Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, Daniel Raoul, Roland Courteau et Roland Ries n’ont pu se libérer pour cette séance finale et vous prient de bien vouloir les excuser. Il me revient donc la responsabilité de revenir, au terme de la réunion de la commission mixte paritaire, sur cette séquence qui, à l’image de tant d’autres, met à mal le mythe de l’« hyperparlement » qui prospère depuis la réforme constitutionnelle de 2008 : on nous parlait de revalorisation des droits des assemblées, et j’avais eu, en ma qualité de nouvelle parlementaire, la faiblesse d’y croire.
Sur les travées de l’opposition comme sur celles de la majorité, le malaise est palpable : le Parlement est devenu une institution malléable et corvéable à merci.
Il est malléable, car je n’avais encore jamais vu, pour ma part, de proposition de loi de transposition, qui plus est astreinte à la procédure d’urgence. Comble de la supercherie, cette proposition de loi de transposition s’est transformée en proposition de loi d’habilitation. Nous sommes les complices d’un hara-kiri parlementaire ! Le Gouvernement joue en effet au coucou dans cette affaire. Je suis, quant à moi, perplexe face à cette invasion gouvernementale de nos travaux.
Le Parlement est également corvéable, car des dispositions identiques se retrouvent dans trois véhicules législatifs différents, sur lesquels nous avons dû nous prononcer à chaque reprise ; il nous a fallu suivre l’évolution de dispositions disparates en ayant l’œil sur la proposition de loi Warsmann de simplification du droit, sur l’ordonnance du 21 octobre 2010 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’environnement et sur les amendements gouvernementaux à la proposition de loi de MM. Longuet, Emorine et Bizet.
Nous avons participé, de mauvais gré, à une course à l’échalote : il nous a été clairement indiqué que le sort des propositions de loi déposées, respectivement, par M. Warsmann et MM. Longuet, Bizet et Emorine dépendrait du calendrier : la première adoptée l’emporterait et ferait tomber les dispositions identiques prévues dans l’autre !
De fait, quatre des huit articles initiaux de la présente proposition de loi figuraient déjà dans le texte de Jean-Luc Warsmann. C’est donc un contre-exemple de simplification du droit. Finalement, tout est bon pour parvenir à l’objectif recherché ; peu importent les moyens.
La sanction infligée en cas de retard de transposition des directives devenant de plus en plus incitative, je peux certes comprendre le souci de ne pas obérer plus encore nos finances publiques par le paiement d’amendes forfaitaires pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros par jour. Il est vrai qu’il s’agit là d’une motivation puissante, pour la majorité comme pour l’opposition.
Si j’en crois le rapport de notre collègue Bruno Sido, depuis 2005, la France a payé 30 millions d’euros d’amendes pour ces retards. C’est un peu moins que le budget du tourisme pour cette année ! Autant dire que cet argent aurait pu recevoir une destination plus opportune…
En réalité, la facture est bien plus lourde encore. Dans une note datant de septembre 2010, la Commission européenne a publié les résultats d’une enquête auprès des pays membres : il apparaît que quatre-vingts procédures d’infraction sont actuellement engagées contre la France et que la plupart concernent des défauts de transposition. Je vous laisse faire le calcul, mes chers collègues : les 30 millions d’euros seront bien dépassés !
Quand on veut faire des économies sur la CMU, les aides aux plus précaires et les services publics tout en maintenant le bouclier fiscal, la décence voudrait que l’on assume ses responsabilités et que l’on ne se mette pas en situation de payer des millions d’euros par simple incurie !
Ces sanctions pécuniaires nous obligent à légiférer avec une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. On dirait que le Gouvernement vient tout juste de découvrir l’article du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui stipule que la Cour de justice peut, dès lors qu’elle est saisie d’un recours en manquement de la part de la Commission, infliger à l’État membre concerné le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte.
Les conséquences des retards de transposition sont de plus en plus importantes. Au-delà même des enjeux financiers, ils suscitent une insécurité juridique et posent, surtout, la question de la crédibilité de nos engagements européens : c’est sans doute l’aspect le plus coûteux à moyen et long terme.
Comme l’a dit M. Billout, l’Europe traverse une zone de tourmente économique majeure. La crise financière grecque, suivie par celles qui ont frappé l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, oblige les pays membres à redéfinir la gouvernance de la zone euro. De nouvelles règles du jeu doivent émerger, ainsi que de nouveaux mécanismes et, je l’espère, un budget européen. En attendant, les moteurs traditionnels de l’Europe sont grippés.
Dans ces conditions, il est encore plus important que les États membres, notamment les pays fondateurs de l’Union, soient exemplaires en matière d’engagements européens. Cet effort passe bien évidemment par le respect du calendrier des procédures. Or, en la matière, nous figurons parmi les derniers de la classe. Surtout, nous qui donnons des leçons de démocratie à la terre entière devons également être exemplaires dans la méthode de délibération retenue, car le déficit démocratique sur les sujets européens alimente et entretient le désamour pour l’Union européenne.
À cet égard, le choix d’une transposition sectorielle de la directive Services, couplé à la méthode de la législation par délégation, n’est pas de nature à relancer l’envie d’Europe : près de la moitié des articles de ce texte concernent des habilitations à légiférer par ordonnances ; c’est un chèque en blanc qui nous est demandé !
