Intervention de Jean-Pierre Michel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 février 2014 : 1ère réunion
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel, rapporteur :

Ce projet de loi, que le Gouvernement nous demande d'examiner en procédure accélérée, est complexe. Il transpose deux directives : l'une, dite « directive B », doit être intégrée dans notre droit national avant le 2 juin 2014, ce qui n'est pas anodin car les sanctions financières sont lourdes en cas de retard de transposition, et l'autre, la « directive C », partiellement et par anticipation, qui doit être transposée avant le 27 novembre 2016, qui concerne surtout la présence de l'avocat aux différents stades de la procédure pénale.

L'idée de ces directives est d'édicter un socle commun minimal de normes procédurales applicable à l'enquête et au procès dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Mais ces directives introduisent des bouleversements considérables dans notre procédure pénale. Elles sont inspirées par le droit anglo-saxon qui privilégie la procédure orale, alors que notre procédure est davantage écrite. Les fonctionnaires de police devront donc se soumettre à des impératifs nouveaux qui allongeront les procédures.

Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre du programme de Stockholm, à la suite duquel avait été adoptée une « feuille de route », d'ores et déjà matérialisée par trois directives. La France a déjà transposé la directive sur le droit à l'interprétation et à la traduction, texte rapporté par notre collègue Alain Richard (directive A). Le présent projet de loi transpose la directive B en introduisant de nouvelles obligations, à chaque stade de la procédure, en ce qui concerne l'information des personnes, qu'elles soient suspectes ou mises en examen, ce qui nous conduit notamment à encadrer l'audition libre, en intégrant les principes posés par le Conseil constitutionnel. Il transpose également une partie des dispositions de la directive C sur le droit d'accès à un avocat, celles concernant l'accès à un avocat des personnes librement entendues, anticipation souhaitée par le Gouvernement.

La France, comme d'autres États, avait émis des réserves sur ce dernier projet de directive et avait plaidé pour que la place de l'avocat dans la procédure pénale et l'aide juridictionnelle soient traitées ensemble, car, en l'état, il y aura incontestablement une augmentation exponentielle de l'aide juridictionnelle. Le Sénat s'était d'ailleurs fait l'écho de cette position par l'adoption d'une résolution européenne le 28 janvier 2012, à l'initiative de Jean-René Lecerf.

Les observations de la France n'ont été que très partiellement prises en compte, dans la version finale, qui instaure comme principe le droit d'accès effectif à un avocat dans tous les cas où une personne est suspectée ou accusée, qu'elle soit libre ou détenue, pendant la phase d'enquête, d'instruction et de jugement des affaires pénales ainsi que le droit de communiquer avec un tiers et d'informer un tiers de l'arrestation. Nous devrons donc nous préparer à des bouleversements considérables avant le 27 novembre 2016, notamment sur l'aide juridictionnelle. Le projet de loi anticipe certaines dispositions de la directive C en ouvrant à la personne suspecte entendue librement le droit d'être assistée par un avocat.

Aujourd'hui, il y a le simple témoin, d'une part, et la personne suspectée, d'autre part, qui peut être entendue sous le régime de l'audition libre. Cette personne entendue librement n'est pas un simple témoin. Avec cette directive, la personne suspectée pourra être entendue librement avec son avocat, son audition libre pouvant à tout moment être transformée en garde à vue. Dans une procédure orale accusatoire, c'est cohérent, mais cela s'appliquera à une procédure écrite non contradictoire, ce qui est peu satisfaisant. Il y aura une inégalité entre ceux qui peuvent être assistés par un avocat et les autres. La procédure sera alourdie et des difficultés sont prévisibles.

Les avocats sont très favorables au texte, les policiers et les gendarmes sont beaucoup plus réservés, compte tenu des difficultés d'application de la loi. La garde des sceaux a chargé M. Jacques Beaume, procureur général près la cour d'appel de Lyon, de conduire un groupe de travail consacré à l'équilibre de la procédure pénale. On réfléchit à ce sujet depuis longtemps en France, en attestent les nombreux rapports sur le sujet : rapports Delmas-Marty, Truche, Léger, etc., plus celui que j'ai écrit avec Jean-René Lecerf il y a quatre ans. Malgré cela, on se trouve toujours dans une certaine confusion, avec des transpositions de directives européennes, année après année, ce qui d'ailleurs montre malheureusement le manque de poids de nos gouvernements successifs au sein du Conseil de l'Union européenne.

