Intervention de Alain Fuchs

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 18 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Fuchs candidat désigné aux fonctions de président du centre national de la recherche scientifique cnrs

Alain Fuchs, candidat désigné aux fonctions de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) :

Ingénieur de l'école polytechnique fédérale de Lausanne, j'ai effectué une très grande partie de ma carrière en France, où j'ai été tantôt professeur d'université, tantôt directeur de recherche au CNRS. Je suis actuellement professeur à l'université Pierre et Marie Curie, détaché depuis 2010 pour exercer les fonctions de président du CNRS. Au terme de mon mandat, un appel à candidatures a été émis, conformément aux dispositions de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Cependant, comme le décret organique du CNRS n'a pas été modifié, les candidats ont été auditionnés par le cabinet de la ministre. J'ignore combien de candidats se sont manifestés. Un décret d'intérim a été pris, afin que le fonctionnement de cet organisme, qui emploie quelque 34 000 personnes, ne soit pas interrompu.

On me demande souvent ce qui a changé au CNRS. Je voudrais d'abord souligner ce qui a été préservé et consolidé : l'excellence scientifique. C'est la principale raison d'être du CNRS, dont la mission est d'opérer toutes recherches présentant un intérêt pour la science ainsi que pour le développement économique, social et culturel du pays. Le CNRS est-il un organisme performant ? Laissez-moi vous en convaincre par le rappel de quelques indicateurs. Il est le premier producteur mondial de publications scientifiques : plus de 70 000 par an. Depuis 2010, 3 prix Nobel et 2 médailles Fields ont récompensé des chercheurs qui avaient effectué tout ou partie de leur carrière au CNRS - nous soutenons les chercheurs avant qu'ils deviennent célèbres. Nos chercheurs forment le plus gros bataillon de bénéficiaires des contrats de recherche européens et des bourses d'excellences attribuées par le European Research Council (ERC). Enfin, nous avons été reconnus, ces deux dernières années, comme l'un des cent principaux innovateurs mondiaux dans le classement effectué par Thomson Reuters (les « Top 100 Global Innovators »). Neuf entreprises françaises y figurent, ainsi que deux autres établissements publics : le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'Institut français du pétrole et des énergies renouvelables. Nos équipes déposent chaque année 500 brevets et, en dix ans, ont fondé 800 start-up, dont 80 % sont toujours actives - ce qui représente la création de milliers d'emplois.

Ces succès ne sont pas le fruit du hasard. Ils résultent de la qualité des chercheurs et de celle de leur encadrement. Les avancées scientifiques étant imprédictibles, il importe de couvrir un large front disciplinaire, avec une méthodologie rigoureuse pour détecter les découvertes les plus innovantes afin de ne pas éparpiller les efforts : tous les projets ne se valent pas, contrairement à ce que l'on entend parfois. La recherche, si libre soit-elle, reste menée par des équipes qui définissent des programmes ou s'y insèrent, dans le cadre d'un dialogue stratégique avec la direction du CNRS. Celle-ci veille au développement de coopérations avec l'industrie, tient compte des enjeux de formation et, surtout, de la compétition internationale, car il n'y a pas de recherche de qualité régionale ou nationale : la recherche est de qualité mondiale ou elle n'est pas. Le CNRS jouit d'une réputation internationale exceptionnelle : 30 % des chercheurs recrutés chaque année sont étrangers. Dans un contexte budgétaire tendu, de tels résultats n'allaient pas de soi.

Notre système universitaire est l'héritier de l'université napoléonienne, caractérisée par une gestion jacobine, discipline par discipline, comme le montre bien l'ouvrage La longue marche des universités françaises de Christine Musselin ; les grandes universités étrangères, elles, sont généralement fondées sur un modèle humboldtien, pluridisciplinaire, et reposant sur l'idée que les nouveaux savoirs se créent là où se trouvent les étudiants. Il s'agit de créer en France quelques-unes de ces universités de recherche. M'efforçant d'établir des relations stratégiques avec des universités et des grandes écoles, j'ai signé des accords-cadres avec la Conférence des présidents d'université (CPU), puis avec la Conférence des directeurs d'écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI).

Nous avons participé aux rapprochements d'établissements de recherche et d'enseignement supérieur sur un même site dans le cadre des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) et des initiatives d'excellence (Idex). J'ai souhaité que le CNRS soit membre fondateur des structures de gestion de la grande majorité des Idex : Aix-Marseille, Bordeaux, Paris-Saclay, Paris Sciences et Lettres, Sorbonne Universités, Strasbourg, Toulouse. Dans chaque cas nous avons proposé la mise en place d'une stratégie scientifique de site, qui s'est traduite par la signature de conventions de site, avec pour objectif de faire émerger des entités de dimension internationale, articulées autour d'une politique nationale de la recherche.

Une enquête récente du Times Higher Education a mis en évidence le déficit de reconnaissance internationale dont souffrent les universités françaises. Les deux écoles polytechniques suisses sont les établissements les mieux reconnus, et aucune université française ne figure dans le palmarès. Si la France veut jouer son rôle dans la circulation mondiale des idées et des chercheurs, elle doit compter quelques institutions fortes, multidisciplinaires et attractives pour les chercheurs et les étudiants. Depuis des décennies, nous avons développé des outils pour soutenir les collaborations internationales : le CNRS pilote une centaine de groupements de recherche internationaux, 160 laboratoires internationaux associés et 56 laboratoires mixtes installés à l'étranger ; il dispose de 11 bureaux à l'étranger. Je souhaite que ces outils soient mis au service de l'ensemble de l'enseignement supérieur et de la recherche français, et notamment des communautés d'universités et établissements (COMUE), qui ont remplacé les PRES depuis la loi du 22 juillet 2013. Des unités internationales situées en France accroîtraient l'attractivité des sites sur lesquelles elles seraient implantées.

