Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 18 février 2014 à 21h30
Formation professionnelle — Article 1er

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 1er de ce projet de loi a pour objet d’organiser la mise en œuvre du compte personnel de formation, en en posant les principes et les modalités essentielles de fonctionnement. Il supprime donc le droit individuel à la formation, le dispositif qui prévaut aujourd'hui et qui présente de sérieuses insuffisances.

Le contexte économique et social actuel et les injonctions de compétitivité et de flexibilité fragilisent les travailleurs, notamment les moins qualifiés. De nombreuses réformes sont intervenues ces dernières années, sans que jamais le système soit remis en question ni repensé dans sa totalité. Il persiste une forte quantité d’emplois dits « non qualifiés », qui concernent environ cinq millions de salariés.

La France a deux fois plus de salariés faiblement qualifiés que l’Allemagne, selon les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Il s’agit donc de s’attaquer précisément aux inégalités d’accès aux formations continues qui constituent le cœur du problème de l’efficacité du marché du travail français. Le rapport de 2008 de la Cour des comptes pointe sévèrement les insuffisances d’un système qui peine à répondre à ses enjeux prioritaires.

Améliorer significativement la formation continue, c’est, comme je l’ai souligné dans la discussion générale, travailler à un projet de sécurité d’emploi et de formation, aussi appelé « sécurité sociale professionnelle », avec garantie des qualifications.

Certains éléments de l’article 1er de ce projet de loi vont dans le bon sens. La mobilisation du DIF, le droit individuel à la formation, était restée très faible et la durée des actions était souvent limitée, de l’ordre de 22, 5 heures en moyenne. La part des formations qualifiantes y était de surcroît minime. La mise en œuvre du compte personnel de formation marque quelques avancées par rapport au DIF. Cependant, nous nous voyons dans l’obligation d’opposer nos réserves quant à certains aspects de cet article 1er.

Nous réaffirmons que les salariés doivent pouvoir accéder à un plus haut niveau de qualification et de compétence lorsqu’ils le souhaitent. La création du compte personnel de formation doit être pour le travailleur l’occasion d’évoluer et de gagner en compétence. Or le taux d’accès à la formation qualifiante des adultes en France est le plus bas de toute l’Europe, puisque, selon l’INSEE, il représente seulement 11 % des formations suivies. Le système reste marqué par de très fortes disparités dans l’accès à la formation.

Ces disparités dépendent d’abord de la taille de l’entreprise : plus celle-ci est grande et plus les salariés ont accès à une formation. Ainsi, seuls 29 % des salariés bénéficient de la formation dans les entreprises de moins de dix salariés. Le projet de loi prévoit cependant que les entreprises de plus de 300 salariés ne soient pas dans l’obligation de mutualiser leur contribution à la formation professionnelle, ce qui accentuerait encore la disparité d’accès à la formation pour les petites et moyennes entreprises.

Ces disparités varient également selon les catégories socioprofessionnelles : les ouvriers ont deux fois moins de chances que les cadres d’être formés, alors que les métiers à faible qualification sont ceux qui requièrent le plus de formation, car ils sont plus facilement précarisés.

Un clivage marque aussi l’accès à la formation selon le sexe : d’après les données de l’enquête Adult Education Survey 2012, si les femmes ont presque autant accès que les hommes à la formation continue, elles ont plutôt tendance à se former dans les catégories des cadres et des professions intermédiaires, tandis que les hommes sont plus nombreux à se former dans les catégories des employés et des ouvriers.

Enfin, on observe des disparités en fonction du statut dans l’emploi : comparé à celui des actifs, le taux d’accès des demandeurs d’emploi à la formation professionnelle reste trop faible.

Par ailleurs, les besoins en termes de formation ne sont pas les mêmes selon les publics. Une personne disposant d’un emploi stable n’a pas les mêmes besoins qu’une personne en situation précaire.

Nous serons particulièrement attentifs à la protection des salariés à temps partiel, qui accusent le plus grand déficit de formation, mais qui sont en même temps ceux qui en ont le plus besoin. En effet, travailler à temps partiel ne signifie pas que le salarié ne doit pas être compétent, tout au contraire. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut prêter une attention toute particulière à ces catégories.

Qui plus est, cela a été dit tout à l'heure, ces contrats touchent majoritairement les femmes, dont les perspectives de carrière sont minées par un accès réduit à la formation.

Parce qu’elle n’est que rarement qualifiante, la formation proposée aux travailleurs précaires n’est pas une fin en soi et n’apparaît pas toujours comme un moyen de progression professionnelle ou une réponse à un besoin, comme le montre l’enquête « Formation emploi » du Centre d’études et de recherches sur les qualifications, le CEREQ.

Si cet article 1er est un premier pas qui respecte l’esprit de ce projet de loi, il en trahit la lettre et reste pour nous insatisfaisant. C’est pourquoi, sous réserve de l’adoption de nos amendements, nous ne voterons pas cet article 1er.

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