Intervention de Hervé Synvet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 février 2014 : 2ème réunion
Evolution et développement de la place financière de paris — Audition conjointe de Mme Delphine d'aMarzit chef du service du financement de l'économie de la direction générale du trésor Mm. Dominique Cerutti directeur général d'euronext thierry francq auteur d'un rapport sur l'évolution d'euronext et l'avenir des activités de marché et de post-marché en europe gérard mestrallet président de paris europlace président directeur général de gdf-suez et hervé synvet professeur agrégé de droit privé à l'université panthéon-assas paris ii

Hervé Synvet, professeur agrégé de droit privé à l'université Panthéon-Assas (Paris II) :

Je souhaiterais partager très simplement trois brèves réflexions. La première d'entre elles concerne la compétitivité juridique du droit français. Le point de départ, c'est évidemment la conscience de ce qu'aujourd'hui le droit financier est d'abord européen et non français ou international. Ceci signifie que la règle du jeu, dans ses principes, est commune à l'ensemble de l'Union européenne. De notre point de vue, la question qu'il faut se poser porte sur ce qu'il reste réellement aux États dans le domaine du droit financier.

Il y a naturellement la transposition, ce que l'on peut faire dans les interstices. En la matière cependant, les marges de manoeuvre des États n'iront pas en s'étendant puisque la tendance européenne est de faire des règlements d'application directe plutôt que des directives. Reste également aux États le contrôle, au sens de la surveillance de la bonne application de la règle de droit, ce qui correspond essentiellement à l'action des régulateurs. Cependant, là encore, la tendance - même timide - est de remonter le contrôle au niveau européen. Elle se matérialise dans le projet d'Union bancaire européenne mais aussi à travers la création des trois grandes autorités européennes : l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP). Seuls restent nettement aux États les processus de sanction qu'ils soient de régulation ou judiciaires.

Enfin, il reste aux États le droit privé traditionnel qui trouve à s'appliquer également au domaine financier, que ce soit en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité civile, de droit des biens ou de droit des sûretés. Il faut avoir à l'esprit, lorsque l'on compare tradition juridique anglo-saxonne et tradition continentale, que les traditions juridiques nationales valent dans les domaines que je viens d'évoquer. En revanche, pour le droit financier fabriqué à Bruxelles, ce sont des choses modernes pour lesquelles les traditions ont peu de poids. Si les Anglo-Saxons ont pris la main, ce n'est pas pour des raisons juridiques, c'est en réalité parce que leur pensée en matière de finances s'est imposée.

On déduit de ces prémices le comportement que l'on doit adopter. Puisque le droit financier se fait à Bruxelles, il faut tenter d'être plus présent juridiquement, avoir de vrais juristes dans les équipes. Par ailleurs, quand on travaille en droit interne, il convient de regarder ce qui se fait dans les pays comparables pour créer une règle qui résiste à la concurrence extérieure.

Ma seconde observation porte sur le fait que les conditions sont aujourd'hui réunies pour que se déploie une véritable concurrence juridique. Les barrières protectionnistes s'estompent. C'est le cas en droit des sociétés d'abord, avec la localisation des émetteurs. Des instruments existent aujourd'hui, telle que la société européenne. J'ai lu dans la presse que LVMH était en cours d'adoption du statut de société européenne. Ce statut juridique lui permettra de s'implanter là où elle le souhaite. De même, la directive sur les fusions transfrontalières facilite les transferts de siège. Or, en droit boursier, un certain nombre de directives - la directive sur les prospectus, la directive sur la transparence et, pour moitié, la directive sur les offres publiques - ont adopté comme facteur de rattachement, c'est-à-dire comme critère de répartition des compétences à l'intérieur de l'Union européenne, l'État d'origine. La compétence de l'État d'origine est reconnue non seulement pour la loi mais aussi pour l'autorité compétente. Ainsi, si l'on installe ab initio ou transfère son siège aux Pays-Bas, on est soumis à la loi néerlandaise en droit des sociétés, en matière de prospectus, de transparence, de franchissement des seuils et, pour une bonne partie, des offres publiques à l'autorité des marchés néerlandaise.

Pour terminer ce bref tour d'horizon des conditions d'installation et de concurrence juridique, on peut mentionner la possibilité d'opérer des cotations hors bourse ou de choisir sa bourse de cotation, soit à l'origine, soit lors d'un transfert du lieu de cotation. Tous ces instruments existent et sont à la disposition des opérateurs même s'ils ne sont pas nécessairement utilisés fréquemment.

Ma troisième et dernière observation est relative au droit ou plus exactement au système juridique. Il n'est pas suffisant d'ouvrir son code financier, de lire ses articles, de les interpréter, voire de les comparer avec les dispositions équivalentes des lois étrangères. Un système juridique est un ensemble, c'est un écosystème. Il y a bien évidemment le droit écrit mais il y a également ce que l'on appelle la soft law. En France, il y a par exemple le Code AFEP-MEDEF sur la gouvernance des sociétés cotées. Au Royaume-Uni existe le « UK Code ». L'action des régulateurs, les décisions judiciaires, le travail des praticiens, des professions juridiques sont aussi très importants. À Londres existent cinq cabinets dominants avec environ 4 000 à 5 000 avocats chacun qui forment le « Magic Circle », à comparer avec le cabinet Gide Loyrette Nouel à Paris. La place des professions juridiques est fondamentale dans la mise en oeuvre de tout cet ensemble juridique. J'ajouterai enfin, avec modestie, le rôle de la doctrine.

C'est la combinaison de tous ces éléments qui crée le système juridique. C'est l'analyse de chacun d'entre eux qui permettrait d'envisager d'éventuels progrès.

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