Intervention de Didier Guillaume

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 février 2014 : 1ère réunion
Avenir pour l'agriculture alimentation et forêt — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Didier GuillaumeDidier Guillaume, rapporteur :

Annoncé dans le discours de politique générale du Premier ministre et préparé depuis de nombreux mois par le Gouvernement, le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt est le fruit d'un processus de concertation avec les professionnels. Sans remettre en cause les instruments mis en place par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche de 2010, il améliore l'efficacité de mécanismes, comme la contractualisation, dont le bilan est mitigé et prépare l'agriculture française aux changements structurels et aux défis qui l'attendent.

Les négociations européennes sur la réforme de la PAC pour 2014-2020 ont abouti à des arbitrages satisfaisants pour la France. Les enveloppes financières sont préservées même si certains agriculteurs bénéficieront de soutiens diminués. Plus verte et plus équitable, la nouvelle PAC offre des marges de manoeuvre supplémentaires en matière de couplage des aides directes ou de modulation des aides en fonction de la surface.

En septembre dernier, le président de la République a choisi de privilégier les filières animales en redéployant environ 1 milliard d'euros vers l'élevage, manifestant ainsi sa volonté de conserver une agriculture diversifié, familiale, ancrée sur les territoires. Cette ambition est celle du projet de loi. Loin de tourner le dos à l'impératif de compétitivité, il repose sur le pari, nourri par des observations de terrain, qu'il est possible d'atteindre à la fois la performance économique et l'excellence environnementale, en tirant parti des lois de la nature elle-même. Voilà le pari de l'agro-écologie.

Après le Grenelle, répondre aux préoccupations environnementales constitue une obligation incontournable pour l'agriculture. La réforme de la PAC intègre cette préoccupation puisque, à côté de l'éco-conditionnalité des aides, elle instaure le verdissement des paiements directs à hauteur de 30 % de l'enveloppe de chaque État membre. Cessons d'empiler des normes et de vivre l'environnement comme une contrainte, l'agro-écologie invite à innover ! L'expérience prouve qu'on peut produire plus avec moins d'intrants. Voilà le socle philosophique du projet : faire plus et mieux, reconquérir l'économie agricole en tournant le dos à la standardisation à outrance.

Pour réussir la transformation structurelle de l'agriculture française, le projet de loi repose sur quatre piliers. La jeunesse et le renouvellement des générations, d'abord. L'installation est une priorité absolue, à la fois pour remplacer les agriculteurs qui partent en retraite et parce que de nouveaux agriculteurs, mieux formés, apportent de nouvelles pratiques et diffusent le progrès. Pour la favoriser, le texte crée une couverture sociale pour les personnes en cours d'installation, encourage l'installation progressive, met en place le contrat de génération-transmission. Traitant l'importante question du foncier, le projet renforce le rôle des commissions départementales de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) rebaptisées CDPENAF, conforte la place des Safer et en modernise la gouvernance ; il consolide le contrôle des structures et lève le verrou de la surface minimale d'installation (SMI) pour l'affiliation au régime social agricole.

La réussite du renouvellement des générations en agriculture passe aussi par la formation. Véritable joyau à préserver, notre enseignement agricole favorise une excellente insertion professionnelle, participe à la lutte contre l'échec scolaire et sait innover, constituant même l'avant-garde de l'enseignement général à certains égards. Le maillage territorial des établissements publics avant ou post-bac est remarquable tandis que l'enseignement privé est présent dans l'enseignement secondaire et supérieur agricole. Il faut placer l'enseignement agricole au coeur de la refondation de l'école de la République voulue par le chef de l'État. Le texte comporte plusieurs mesures en ce sens : acquisition progressive des diplômes, voie d'accès spécifique aux écoles supérieures d'agronomie pour les bacheliers professionnels. Il permet l'indemnisation en cas de calamités agricoles dans les exploitations rattachées aux établissements d'enseignement agricole. Enfin, innovation majeure, la création de l'Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, l'IAVFF, qui prendra le relais du consortium Agreenium, rapprochera l'enseignement supérieur agronomique et vétérinaire et la recherche et harmonisera les formations des personnels en coordonnant l'ensemble des acteurs intéressés.

