Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 18 février 2014 à 15h00
Formation professionnelle — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi, singulièrement les articles relatifs à la formation professionnelle destinés à transposer l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013, est d’une grande complexité tant les sujets sont techniques. Ce n’en est pas pour autant une question inintéressante.

En travaillant sur le sujet, j’ai pu mesurer combien parler de la formation professionnelle, c’est en réalité parler des conditions de travail des salariés. C’est aussi parler des discriminations en raison de l’âge, du genre, des classes sociales et de la taille des entreprises qui emploient les salariés, c’est parler de la transparence comme de la démocratie, trop souvent absente, c’est parler de la précarité, des conséquences néfastes des temps partiels et des contrats précaires. Enfin, sans vouloir dresser de listes exhaustives, c’est parler du partage des richesses dans l’entreprise, du rôle des travailleurs, de leur reconnaissance, de la manière dont ils sont ou non reconnus dans les entreprises, de la responsabilité sociale de ces dernières envers celles et ceux qui créent des richesses.

Vous le savez, monsieur le ministre, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen défendent, avec d’autres – des économistes et des syndicalistes, notamment –, l’idée d’un élargissement de la sécurité sociale, afin que cette dernière protège nos concitoyens contre tous les risques ; une sécurité sociale rénovée et renforcée qui répondrait aux besoins des femmes et des hommes de notre pays, de leur naissance jusqu’à leur mort, une sécurité sociale qui assurerait plus qu’aujourd’hui les risques professionnels et où la solidarité et la mise en commun auraient vocation non plus seulement à indemniser le chômage, mais bel et bien à permettre aux salariés de ne plus connaître le chômage.

Ce projet ambitieux, nous le nommons sécurité d’emploi et de formation quand d’autres l’appellent sécurité sociale professionnelle. Bien qu’il porte deux noms différents, il s’agit bel et bien d’un projet commun, celui d’agir simultanément sur deux leviers : la sécurisation de l’emploi et le renforcement du droit effectif à la formation initiale et professionnelle, de telle sorte que celle-ci protège les salariés des aléas économiques.

Force est de constater, monsieur le ministre, que, si à de nombreuses reprises nos vocabulaires se sont croisés ou se répondent, nous divergeons sur les mesures qu’il convient de prendre. Alors que, pour nous, la sécurité des parcours professionnels passe inéluctablement par l’interdiction des licenciements boursiers, par l’instauration d’une fiscalité du capital plus forte, par la modulation des cotisations sociales en fonction de la politique sociale et d’emploi des entreprises, bref, par un renforcement de la responsabilité sociale des entreprises, vous faites quant à vous le pari inverse.

J’en veux pour preuve que le Gouvernement a été le premier à instaurer une taxe sur les retraites pour financer la dépendance, plutôt que de créer, comme nous le proposions, une taxe sur les revenus financiers des entreprises.

J’en veux également pour preuve la manière dont vous avez permis, à l’occasion de la loi dite de « sécurisation de l’emploi », aux dirigeants d’entreprises de licencier sans motif économique les salariés qui refuseraient d’appliquer les accords de compétitivité, imaginés hier par Nicolas Sarkozy et Mme Parisot.

J’en veux encore pour preuve la manière dont vous avez imposé un allongement de la durée de cotisations sociales pour accéder à la retraite quand, dans le même temps, vous réduisiez les cotisations patronales sur la branche famille.

La réalité, c’est qu’il ne suffit pas de déclarer vouloir sécuriser l’emploi pour le faire réellement. La proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle en est un exemple de plus. Or comment garantir la sécurité des parcours professionnels sans s’attaquer à la racine du mal, c’est-à-dire sans combattre réellement et de front les conséquences désastreuses du capital et de son appétit sur le travail et les salariés ?

Certains, au MEDEF et parfois même à gauche, hélas ! semblent n’avoir, pour relancer notre économie, qu’un seul mot, celui de la réduction des coûts. Des coûts qui, soyons clairs, sont toujours salariaux ou sociaux. Ceux-là ne s’intéressent jamais à un autre coût, bien plus préoccupant à nos yeux, celui du capital.

Voilà peu, une étude a été menée par des économistes du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, le CLERSÉ, à la demande de la CGT et de l’Institut de recherches économiques et sociales, l’IRES. Cette étude ne manque pas d’intérêt : elle montre que ce surcoût du capital est considérable. À titre d’illustration, en 2011, il représentait en France, pour l’ensemble des sociétés non financières, 94, 7 milliards d’euros. Or cette captation par les actionnaires et les dirigeants des richesses produites dans les entreprises n’est pas sans conséquence sur la question de la formation professionnelle. Ces sommes accaparées pourraient utilement être consacrées à la recherche, à la modernisation des outils productifs, à l’investissement et à la formation des salariés.

