Intervention de André Vairetto

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 19 février 2014 : 1ère réunion
Protection et mise en valeur du patrimoine naturel de la montagne — Examen du rapport d'information

Photo de André VairettoAndré Vairetto, co-rapporteur :

Je vais développer les trois derniers chapitres du rapport, relatifs à la forêt, l'eau et le tourisme en montagne.

La forêt de montagne peut globalement être considérée comme une ressource naturelle sous-exploitée en France. Ses spécificités sont marquées : les massifs forestiers en altitude sont plus étendus, variés et denses qu'en plaine, et présentent une grande sensibilité au changement climatique. La forêt de montagne est d'une exploitation difficile : les dessertes sont insuffisantes, les coûts élevés, la propriété morcelée et l'économie de la filière dégradée.

Pourtant la mobilisation du bois en forêt de montagne est un enjeu d'intérêt national, car les volumes disponibles y sont particulièrement importants, et leur exploitation effective conditionne le succès des objectifs du « Grenelle de l'environnement » pour le bois-énergie, comme celui des objectifs du plan forêt-bois pour le bois d'oeuvre.

L'impact de l'érosion des dotations budgétaires de l'ONF, déjà évoqué pour le RTM, est aussi très négatif sur la forêt de montagne. En effet, sous la contrainte budgétaire, l'office réduit ses interventions, en particulier dans les forêts les moins accessibles et les moins rentables, c'est-à-dire celles de montagne.

Notre première proposition consiste donc à demander le maintien à un niveau suffisant des crédits budgétaires de l'ONF, pour maintenir sa capacité d'intervention dans les forêts de montagne. Nous demandons aussi que le niveau des aides financées par le nouveau Fonds stratégique de la forêt et du bois, inscrit dans la loi de finances initiale pour 2014 et consacré par la loi d'avenir agricole et forestière en cours de discussion au Sénat, tienne compte des surcoûts inhérents à l'exploitation de la forêt en montagne.

La loi d'avenir comporte aussi des mesures pour dynamiser la gestion de la forêt privée, telles que le groupement d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF), ou les droits de préférence et de préemption des communes forestières. Nous préconisons plusieurs mesures complémentaires propres à la forêt de montagne.

Une proposition de planification stratégique consiste à mettre en place des plans d'approvisionnement territoriaux forestiers par massif, à l'échelle de chaque vallée.

Pour le développement des dessertes forestières en montagne, nous formulons deux propositions : une première proposition consistant à généraliser le préfinancement, par des avances remboursables, des travaux d'exploitation dans les zones difficiles d'accès, notamment par câble. Des expérimentations fructueuses de tels fonds d'amorçage ont été menées par les collectivités, notamment en Savoie. Une deuxième proposition consiste à généraliser, dans le cadre d'une gestion au niveau des massifs, en associant tous les acteurs et en prenant en compte tous les usages de la forêt, des schémas de desserte par piste ou câble qui intègrent les contraintes environnementales.

Enfin, prenant en compte les qualités mécaniques exceptionnelles du bois récolté en montagne, nous faisons une dernière proposition pour favoriser les démarches de labellisation de type « bois des Alpes » ou « bois de Chartreuse ».

Le chapitre suivant est consacré à l'eau en montagne. Il est inutile que j'insiste sur le rôle fondamental des massifs pour la ressource en eau, la montagne constituant le « château d'eau » du pays. Là aussi, les effets prévisibles du changement climatique sont inquiétants, un climat plus chaud et plus sec se traduisant à terme par des ressources en eau moins abondantes.

Nous avons consacré une partie de ce chapitre à l'hydroélectricité, l'« or bleu » de la montagne. Aujourd'hui, le potentiel de notre pays est presque totalement exploité, avec une grande hydroélectricité concentrée en zone de montagne, mais encore un certain potentiel supplémentaire pour la petite hydroélectricité.

La conciliation entre l'hydroélectricité et les impératifs environnementaux est parfois délicate. Elle est plus ou moins bien assurée par les deux principes du « débit réservé » et du « rétablissement des continuités piscicoles ». Les « transports sédimentaires » générés par les installations hydroélectriques, qui dégradent les lits des cours d'eau, sont un problème que nous avons essayé de traiter par la proposition suivante : imposer aux exploitants d'aménagements hydroélectriques de participer financièrement aux mesures préventives ou curatives permettant d'éviter les évolutions du lit des cours d'eau dans le tronçon « court-circuité » imputable à son aménagement et préjudiciables à l'intérêt général.