Absence d’intelligibilité pour nous, mais aussi pour nos concitoyens : la méthode choisie pour la transposition de la directive Services me semble scandaleuse au regard de la transparence du débat démocratique. Texte après texte, petit bout par petit bout, la directive est transposée, empêchant ainsi l’émergence d’un débat citoyen sur ces mesures qui ont une incidence directe, immédiate et massive sur la vie économique et sociale de notre pays.
M. Bizet, dans un rapport d’information consacré à cette directive, a dénoncé à juste titre cette méthode de transposition par tronçon, estimant que « l’éclatement de la directive Services dans plus d’une dizaine de textes permet de noyer le débat et d’éviter une nouvelle mobilisation des acteurs sociaux ».
En effet, la directive Services – personne ne l’a oublié, même si on a rebaptisé ce texte – est issue du travail de refonte de la fameuse directive Bolkestein par le Parlement européen. C’est la preuve indiscutable que le Parlement est une instance nécessaire et essentielle dans l’élaboration de la loi.
À ce propos, je tiens d’ailleurs à rendre hommage au travail d’Evelyne Gebhardt, eurodéputée allemande, membre du SPD, qui a eu la lourde charge de conduire les négociations autour de la refonte complète du texte Bolkestein. Son travail fut difficile, en quête constante de compromis et d’améliorations. Elle y est finalement parvenue, puisque le principe du pays d’origine, qui posait de nombreuses difficultés, a été supprimé. De même, les services d’intérêt général ont été retirés du champ d’application de la directive.
Monsieur le secrétaire d’État, en dépit de la demande des groupes parlementaires de gauche, vous n’avez pas souhaité vous engager dans une loi-cadre. Et maintenant, vous nous infligez l’ordonnance… Dans une note datant de la fin de l’année 2007, le service des études juridiques du Sénat dressait le bilan de la législation par délégation : de 1981 à 2003, en plus de deux décennies, le Parlement a adopté vingt-neuf lois d’habilitation ; de 2004 à 2007, en l’espace de trois ans seulement, il en a voté trente-huit, qui, de surcroît, sont de plus en plus hétérogènes.
L’argument de l’encombrement législatif n’est pas recevable. S’il ne tenait qu’à nous, monsieur le secrétaire d’État, nous nous passerions bien volontiers du rythme qui nous impose un texte sur la sécurité et un autre sur l’immigration tous les ans, tout comme nous nous passerions bien volontiers des textes qui ont trait à la sécurité des manèges ou aux chiens dangereux, sujets qui relèvent du domaine réglementaire.
À force de transformer le Parlement en relais médiatique de ces politiques d’affichage, le Gouvernement impose au législateur une cadence d’assaut et lui interdit d’accomplir son travail dans la sérénité.
Comment travailler, dans un temps aussi réduit, sur un texte qui comporte tout à la fois des dispositions relatives à l’environnement et au climat, aux professions et activités réglementées, aux transports, à l’étiquetage, aux produits chimiques, aux bons à polluer, aux écoles de conduites, et j’en passe ?
Le texte issu de la CMP n’a plus grand-chose à voir avec la proposition de loi déposée au début du mois de septembre dernier par MM. Longuet, Bizet et Emorine. En effet, près de la moitié de ses articles sont désormais issus d’amendements gouvernementaux visant la législation par délégation.
Je conviens volontiers qu’il n’est pas vraiment utile que le législateur intervienne sur certaines questions. Toutefois, sur des sujets comme le climat ou l’énergie, alors que la préoccupation environnementale grandit, il n’est pas concevable de mettre ainsi le législateur sur la touche et de contourner, si ce n’est fuir, le débat sur des sujets d’avenir.
Enfin, mes chers collègues, je ne crois pas qu’il y ait véritablement matière à se réjouir de la proposition du Gouvernement de mettre en place une commission spéciale afin d’associer les parlementaires à l’élaboration de l’ordonnance relative à l’énergie. Une telle méthode de travail, qui n’est pas prévue par les institutions, risque de tourner au marché de dupes. Aussi, le groupe socialiste veillera à ce que cette option, que vous qualifiez de « nécessité conjoncturelle », ne se reproduise pas.
J’ai écouté nos collègues députés lundi dernier en séance plénière ; je vous ai écoutés aujourd’hui, mes chers collègues. Nos interventions n’ont que trop furtivement évoqué le cœur des dispositions du texte, et mes propos n’échappent pas à ce constat. Voilà bien la preuve que la transposition sectorielle, couplée à la législation par habilitation, interdit le débat parlementaire sur le fond, comme nous le dénonçons. La proposition de loi d’habilitation, de surcroît soumise à la procédure accélérée, est un monstre législatif. Nous l’avons tous dénoncé, mais je regrette que nous n’ayons pas davantage parlé du fond.
Toutefois, comme ma nature ne me porte pas à la lamentation, je terminerai mon propos sur quelques notes de satisfaction.
L’adoption de notre amendement relatif aux schémas de cohérence territoriale, les SCOT, et aux plans locaux d’urbanisme, les PLU, est un réel soulagement pour les collectivités concernées.
Enfin, et surtout, je souhaiterais remercier la commission de l’économie – en premier lieu mon collègue Hervé Maurey, mais aussi M. Jean-Paul Emorine – d’avoir réintroduit la suppression de la condition de nationalité pour les géomètres-experts. Je me réjouis que nous allions au-delà du principe de non-discrimination communautaire et que, dorénavant, seule la condition de diplôme soit retenue.
Vous voyez, monsieur le secrétaire d’État, …