La réunion est ouverte à 16 h 30.
La commission entend M. Alain Fuchs, candidat désigné aux fonctions de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Nous auditionnons M. Alain Fuchs, candidat désigné aux fonctions de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qu'il exerce par intérim depuis que son mandat précédent est arrivé à échéance le 20 janvier dernier. L'article 13 de la Constitution prévoit que le candidat soit auditionné, publiquement, par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, qui se prononcent ensuite chacune par un vote à bulletin secret, dont le dépouillement a lieu simultanément. En l'occurrence, il interviendra demain, après l'audition de M. Fuchs à l'Assemblée nationale.
Pouvez-vous nous dire quel a été votre parcours de candidat ? Avez-vous répondu à un appel à candidatures ? Les postulants ont-ils été nombreux ? Des femmes se sont-elles portées candidates ? Par ailleurs, quelles leçons tirez-vous de votre mandat ? Quelles sont vos projets pour le mandat à venir ?
Ingénieur de l'école polytechnique fédérale de Lausanne, j'ai effectué une très grande partie de ma carrière en France, où j'ai été tantôt professeur d'université, tantôt directeur de recherche au CNRS. Je suis actuellement professeur à l'université Pierre et Marie Curie, détaché depuis 2010 pour exercer les fonctions de président du CNRS. Au terme de mon mandat, un appel à candidatures a été émis, conformément aux dispositions de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche. Cependant, comme le décret organique du CNRS n'a pas été modifié, les candidats ont été auditionnés par le cabinet de la ministre. J'ignore combien de candidats se sont manifestés. Un décret d'intérim a été pris, afin que le fonctionnement de cet organisme, qui emploie quelque 34 000 personnes, ne soit pas interrompu.
On me demande souvent ce qui a changé au CNRS. Je voudrais d'abord souligner ce qui a été préservé et consolidé : l'excellence scientifique. C'est la principale raison d'être du CNRS, dont la mission est d'opérer toutes recherches présentant un intérêt pour la science ainsi que pour le développement économique, social et culturel du pays. Le CNRS est-il un organisme performant ? Laissez-moi vous en convaincre par le rappel de quelques indicateurs. Il est le premier producteur mondial de publications scientifiques : plus de 70 000 par an. Depuis 2010, 3 prix Nobel et 2 médailles Fields ont récompensé des chercheurs qui avaient effectué tout ou partie de leur carrière au CNRS - nous soutenons les chercheurs avant qu'ils deviennent célèbres. Nos chercheurs forment le plus gros bataillon de bénéficiaires des contrats de recherche européens et des bourses d'excellences attribuées par le European Research Council (ERC). Enfin, nous avons été reconnus, ces deux dernières années, comme l'un des cent principaux innovateurs mondiaux dans le classement effectué par Thomson Reuters (les « Top 100 Global Innovators »). Neuf entreprises françaises y figurent, ainsi que deux autres établissements publics : le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et l'Institut français du pétrole et des énergies renouvelables. Nos équipes déposent chaque année 500 brevets et, en dix ans, ont fondé 800 start-up, dont 80 % sont toujours actives - ce qui représente la création de milliers d'emplois.
Ces succès ne sont pas le fruit du hasard. Ils résultent de la qualité des chercheurs et de celle de leur encadrement. Les avancées scientifiques étant imprédictibles, il importe de couvrir un large front disciplinaire, avec une méthodologie rigoureuse pour détecter les découvertes les plus innovantes afin de ne pas éparpiller les efforts : tous les projets ne se valent pas, contrairement à ce que l'on entend parfois. La recherche, si libre soit-elle, reste menée par des équipes qui définissent des programmes ou s'y insèrent, dans le cadre d'un dialogue stratégique avec la direction du CNRS. Celle-ci veille au développement de coopérations avec l'industrie, tient compte des enjeux de formation et, surtout, de la compétition internationale, car il n'y a pas de recherche de qualité régionale ou nationale : la recherche est de qualité mondiale ou elle n'est pas. Le CNRS jouit d'une réputation internationale exceptionnelle : 30 % des chercheurs recrutés chaque année sont étrangers. Dans un contexte budgétaire tendu, de tels résultats n'allaient pas de soi.
