Intervention de Bruno Lasserre

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Bruno Lasserre candidat désigné aux fonctions de président de l'autorité de la concurrence

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

L'Autorité de la concurrence a les moyens juridiques de ses ambitions. De manière plus générale, ses moyens sont très faibles par rapport à ceux de la Commission européenne ou des autres autorités de la concurrence en Europe. Nous sommes aussi actifs que la Commission européenne, mais notre effectif est de 185, contre 800 à Bruxelles. En France, le CSA - dont les effectifs pourraient atteindre 400 personnes après avoir intégré Hadopi - est beaucoup plus puissant que nous. Oui, je suis préoccupé par cette disproportion de forces entre les entreprises que nous contrôlons et nous. Les amendes peuvent atteindre des montants considérables, et il y a également un enjeu de réputation, si bien qu'une entreprise peut mettre vingt avocats sur une affaire, tandis que nous sommes seulement quelques-uns à y travailler jour et nuit. C'est un sujet d'inquiétude.

La procédure de clémence a été créée en France, en 2001, par la loi sur les nouvelles régulations économiques. Une entreprise peut dénoncer le cartel auquel elle appartient, en échange d'une immunité totale, ou d'une diminution de la sanction encourue. Nous avons enregistré 110 demandes de clémence depuis la création de ce programme, dont 67 affaires françaises. La procédure de clémence favorise la détection d'ententes secrètes, comme cela a été le cas lorsque les quatre grands lessiviers mondiaux, Procter et Gamble, Unilever, Henkel et Colgate Palmolive, qui s'entendaient sur les prix des lessives, ont tous, successivement, dénoncé leur cartel... Les PME auraient intérêt à connaître l'existence de cette procédure. C'est la raison pour laquelle nous avons créé un poste de conseiller clémence.

Entre des distributeurs concentrés et des producteurs atomisés, sans grand poids, il n'est pas simple d'arriver à une négociation équilibrée des prix. Le législateur n'est pas le mieux armé pour rétablir cet équilibre. La solution est sans doute de statuer à la base pour éviter la concentration des structures. C'est ce que nous avons fait, à Paris, lors du rachat des 50 % de Monoprix par Casino. Nous avons imposé la cession de cinquante points de vente dans des zones de chalandise où la diversité de l'offre était menacée. Nous vérifions systématiquement si le consommateur conserve un choix.

Pour répondre à la question sur les appels d'offre des collectivités locales, il me semblait qu'après les grandes condamnations prononcées dans des affaires de BTP, la situation s'était améliorée. L'ancien Conseil de la concurrence passait la moitié de son temps à traiter des affaires de BTP. Ce n'est plus notre cas. Cependant, nous n'avons pas d'antenne locale en département pour détecter ce genre de problème. A vous de nous transmettre les informations !

Sans être chirurgiens-dentistes, nous avons les compétences nécessaires pour appréhender les particularités du secteur de la santé. Les médicaments ne sont pas des produits comme les autres, la santé n'est pas un marché comme un autre, nous en sommes d'accord. Mais ce secteur n'est pas non plus un secteur à part, où tout serait permis. Il pèse sur notre économie et sur les comptes publics. C'est pourquoi l'Autorité de la concurrence a mené une action contre deux laboratoires importants qui menaient une stratégie de dénigrement systématique des médicaments génériques auprès des médecins. Elle surveille également les risques d'abus sur les lunettes, les prothèses auditives ou dentaires. Il faut être très prudent aussi sur les conditions de la production des médicaments, afin que soient respectées la traçabilité et la sécurité sanitaire, et réprimées la contrefaçon et la fraude. Enfin, notre institution souhaite accompagner l'évolution du mode de distribution des médicaments ; cependant la position que nous avons prise au sujet de la distribution sur internet concerne uniquement les médicaments non remboursables. Il y a des actions à mener concernant l'automédication et les produits dits frontière.

En 2013, 98,5 % des amendes ont été recouvrées rapidement. La question sur le prix de l'eau potable est difficile. Une enquête de la Commission européenne n'a pas démontré de collusion entre les grands distributeurs. Si nous avions des indices en un sens contraire, nous agirions avec vigueur. Enfin, les entreprises étrangères qui acquièrent des cibles en France sont soumises aux mêmes règles que les entreprises françaises et contrôlées comme elles. C'est le montant de leur chiffre d'affaires et de leur chiffre d'affaires en France qui détermine si leur projet est examiné par Bruxelles ou par nous.

Les secteurs des transports et de l'énergie sont nos futures priorités. Des progrès restent possibles en France. Pourquoi le transport en autocar sur de longues distances est-il si peu développé ? Des lignes d'autocars relient Paris à Madrid, Rome ou Barcelone, mais non à Toulouse ou Lyon ! C'est que les trajets en autocar sont possibles dans le cadre du cabotage international. Dans le cadre national en revanche, les ouvertures de lignes sont refusées car elles perturbent l'équilibre économique du train. Une enquête sectorielle très détaillée montre pourtant que la demande existe, notamment celle des jeunes ou des seniors pour qui le train est trop cher. Nous avons des propositions pour libérer le cadre règlementaire.

Pour l'énergie, le bilan est mitigé : la libéralisation n'a pas porté les fruits attendus car, contrairement aux télécoms, l'innovation n'a pas été au rendez-vous. Or cette dernière a pour effet de créer des brèches dans lesquelles les nouveaux entrants peuvent s'engouffrer.

Aujourd'hui, mis à part le gaz pour les entreprises, les nouveaux entrants sont rares ; les énergies alternatives peinent à concurrencer l'énergie traditionnelle, ce qui est d'autant plus dommage que le poste de l'énergie pèse de plus en plus dans le budget des ménages et que la précarité énergétique est devenue une triste réalité. La question des prix est donc importante.

Il ne pourra y avoir de concurrence durable pour le gaz et surtout pour l'électricité si les nouveaux producteurs ne peuvent produire de l'énergie en période de pointe. De ce point de vue, le renouvellement des concessions des barrages hydroélectriques sera un test : nous verrons si les nouveaux entrants sont libres d'investir dans la production d'énergie.

La concurrence n'exclut pas dans certains cas la coopération et les échanges d'informations. Si une entreprise n'a pas à elle seule les moyens financiers de construire et d'exploiter une unité de production électrique, pourquoi ne s'allierait-elle pas avec d'autres pour qu'ensemble elles aient leur propre usine, dès lors qu'elles sont ensuite en concurrence sur le marché de détail ? Ainsi, en matière de télécoms mobiles, nous venons d'encourager un accord de mutualisation entre deux opérateurs qui partageront leurs équipements actifs pour économiser des coûts et aller plus vite et plus loin dans le déploiement de leurs infrastructures, au bénéfice des territoires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion