des entreprises et assise sur la masse salariale, ainsi que, éventuellement, par une contribution des organismes paritaires. Les missions d’intérêt général seront payées par l’État. La formation syndicale, l’information et l’animation des salariés exerçant une activité syndicale seront, quant à elles, cofinancées par les contributions de l’État et des entreprises.
Après concertation avec les partenaires sociaux, le texte prévoit l’instauration d’un fonds paritaire mutualisé, qui sera créé par accord entre les organisations représentatives à l’échelon national et interprofessionnel.
Concernant le financement des comités d’entreprise, de nouvelles règles de transparence et de contrôle vont être mises en place. Les grands comités d’entreprise doivent présenter des comptes certifiés et installer « une commission des marchés », chargée de choisir les fournisseurs et les prestataires. Les comités d’entreprise de plus petite taille présenteront des comptes simplifiés ou ultra-simplifiés.
On critique depuis longtemps le nombre élevé de branches professionnelles dans notre pays. Il est vrai que près d’un millier de branches existent aujourd’hui : elles sont 255 dans le domaine agricole et 687 dans le reste du secteur privé. Le Gouvernement les restructure donc et prévoit d’en réduire le nombre.
Pour conclure, je tiens à dire que le présent texte introduit un système plus juste et plus efficace, car il favorise l’accès de tous, en particulier des moins qualifiés, qui sont aussi les plus éloignés de l’emploi, à la formation professionnelle. C’est l’un des objectifs majeurs du Gouvernement qu’il tend à atteindre ; on ne peut que s’en féliciter. Nous savons combien est essentielle la démocratie sociale, que le projet de loi vise à transformer, sécuriser, améliorer.
Il était urgent de réformer en profondeur notre système de formation professionnelle, afin d’en faire un véritable levier de la sécurisation de l’emploi et de la compétitivité de nos entreprises. Il fallait le faire, le Gouvernement l’a fait ! Je vous en remercie, monsieur le ministre.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera tout particulièrement sur la formation des travailleurs handicapés et sur l’articulation du présent texte avec la loi de 2005.
Une grande loi sur la formation, annoncée comme l’expression d’une ambition pour « former plus ceux qui en ont le plus besoin », à savoir les travailleurs les moins qualifiés et les demandeurs d’emploi, semblerait pouvoir répondre aux difficultés des travailleurs handicapés. Seraient-ils la cible privilégiée du présent texte ? Je n’en suis pas sûr.
Lors de chaque examen d’un texte de loi, je me pose les mêmes questions : quels sont les moyens qu’il consacre à son ambition ? Quelles sont les mesures de simplification qu’il prévoit ? Quelles sont les répercussions budgétaires pour les collectivités territoriales des dispositions qu’il introduit ?
Qu’il me soit donc permis de relater les difficultés des personnes en situation de handicap.
M. le ministre discute avec Mme Christiane Demontès.
M. René-Paul Savary. Ceux qui sont victimes d’un handicap sensoriel, dont la surdité, peuvent en effet être concernés par mes propos.
Rires sur les travées de l’UMP.
En Champagne-Ardenne, une région dynamique, le taux de chômage des personnes handicapées est malheureusement au-dessus de la moyenne et leur besoin de qualification particulièrement important. En effet, 85 % des demandeurs d’emploi de cette population ont un niveau inférieur ou égal au niveau 5, contre 68 % pour l’ensemble des chômeurs. Notons également que le nombre d’apprentis handicapés dans les centres de formation en alternance de cette région ne représente que 0, 5 % de ceux qui les fréquentent.
Malgré l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, l’OETH, et dans un contexte économique particulièrement difficile – cela n’a échappé à personne –, la hausse du nombre des demandeurs d’emploi handicapés est supérieure à celle subie par le tout public. Cela traduit bien la dégradation de la situation des personnes handicapées dans le monde du travail.
À mon sens, le projet de loi ne prend pas suffisamment en compte cette sous-qualification, facteur de refus d’embauche. Avec ce texte, que vont devenir les accords de branche, de groupe, d’entreprise ou d’établissement en faveur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées, accords qui, en outre, sont déjà négociés avec les partenaires sociaux ?