Notre système universitaire est l'héritier de l'université napoléonienne, caractérisée par une gestion jacobine, discipline par discipline, comme le montre bien l'ouvrage La longue marche des universités françaises de Christine Musselin ; les grandes universités étrangères, elles, sont généralement fondées sur un modèle humboldtien, pluridisciplinaire, et reposant sur l'idée que les nouveaux savoirs se créent là où se trouvent les étudiants. Il s'agit de créer en France quelques-unes de ces universités de recherche. M'efforçant d'établir des relations stratégiques avec des universités et des grandes écoles, j'ai signé des accords-cadres avec la Conférence des présidents d'université (CPU), puis avec la Conférence des directeurs d'écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI).
Nous avons participé aux rapprochements d'établissements de recherche et d'enseignement supérieur sur un même site dans le cadre des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) et des initiatives d'excellence (Idex). J'ai souhaité que le CNRS soit membre fondateur des structures de gestion de la grande majorité des Idex : Aix-Marseille, Bordeaux, Paris-Saclay, Paris Sciences et Lettres, Sorbonne Universités, Strasbourg, Toulouse. Dans chaque cas nous avons proposé la mise en place d'une stratégie scientifique de site, qui s'est traduite par la signature de conventions de site, avec pour objectif de faire émerger des entités de dimension internationale, articulées autour d'une politique nationale de la recherche.
Une enquête récente du Times Higher Education a mis en évidence le déficit de reconnaissance internationale dont souffrent les universités françaises. Les deux écoles polytechniques suisses sont les établissements les mieux reconnus, et aucune université française ne figure dans le palmarès. Si la France veut jouer son rôle dans la circulation mondiale des idées et des chercheurs, elle doit compter quelques institutions fortes, multidisciplinaires et attractives pour les chercheurs et les étudiants. Depuis des décennies, nous avons développé des outils pour soutenir les collaborations internationales : le CNRS pilote une centaine de groupements de recherche internationaux, 160 laboratoires internationaux associés et 56 laboratoires mixtes installés à l'étranger ; il dispose de 11 bureaux à l'étranger. Je souhaite que ces outils soient mis au service de l'ensemble de l'enseignement supérieur et de la recherche français, et notamment des communautés d'universités et établissements (COMUE), qui ont remplacé les PRES depuis la loi du 22 juillet 2013. Des unités internationales situées en France accroîtraient l'attractivité des sites sur lesquelles elles seraient implantées.
Des regroupements d'établissements sur un même site ne suffiront pas à créer une grande université de recherche de type humboldtien : il faut inciter les chercheurs et les enseignants à traverser les frontières de leur discipline. Le CNRS, qui couvre presque toutes les disciplines de recherche fondamentale, a un rôle à jouer dans ce mouvement. Sa participation à la gouvernance des COMUE y contribuera. Mon souhait est de rendre cette évolution irréversible. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a confié au CNRS une mission de réflexion sur les problématiques transverses aux neufs défis de société identifiés par la stratégie nationale de recherche et aux thématiques des alliances de recherche.
Le transfert et la valorisation des résultats de la recherche peuvent être améliorés. Le CNRS s'y attachera. Depuis la loi du 22 juillet 2013, le transfert fait partie des missions de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'ordonnance sur le transfert sera présentée demain en conseil des ministres. Le CNRS doit s'adapter aux nouveaux écosystèmes d'innovation et amplifier ses capacités de transfert des résultats de la recherche vers le tissu industriel. Je souhaite dynamiser la gestion des brevets dormants afin que des petites et moyennes entreprises (PME) s'en emparent pour les porter sur le marché. Le CNRS a longtemps eu une attitude très raide sur la propriété intellectuelle. Cela constituait pour les entreprises une barrière que je souhaite, autant que possible, abaisser, en simplifiant les opérations de transfert. Nous sensibiliserons nos jeunes chercheurs à ces sujets et les formerons à la création d'entreprise, sans bien sûr contraindre qui que ce soit. Nous amplifierons la création de laboratoires communs avec des acteurs industriels, et améliorerons ceux qui existent déjà.