Ces sommes colossales, qui ne servent aujourd’hui qu’à enrichir une minorité et à alimenter la bulle spéculative, manquent en réalité à l’économie réelle et privent les entreprises des moyens dont elles ont besoin pour se développer et réussir les innovations de demain. Cette ponction du capital nous prive en fait des outils dont nous avons besoin pour faire en sorte que les entreprises soient demain plus compétitives. Cette compétitivité retrouvée ne passera que par l’innovation et celle-ci suppose, outre un renforcement massif des moyens dédiés à la recherche et à l’investissement, des salariés formés aux techniques de pointe et aux enjeux de demain, notamment environnementaux.

En ce sens, parler de formation professionnelle, c’est parler inéluctablement du partage des richesses. De la même manière qu’hier, pour financer la protection sociale, le législateur a imaginé une ponction sur les richesses produites, nous sommes convaincus que, pour assurer un haut niveau de formation, il faut réduire la part de ces richesses qui alimentent le capital, il faut penser une nouvelle contribution sociale, mutualisée et solidaire, pour financer la formation professionnelle, soit l’inverse de ce qui est proposé dans le projet de loi. Car, ne l’oublions pas, sous prétexte d’instaurer un taux unique de contributions patronales, vous réduisez celui-ci de 1, 6 % de la masse salariale à 1 % !

Comme s’il était possible de former plus et mieux avec des ressources réduites. Nous en doutons ! D’autant que cette mesure profitera aux entreprises les plus grandes, qui, non contentes de bénéficier d’une réduction notable de leur obligation de financement, pourront désormais faire le choix de ne plus mutualiser une partie de celui-ci, au détriment bien entendu des salariés des petites entreprises. Sans doute s’agit-il ici d’une anticipation de ce que sera le « pacte de responsabilité », à savoir des cadeaux faits au patronat, sans contreparties réelles.

La création de la sécurité sociale professionnelle que nous souhaitons bâtir repose également sur un principe d’universalité totale, de telle sorte que l’ensemble de nos concitoyens, en activité ou privés d’emploi, puissent acquérir des droits individuels et entièrement transférables leur garantissant l’absence de périodes de chômage.

En la matière, je dois dire que certaines dispositions prévues à l’article 1er sont salutaires. Je pense par exemple au fait que, contrairement aux dispositions actuellement en vigueur, les droits accumulés sur le compte personnel de formation le seront tout au long de la vie professionnelle et non uniquement pour une période de deux ans.

De la même manière, nous apprécions le fait que, comme nous l’avions proposé en 2009 et lors de l’examen du projet de loi relatif à la sécurisation des parcours professionnels, vous ayez supprimé la disposition qui privait les salariés licenciés pour faute de la possibilité de conserver les droits accumulés au titre de leur droit individuel à la formation.

Pour autant, cela ne suffit pas à assurer réellement la formation de tous les salariés. Les salariés à temps partiel, qui sont les plus fragilisés économiquement, qui sont les plus soumis aux risques économiques et qui, dans l’immense majorité des cas, sont des femmes, continueront demain à être soumis à la règle de la proratisation, qui veut que les salariés à temps partiel ne puissent accéder qu’à des droits partiels en matière de formation. Maintenus dans la précarité, ces salariés demeureront parmi ceux qui peineront encore demain à accéder à la formation professionnelle. Des salariés que ce projet de loi n’épargne d’ailleurs pas, en repoussant de plusieurs mois, sans doute jusqu’à l’adoption du pacte de responsabilité, la règle de l’interdiction des contrats à temps partiel inférieurs à vingt-quatre heures.

Nous demeurons également inquiets quant au champ réel que recouvre le projet de loi. En effet, dans sa rédaction actuelle, il prévoit que les salariés qui ont perdu leur emploi pourront prétendre à la portabilité des droits acquis. La notion de perte ayant un caractère involontaire, nous sommes conduits à nous interroger sur le sort qui sera réservé aux salariés qui auront démissionné ou qui auront, de leur plein gré ou de manière plus ou moins contrainte, signé une rupture conventionnelle.