Aucune amélioration significative n’est proposée pour simplifier un dispositif qui donne des résultats encore trop modestes ou pour atteindre le taux de 6 % de travailleurs handicapés dans les effectifs des établissements de plus de vingt salariés. Le niveau de qualification, notamment, n’est pas adapté. Nulle part dans le projet de loi il n’est fait allusion aux commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, instance essentielle, au sein des maisons départementales des personnes handicapées, pour l’attribution de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la RQTH.
Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas avoir envisagé de rapprocher, voire de fusionner, Pôle emploi et Cap emploi ? La création d’un guichet unique pour l’accueil des travailleurs handicapés aurait contribué à ce que la société porte sur le handicap un regard empreint d’une plus grande solidarité.
Le projet de loi fait de l’orientation un service public. C’est, me semble-t-il, une bonne chose. L’échelon régional paraît également pertinent, s’il en a les moyens. Or la rédaction de l’article 15 est claire : la compensation du transfert de compétence se fait à l’euro près. Les départements connaissent bien cette règle, censée compenser le transfert des allocations individuelles de solidarité.
En effet, elle a clairement plombé leur budget !
On peut donc être inquiet pour les budgets des régions, qui sont déjà exsangues, pour un certain nombre d’entre elles, avec les compétences qu’elles exercent actuellement. Auront-elles les marges de manœuvre nécessaires pour mener une politique ambitieuse, alors que la dernière loi de finances a baissé leur dotation globale de fonctionnement de 184 millions d’euros pour 2014 ? On voit bien la limite de l’exercice.
Je souhaite m’attarder sur un autre élément.
La phase de préorientation est déterminante dans la prise en charge d’une formation, tout particulièrement pour les travailleurs en situation de handicap. La réponse est souvent complexe, et les centres de préorientation accueillent des travailleurs reconnus handicapés, dont l’orientation professionnelle présente des difficultés particulières non résolues. Le territoire national, monsieur le ministre, est loin d’être entièrement couvert par ce type de structure. Qui va les prendre en charge ? Les agences régionales de santé, au nom de l’État ? Les régions ? On le voit, là encore, des précisions s’imposent.
Quant aux établissements et services d’aide par le travail, les ESAT, ils sont un lieu d’emploi privilégié et permettent à un public en difficulté de travailler en milieu protégé. Où est donc la cohérence ? Quelle valeur ajoutée apportera leur transfert aux départements, voulu par la prochaine loi de décentralisation ?
Je vois que mes propos sont partagés par des présidents de conseil général.
M. René-Paul Savary. Je suis sûr que M. le rapporteur, notamment, y sera particulièrement sensible...
Sourires.
En conclusion, trop d’imprécisions subsistent encore. Il est vraiment dommage de ne pas avoir exploré davantage de pistes pour la simplification du système et de ne pas avoir envisagé de meilleure articulation avec la loi sur le handicap. Cette dernière date de 2005. Il semble nécessaire de l’actualiser, en tenant compte de l’expérience acquise et des mutations en cours. Ce texte pourrait donc bien être une occasion manquée, sauf si vous consentiez, monsieur le ministre, à prendre en compte certains amendements tendant à améliorer le dispositif prévu par le texte initial. Il est encore temps !
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP . – Mme Françoise Férat applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois qu’il n’est pas nécessaire de revenir dans cette discussion générale qui se termine sur le fait que le secteur de la formation professionnelle souffre d’un enchevêtrement de compétences et de cofinancements, qui a nui à son efficacité. Beaucoup de nos collègues sont déjà intervenus sur ce point.
L’article 11 tend à clarifier et à rationaliser les instances et les outils qui font le lien entre l’État et les régions. C’est une bonne chose, que je salue, et dont je voudrais souligner quelques aspects.
Le texte prévoit de transférer aux régions les compétences actuellement détenues par l’État en matière de validation des acquis de l’expérience et de formation des publics spécifiques, tels que les Français établis hors de France et les personnes sous main de justice. Je m’attarderai sur cette dernière population, dont on ne parle jamais.
Les régions Aquitaine et Pays de la Loire ont déjà expérimenté ce dispositif.
Ces deux collectivités organisent et financent la formation des détenus depuis le 1er janvier 2011. Plusieurs dispositions législatives vont leur permettre de prolonger l’expérience, avant de faire entrer le dispositif dans le droit commun.