Des regroupements d'établissements sur un même site ne suffiront pas à créer une grande université de recherche de type humboldtien : il faut inciter les chercheurs et les enseignants à traverser les frontières de leur discipline. Le CNRS, qui couvre presque toutes les disciplines de recherche fondamentale, a un rôle à jouer dans ce mouvement. Sa participation à la gouvernance des COMUE y contribuera. Mon souhait est de rendre cette évolution irréversible. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a confié au CNRS une mission de réflexion sur les problématiques transverses aux neufs défis de société identifiés par la stratégie nationale de recherche et aux thématiques des alliances de recherche.

Le transfert et la valorisation des résultats de la recherche peuvent être améliorés. Le CNRS s'y attachera. Depuis la loi du 22 juillet 2013, le transfert fait partie des missions de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'ordonnance sur le transfert sera présentée demain en conseil des ministres. Le CNRS doit s'adapter aux nouveaux écosystèmes d'innovation et amplifier ses capacités de transfert des résultats de la recherche vers le tissu industriel. Je souhaite dynamiser la gestion des brevets dormants afin que des petites et moyennes entreprises (PME) s'en emparent pour les porter sur le marché. Le CNRS a longtemps eu une attitude très raide sur la propriété intellectuelle. Cela constituait pour les entreprises une barrière que je souhaite, autant que possible, abaisser, en simplifiant les opérations de transfert. Nous sensibiliserons nos jeunes chercheurs à ces sujets et les formerons à la création d'entreprise, sans bien sûr contraindre qui que ce soit. Nous amplifierons la création de laboratoires communs avec des acteurs industriels, et améliorerons ceux qui existent déjà.

La construction d'un espace européen de la recherche est fondamentale. Notre recherche a besoin de retrouver des couleurs en Europe. Le taux de succès des dossiers déposés par nos chercheurs est bon, mais leur nombre est trop faible. Nous allons développer l'information sur les dispositifs existants et l'incitation à y avoir recours, en proposant un soutien aux chercheurs qui le décideront. L'espace européen de la recherche doit faire davantage rêver : nous devons obtenir la simplification des procédures. Je viens d'être élu au conseil de Science Europe, qui réunit les opérateurs de recherche européens pour qu'une autre voix que celle des États et de la Commission puisse porter des idées afin de rendre plus attractive l'Europe de la recherche.

Si le partage de la connaissance est une évidence dans les sociétés démocratiques, le partage de sa production reste à développer. Les conférences citoyennes, les débats publics ont montré leurs limites : la science et la technique y apparaissent trop souvent comme monopolisées par des experts. Avec plus de 100 000 participants, le Forum des fondamentales, que le CNRS a organisé l'an dernier à la Sorbonne, a rencontré un grand succès, parce que le public a été invité à venir dialoguer avec une centaine de grands chercheurs. Quel rôle les citoyens peuvent-ils jouer dans la production de connaissances ? La National Science Foundation américaine a pris de l'avance dans ce domaine, en finançant des projets de science citoyenne, comme Galaxy Zoo ou Foldit, un jeu de prédiction de structures de molécules en ligne rassemblant 57 000 joueurs, qui a fait l'objet d'un article dans Nature. Dans certains domaines comme la climatologie ou la biologie animale, le recours au crowdsourcing peut être fécond. Des projets scientifiques peuvent ainsi disposer très rapidement de données considérables.

La recherche française ne serait pas ce qu'elle est sans ses grands organismes de recherche. Le CNRS porte des valeurs reconnues et représente la recherche fondamentale désintéressée, menée au service de la science et de la prospérité du pays. Mon projet est de nature à renforcer cette institution à l'histoire prestigieuse, dont le potentiel a été préservé ces dernières années en dépit des contraintes qui pèsent sur les finances publiques. Je mesure l'effort consenti par l'État et me suis astreint à contenir la masse salariale sans sacrifier les campagnes de recrutement afin de préserver quelques marges de manoeuvre et de pouvoir accorder aux laboratoires le soutien de base dont ils ont besoin.

Le niveau global d'emploi a baissé d'environ 5 % en quatre ans, surtout au détriment des contrats à durée déterminée (CDD) sur subvention d'État qui ont le plus été réduits. La totalité des départs en retraite des agents a pu être compensée et les campagnes de recrutement des ingénieurs et techniciens sont restées de bon niveau. Toutefois, les perspectives sont sombres : le nombre prévisible de départs en retraite a fortement baissé. Le prochain président devra rapidement réfléchir à la question. Une année blanche en recrutement serait absolument néfaste. La qualité de notre recherche, qui résulte d'un effort soutenu de la Nation, est un atout considérable : nous sommes l'un des pôles les plus actifs de la recherche mondiale. Maintenir cette position contribuera au redressement de notre pays, tant il est vrai qu'il n'y a pas de nation prospère sans recherche scientifique de qualité.

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