Il est impératif de se conformer à la règlementation européenne, même si nous essayons en même temps d'obtenir qu'elle soit simplifiée de manière à travailler sur une base contractuelle plutôt qu'avec des feuilles de temps. L'ANR a désormais moins de crédits à distribuer. Des simplifications ont été obtenues. À Bruxelles, notre bureau va déménager pour s'installer au sein du club des organismes de recherche associés (CLORA), avec les universités. Nous allons accroître les incitations en apportant des aides au montage de projet. Je souhaite améliorer le taux de coordinateurs de projets.
La recherche fondamentale doit être préservée. La légère baisse de cette année intervient après un transfert de 20 millions d'euros en provenance de l'ANR l'an dernier qui a été pérennisé en base. Le budget global est de 3,3 ou 3,4 milliards d'euros. Sur 2,6 milliards de subvention d'État, 2 milliards d'euros (80 %) sont consacrés à la masse salariale. Un gonflement de celle-ci (en raison du glissement vieillesse-technicité ou des taxes sur les salaires) ferait disparaître les marges de manoeuvre qui financent les très grandes infrastructures de recherche ou apportent aux laboratoires un soutien de base. Il faut en conséquence faire baisser le niveau d'emploi. Nous avons mutualisé, lancé un plan d'action sur les fonctions support. Nous avons fait porter l'essentiel de cette baisse sur les CDD sur subvention d'État, dont nous avons diminué le nombre sans procéder à aucun licenciement. La baisse du nombre de titulaires a été limitée et nous avons maintenu une campagne de recrutement décente.
En Espagne, les crédits ont diminué de moitié : nous ne sommes pas dans cette situation. Bien sûr, nous souhaiterions tous une situation plus riante. Le principe de réalité nous contraint pourtant à opérer des choix pour réduire la voilure sans obérer l'avenir. Les périodes de crise offrent aussi des opportunités de faire des choix et de développer des mutualisations. Le CNRS, qui n'est pas en danger, doit s'adapter, comme tout le monde. Nous appliquons la loi Sauvadet, ce qui n'est pas aisé faute d'informations pour évaluer le nombre des demandes. Notre comité technique et notre conseil d'administration ont voté une charte des CDD, qui précise les droits et les devoirs associés à l'embauche d'une personne en CDD : en particulier, il ne faut pas attendre la fin du CDD pour se poser la question du devenir de la personne concernée. Nous privilégierons l'embauche des jeunes pour lesquels cela constituera un premier emploi.
La prime d'excellence scientifique s'appellera de nouveau PEDR (prime d'encadrement doctoral et de recherche). Elle ne constitue qu'une extension de ce qui se pratique dans les universités et est attribuée dans des conditions très similaires. Si la liste des bénéficiaires n'est pas publique, c'est qu'il n'est pas dans notre tradition de publier les rémunérations. Nos procédures n'ont rien d'opaque : transparence ne veut pas dire déballage. Il y aura sans doute des évolutions : nous discutons avec le cabinet de la ministre de la manière de déplacer les curseurs.
L'égalité entre les hommes et les femmes constitue un sujet majeur. Aussi avons-nous pris les choses sérieusement en main. La mission pour la place des femmes au CNRS a développé un programme d'action. Nous menons une action positive afin d'identifier les stéréotypes, par exemple dans la distribution des médailles. Des années 1950 à 1978, tous les récipiendaires de la médaille d'or étaient des hommes. Pour la première année de la femme en 1978, une chercheuse a été récompensée... en même temps qu'un homme ! Nous avons dépassé cette caricature et accompli beaucoup de chemin. Sous mon mandat, autant de femmes que d'hommes ont reçu la médaille d'argent ou celle de bronze. Nous avons établi des programmes de recherche sur le genre - c'est de la science, pas une théorie fumeuse. Pionniers en la matière, nous avons même affiché des postes de chercheurs sur ce sujet. La mission pour la place des femmes au CNRS coordonne le projet européen INTEGER (Institutional Transformation for Effecting Gender Equality in Research).
J'avais bien noté la publication de votre rapport, monsieur le sénateur, même si je n'ai pas encore pu le lire complètement. Je suis favorable à la reconnaissance des actions de médiation des chercheurs. Historiquement, ceux-ci n'étaient évalués que sur la qualité de leur recherche. Il ne s'agit pas de changer notre fusil d'épaule en considérant que l'on pourrait compenser une recherche de moindre qualité par d'autres activités, mais de reconnaître que leurs missions se sont élargies, qu'ils enseignent ou interviennent comme experts. Si le Parlement nous demande de consacrer une partie des subventions d'État à la médiation, nous le ferons.
Beaucoup est déjà fait pour ouvrir les laboratoires. Le CNRS se mobilise pour la Fête de la science. Sommes-nous trop dispersés ? Une synthèse serait utile. Reste que l'ouverture vers le grand public et les élèves fait partie de nos préoccupations.
Les freins à la présence internationale et à la valorisation de la recherche sont dans notre tête : en pratique, la recherche est hypermondialisée. De même, 60 % des publications indiquant une signature du CNRS comprennent également celle de chercheurs étrangers ; or ce sont les plus citées. Cela illustre bien le jeu de coopération-compétition qui se développe à l'échelle mondiale. Oui, notre recherche est attractive ; oui, nos laboratoires le sont, à tous les niveaux. Pendant mon premier mandat, ma politique a mis l'accent sur les jeunes chercheurs : 30 % de nos nouveaux chercheurs sont étrangers. Il arrive souvent qu'un chercheur arrivant à l'âge de la retraite me fasse part de son regret d'abandonner son activité. Retarder d'une année ou deux l'éméritat d'un grand scientifique est un choix cornélien parce qu'il nécessite de renoncer au recrutement de cinq ou six jeunes chercheurs.
Je m'inscris en faux contre l'idée d'une fuite des cerveaux. Il est bien plus exact de parler de leur circulation. Des collègues partent ainsi vers Singapour, l'Arabie saoudite ; mon travail consiste alors à créer des unités mixes internationales, des îlots de présence française. Inversement, nous accueillons des chercheurs étrangers. Privilégier la tranche des 30 à 40 ans contribue par ailleurs à féminiser nos équipes parce que c'est l'âge auquel de jeunes mères ont tendance à renoncer à la recherche dans leur pays.