Pour ces deux collectivités, ce choix légitime s’inscrit dans la suite logique d’un partenariat ancien avec l’administration pénitentiaire. Il répond au souhait d’apporter une plus-value grâce à la maîtrise des savoir-faire dans ce domaine. Dans la région Aquitaine, par exemple, la compétence en matière de formation professionnelle a été optimisée en direction de ce public.
Pour ces deux régions, le pari est réussi.
Désormais, tous les acteurs sont convaincus qu’un pilotage de proximité améliore la cohérence et la coordination de l’ensemble des dispositifs.
Quatre établissements pénitentiaires en Pays de la Loire et sept en Aquitaine, tous en gestion publique, sont concernés par le dispositif. Les actions de formation recouvrent d’abord la formation en détention. Mais les régions ont également décidé d’aller au-delà du seul public détenu, en proposant l’ensemble des programmes régionaux de formation continue aux personnes bénéficiant d’un aménagement de peine, ce qui permet à ces dernières de suivre une formation hors les murs. Cette décision a donc pour conséquence de mieux articuler le « dedans » et le « dehors » de la prison. L’objectif est bien de construire une continuité de parcours de formation pendant et après la période de détention et de faciliter la réinsertion sociale et professionnelle des personnes sortant de prison.
J’en reviens au texte qui nous occupe. Ses articles 12, 13 et 14 prévoient de rationaliser les instances et les outils faisant le lien entre l’État et les régions.
L’article 12 dessine les contours du conseil en évolution professionnelle. Les régions devront assurer la coordination sur leur territoire des acteurs de l’orientation professionnelle, avec une politique de labels. Une convention annuelle entre l’État et la région, passée dans le cadre du contrat de plan des formations, définira les conditions de coordination des compétences respectives.
L’article 13 prévoit une clarification du contrat de plan régional de développement des formations professionnelles, créé en 2009. Je salue le fait que les partenaires sociaux, déjà parties prenantes à l’élaboration du contrat, puissent dorénavant le signer. Cette signature lui conférera un poids politique supplémentaire.
Enfin, l’article 14 simplifie la gouvernance tant sur le plan national que régional de la formation professionnelle et de l’emploi.
L’article 15, que certains ont évoqué, a été amendé en séance à l’Assemblée nationale par le Gouvernement, afin de tenir compte de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Cette disposition essentielle pose le principe et fixe les modalités des transferts qui devraient figurer dans le projet de loi de finances initiale pour 2015.
Tout à l’heure, mon collègue René-Paul Savary rappelait que l’État procède à des transferts de compétences aux collectivités locales depuis une dizaine d’années.
Avouez que cette pratique transcende les gouvernements successifs, cher collègue.
L’important est que les ressources attribuées seront équivalentes – cela figure dans le texte – « aux dépenses consacrées par l’État, à la date du transfert, à l’exercice des compétences transférées, diminuées du montant des éventuelles réductions brutes de charges ou des augmentations de ressources entraînées par les transferts. »
Pour les charges de fonctionnement, le calcul sera fondé sur « la moyenne des dépenses actualisées constatées […] sur une période d’au moins cinq ans précédant le transfert de compétences. » Auparavant, on avait des mécanismes jouant année après année. Là, il s'agit de blocs de cinq ans ; cela permettra, j’en suis persuadé, une meilleure maîtrise.
Pour l’Association des régions de France, la fusion des régions n’est pas forcément le chiffon rouge que l’on agite, monsieur le rapporteur pour avis.
Il s’agit avant tout d’un renforcement des capacités budgétaires et des moyens, ne serait-ce que par comparaison avec les régions espagnoles, même si celles-ci subissent la crise. J’ai longtemps siégé au sein du conseil régional d’Aquitaine. Avec ses quelque 600 000 habitants, la Navarre dispose de dix fois plus de moyens que ma région. Ce sont les processus de régionalisation qui en ont décidé ainsi.
C’est donc un texte complet que nous examinons aujourd'hui. Il vise à créer des compétences, dans une logique d’efficacité, mais également à mettre fin à un tel enchevêtrement et à accompagner les transferts de compensations financières.
Nous remercions le Gouvernement de son initiative et nous voterons évidemment ce texte. §
M. Bruno Retailleau . Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, autant le reconnaître d’emblée, il y a de bonnes choses dans ce texte.
Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.
M. Bruno Retailleau. Attendez un peu, chers collègues de la majorité… Loin de moi l’idée de chanter les louanges du Gouvernement !
Sourires.
Nouveaux sourires.
Je vais m’empresser de rééquilibrer mon propos. En effet, il y a un problème de cohérence dans ce projet de loi, qui aborde tellement de sujets, d’ailleurs souvent intéressants.
Les dispositions de ce texte vont de l’accord national relatif à la formation professionnelle au financement de la démocratie sociale, en passant par l’inspection du travail ou l’apprentissage. À l’instar de plusieurs collègues, j’aimerais revenir sur ce dernier point, ô combien important.
Voilà vingt mois, lors de son élection, le Président de la République avait indiqué vouloir « réenchanter le rêve français », en insistant, à juste titre, sur la nécessité de faire des jeunes une grande cause nationale. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Je donnerai trois chiffres.
Premièrement, 1 900 000 jeunes âgés de quinze ans à vingt-neuf ans ne sont ni en situation d’emploi, ni en formation, ni à l’école.
Deuxièmement, selon un sondage, seuls 17 % de nos jeunes voient l’avenir de manière prometteuse. Nous avons sans doute la jeunesse la plus pessimiste au monde.
Ce n’est pas vous avec vous qu’elle va trouver des raisons d’être optimiste !
Troisièmement, le nombre des premières inscriptions à Pôle emploi a bondi de plus de 37 % en 2013.
Ainsi, ceux qui ont vingt ans aujourd'hui pourraient reprendre à leur compte la phrase célèbre que Paul Nizan écrivait en 1931, au creux de la grande crise : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Voilà où en est la jeunesse française !
Monsieur le ministre, je ne céderai pas à la facilité d’imputer la responsabilité de cette véritable plaie nationale à telle ou telle majorité, à tel ou tel gouvernement. Les causes en sont profondes, et elles sont lointaines.
Toutefois, il y a un élément nouveau : en 2013, le nombre d’apprentis a dégringolé, avec une baisse de 8 %, soit une chute historique depuis huit ans. Nous devons nous en émouvoir, car c’est dramatique !
L’apprentissage est une filière de réussite, d’épanouissement. Tant de jeunes Français rejetés par le système scolaire traditionnel ont pu trouver le chemin d’une réussite professionnelle grâce à l’apprentissage. Ainsi, 82 % de ceux qui ont suivi cette voie ont trouvé un emploi à l’issue de leur formation et, parmi ceux-là, 60 % sont en contrat à durée indéterminée.
En Allemagne, le système dual a fait la preuve de son efficacité.
M. Bruno Retailleau. Dans ce pays, trois fois moins de jeunes sont au chômage, et il y a trois fois plus d’apprentis ! Nous le voyons, l’apprentissage est une filière d’excellence. Il faut absolument la préserver.
M. René-Paul Savary applaudit.
La dégringolade des chiffres de l’apprentissage doit nous interpeller. Est-elle due au hasard ? Non ! À la conjoncture ? Sans doute un peu, mais pas seulement : en 2009, au pic de la crise, le nombre de contrats d’apprentissage signés en moins était de 10 000 ; l’an dernier, il était de 24 000.
La conjoncture n’explique donc pas tout. La chute des chiffres de l’apprentissage tient aussi aux choix de ce gouvernement, et notamment à ses choix financiers. Le Gouvernement a choisi de mettre le paquet – passez-moi l’expression, mes chers collègues – sur des contrats aidés, à hauteur de 3, 6 milliards d’euros en loi de finances. En outre, cela vient d’être rappelé il y a quelques instants par Jean-Claude Carle, la plus grosse économie – 550 millions d’euros – a été faite au détriment de l’apprentissage.
Vous auriez pu présenter un texte exprimant une vision, et non une réforme technique. Or vous avez choisi de désosser petit à petit l’apprentissage.