La construction d'un espace européen de la recherche est fondamentale. Notre recherche a besoin de retrouver des couleurs en Europe. Le taux de succès des dossiers déposés par nos chercheurs est bon, mais leur nombre est trop faible. Nous allons développer l'information sur les dispositifs existants et l'incitation à y avoir recours, en proposant un soutien aux chercheurs qui le décideront. L'espace européen de la recherche doit faire davantage rêver : nous devons obtenir la simplification des procédures. Je viens d'être élu au conseil de Science Europe, qui réunit les opérateurs de recherche européens pour qu'une autre voix que celle des États et de la Commission puisse porter des idées afin de rendre plus attractive l'Europe de la recherche.
Si le partage de la connaissance est une évidence dans les sociétés démocratiques, le partage de sa production reste à développer. Les conférences citoyennes, les débats publics ont montré leurs limites : la science et la technique y apparaissent trop souvent comme monopolisées par des experts. Avec plus de 100 000 participants, le Forum des fondamentales, que le CNRS a organisé l'an dernier à la Sorbonne, a rencontré un grand succès, parce que le public a été invité à venir dialoguer avec une centaine de grands chercheurs. Quel rôle les citoyens peuvent-ils jouer dans la production de connaissances ? La National Science Foundation américaine a pris de l'avance dans ce domaine, en finançant des projets de science citoyenne, comme Galaxy Zoo ou Foldit, un jeu de prédiction de structures de molécules en ligne rassemblant 57 000 joueurs, qui a fait l'objet d'un article dans Nature. Dans certains domaines comme la climatologie ou la biologie animale, le recours au crowdsourcing peut être fécond. Des projets scientifiques peuvent ainsi disposer très rapidement de données considérables.
La recherche française ne serait pas ce qu'elle est sans ses grands organismes de recherche. Le CNRS porte des valeurs reconnues et représente la recherche fondamentale désintéressée, menée au service de la science et de la prospérité du pays. Mon projet est de nature à renforcer cette institution à l'histoire prestigieuse, dont le potentiel a été préservé ces dernières années en dépit des contraintes qui pèsent sur les finances publiques. Je mesure l'effort consenti par l'État et me suis astreint à contenir la masse salariale sans sacrifier les campagnes de recrutement afin de préserver quelques marges de manoeuvre et de pouvoir accorder aux laboratoires le soutien de base dont ils ont besoin.
Le niveau global d'emploi a baissé d'environ 5 % en quatre ans, surtout au détriment des contrats à durée déterminée (CDD) sur subvention d'État qui ont le plus été réduits. La totalité des départs en retraite des agents a pu être compensée et les campagnes de recrutement des ingénieurs et techniciens sont restées de bon niveau. Toutefois, les perspectives sont sombres : le nombre prévisible de départs en retraite a fortement baissé. Le prochain président devra rapidement réfléchir à la question. Une année blanche en recrutement serait absolument néfaste. La qualité de notre recherche, qui résulte d'un effort soutenu de la Nation, est un atout considérable : nous sommes l'un des pôles les plus actifs de la recherche mondiale. Maintenir cette position contribuera au redressement de notre pays, tant il est vrai qu'il n'y a pas de nation prospère sans recherche scientifique de qualité.
Quel exposé lumineux... Le CNRS, en effet porteur de valeurs reconnues par le grand public, est l'un des acteurs majeurs de la recherche et de l'enseignement supérieur, ainsi que du rayonnement international de la France. Vous souhaitez prendre une part active à la restructuration du paysage universitaire prévue par la loi du 22 juillet 2013. Selon quels critères allez-vous décider de participer ou non à certaines COMUE ? Pensez-vous qu'y rattacher les écoles doctorales renforcera la coordination et la mutualisation des forces en matière de recherche ? La fonction de transfert des résultats de la recherche serait-elle mieux accomplie dans le cadre des COMUE ? Quel bilan faites-vous des sociétés d'accélération des transferts de technologie (SATT) ?