De la même manière, le projet de loi prévoit que le compte personnel de formation sera ouvert aux demandeurs privés d’emploi, sans préciser si cette expression inclut ceux qui ne sont pas inscrits à Pôle emploi ou qui ne perçoivent aucune indemnisation. Ces derniers sont quasiment plus nombreux que les chômeurs inscrits et indemnisés.

Assurer à toutes et à tous un droit effectif à la formation professionnelle tout au long de la vie suppose d’élever nos ambitions collectives et de faire confiance aux salariés. Dans cet esprit, nous refusons que les employeurs puissent avoir leur mot à dire sur le contenu des formations ; ils ne disposent d’aucune compétence en la matière. C’est aux pouvoirs publics, en lien avec les professionnels de la formation, avec les représentants des employeurs et des salariés, de définir quelles formations peuvent ou non être éligibles. La ligne doit être claire : favoriser l’accès aux formations les plus qualifiantes, de telle sorte qu’elles constituent une opportunité pour les salariés.

Assurer à toutes et à tous un droit effectif à la formation professionnelle tout au long de la vie suppose également de lever l’ensemble des freins que rencontrent les salariés. Je pense par exemple au fait que les employeurs puissent s’opposer à ce que le salarié se forme dès lors que la formation se déroule pendant le temps de travail.

Nous le savons pourtant toutes et tous, il est bien plus difficile de se former en dehors du temps de travail, après des journées professionnellement déjà bien remplies. D’autant que se pose la question terriblement concrète, mais réelle, de la conciliation des formations en dehors du temps de travail avec la vie privée et familiale. Malheureusement, la société est telle que, là encore, ce sont les femmes qui subissent cette double peine. C’est pourquoi, au groupe CRC, nous défendons l’idée que l’utilisation du compte personnel de formation soit impérativement individualisée. Autrement dit, il appartient au salarié et à lui seul de décider de la formation qu’il entend poursuivre et des conditions de sa réalisation.

Au regard des éléments que je viens de soulever, vous devinez, monsieur le ministre, combien nous aurions souhaité que vous alliez plus loin, par exemple en supprimant la référence à un plafond d’heures cumulables sur le compte personnel de formation ou même en organisant une portabilité totale du congé individuel de formation, dont le mécanisme ne fait l’objet d’aucune mesure.

Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots de l’articulation que vous proposez entre l’État et les régions.

Comme vous et avec celles et ceux qui, dans les régions, ont la responsabilité d’animer les politiques régionales en matière de formation, nous sommes convaincus de la pertinence de cet échelon. Pour autant, il nous semble important de réaffirmer que la formation professionnelle doit rester dans un cadre national, afin que chacun puisse bénéficier d’un égal accès à la formation.

Nos craintes en la matière sont importantes, car le projet de loi confie aux régions des missions en matière de formation professionnelle qui ne sont pas les leurs aujourd’hui. Ainsi, lorsqu’il est prévu que les régions assument l’information et l’orientation en matière de formation professionnelle tout au long de la vie, faut-il comprendre que l’orientation scolaire leur sera transférée ? Qu’adviendra-t-il des centres d’information et d’orientation, les CIO ? Parties prenantes du service public national de l’orientation, ils contribuent à garantir aux jeunes une information et des formations de qualité.

Notre crainte en la matière est que, demain, les CIO soient intégrés dans une logique de guichet unique, avec le risque que, par le biais de conventions entre les régions et différents acteurs, cohabitent des structures publiques et des structures privées, sans que les rectorats et l’éducation nationale puissent s’assurer de la qualité des informations prodiguées ou des formations proposées.

Je pourrais évidemment poursuivre sur le rôle des régions en matière de formation professionnelle, mais, le temps m’étant compté, j’y reviendrai lors de l’examen des articles.

Pour conclure – trop rapidement compte tenu du peu de temps qu’il me reste –, je tiens à vous exprimer, monsieur le ministre, notre opposition aux dispositions relatives à l’inspection du travail. Il s’agit d’une opposition de forme et de fond.

En intégrant cette question dans le projet de loi, censé transcrire dans la loi un accord national interprofessionnel, vous agissez comme d’autres le faisaient hier et que nous condamnions ensemble. Vous prenez appui sur un texte qui est le fruit d’une négociation et d’un accord pour imposer une mesure qui, vous le savez, n’a pas fait l’objet d’une concertation et est loin de faire l’unanimité. À tout le moins, vous auriez dû, comme vous l’avez fait avec les élections prud’homales, séparer des sujets qui n’ont rien à voir entre eux.

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