La refondation que traduit ce texte ne sera fructueuse que dans un cadre de garanties collectives, de solidarités, de régulations, qui doivent s’exprimer à trois niveaux : territorial, professionnel et national.
Je commencerai par évoquer les solidarités et régulations territoriales en matière de formation professionnelle.
Ce point est essentiel, pas seulement parce que nous sommes au Sénat. Les réformes proposées ont une forte résonance territoriale ; c’est là qu’elles prendront leur force et toucheront leurs destinataires.
Un ancrage territorial fort sera tout d’abord assuré par l’achèvement de la décentralisation de la formation professionnelle des personnes privées d’emploi, mais aussi du pilotage de l’apprentissage et du service public de l’orientation.
L’espace régional est reconnu comme celui de la mise en cohérence, en complémentarité, de toutes les interventions, au-delà même de celles de la collectivité régionale.
C’est ainsi que se construiront les réponses adaptées à chaque territoire, à chaque bassin d’emploi, à chaque tissu économique et social. Ce point me paraît fondamental.
En effet, la formation professionnelle est gage d’insertion si et seulement si elle est adaptée aux besoins en compétences – toujours spécifiques – d’un territoire : quelle localisation de l’offre de formation ? Quelles formations prioritaires ? Quelle adaptation aux besoins des publics et à ceux des entreprises du territoire ? Comment incarner un service public de l’orientation qui soit bien identifié par tous, capable de répondre aux demandes, mais aussi d’aller chercher les jeunes qui ne poussent pas sa porte ? Si ces questions concernent tous les acteurs, les réponses sont à construire territorialement, en cohérence avec les stratégies de développement économique.
Au-delà du territoire, la réforme de la formation professionnelle repose aussi sur des solidarités et des garanties collectives au niveau professionnel, dans la branche, ou au niveau interprofessionnel. Il ne s’agit pas de laisser l’individu seul avec ses doutes et ses projets. Le compte personnel de formation n’est pas un « chèque formation » que le salarié ou le demandeur d’emploi devrait mobiliser seul.
C’est pourquoi la réforme affirme le droit à la qualification, donne corps au conseil en évolution professionnelle, élargit l’accès à la validation des acquis de l’expérience. En effet, à notre époque, l’enjeu n’est plus seulement d’obtenir un diplôme, mais bien de se former tout au long de la vie.
Au fond, la réforme porte un message que l’on peut résumer ainsi : vive la deuxième chance, et même la troisième ou la quatrième ! Être brillant – ou non – à 20 ans ne signifie plus qu’on le sera encore – ou toujours pas – à 50 ans…
C’est ainsi que nous pourrons, me semble-t-il, remettre en marche l’ascenseur social !
Les entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, ne seront pas les abandonnées de cette réforme. La mutualisation au bénéfice des très petites entreprises est renforcée de manière inédite, et le débat à l’Assemblée nationale a permis de conforter les outils de mutualisation au profit des PME. Les fonds mutualisés de la formation professionnelle seront affectés plus fortement à des enjeux relevant de l’intérêt général et pour lesquels une régulation publique est légitime : l’accès à un premier niveau de qualification, la progression et la promotion professionnelles, le retour à l’emploi durable.
Du territoire, il est encore question dans la réforme de la démocratie sociale. Les acteurs sociaux, dans l’entreprise, dans les branches, dans les régions, doivent être renforcés pour pouvoir négocier sur une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences adaptée aux enjeux territoriaux. Je crois notamment que la prise en compte de l’espace régional est un défi à relever pour le renforcement des partenaires sociaux, afin que ceux-ci puissent répondre efficacement aux enjeux de la réforme : compte personnel de formation, apprentissage, formations prioritaires.
Je veux encore vous parler de solidarités territoriales en abordant le titre III de la réforme, qui concerne notamment l’inspection du travail.
L’inspection du travail est elle-même enracinée sur le territoire, au point que son organisation est entièrement territoriale : cette organisation repose sur la section.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis pour dissiper d’éventuelles craintes : la section de l’inspection du travail est évidemment préservée. Elle est et restera la réponse de proximité pour un salarié qui n’a pas été payé ou dont les droits sont bafoués, mais aussi pour une entreprise en quête d’un conseil pour répondre de manière adéquate à une situation.
Cela étant, nos territoires sont parfois bien peu de choses face aux grands mouvements économiques que sont la mondialisation, la liberté de circulation au niveau européen, l’éloignement des lieux de décision par rapport aux lieux de production.
Je pense, par exemple, aux fraudes au détachement de travailleurs étrangers ou à la sous-traitance en cascade. L’effet de ces montages complexes et illicites est double : la concurrence déloyale et le dumping social mettent sur le flanc nos entreprises et détruisent nos emplois ; parallèlement, ces montages exploitent des travailleurs étrangers qui ne demandent qu’à améliorer leur sort et se trouvent précipités dans des situations de travail sans protection, avec une rémunération indécente et des conditions de travail insupportables.
Il nous faut nous organiser, adapter notre inspection du travail au monde du travail du XXIe siècle et apporter les bonnes réponses au meilleur niveau. À côté de la section, niveau confirmé de proximité, des unités régionales de contrôle et un groupe national de contrôle sont créés par la réforme. Ils faciliteront le travail collectif, avec les autres corps de contrôle. Surtout, les inspecteurs vont pouvoir remonter les cascades de sous-traitance, disposer de moyens nouveaux et donc agir plus efficacement pour la protection de tous les travailleurs et pour l’égalité de concurrence entre toutes les entreprises.
Il m’est arrivé d’aller sur des chantiers. J’y ai vu des travailleurs venus de pays de l’est de l’Europe. Je mesure les situations de concurrence déloyale et leur potentiel de destruction de la cohésion nationale et européenne. Nous allons combattre ces situations et protéger ces travailleurs, comme les entreprises qui payent leurs cotisations, respectent le droit du travail et créent de l’emploi en France. Tel est le sens du service public de contrôle du travail, tel est le sens d’une politique régalienne ! Nous ne laisserons pas choir nos entreprises et nos travailleurs, au motif que seul le marché gouvernerait et que nous serions peu de choses face à la délinquance internationale.
Vous le percevez, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que je vous présente est porteur de réformes puissantes et ambitieuses.
Je souhaite néanmoins apporter quelques éléments de clarification, en réponse à certaines interrogations sur tel ou tel aspect du projet de loi dont l’écho m’est parvenu.
S’agissant, d’abord, de la méthode, les trois volets de la réforme ont été bien préparés et, dans l’ensemble, bien accueillis.
Ainsi, un large accord national interprofessionnel a été conclu sur la formation professionnelle, preuve que le dialogue social est la bonne méthode pour réformer la France. Une grande concertation a été conduite entre l’État, les régions et les partenaires sociaux sur le compte personnel de formation. Une concertation approfondie a été menée sur la réforme de l’apprentissage avec plus d’une trentaine d’organisations, à l’automne dernier. De très nombreux échanges avec les partenaires sociaux ont eu lieu sur la question de la démocratie sociale et de son financement. Un dialogue intense est à l’œuvre depuis près de deux ans sur la réforme de l’inspection du travail : j’ai personnellement présidé cinq comités techniques ministériels, et de multiples réunions de concertation ont été organisées lieu aux niveaux national, régional ou local. Le dialogue est donc partout dans cette réforme !
Pour autant, comme toutes les grandes réformes, celle-ci suscite des questionnements, toujours légitimes, auxquels je veux maintenant apporter quelques éléments de réponse. Elle soulève aussi parfois – plus rarement – des doutes, voire des oppositions, relevant de deux registres diamétralement opposés.
Pour certains, cette réforme ne changerait en fait rien, ou pas grand-chose ; elle serait inodore et sans saveur. Selon ces tenants d’un changement plus profond, nous proposerions de « faire du neuf avec du vieux » ou, pour reprendre une formule bien connue, nous prétendrions « tout changer pour que rien ne change ».
Pour d’autres, davantage convaincus des vertus de notre système actuel, cette réforme serait, au contraire, porteuse de trop grands changements, de bouleversements dangereux ou d’effets pervers redoutables.
Face à ces deux critiques assez classiques, que tout oppose et qui ne peuvent se rejoindre que dans une posture stérile de rejet, on peut se demander où se situe la vérité de notre ambition. Je me propose de répondre à cette question sur chacun des sujets abordés par le texte.
Pour ce qui concerne la réforme de la formation professionnelle, j’entends parfois dire que nos ambitions sont vaines et que le système restera cloisonné et complexe, que sa gestion demeurera opaque, que les partenaires sociaux ne donneront pas davantage la priorité, dans leurs actions, aux publics présentant les besoins les plus importants, que le compte personnel de formation ne sera qu’un DIF à peine renforcé, passant de 120 à 150 heures… À l’opposé, j’entends parfois s’exprimer une vision catastrophiste de la réforme, qui produirait tant de changements qu’elle réduirait l’effort de formation des entreprises ou qu’elle empêcherait les PME de continuer à former leurs salariés.
Eh bien toutes ces allégations sont inexactes !
Le compte personnel, c’est le décloisonnement et la porte d’entrée unique vers tous les dispositifs existants. Il représente, pour le salarié ou le chômeur ayant besoin de formation, une simplification considérable du système actuel, dont l’opacité est remise en cause du fait que le financement de la démocratie sociale et celui de la formation professionnelle seront désormais totalement séparés.
La différence entre le compte personnel de formation et le DIF est criante puisque, en plus d’être portable tout au long de la vie et d’être le support d’abondements complémentaires, le CPF disposera de moyens multipliés par plus de cinq par rapport au DIF, dont les financements n’étaient d’ailleurs pas dédiés. Près de 1 milliard d'euros sera consacré à la formation des salariés au titre de leur compte personnel, auquel s’ajouteront 300 millions d’euros pour la formation des demandeurs d’emploi via le CPF. C’est ainsi que la réforme oriente les fonds mutualisés vers les demandeurs d’emploi, en augmentant de plus de 50 % la contribution du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels aux formations qui leur seront destinées.
Comme il s’agit de débusquer une fois pour toutes les approximations et les erreurs, je veux dire un mot de l’apprentissage. Là encore, nous sommes accusés, par certains, de ne rien faire, et, par d’autres, de trop réformer…
Je tiens à redire clairement que le Gouvernement est extrêmement attaché au développement de l’apprentissage, lequel a abondamment fait les preuves de son efficacité en termes de qualification et d’insertion professionnelle des jeunes. C’est pourquoi l’objectif de porter le nombre d’apprentis à 500 000 en 2017 a été inscrit dans le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi.
Le bilan de l’année 2013 est maintenant connu. Certes, la tendance est à la baisse, mais la diminution observée sur la période la plus significative, allant de la rentrée de juin à décembre, ne s’élève qu’à quelque 4 %. Cette situation n’est pas satisfaisante, évidemment, mais il faut avant tout y voir le signe d’une conjoncture hésitante, dans un contexte de réduction engagée du chômage des jeunes.
Pour progresser, les petites entreprises, qui accueillent plus de la moitié des apprentis, doivent être rassurées et soutenues. C’est dans ce but que l’architecture des aides aux employeurs d’apprentis a été ciblée sur elles et sur les premiers niveaux de qualification.
Surtout, le texte qui vous est présenté apporte des modifications importantes pour donner corps à l’ambition de développement de l’apprentissage.
En effet, la réforme de la taxe d’apprentissage qu’il poursuit permettra d’orienter davantage de financements vers l’apprentissage, sans remettre en cause le libre choix des entreprises en termes d’affectation de cette taxe.
Par ailleurs, des dispositions sont prévues pour sécuriser les apprentis et leurs employeurs, via l’accompagnement des centres de formation d’apprentis et la prévention des ruptures, ainsi que grâce à la nouvelle possibilité de conclure un contrat d’apprentissage dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, qui est une innovation remarquable.