Comment le CNRS facilitera-t-il la gestion des unités mixtes de recherche (UMR), en particulier au travers de l'harmonisation des logiciels de gestion et des délégations globales de gestion ? Certaines universités pourraient bénéficier utilement de son expérience en la matière. Quels seront les grands axes de votre chantier de gestion commune des laboratoires ? Où en êtes-vous de vos discussions avec l'État, notamment dans le cadre de l'élaboration de la stratégie nationale de la recherche, sur la réévaluation du niveau du préciput et la meilleure prise en charge des coûts indirects et des frais d'environnement dans les financements sur projet ? Des progrès peuvent être réalisés... Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets de transferts des résultats de la recherche opérés par le CNRS ?
La règle est la continuité : là où nous participions aux PRES ou aux Idex, nous participerons aux COMUE, sous réserve qu'elles adoptent un projet scientifique ambitieux et tourné vers l'international. Au-delà du rattachement des écoles doctorales, il convient d'aboutir à un doctorat commun, comme cela s'est fait à Marseille ou à Bordeaux.
Actionnaires des SATT, nous veillerons à leur bonne articulation avec les COMUE, des sites desquels elles sont proches. En dépit des inquiétudes initiales, leur démarrage a été un succès. Nous nous assurons que leurs activités soient cohérentes, notamment sur le plan territorial, afin d'éviter la concurrence, les doublons et, par exemple, la dislocation d'une grappe de brevets. Le CNRS soutient ainsi le réseau national de recherche sur le stockage électrochimique de l'énergie, dont l'importance stratégique est évidente. La gestion commune des UMR doit en effet être facilitée : malgré un blocage temporaire, nous sommes sur le point d'aboutir.
Un comité stratégique et un comité opérationnel ont été mis en place pour établir la stratégie nationale de recherche. Le rôle du CNRS est d'attirer l'attention sur des éléments de recherche de base à visée applicative sur de grands sujets de société. Par exemple, l'amélioration des outils de modélisation utilisés dans de nombreux domaines requiert des avancées scientifiques en amont. Nous discutons des coûts indirects et complets avec l'Agence nationale de la recherche (ANR) et le Commissariat général à l'investissement. Malgré la diminution de ses crédits, l'ANR reste ouverte sur le sujet.
Autre exemple de transfert, cette fois-ci dans le domaine des sciences humaines et sociales, la valorisation du patrimoine. De petites entreprises puisent dans les disciplines érudites pour procéder à des reconstitutions numériques d'événements historiques - c'est la révolution des digital humanities, qu'illustre la forte affluence au salon de l'innovation en sciences humaines et sociales. On pourra un jour visiter les châteaux de la Loire en revivant l'atmosphère de l'époque sans être obligé d'écouter du Vivaldi...
Cela fait rêver. Alors que la modélisation doit progresser, le nombre de vocations de mathématiciens diminue ; comment y remédier ? Je me réjouis de ce que vous avez dit sur la culture scientifique participative, qui ouvre des perspectives prometteuses. J'ai participé à une mission d'information aux Antilles et en Guyane, territoire dont les potentialités en recherche sont exceptionnelles dans les domaines de la biodiversité, de la microbiologie... Avez-vous des projets de mutualisation avec la future université de Guyane ?
Je ne suis pas étonné que la participation citoyenne vous ait intéressée. Elle peut notamment être utile là où le recueil d'une grande quantité de données est nécessaire. Souvent, un tel recueil serait impossible autrement. Surtout, cela donne de la science une autre image : à l'heure des réseaux sociaux, la participation est incontournable et l'exposé professoral n'est plus adapté. Nous ferons ainsi progresser la connaissance de la façon dont la science se fabrique.