M. Peillon a opté pour la suppression de la passerelle entre l’apprentissage et l’école, dans ce qu’on appelle le préapprentissage. Puis, il y a eu une réduction drastique du crédit d’apprentissage, avec une quasi-suppression de l’indemnité compensatrice forfaitaire en loi de finances rectificative. À présent, on s’attaque à la collecte, qu’il fallait du reste réformer.
Il faut s’interroger sur les motivations du Gouvernement. Monsieur le ministre, quelles sont les raisons qui vous poussent à attaquer au fil des textes l’apprentissage ? Des « raisons idéologiques dépassées », comme le soulignait Ségolène Royal à propos de Vincent Peillon ?
Il fallait évidemment une réforme, mais pas n’importe laquelle. Oui à la régionalisation, cher monsieur Patriat, mais non au désengagement de l’État !
Il aurait fallu, par exemple, que les régions soient liées en termes de résultats et que l’on puisse proportionner les transferts financiers aux résultats obtenus par elles. Il aurait sans doute aussi fallu mettre l’entreprise, c'est-à-dire les branches professionnelles, au cœur du pilotage des formations. Peut-être aurait-il fallu enfin faire sauter le verrou entre l’éducation nationale et l’apprentissage qu’évoquait tout à l’heure Jean-Claude Carle et qui est en train d’ankyloser l’apprentissage en France !
Monsieur le ministre, une autre réforme était possible, je le crois. Elle l’est toujours, d'ailleurs. Elle implique des choix sans doute moins dogmatiques, plus pragmatiques, plus en lien peut-être avec la nouvelle économie de l’offre.
À mes yeux, l’apprentissage n’est ni de droite ni de gauche. C’est simplement l’un des outils qui pourraient redonner demain un peu d’espoir à notre jeunesse, et elle en a bien besoin !
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je laisse à chacun le soin d’apprécier les différentes interventions, dont celle du dernier orateur, sénateur de Vendée, donc de l’île d’Yeu. Je lui adresse un salut particulier à cet égard.
Sourires.
M. Michel Sapin, ministre. Il y a d’autres connaisseurs dans cet hémicycle, monsieur le sénateur.
Nouveaux sourires.
Je souhaite apporter quelques éléments de réponse, même si je reviendrai plus en détail sur les différents volets du texte au cours de la discussion des articles.
Certains orateurs ont évoqué le caractère « large » du projet de loi ; pour ma part, je parlerais plutôt de diversité. Par ailleurs, j’essaierai de le montrer dans quelques instants, diversité ne signifie pas incohérence. Au contraire : c’est même ce qui fait la force de ce texte.
Je souhaiterais remercier l’ensemble des orateurs. Je ressens, et je le dis sincèrement, un intérêt réel de tous les groupes pour les sujets abordés et les propositions formulées dans ce texte, qu’aucun intervenant n’a d’ailleurs condamné dans son intégralité.
Chacun a même souligné les dispositions qui lui paraissaient conformes à ses propres souhaits, à ses réflexions, voire à ses propositions antérieures.
J’ai donc perçu, non une atmosphère de contradiction pour la contradiction, mais une volonté de débattre de manière constructive d’un sujet sérieux : développer la formation professionnelle au service des individus et de notre économie. Je tenais à le souligner et à vous en remercier, mesdames, messieurs les sénateurs.
Bien entendu, j’ignore ce que sera le vote de chacun au final. Je crains les positionnements parfois automatiques, même si je peux les comprendre, m’étant moi-même livré à de semblables contorsions en d’autres temps. §
Nouveaux sourires.
Toutefois, je souhaite que nous conservions le plus possible cet état d’esprit constructif lors de la discussion des articles, afin de rester à l’écoute les uns des autres et de pouvoir retenir le plus grand nombre possible de vos propositions.
J’ai entendu une critique, que je peux comprendre – d’ailleurs, je vous prie de bien vouloir m’excuser de la situation –, quant à la rapidité avec laquelle vous êtes invités à travailler sur le projet de loi. Je connais les débats sur la procédure accélérée et les arguments que l’on avance à cet égard, selon que l’on appartient à la majorité ou à l’opposition.
Sans doute eût-il été préférable de procéder autrement, afin de permettre aux membres de la commission et, d’une manière générale, à l’ensemble des sénatrices et des sénateurs de travailler dans de meilleures conditions.
