Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette fin d’après-midi, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie maritime et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer. C’est avec satisfaction que nous avons pu constater, en commission, que ce texte n’a été modifié qu’à la marge par nos collègues députés.
En effet, les amendements adoptés par l’Assemblée nationale sont d’ordre rédactionnel, preuve du remarquable travail préparatoire du rapporteur, notre collègue André Dulait, et de la qualité de celui que nous avons mené à la fois commission et, le 6 mai dernier, en séance publique, grâce à l’ensemble de nos collègues, sur quelque travée qu’ils siègent.
De fait, nous ne referons pas le débat, de même que je ne reviendrai pas sur le fond du texte, mais vous me permettrez d’attirer votre attention sur quelques points qui me semblent importants.
Tout d’abord, ce projet de loi est aussi symbolique que pragmatique. Il apporte une réponse législative concrète à un phénomène en hausse : je vous renvoie aux publications chiffrées du Bureau maritime international sur la hausse des actes de piraterie, étant observé que plus de 90 % du transport mondial de marchandises s’effectue par voie maritime.
Et ce n’est pas seulement le sénateur de la commission des affaires étrangères qui s’en émeut, c’est aussi l’élu de Loire-Atlantique, car, en 2009, le trafic du port de Saint-Nazaire a avoisiné les 30 millions de tonnes.
Ce projet de loi, que nous examinons en deuxième lecture, permet la mise en place d’un cadre juridique relatif à la répression de la piraterie en s’appuyant, d’une part, sur la convention de Montego Bay et en reprenant, d’autre part, les dispositions de la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer.
Ce texte évitera à l’avenir à notre pays les condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme, comme ce fut le cas avec l’arrêt Medvedyev en 2008.
Désormais, la France disposera d’un cadre légal pour intervenir, appréhender et éventuellement détenir les auteurs d’actes de piraterie, et ce au moment où notre pays participe aux opérations navales européennes en la matière. Je pense notamment à l’opération Atalanta, qu’elle mène avec ses partenaires espagnol et anglais.
Face à l’euroscepticisme en matière de défense européenne, nous ne pouvons que nous en féliciter. Cela prouve que notre droit national peut tout à fait coexister avec le droit européen et que les États européens peuvent parler d’une seule voix tout en menant des actions concrètes et efficaces.
Je vous renvoie d’ailleurs aux déclarations de Mme Ashton, le 29 juillet dernier, qui se félicitait des opérations européennes contre la piraterie.
L’adoption de ce texte correspond à l’envoi d’un double message. Outre notre attachement au droit européen, c’est un message aux pirates eux-mêmes que nous adressons, et ce au moment où six Somaliens sont renvoyés devant la cour d’assises des mineurs de Paris pour la prise d’otages à bord du Carré d’As.
Les lacunes de notre droit auraient pu être interprétées par les pirates comme « un laisser-passer », mais ce texte est un avertissement sévère qui a d’ores et déjà des conséquences judiciaires pour les auteurs.
Si nous mettons en place des opérations telles qu’EuNav pour lutter contre la piraterie, nous savons que les solutions se trouvent également sur place.
Certes, ce fléau trouve ses origines dans la misère et la pauvreté, mais, malgré ses difficultés, le pouvoir central somalien devrait engager des actions à l’encontre de ses pirates.
À ce jour, au large des côtes somaliennes, la piraterie laisse planer une menace sur 25 000 navires qui y croisent chaque année. Pour 2010, ce ne sont pas moins de 206 actes de piraterie qui ont été recensés par le Bureau maritime international.
Ces actes de kidnapping sont d’autant plus odieux qu’aucune distinction n’est faite entre les bateaux de plaisance, les navires commerciaux ou les navires du programme alimentaire mondial à destination des populations démunies, pour qui ces cargos sont bien évidemment vitaux.
Les trois derniers mois de cette année resteront marqués par le nombre d’attaques, qui s’étendent désormais au large des côtes de l’Afrique orientale. À la fin du mois de septembre, à moins de 45 nautiques du port Dar Es Salam, en Tanzanie, trois navires ont été pris pour cible ; le 11 octobre, c’est un cargo japonais transportant de l’acier qui a été attaqué au large du Kenya ; enfin, le 9 novembre, un bateau de plaisance sud-africain a été attaqué.
À cette menace s’ajoutent l’angoisse d’une demande de rançon et l’incertitude sur l’avenir des cargaisons, dont la valeur marchande atteint souvent plusieurs millions d’euros, voire plus.
Les conséquences de ce pic de dangerosité se traduisent par une très forte augmentation des primes d’assurance pour les armateurs, qui n’ont toujours pas d’autre choix que de transiter par le golfe d’Aden ou l’océan Indien.
Souvenons-nous du Sirius Star : la cargaison était estimée à 100 millions de dollars et les demandes de rançon s’élevaient 25 millions ! Mais combien d’autres navires sont encore retenus parce que ni les armateurs ni les gouvernements n’ont les moyens d’intervenir ?
Mes chers collègues, je souhaite ici attirer votre attention sur un point qui n’a pas été évoqué, ou très peu.
Le dernier rapport de l’association Ecoterra International, spécialisée sur les questions de piraterie, estime que, à ce jour, 669 marins – philippins, ukrainiens, yéménites, indiens, ghanéens, etc. – sont détenus par des pirates dans des conditions dramatiques.
Depuis leur fond de cale, ils croupissent en attendant une hypothétique libération ou un geste de leurs armateurs et gouvernements.
Alors à ceux qui s’inquiètent – légitimement – du respect des droits des prisonniers et des conditions d’arrestation des pirates par les autorités françaises, je souhaite rappeler que les kidnappés sont aussi concernés par les droits de l’homme !