Le projet de loi conduira d'abord à un renforcement des droits de la défense à tous les stades de la procédure. L'audition libre est créée, la personne susceptible d'être soupçonnée devant pouvoir avoir recours à un avocat. Or, aujourd'hui, on ne dénombre pas moins de 800 000 auditions libres, police et gendarmerie confondues, en France chaque année. Envisager le recours à un avocat pour toutes les personnes entendues librement est donc potentiellement très lourd, même s'il est évident que toutes les personnes concernées n'auront pas recours à ce droit. La personne en audition libre, qui est donc suspectée, ne pourra être entendue qu'après que ses droits lui auront été notifiés. Cela comprend le droit d'être assisté par un avocat pour la personne suspectée d'avoir commis un crime ou un délit puni par une peine d'emprisonnement.

Le projet de loi renforce également d'autres droits pour les personnes entendues librement. Mentionnons le droit à un interprète, le droit de se taire, le droit de partir à tout moment, etc. Le droit au silence, c'est-à-dire le droit de ne pas s'incriminer en droit européen, est un sujet particulièrement important. La Cour européenne des droits de l'homme a statué à plusieurs reprises sur le droit au silence. Ce droit est aujourd'hui réglementé dans la garde à vue, il devra l'être également dans le régime de l'audition libre. Le Gouvernement a donc proposé une rédaction pour traduire dans notre droit cette faculté de se taire dans le cadre de l'audition libre, pendant la mise en examen, sous le statut de témoin assisté, devant le tribunal correctionnel et devant une cour d'assises. La personne suspectée peut ainsi « faire des déclarations, répondre aux questions posées ou se taire ». Cette rédaction est conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Enfin, le projet de loi parachève la transposition de la directive du 20 octobre 2010 concernant les enquêtes de police, de gendarmerie et douanières.

Sur la question de l'accès au dossier, le projet de loi ne remet pas en cause la distinction entre les phases policière et judiciaire prévue par le code de procédure pénale. En cas de garde à vue, le code de procédure pénale prévoit que l'avocat peut consulter le procès-verbal constatant la notification de placement en garde à vue, les procès-verbaux d'audition et le certificat médical sans avoir le droit d'en prendre copie.

Cet état de droit est jugé insatisfaisant par certains avocats qui plaident pour avoir accès à l'ensemble des pièces dès la garde à vue, ce qui comprend par exemple l'ensemble des témoignages recueillis.

Dans le rapport d'information que nous avons co-rédigé avec Jean-René Lecerf, nous avons souligné qu'il faut distinguer les phases policière et juridictionnelle de la procédure. L'ensemble des personnes entendues, à l'exception des avocats, soulignent que seuls les éléments provenant du mis en cause doivent être accessibles pendant la phase d'enquête. Il faut éviter que des co-auteurs d'infraction soient avertis par une personne ayant eu accès au dossier, pour protéger des témoins notamment. Les avocats voudraient avoir accès à l'ensemble des pièces. Les représentants de policiers auditionnés soulignent le risque que constitue la transmission du procès-verbal d'une audition à toute personne concernée. Sans compter que matériellement, cela impliquerait de retranscrire en temps réel, sous forme de procès-verbal, toutes les auditions. Or, élaborer les procès-verbaux prend parfois du temps et toutes les pièces de l'enquête ne sont pas forcément accessibles au moment de la garde à vue.

Pendant l'instruction et dans la phase de jugement, il faudra donner l'intégralité du dossier aux parties qui ont choisi de se défendre seules. C'est un pas de plus vers la fin du secret de l'instruction. C'est aussi une avancée dans la procédure contradictoire : l'intéressé aura connaissance du dossier dans son intégralité.

Abordons enfin l'article 10 qui n'a pas de lien direct avec le projet de loi. Il prévoit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur le droit d'asile. Ce n'est pas un secret que de dire que ce point fait l'objet d'une polémique entre différents ministères. Mais je considère que le Gouvernement a arbitré, puisqu'il a inséré cette disposition dans le projet de loi.

Le ministère de l'intérieur souhaite présenter un texte distinct sur la procédure d'asile, mais ce texte ne sera pas prêt avant fin 2014. La difficulté, dans l'immédiat, perdure : les personnes que l'on renvoie dans un autre pays membre de l'Union européenne n'ont actuellement pas de recours suspensif. Cela pourrait valoir à la France une condamnation. L'article 10 prévoit ce recours suspensif.

En tant que rapporteur, j'ai déposé une série d'amendements sur ce texte pour prendre en compte les inquiétudes des officiers de police judiciaire. J'accepte donc le principe, retenu par le Gouvernement, d'une application de la directive a minima. Ce n'était pas la position du Conseil national des barreaux par exemple. Il faudra malgré tout que le ministère de l'intérieur fasse un effort de pédagogie, et cela rapidement : la directive B sur l'information des droits est applicable sans délai.

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