Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 16 décembre dernier, le journal Le Monde publiait un article sur le dénommé Garaad Mohamed, que le célèbre quotidien maritime londonien Lloyd’s List venait de placer en quatrième position de sa liste des cent principaux acteurs du transport maritime mondial. Or cette personne, que nous connaissons sous ce nom d’emprunt, se trouve être l’un des plus renommés pirates somaliens.
En plaçant M. Mohamed dans leur liste – et en si haute position –, l’équipe du journal britannique a souhaité mettre en relief l’importance qu’a prise la piraterie maritime, tout particulièrement dans le golfe d’Aden et, de plus en plus, dans l’océan Indien.
Richard Meade, rédacteur en chef du Lloyd’s List, ajoutait dans le même article que les pirates « obtiennent d’autant plus facilement les rançons exigées que la lutte contre le fléau à l’échelle internationale s’est révélée un échec ». Plus loin, le journaliste du Monde Marc Roche note que les incidents en haute mer ont augmenté en 2010. On a notamment vu des pirates attaquer de très gros navires afin de pouvoir s’en servir ensuite pour attaquer des navires encore plus importants.
Bien sûr, il ne faut pas croire que tous les pirates, à l’instar de M. Mohamed, qui est un commanditaire plus qu’un pirate au sens propre, sont tous devenus riches en l’espace de quelques années. Le développement de la piraterie, exacerbé par l’absence de tout pouvoir central en Somalie, a été décuplé par la pauvreté extrême dans laquelle se débattent la grande majorité des Somaliens. Cet aspect – il avait déjà été évoqué en séance lors de l’examen de la mission « Action extérieure de l’État » du projet de loi de finances pour 2011 – ne doit pas être négligé.
Au-delà, il faut également avoir à l’esprit que le nombre d’otages, conséquence logique du développement des incidents, se multiplie. Ce sont environ trois cents marins qui seraient aujourd’hui retenus et leur sort ne semble susciter, malheureusement, que bien peu d’intérêt.
Alors oui, monsieur le ministre, il était nécessaire, notamment pour toutes ces raisons, que notre pays se dotât d’une loi pour participer à la lutte contre ce fléau. En l’absence de tout texte sur le sujet depuis le retrait il y a trois ans de la fameuse loi de 1825, il était urgent de légiférer sur ce point.
Le groupe socialiste a toujours convenu de la nécessité d’un tel texte. La piraterie maritime, que l’on croyait cantonnée aux romans de Robert Louis Stevenson – on célébrait d’ailleurs le mois dernier les cent cinquante ans de sa naissance – ou aux superproductions hollywoodiennes, a en effet resurgi sur la scène internationale depuis quelques années.
Si les médias se sont emparés du sujet essentiellement depuis 2008, il ne faut pas croire pour autant que les faits sont si récents que cela. La piraterie, comme la plupart des formes de criminalité, est bien souvent symptomatique de situations de détresse et de pauvreté. Je ne cherche pas là à excuser les actes des pirates, mais il me semble évident que, comme je l’ai dit voilà un instant, la situation dans laquelle se débat la Somalie depuis plusieurs années n’a fait qu’accélérer ce type de comportements.
En France, c’est la célèbre prise d’otage du Ponant qui a ravivé l’intérêt des acteurs politiques et médiatiques pour la piraterie. C’est l’Union européenne qui avait réagi le plus vite avec la mise en place de l’opération Atalanta qui, même si elle s’essouffle depuis quelques mois, a eu dans un premier temps des résultats probants. Les enjeux étaient en effet de taille et nécessitaient une intervention.
La vie des marins est bien sûr mise en danger par ces actes mais, d’un point de vue plus global, c’est tout un système économique, dans un monde où une grande majorité du commerce se fait par voie maritime, qui est ainsi remis en question.
C’est donc une bonne chose que la France se soit finalement, à son tour, saisie de ce problème au moyen de ce projet de loi déposé par votre prédécesseur, monsieur le ministre. Néanmoins, lors de la première lecture dans cet hémicycle, mon collègue Didier Boulaud, notamment, avait mis en évidence quelques points d’ombre. Le député Gilbert Le Bris a fait de même lors du récent passage du projet devant l’Assemblée nationale.
La décision prise le jeudi 16 décembre par la Cour de Cassation ravive même nos inquiétudes à l’égard de certaines dispositions. Il a, en effet, été établi que le ministère public n’était pas une autorité judiciaire au sens de la Convention européenne des droits de l’homme. Les procureurs de la République sont donc certes des magistrats mais pas des juges, ce qui pose problème dans le cas qui nous occupe aujourd’hui. Attendons de voir ce que donnera l’appel, mais admettez que cette décision remet en cause certains aspects fondamentaux du texte.
Les arrêts Medvedyev du 10 juillet 2008 et Moulin du 23 novembre 2010 rendus tous deux par la Cour européenne des droits de l’homme se voient ainsi, pour le moment, confirmés par la Cour de cassation.
Revenons un instant sur l’arrêt Medvedyev : le cas considéré était celui de marins interpellés sur un cargo pour trafic de drogue, et qui avaient été reconduits vers la France sous le contrôle à la fois de la marine nationale et du procureur de la République, au cours d’un voyage en mer qui avait duré treize jours.
La Cour européenne des droits de l’homme avait alors estimé que ces marins avaient été privés de liberté sans contrôle d’une autorité judiciaire dans la mesure où – comme je le disais à l’instant – le procureur de la République, du fait de son rattachement au pouvoir exécutif, n’était pas, aux yeux de la Cour, une autorité judiciaire.
Aussi, monsieur le ministre, j’aimerais savoir comment le Gouvernement entend agir si la décision prise jeudi dernier par la Cour de cassation est confirmée. En effet, il apparaît évident que serait alors totalement remis en cause le progrès que constitue pourtant ce projet de loi.
Les inquiétudes exprimées par mes collègues lors de l’examen en première lecture apparaissent aujourd’hui dans toute leur acuité, car il est essentiel que ce projet de loi garantisse bien la sécurité juridique des agents de l’État intervenant en mer.
Au-delà, la protection des droits de la défense n’est, à nos yeux, toujours pas pleinement assurée par le présent projet de loi. Penser au sort des pirates ne signifie pas pour autant oublier celui des otages ; je veux rassurer M. Christian Cambon, qui s’en était ému plusieurs fois lors de l’examen en première lecture.
La justice d’un pays se mesure à l’aune du traitement appliqué à ceux qui n’ont pas respecté les lois. Cela implique que la personne détenue, sur un bateau ou ailleurs, puisse être conseillée par un avocat. Or à aucun moment celui-ci n’apparaît dans la procédure telle que vous la définissez. Un amendement visant à remédier à cette absence avait été défendu par notre collègue Robert Badinter en première lecture puis, malheureusement, rejeté. Les députés socialistes, qui avaient présenté un amendement allant dans le même sens, ont également été déboutés.
Certes, il est peut-être difficile, comme cela nous avait été rétorqué, de faire venir un avocat sur un bateau. Cependant, – M. Robert Badinter l’avait bien noté – je crois savoir que ni le procureur de la République – si la possibilité lui en est encore donnée –, ni le juge des libertés et de la détention ne seront sur le navire. Il serait relativement aisé d’établir une communication par satellite avec le port le plus proche et donc avec un avocat.
À l’heure où notre système judiciaire est remis en question, de l’intérieur comme de l’extérieur, il aurait été bon de ne pas s’exposer à une critique supplémentaire. Nous regrettons donc que de telles dispositions n’aient pas été prises dans ce projet de loi.
Monsieur le ministre, puisque vous avez un regard neuf sur le sujet, ...