Bien sûr, il est difficile de dresser un profil type des pirates et de leur appartenance à certains réseaux ou groupes mal identifiés, mais le trafic maritime représente pour ces individus une manne financière illimitée et sans cesse renouvelée.
C’est là ni plus ni moins un fonds d’investissement qui leur permet d’acquérir de véritables arsenaux militaires, lesquels font désormais partie intégrante de la parfaite panoplie du pirate du XXIe siècle.
D’ailleurs, lorsqu’on observe l’état de leurs embarcations – les « bateaux-mères » – s’élançant à l’assaut de supertankers, on ne peut que constater leur témérité, qui n’est pas si éloignée de celles des flibustiers ou des boucaniers des siècles passés !
À la lecture du quotidien britannique maritime Lloyd’s List, on découvre que M. Garaad Mohamed, pirate somalien de son état, se hisse au hit-parade des descendants de Barbe Noire et qu’il est l’un des hommes les plus influents de Somalie et de la navigation. D’ailleurs, il n’hésite pas à se targuer des bénéfices que lui rapporte son florissant commerce.
C’est pour cela que je vous remercie, mes chers collègues, d’avoir accepté ma proposition d’amendement tendant à permettre aux autorités de saisir et de détruire les embarcations.
Cependant, si l’on prend en compte le fait que les océans couvrent plus de 70 % de la surface de la planète et que 90 % des marchandises sont transportées par voie maritime, nous aurons un rapide aperçu du chemin qu’il reste à parcourir aux États pour assurer la sécurité totale de leurs navires.
À terme nous pouvons craindre la mise en place d’opérations de maintien de la sécurité maritime menées par les acteurs de la politique de sécurité et de défense commune et leurs alliés.
N’oublions pas non plus que ces détournements de navires et de leurs cargaisons peuvent avoir des conséquences catastrophiques en termes humanitaires et économiques, mais aussi écologiques.
Certes, les pirates n’ont aucun avantage à détériorer les cargaisons, bien au contraire, ils n’en ont d’ailleurs pas les moyens, mais les risques d’accident existent.
C’est en particulier le cas lors d’attaques de supertankers – le Sirius Star transportait 2 millions de barils de pétrole – ou de bateaux-citernes, qu’ils contiennent des produits chimiques ou du gaz.
De plus, ces détournements de supertankers, qui transportent des matières énergétiques en des temps où celles-ci tendent à se raréfier et où leurs prix s’envolent, nous poussent à nous interroger sur les transports de marchandises stratégiques.
Les conséquences sur les marchés de matières premières sont loin d’être négligeables.
Avant de conclure, monsieur le ministre, je souhaiterais vous faire part de ma préoccupation « technique » sur les actes de piraterie commis dans les eaux territoriales françaises.
Nous le savons, la France bénéficie de la deuxième surface maritime au monde grâce à ses départements et collectivités d’outre-mer et à quelques îles éparses.
La menace de piraterie existe dans les eaux françaises de certaines collectivités d’outre-mer, comme le prouvent des exemples récents à Mayotte, à Tromelin, etc.
Or il me semble que nous nous retrouvons dans une situation paradoxale. La loi donne compétence aux commandants de navire de guerre pour agir en haute mer, y compris dans les eaux territoriales étrangères lorsque le droit international les y autorise, alors que cette compétence leur est refusée contre les brigands opérant en eaux françaises.
Pourtant, conformément à la convention de Montego Bay, il est possible de prévoir en droit français de punir les personnes qui commettraient en eaux intérieures ou territoriales françaises des infractions analogues à l’infraction de piraterie.
Malheureusement, le projet de loi ne crée pas d’infraction de piraterie spécifique puisqu’il reprend des infractions prévues par le code pénal.
Malgré tout, les articles 25 et 27 de la convention de Montego Bay donnent pouvoir à l’État côtier de prendre, dans sa mer territoriale, les mesures nécessaires pour empêcher tout passage qui n’est pas inoffensif.
Ainsi, dans certaines de ces zones, comme dans les îles Éparses, seule la marine dispose des moyens permettant de rechercher, constater et réprimer des infractions, que ce soit depuis la haute mer ou bien lors de missions dédiées.
Or le code disciplinaire et pénal de la marine marchande habilite déjà les commandants de la marine nationale à constater des infractions en mer territoriale similaires à des actes de piraterie. Toutefois, ce code disciplinaire ne prévoit rien concernant les pouvoirs de constatation relatifs aux attaques intentionnelles, enlèvements et séquestrations en mer à des fins non politiques.
Cette absence d’élargissement des pouvoirs de nos commandants aux eaux territoriales fait que seuls des officiers de police judiciaire pourraient constater les actes de « banditisme maritime » ou de « vol à main armée ».
Ainsi, les tâches conduites par le bâtiment sous contrôle du procureur de la République seraient exclusives de toutes autres missions. C’est donc parce que les commandants ont aujourd’hui des pouvoirs de police judiciaire, et non des pouvoirs d’officier de police judiciaire que le procureur de la République ne peut pas distraire les bâtiments des autres missions.
Ma question est de savoir s’il est opportun de priver en eaux territoriales les bâtiments de guerre de l’autonomie juridique et opérationnelle dont ils disposent en haute mer pour appréhender des pirates. En métropole, peut-être, mais pas dans la région des îles Éparses très isolées et totalement dépourvues d’officier de police judiciaire.
Outre ce point de droit franco-français, important pour mes collègues ultramarins, nous pouvons nous féliciter des avancées contenues dans ce projet de loi. C’est pourquoi le groupe UMP le votera.