Nous sommes présents en Guyane, ce qui nous offre un accès direct à la forêt amazonienne. Nous suivons ce qui se passe dans cette université et participerons autant que possible sans nous dérober. Quant aux mathématiciens, la communauté française est d'un niveau exceptionnel. Cela n'a pas toujours été le cas. Les mathématiciens se sont remarquablement organisés, en s'assurant notamment que les recrutements se fassent toujours au meilleur niveau. Le flux n'est pas tari : nous savons encore détecter les talents au lycée, les former dans les classes préparatoires et les grandes écoles. Malheureusement, les études scientifiques sont désormais perçues comme difficiles et peu rentables. À nous de renverser cette image, en montrant combien la science est importante dans de nombreux enjeux de société.
Quelle est la place des sciences humaines au CNRS ? Vous disiez couvrir dans votre établissement la quasi-totalité des disciplines, quelles sont celles qui n'y sont pas représentées et pourquoi ? Envisagez-vous des évolutions ?
Le CNRS est en effet l'un des organismes qui bénéficie le plus des grands programmes européens ; cependant la France n'est que le troisième bénéficiaire et perd du terrain. Horizon 2020, le huitième plan-cadre, qui vient de débuter, offre des opportunités importantes. Le CNRS, comme l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), a une représentation à Bruxelles pour soutenir les candidats français... dont les appels d'offres de l'ANR diminuent la motivation. En Angleterre, les bons projets qui ne sont pas sélectionnés par l'Europe sont soutenus nationalement. Comment entendez-vous encourager les chercheurs du CNRS à soumettre davantage de dossiers ?
Le CNRS est un bel outil, dont l'avenir semble difficile : loi Fioraso, part accrue des régions, priorité aux transferts et à l'innovation, baisses de crédits... Le CNRS, dont le budget diminue, a supprimé plus de 2 000 emplois depuis 2010, dont 500 postes de titulaires et 1 500 CDD sur budget de subvention. Si une partie des départs en retraite sont remplacés, ceux qui ne le sont pas représentent 120 emplois chaque année. Une année blanche serait catastrophique, en effet. Comment voyez-vous la suite ?
Lors de votre dernière audition, Le Monde avait signalé que vous aviez su éviter les questions qui fâchaient, notamment sur la question des emplois et sur la gestion des primes d'excellence. Ne lui donnons pas l'occasion d'écrire cela à nouveau : qu'en est-il de la précarité, de l'application de la loi Sauvadet ; les primes d'excellence scientifique sont-elles gérées dans la transparence ? Enfin, qu'avez-vous fait, et qu'avez-vous l'intention de faire, pour la promotion des femmes ?
J'ai récemment publié avec la députée Maud Olivier un rapport intitulé Faire connaître et partager les cultures scientifiques, techniques et industrielles. Sur 85 recommandations, trois s'adressent aux organismes de recherche : reconnaître institutionnellement les actions de médiation menées par les chercheurs, ouvrir davantage au grand public et aux élèves les laboratoires et assortir les subventions aux organismes de recherche de l'obligation d'en affecter une partie au financement de la médiation. Qu'en pensez-vous ? Quelle est l'attractivité du système de recherche français pour des chercheurs étrangers ? Quelles fragilités conduisent nos chercheurs à s'expatrier ? Que faire pour renforcer la première et remédier aux secondes ? Quels freins pourraient vous empêcher d'atteindre les objectifs que vous avez fixés ?
Nous ne cherchons pas à couvrir toutes les disciplines. Cela pourrait nous conduire à la dispersion. Nous sommes peu présents dans les sciences du droit, de la gestion, ou de l'éducation, sans qu'il s'agisse d'un choix délibéré. Nous cherchons surtout à recruter les meilleurs chercheurs. Or, certains sujets attirent plus les jeunes chercheurs brillants et nous privilégions la qualité scientifique.
