Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le niveau élevé du chômage et l’accélération des mutations économiques doivent nous conduire à considérer le développement des compétences et des qualifications comme un outil majeur de l’accès, du maintien ou du retour à l’emploi des personnes et de la compétitivité des entreprises.
Le potentiel humain est la principale richesse de nos entreprises et sa valorisation peut en faire un véritable moteur de la croissance. Pourtant, force est de constater que notre système de formation est complexe, cloisonné et opaque, en un mot : inefficace. Ce constat, nul ne peut le contester. N’oublions pas que l’architecture actuelle de notre système de formation professionnelle date de 1971 et de la loi Delors, à une époque où le chômage n’existait presque pas. Il s’agissait alors de faciliter la promotion professionnelle et sociale, de donner en quelque sorte une seconde chance à tous les salariés qui n’avaient pas bénéficié d’une solide qualification au cours de leur formation initiale. Aujourd’hui, les besoins ne sont plus les mêmes, et si de nombreuses réformes ont permis quelques adaptations, aucune réforme globale n’a jamais été entreprise.
De nombreux rapports ont pourtant mis en évidence la nécessité de faire évoluer un système qui montre ses limites, en passant d’une logique de dépense à une logique d’investissement et en répondant aux besoins de sécurité et de promotion professionnelles des salariés. La France souffre en effet d’une inadéquation structurelle entre les compétences disponibles sur le marché du travail et les besoins nécessaires à la relance de son économie. Selon une étude parue en mars 2012, cette inadéquation produirait, à l’horizon de 2020, 2, 3 millions d’actifs n’ayant pas les qualifications nécessaires, alors que 2, 2 millions d’emplois seront non pourvus faute de compétences disponibles, avec un risque élevé que cette pénurie n’entraîne une délocalisation des activités concernées.
Malgré un financement considérable – 32 milliards d’euros –, le système profite surtout aux salariés qui en ont le moins besoin, c’est-à-dire aux salariés les plus qualifiés et à ceux issus des grandes entreprises. Les chiffres sont à cet égard éloquents : 56, 5 % des ingénieurs et des cadres, contre seulement 32, 4 % des ouvriers et 53 % des salariés dans les entreprises de plus de 1 000 employés, contre 29 % dans les très petites entreprises accèdent à une formation.
Nous le voyons bien, le système ne répond pas de manière satisfaisante aux besoins des salariés les plus vulnérables et les moins qualifiés. Selon un récent rapport, particulièrement critique, de l’Inspection générale des affaires sociales, seul un chômeur sur cinq bénéficierait d’une formation. C’est dans cet esprit que le Gouvernement a demandé aux partenaires sociaux d’engager une négociation en vue de réformer en profondeur la formation professionnelle. L’accord national interprofessionnel du 14 décembre dernier a jeté les bases du texte que nous examinons aujourd’hui.
Monsieur le ministre, nous saluons donc votre initiative d’avoir associé les partenaires sociaux, conformément aux vœux du Président de la République, qui affirmait : « Il n’y aura pas de loi dans le domaine de la vie économique et sociale qui pourrait être votée par le Parlement sans qu’il y ait eu une phase de dialogue et de concertation. » Nous devons bien évidemment nous en réjouir.
Après les emplois d’avenir, les contrats de génération et la sécurisation de l’emploi, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est un outil supplémentaire pour lutter contre le chômage et favoriser le retour à l’emploi. Cette réforme doit permettre « de renouer avec l’esprit de la loi Delors, qui prônait la promotion sociale des individus », comme l’a rappelé le Président de la République en ouverture de la deuxième conférence sociale. Il fallait surtout une réforme globale qui place l’individu au centre du dispositif et qui permette de passer d’une obligation de payer à une obligation de former. La formation doit être considérée comme un investissement et non plus comme une dépense.
La mesure phare de ce texte réside dans la mise en place du compte personnel de formation, créé par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Le CPF constitue un outil privilégié dans la réforme de notre système de formation. Ce dispositif permettra enfin à un grand nombre de salariés et de demandeurs d’emploi de se former. Surtout, il sera attaché à la personne et non plus au contrat de travail. Par ailleurs, l’augmentation du plafond à 150 heures, qui représentent le minimum horaire pour une formation qualifiante, est une avancée significative.
Nous saluons également la mise en place d’un entretien professionnel pour l’ensemble des salariés ainsi que la création du conseil en évolution professionnelle. Le texte prévoit également un bilan tous les six ans des actions accomplies et une sanction de l’employeur qui n’aura pas rempli ses obligations.
Toutes ces innovations vont dans le sens d’une meilleure sécurisation des parcours professionnels et apportent de nouvelles garanties aux travailleurs.
Concernant la gouvernance du système, la compétence de la région est enfin réaffirmée et renforcée. Elle sera dorénavant le véritable chef de file de la formation professionnelle, et plus seulement un financeur. Elle sera aussi chargée de la formation des personnes handicapées, des détenus et des Français établis hors de France, elle organisera les actions de lutte contre l’illettrisme et les formations pour acquérir le socle minimal de connaissances. La région devient l’échelon pertinent pour l’élaboration d’un service public régional de l’orientation et de la formation professionnelles tout au long de la vie, ce qui permettra d’améliorer le service rendu aux usagers par une meilleure prise en compte des besoins des entreprises et des territoires.
En matière d’apprentissage, il faut, à mon avis, aller plus loin. Une véritable réforme de l’apprentissage exige surtout une nécessaire valorisation de cet outil, qui souffre toujours aujourd’hui d’une image négative. Encore trop souvent considéré comme une « voie de garage », l’apprentissage constitue pourtant un véritable rempart contre le chômage. En effet, 60 % des apprentis décrochent un CDI à la fin de leur contrat d’apprentissage. Si nous voulons atteindre le niveau de l’Allemagne, où 60 % des entreprises ont recours à l’apprentissage, il nous faudra redoubler d’efforts.
S’agissant du deuxième volet portant sur « la démocratie sociale », nous en partageons l’essentiel et surtout l’esprit, à savoir la volonté de clarification : clarification dans le domaine de la représentativité des organisations patronales, du financement de la démocratie sociale, avec la création d’un fonds abondé à la fois par l’État et les entreprises, et enfin des comités d’entreprise. Sur ce dernier point, les mesures proposées renforceront, j’en suis sûre, la légitimité de ces instances sur lesquelles pèse depuis trop longtemps un climat de suspicion. Il fallait en finir avec une réglementation opaque, propice à une gestion inefficace dénoncée à maintes reprises par la Cour des comptes.
Enfin, nous comprenons que la réforme de l’inspection du travail ait pu susciter quelques inquiétudes, et je m’interroge effectivement sur l’opportunité d’introduire ce volet dans un projet de loi sur la formation professionnelle. Peut-être aurait-il été préférable de se pencher sur le sujet à l’occasion de l’examen d’un texte spécifique.