Néanmoins, ce n’était pas possible, car il y avait urgence, à cause non pas de l’engagement de la procédure accélérée en soi, mais bien de la situation. Je pense évidemment à la question du chômage, mais pas seulement. En effet, et cela fait consensus ici, l’une de nos difficultés réside dans l’inadéquation et l’inadaptation de notre système de formation professionnelle, voire dans son incapacité à répondre aux besoins de notre pays.
Chacun sait qu’une formation professionnelle mieux adaptée constitue un plus, non seulement pour l’individu, mais également pour la compétitivité de notre économie.
En effet, la vraie compétitivité de notre économie se trouve dans l’intelligence, dans l’innovation, dans la compétence de celles et de ceux qui constituent la seule véritable richesse de nos entreprises : les femmes et les hommes qui y travaillent. Ce n’est pas dans l’abaissement à tout prix du coût du travail, même si on peut évidemment le réduire, ou dans l’alignement sur le salaire ou le niveau de protection sociale les plus bas de l’Union européenne que nous trouverons une solution !
D’ailleurs, chacun dans cet hémicycle en est parfaitement conscient.
La clef du succès consiste à mettre en valeur ce qu’il y a de plus profond et de plus innovant dans notre société et chez nos compatriotes : un niveau de connaissances et de compétences élevé pour apporter un plus tant à l’économie qu’au devenir professionnel de l’ensemble des publics concernés. C’est grâce à une formation professionnelle adaptée que nous remettrons en marche l’ascenseur social, devenu, aux dires de certains, un « descenseur » social. Il en va de même pour la compétitivité : chaque entreprise doit trouver dans la compétence de ceux qui y travaillent la ressource principale pour faire face à l’économie ouverte dans laquelle nous vivons.
Il y avait donc urgence à agir. Les partenaires sociaux se sont saisis du sujet, parce que nous le leur avons demandé, en application de l’article L. 1 du code du travail, bien connu ici, puisqu’il trouve sa source dans une proposition du sénateur Gérard Larcher.
Le processus a été lancé au mois de juin dernier, et j’ai adressé un courrier aux organisations représentatives concernées au mois de juillet suivant. Dans cette lettre, je leur demandais d’achever la négociation avant la fin du mois de décembre, ce qu’elles ont fait puisque, à la mi-décembre, un accord était trouvé.
J’entends certains objecter qu’il manque deux signatures, ce qui serait une preuve d’imperfection ! Non, c’est la preuve que l’ensemble des partenaires n’a pas pu prendre en compte toutes les propositions, côté patronal ou côté syndical. D’ailleurs, les deux parties portent des jugements positifs sur bien des aspects de l’accord lui-même. Je respecte les positions des uns et des autres, mais la meilleure solution ne naît pas forcément du consensus absolu ; elle résulte de l’attitude respectueuse de ceux qui, ne signant pas tout, saluent néanmoins les personnes qui ont pris la responsabilité d’accepter des propositions et d’avancer.
En décembre dernier, un texte a donc été signé. Les partenaires sociaux souhaitent, tout comme le Gouvernement, que l’ensemble des propositions soient applicables au 1er janvier 2015, qu’il s’agisse du compte personnel de formation, que vous avez tous salué comme étant une grande innovation, de ses modes de financement ou des nouveaux modes de financement de la formation professionnelle. Un grand nombre de partenaires signataires nous ont d’ailleurs demandé de faire principalement attention à ce que les mesures entrent en application non pas le 1er janvier 2016, mais dès le 1er janvier 2015, ce qui n’est pas si simple à mettre en œuvre.
C’est pourquoi ce projet de loi doit être adopté avant la fin du mois de février de cette année, car il faut aussi tenir compte du temps nécessaire à la publication des décrets. Certes, ces derniers sont déjà très largement élaborés, mais ils doivent avant toute chose se fonder sur le texte de loi lui-même, d’autant, vous le savez, qu’une partie des dispositions qu’ils contiennent prend appui sur des négociations de branche ou d’entreprise.
C’est notre démocratie qui le veut, la seule façon pour que ce projet, fruit d’une négociation devant se traduire par un texte de loi, puisse être applicable au 1er janvier 2015 était de mettre le Parlement sous pression, et je vous présente une nouvelle fois mes excuses à cet égard. D’aucuns diront que ce n’est pas une raison suffisante, mais c’est une explication de la bonne foi du Gouvernement vis-à-vis de l’Assemblée nationale comme du Sénat.