La France perd effectivement du terrain en Europe, ce qui la prive de réseaux européens et retarde le rapprochement des équipes de recherche. Nous travaillons beaucoup avec les Allemands : il est parfois plus facile de nouer des relations bilatérales directes. Il est vrai qu'il a longtemps été plus simple de solliciter des fonds de l'ANR. Puis, l'évolution profonde du paysage de l'enseignement supérieur a mobilisé les esprits. Enfin, l'audit du sixième programme européen, que j'ai eu à gérer à mon arrivée à la tête du CNRS, n'a pas été bon : le reporting avait été mal fait, le CNRS s'était quelque peu affranchi des nombreuses contraintes administratives...
Il est impératif de se conformer à la règlementation européenne, même si nous essayons en même temps d'obtenir qu'elle soit simplifiée de manière à travailler sur une base contractuelle plutôt qu'avec des feuilles de temps. L'ANR a désormais moins de crédits à distribuer. Des simplifications ont été obtenues. À Bruxelles, notre bureau va déménager pour s'installer au sein du club des organismes de recherche associés (CLORA), avec les universités. Nous allons accroître les incitations en apportant des aides au montage de projet. Je souhaite améliorer le taux de coordinateurs de projets.
La recherche fondamentale doit être préservée. La légère baisse de cette année intervient après un transfert de 20 millions d'euros en provenance de l'ANR l'an dernier qui a été pérennisé en base. Le budget global est de 3,3 ou 3,4 milliards d'euros. Sur 2,6 milliards de subvention d'État, 2 milliards d'euros (80 %) sont consacrés à la masse salariale. Un gonflement de celle-ci (en raison du glissement vieillesse-technicité ou des taxes sur les salaires) ferait disparaître les marges de manoeuvre qui financent les très grandes infrastructures de recherche ou apportent aux laboratoires un soutien de base. Il faut en conséquence faire baisser le niveau d'emploi. Nous avons mutualisé, lancé un plan d'action sur les fonctions support. Nous avons fait porter l'essentiel de cette baisse sur les CDD sur subvention d'État, dont nous avons diminué le nombre sans procéder à aucun licenciement. La baisse du nombre de titulaires a été limitée et nous avons maintenu une campagne de recrutement décente.
En Espagne, les crédits ont diminué de moitié : nous ne sommes pas dans cette situation. Bien sûr, nous souhaiterions tous une situation plus riante. Le principe de réalité nous contraint pourtant à opérer des choix pour réduire la voilure sans obérer l'avenir. Les périodes de crise offrent aussi des opportunités de faire des choix et de développer des mutualisations. Le CNRS, qui n'est pas en danger, doit s'adapter, comme tout le monde. Nous appliquons la loi Sauvadet, ce qui n'est pas aisé faute d'informations pour évaluer le nombre des demandes. Notre comité technique et notre conseil d'administration ont voté une charte des CDD, qui précise les droits et les devoirs associés à l'embauche d'une personne en CDD : en particulier, il ne faut pas attendre la fin du CDD pour se poser la question du devenir de la personne concernée. Nous privilégierons l'embauche des jeunes pour lesquels cela constituera un premier emploi.
La prime d'excellence scientifique s'appellera de nouveau PEDR (prime d'encadrement doctoral et de recherche). Elle ne constitue qu'une extension de ce qui se pratique dans les universités et est attribuée dans des conditions très similaires. Si la liste des bénéficiaires n'est pas publique, c'est qu'il n'est pas dans notre tradition de publier les rémunérations. Nos procédures n'ont rien d'opaque : transparence ne veut pas dire déballage. Il y aura sans doute des évolutions : nous discutons avec le cabinet de la ministre de la manière de déplacer les curseurs.