Nous abordons ensuite le sujet de la neige en stations, qui apparait comme un filon d'« or blanc » menacé, car la réduction tendancielle de l'enneigement naturel ne peut être entièrement compensée en lui substituant de la neige de culture. Cette pratique, aujourd'hui généralisée en stations, appelle des précautions particulières :

- une première proposition suggère d'améliorer la connaissance des étiages et des usages par une généralisation des observatoires locaux de la ressource en eau ;

- une deuxième proposition recommande d'utiliser les outils existants, de type Schéma d'aménagement et de gestion des eaux, pour assurer la cohérence des usages de l'eau, notamment au regard de la neige de culture ;

- une troisième proposition conseille de s'assurer que les études d'impact prennent en compte tous les problèmes liés à l'environnement des retenues collinaires utilisées pour la neige de culture (paysages, périodes de remplissage, zones humides).

Le dernier chapitre est consacré au tourisme, en tant que mode privilégié de mise en valeur de l'environnement montagnard.

En montagne, l'offre touristique est scindée en deux saisons : une saison d'hiver assez longue, sur quatre à cinq mois, mais très concentrée géographiquement, et une saison d'été plus diffuse géographiquement, mais plus courte, sur les deux mois de juillet et août.

Le tourisme est un enjeu économique fondamental pour la montagne : une source d'emplois nombreux, une contribution essentielle au dynamisme des économies locales ; il est caractérisé par des investissements très lourds pour le ski.

Mais la fréquentation de la montagne fléchit : celle-ci n'est plus que la quatrième destination, après la mer, la campagne, et la ville. Les raisons de cette relative désaffection sont multiples : crainte que l'enneigement ne soit pas au rendez-vous, offre trop standardisé des grandes stations de ski, concurrence des « destinations soleil » l'hiver, concurrence du tourisme urbain l'été. Enfin, l'image de la montagne est trop souvent celle d'un certain élitisme et d'un danger omniprésent.

Nous avons voulu traiter de manière approfondie les difficultés de l'immobilier touristique en montagne.

Depuis des années les stations sont engagées dans une fuite en avant : elles construisent toujours plus pour assurer leur fréquentation. Je suis favorable à un «Grenelle de l'immobilier touristique en montagne », qui mettrait tous les acteurs autour de la table dans une perspective de développement durable. Il est devenu urgent de passer de la construction à la réhabilitation, puis à l'exploitation.

Un premier problème est celui de l'obsolescence relative de la procédure des unités touristiques nouvelles (UTN). Instaurée en 1977, cette procédure posait le principe d'une construction regroupée autour des urbanisations existantes et assurait un contrôle centralisé de l'État sur les projets touristiques en montagne. Elle a été progressivement réintégrée dans le droit commun de l'urbanisme et distingue aujourd'hui entre les projets d'incidence locale et ceux d'incidence régionale, examinés au niveau du massif.

Notre première proposition consiste à simplifier la procédure UTN pour les projets de moindre envergure, qui devraient être examinés au niveau du département et non plus du massif.

Depuis que la loi de développement des territoires ruraux de 2005, dite « loi DTR », a prévu l'inscription des UTN dans les SCoT, il apparaît nécessaire de maintenir une cohérence d'ensemble.

Une autre de nos propositions suggère d'évaluer les effets de la réforme de la procédure UTN par la loi DTR, notamment sur la cohérence d'ensemble des projets touristiques inscrits dans les différents SCoT couvrant un même territoire.

La multiplication des « lits froids » en stations est un phénomène particulièrement inquiétant. Il nous paraît urgent d'en améliorer la connaissance, avec une première proposition suggérant de créer des observatoires départementaux pour connaître la dynamique du parc immobilier, dans la perspective de la définition d'une stratégie globale d'intervention.

Il faut aussi donner aux élus un meilleur contrôle des flux de lits nouveaux et des destinations des terrains. Une autre proposition préconise de modifier le code de l'urbanisme pour créer une sous-catégorie de zonage en « hébergements touristiques banalisés », tels que hôtels, clubs de vacances, ou résidences de tourisme, afin de permettre aux communes de s'assurer de la pérennité marchande des lits touristiques.

Nous formulons deux propositions d'outils nouveaux pour la rénovation du parc existant. La première consiste à généraliser la mise en place de sociétés foncières pour la réhabilitation de l'immobilier de loisirs, en mobilisant l'épargne locale. La deuxième consiste à recourir à la procédure du bail à réhabilitation pour convaincre les propriétaires privés de rénover leurs biens dégradés.