Je reporte, évidemment, à la discussion des articles l’exposé de mes arguments les plus précis et décisifs sur les différents points qui ont été abordés. Néanmoins, je salue ici l’ensemble des interventions.
Tout d’abord, bien sûr, au sein du groupe socialiste, comme au sein du groupe RDSE, je remercie celles et ceux, notamment Georges Labazée, qui ont apporté leur soutien à l’ensemble du texte comme à chacune de ses dispositions. On oublie trop souvent d’exprimer sa reconnaissance à ceux qui vous soutiennent absolument. Je me plie, quant à moi, avec plaisir à cet exercice, en souhaitant que nous puissions poursuivre ainsi ce travail jusqu’à son terme.
De l’autre côté de l’hémicycle, je veux également saluer les interventions du groupe UMP. Les différents orateurs qui se sont exprimés sont tous de très bons spécialistes de ces sujets ou d’une partie d’entre eux. Quoi de surprenant, d'ailleurs, puisque, par définition, les sénateurs, et plus encore les sénatrices, disposent d’une connaissance universelle ?
Sourires.
Je remercie donc MM. Cardoux et Carle, Mme Procaccia, M. Savary évidemment, et même M. Retailleau !
Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.
Tous ont fait preuve d’un certain degré d’ouverture et ont manifesté leur volonté, à l’instar de Mme Procaccia, d’attendre la fin du débat avant de fixer leur vote. C’est selon moi une bonne manière de procéder sur des sujets d’une telle nature.
Je reviendrai, bien sûr, sur la question de l’apprentissage, qui a été beaucoup soutenu ou critiqué. Je reviendrai également sur certaines dispositions pouvant faire débat. Je pense, en particulier, à l’inspection du travail, un sujet qui a été abordé par beaucoup d’entre vous.
Je remercie également le groupe UDI-UC. Madame Jouanno, je comprends que vous attendiez beaucoup du débat qui s’ouvre devant nous. J’ai bien noté votre préoccupation au sujet de la qualité de la formation dispensée par un certain nombre d’organismes. C’est l’un des thèmes qu’aborde ce texte : l’article 21 du projet de loi vise à accorder des pouvoirs nouveaux à mon administration pour mieux contrôler et mieux sanctionner le manque de qualité des formations.
Peut-être pourrions-nous renforcer ces capacités de contrôle ? Nous débattrons de ce point dans les heures à venir, mais, quoi qu’il en soit, les décisions prises devront être raisonnables du point de vue bureaucratique et administratif. Nous pourrions sur ces sujets aussi faire preuve d’une grande ouverture d’esprit. Je rends hommage également à M. Vanlerenberghe, qui est un très grand spécialiste de cette question.
En ce qui concerne le groupe CRC, madame Cohen, j’ai senti votre intérêt, y compris pour un certain nombre de concepts. Le compte personnel de formation n’est pas né de nulle part, il est aussi le fruit des réflexions conduites au Parlement, notamment dans vos rangs. Vous avez manifesté, sur tous ces sujets, la volonté d’améliorer le texte. Nous étudierons attentivement l’ensemble de vos amendements.
Enfin, les membres du groupe écologiste, comme beaucoup d’entre vous ici, ont fait preuve d’un grand degré d’ouverture.
Sourires.
Un groupe peut être représenté par une seule personne, madame Debré ! Je remercie donc d’autant plus M. Desessard de sa disponibilité et de son engagement.
Nous reviendrons très vite sur la question du compte personnel de formation, qui a suscité de nombreuses interrogations : 120 heures, 150 heures ? Un plafond de 150 heures est-il suffisant ou non ?
On ne peut pas comparer les 120 heures d’hier aux 150 heures d’aujourd'hui. Les 120 heures du droit individuel à la formation, le DIF, étaient – passez-moi l’expression – un « plafond-plafond » : on allait jusqu’à 120 heures, et c’était terminé. Les 150 heures du nouveau dispositif sont, si j’ose dire, un « plafond-socle » : on va jusqu’à 150 heures, et ensuite on s’appuie sur ce socle pour obtenir des compléments d’heures, en fonction de la situation de chacun. Évidemment, les chômeurs, les personnes les moins qualifiées, tout comme celles qui sont en situation de handicap – cette préoccupation a été exprimée – en auront plus. Des dispositifs permettront de venir abonder le plafond de 150 heures en ce sens.