L'égalité entre les hommes et les femmes constitue un sujet majeur. Aussi avons-nous pris les choses sérieusement en main. La mission pour la place des femmes au CNRS a développé un programme d'action. Nous menons une action positive afin d'identifier les stéréotypes, par exemple dans la distribution des médailles. Des années 1950 à 1978, tous les récipiendaires de la médaille d'or étaient des hommes. Pour la première année de la femme en 1978, une chercheuse a été récompensée... en même temps qu'un homme ! Nous avons dépassé cette caricature et accompli beaucoup de chemin. Sous mon mandat, autant de femmes que d'hommes ont reçu la médaille d'argent ou celle de bronze. Nous avons établi des programmes de recherche sur le genre - c'est de la science, pas une théorie fumeuse. Pionniers en la matière, nous avons même affiché des postes de chercheurs sur ce sujet. La mission pour la place des femmes au CNRS coordonne le projet européen INTEGER (Institutional Transformation for Effecting Gender Equality in Research).
J'avais bien noté la publication de votre rapport, monsieur le sénateur, même si je n'ai pas encore pu le lire complètement. Je suis favorable à la reconnaissance des actions de médiation des chercheurs. Historiquement, ceux-ci n'étaient évalués que sur la qualité de leur recherche. Il ne s'agit pas de changer notre fusil d'épaule en considérant que l'on pourrait compenser une recherche de moindre qualité par d'autres activités, mais de reconnaître que leurs missions se sont élargies, qu'ils enseignent ou interviennent comme experts. Si le Parlement nous demande de consacrer une partie des subventions d'État à la médiation, nous le ferons.
Beaucoup est déjà fait pour ouvrir les laboratoires. Le CNRS se mobilise pour la Fête de la science. Sommes-nous trop dispersés ? Une synthèse serait utile. Reste que l'ouverture vers le grand public et les élèves fait partie de nos préoccupations.
Les freins à la présence internationale et à la valorisation de la recherche sont dans notre tête : en pratique, la recherche est hypermondialisée. De même, 60 % des publications indiquant une signature du CNRS comprennent également celle de chercheurs étrangers ; or ce sont les plus citées. Cela illustre bien le jeu de coopération-compétition qui se développe à l'échelle mondiale. Oui, notre recherche est attractive ; oui, nos laboratoires le sont, à tous les niveaux. Pendant mon premier mandat, ma politique a mis l'accent sur les jeunes chercheurs : 30 % de nos nouveaux chercheurs sont étrangers. Il arrive souvent qu'un chercheur arrivant à l'âge de la retraite me fasse part de son regret d'abandonner son activité. Retarder d'une année ou deux l'éméritat d'un grand scientifique est un choix cornélien parce qu'il nécessite de renoncer au recrutement de cinq ou six jeunes chercheurs.
Je m'inscris en faux contre l'idée d'une fuite des cerveaux. Il est bien plus exact de parler de leur circulation. Des collègues partent ainsi vers Singapour, l'Arabie saoudite ; mon travail consiste alors à créer des unités mixes internationales, des îlots de présence française. Inversement, nous accueillons des chercheurs étrangers. Privilégier la tranche des 30 à 40 ans contribue par ailleurs à féminiser nos équipes parce que c'est l'âge auquel de jeunes mères ont tendance à renoncer à la recherche dans leur pays.
Je vous remercie de vos réponses. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette candidature.
La commission examine l'avis et procède au vote, par scrutin secret, sur la candidature de M. Alain Fuchs à la présidence du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec l'audition de M. Fuchs.
Nous allons maintenant procéder à l'examen de l'avis ainsi qu'au vote sur le projet de nomination de M. Fuchs en qualité de président du Centre national de la recherche scientifique.
Des bulletins de vote sont à votre disposition. Vous voudrez bien entourer votre choix (pour, contre, abstention).
Conformément au dernier alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 38-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, « il ne peut y avoir de délégation lors d'un scrutin destiné à recueillir l'avis de la commission permanente de chaque assemblée sur une proposition de nomination selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ».
Je vous rappelle, par ailleurs, que l'Assemblée nationale auditionnera de M. Fuchs demain matin et que ce n'est qu'à l'issue de cette audition que nous procéderons au dépouillement simultané de ce scrutin.
Le scrutin est ouvert.
Plus personne ne demande à voter ? Le scrutin est clos.
La réunion est levée à 18 h 20.