Nous avons également deux propositions pour moduler et réorienter les incitations fiscales. La première tend à ouvrir aux communes la possibilité de moduler la taxe foncière, en fonction du taux d'occupation sur la saison de chaque logement touristique. La deuxième consiste à supprimer les incitations fiscales existantes pour l'investissement locatif dans l'immobilier de loisir neuf, et à instaurer un dispositif fiscal incitant à la réhabilitation du parc locatif existant, sous la condition d'une obligation de mise en location d'une durée au moins égale à quinze ans.

Pour finir, nous évoquons trois axes d'améliorations possibles pour le tourisme en montagne.

La reconquête des nouvelles générations apparaît nécessaire, face à l'inquiétante désaffection des jeunes pour la montagne. Pour cela, il faut relancer les classes de découverte ou classes de neige. À cet effet, nous suggérons d'assurer, au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, une formation aux enseignants pour les classes de neige et les classes de découverte. Nous proposons également de développer les échanges institutionnalisés entre collèges de ville et collèges de montagne.

Enfin, dans le débat sur la date des vacances de printemps, trop tardive, qui ampute la fin de la saison de ski, nous prenons position par une demande de stabilisation des règles du calendrier scolaire, en faisant coïncider les vacances de printemps avec le mois d'avril.

Tous les professionnels du tourisme soulignent la nécessité pour la montagne de proposer une offre de loisirs plus diversifiée et une pratique touristique plus « douce ». Encore faut-il, comme condition préalable, que la tranquillité de l'environnement montagnard soit préservée. C'est pourquoi nous proposons que soient expérimentées les « zones de tranquillité » prévues par la Convention alpine.

Enfin, nous avançons deux propositions pour l'amélioration du statut des travailleurs saisonniers, problème récurrent du secteur touristique en montagne. Le problème du logement des saisonniers est particulièrement aigu en stations. Notre proposition consiste à faire bénéficier de la possibilité de déduire la TVA sur les travaux les employeurs, ou groupements d'employeurs, qui construisent des logements pour leurs saisonniers.

Nous proposons aussi d'encourager le développement des groupements d'employeurs des saisonniers, grâce à un système de portabilité entre groupements des droits individuels acquis par les saisonniers.

Au terme de cette présentation, nous avons bien conscience que notre réflexion sur les enjeux relatifs au patrimoine naturel de la montagne ne peut pas prétendre à l'exhaustivité. Nous avons plutôt procédé à des « coups de projecteurs » sur tel ou tel aspect du sujet qui nous a paru mériter de retenir l'attention.

En ce qui concerne nos propositions, nous nous sommes efforcés de leur conserver un caractère concret et opérationnel, sans perdre pour autant de vue les objectifs stratégiques plus vastes que ces propositions visent à atteindre.

La thématique environnementale nous a conduits à traiter de multiples aspects de la politique de la montagne mais de nombreux autres aspects de celle-ci, non moins importants et dignes d'attention, n'ont pas pu être évoqués en détail.

Pour la dimension économique et sociale de la politique de la montagne, je veux mentionner plusieurs dossiers qui restent de la plus haute importance :

- l'aménagement numérique des territoires de montagne, souvent peu densément peuplés mais néanmoins fréquentés ;

- le désenclavement prioritaire par la route et par le fer de certains territoires de montagne bien identifiés par la commission Mobilité 21 ;

- le maintien d'une carte scolaire adaptée à la réalité humaine et géographique de territoires où les temps de déplacement ne sont pas ceux de régions au relief moins accidenté ;

- la lutte contre les déserts médicaux, plus urgente encore en montagne que dans d'autres zones rurales plus accessibles.

Pour la dimension institutionnelle et législative de la politique de la montagne, je peux aussi évoquer plusieurs sujets :

- l'affinement des critères du classement en zone de montagne, qui conditionne le bénéfice d'aides spécifiques ;

- la question des institutions propres à la montagne, principalement le conseil national de la montagne et les comités de massifs, qui mériteraient d'être rénovés et dynamisés ;

- l'impact des nouvelles lois de décentralisations, récemment votées ou à venir, sur des territoires de montagne qui, en dépit de leur étendue et de leur faible densité de population, possèdent une identité très forte qu'il serait contreproductif de diluer, voire d'effacer ;

- l'opportunité d'une mise à jour de la loi Montagne, avec l'examen par le Parlement d'un nouveau texte législatif spécifique suffisamment complet et ambitieux.

Pour conclure, reconnaissons que la beauté des paysages, la variété de la faune et de la flore, l'abondance des ressources du patrimoine naturel de la montagne, font de celui-ci un véritable « trésor national », dont les richesses s'offrent aujourd'hui à tout un chacun, mais doivent aussi, par-delà les aléas du changement climatique, pouvoir être transmises aux générations futures.

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