Qu’il me soit permis d’apporter une précision. Dans la mesure où nous travaillons, vous l’avez tous souligné, avec un budget contraint, nul n’a demandé davantage d’argent pour la formation professionnelle. Chacun a plutôt tendance à considérer que d’importants moyens sont déjà consacrés à celle-ci. On s’interroge plutôt sur la meilleure utilisation possible des crédits. Toutefois, prenez-y garde, si vous permettez à tout le monde de franchir le plafond des 150 heures, il y aura moins d’argent pour les publics spécifiques !
J’entends qu’un amendement sera défendu afin de passer à 250 heures, pour tous. Très bien ! Dans ce cas, les cadres les prendront et ce sera autant d’argent en moins pour ceux qui auraient eu besoin d’un abondement spécifique et auraient pu bénéficier de 300, de 500 ou de 1 000 heures, car les besoins sont importants, et il faut du temps pour se former.
Soyons donc vigilants, car le mécanisme est simple : au fur et à mesure que l’on ajoute des heures, l’on augmente les dépenses, dans une période où personne n’a envie de demander plus aux entreprises, à l’État ou aux régions, lesquelles contribuent déjà beaucoup. Nous découpons, si je puis utiliser cette image pour illustrer mon propos, des tranches à l’intérieur d’un même gâteau : en augmentant la part de ceux qui sont les mieux servis, on diminue d’autant la part de ceux qui en ont le plus besoin !
En ce qui concerne l’inspection du travail, j’ai senti que vous éprouviez, tous, certaines préoccupations. Le dispositif n’est pas un cavalier. Une administration capable de contrôler l’application des lois, tout particulièrement l’appréciation de cette loi, est une administration en cohérence avec le reste du texte. J’en dirai plus au cours de l’examen des amendements.
Quoi qu’il en soit, je veux d’ores et déjà affirmer que je n’ai nullement l’intention de remettre en cause l’indépendance de l’inspection du travail. Ma responsabilité, en tant que ministre, est que cette institution, déjà centenaire, soit toujours efficace dans cent ans.
Or, en l’espace d’un siècle, bien des choses ont bougé. La protection du salarié n’est plus une question qui s’envisage seulement dans une entreprise ou sur un territoire. Elle nécessite d’être capable de lutter contre des atteintes aux droits beaucoup plus diffuses et complexes, beaucoup plus organisées qu’auparavant, avec une véritable délinquance, qui trouve ses racines parfois au-delà de nos frontières, vous le savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs. Il suffit d'ailleurs que je cite la question des travailleurs détachés pour que chacun comprenne ici à quoi je fais allusion.
Un inspecteur du travail seul, dans son coin, ne peut pas lutter contre des mécanismes aussi lourds. Mon souhait – je reviendrai sur ce point –, est de conserver à l’inspection du travail ses qualités actuelles, à savoir la proximité et son indépendance intégrale, tout en organisant autrement ses moyens pour lui permettre de lutter contre la grande délinquance, y compris en lui accordant des pouvoirs plus importants ou différents pour qu’elle puisse s’adapter aux nouvelles situations. Voilà ma conviction.
J’ai entendu vos remarques, mais je ne souhaite pas que perdure un procès que je trouve d’autant plus injuste que ceux qui me l’intentent ne le font pas toujours de bonne foi. Le ministre que je suis n’a pas pour mission de remettre en cause l’indépendance de l’inspection du travail. Au contraire, il a la charge de faire en sorte que cette administration œuvre de manière efficace, dans un monde qui a changé, tout comme les modalités d’atteinte aux droits des salariés et des travailleurs. Si cette institution n’évolue pas, c’est la protection des salariés qui risque d’être mise en cause.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais vous apporter à cette heure.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la commission des affaires sociales se réunira à dix-neuf heures trente pour la suite de l’examen des amendements.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Charles Guené.