Deuxième pilier, l'innovation. Si celle-ci ne se décrète pas, elle peut être encouragée. La création du groupement d'intérêt économique et environnemental (GIEE) améliorera les performances économiques et environnementales en regroupant les agriculteurs.

Troisième pilier, les instruments de gouvernance. Le texte assure la transparence des GAEC et réforme la gouvernance des coopératives pour donner leur pleine place aux associés coopérateurs. Il améliore la contractualisation et accroît le rôle de régulation du médiateur des relations commerciales agricoles. Il renforce les interprofessions pour répondre au nouveau cadre juridique du règlement européen sur l'organisation commune des marchés. Enfin, il opte pour un pilotage régional des politiques agricoles : les régions, autorité de gestion du deuxième pilier de la PAC, rentrent à FranceAgrimer et participeront à l'élaboration du programme régional de l'agriculture durable (PRAD). Les Safer, comme le schéma de contrôle des structures, sont régionalisés.

L'excellence sanitaire et environnementale, quatrième pilier, est recherchée à travers plusieurs mesures : élargissement du bail environnemental afin d'encourager des pratiques culturales plus vertueuses, renforcement des contrôles des flux d'azote pour lutter contre la pollution des eaux et des contrôles sanitaires sur la faune sauvage, plus grande transparence des résultats des contrôles sanitaires sur les établissements qui y sont soumis, mesures de lutte contre la sur-utilisation des antibiotiques en élevage. L'arsenal de contrôle des pesticides est revu, avec la mise en place d'un suivi post-autorisation de mise sur le marché des produits et le transfert à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) de la responsabilité des délivrances des autorisations. Enfin, les pratiques alternatives de bio-contrôle, de préférence aux produits de traitement des cultures issus de la chimie de synthèse, sont favorisées.

Le projet comporte un volet spécifique à l'outre-mer. Voilà qui tranche avec la tendance à renvoyer les problématiques ultramarines aux ordonnances. Ce titre comprend des dispositions sur l'indivision, cause principale de la situation d'inculture des terres dans les outre-mer. Il institue dans chaque département ultramarin un comité d'orientation stratégique et de développement agricole (COSDA), chargé d'assurer la cohérence entre les divers dispositifs de soutien communautaires, nationaux et locaux.

L'Assemblée nationale a enrichi le texte initial, sans le dénaturer, avec l'adoption de 408 amendements en commission et 213 en séance. Les députés ont prévu que les GIEE auraient la personnalité morale et rassembleraient majoritairement des agriculteurs. Ils ont souhaité prévenir les risques de blocage des interprofessions, en portant le seuil de représentativité nécessaire pour étendre les accords de 80 % des producteurs à 70 %. Ils ont donné pouvoir à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) de s'opposer au dépôt de marques portant atteinte à des produits sous signe de qualité et ont renforcé le volet foncier, en confortant le rôle des Safer pour lutter contre les contournements de leur droit de préemption. Ils ont chargé les CDPENAF d'inventorier les friches qui pourraient retourner à l'activité agricole. Les députés ont créé un statut d'agriculteur actif, répertorié dans un registre, de manière à pouvoir réserver les aides publiques aux agriculteurs professionnels. En fixant un objectif de réduction de 25 % des antibiotiques critiques en 2016, ils ont renforcé le volet sanitaire du projet de loi. Ils ont sécurisé le cadre juridique du commerce des semences. L'Assemblée nationale n'a pas modifié substantiellement les articles consacrés à l'enseignement agricole, si ce n'est pour permettre le recrutement à temps complet d'agents contractuels dans les centres de formation professionnelle et de promotion agricoles ou dans les centres de formation d'apprentis, mais a inséré des articles additionnels intéressants.

Mes propositions sont le fruit des nombreuses auditions que j'ai effectuées, y compris sur le terrain. La première est symbolique : elle affirme la dimension sociale de l'agro-écologie en remplaçant la double performance par la triple performance : économique, sociale et environnementale. Le GIEE devra avoir un volet social, comme le demandent les agriculteurs eux-mêmes. Ensuite, je propose de modifier les dispositions sur le bail environnemental dont la généralisation a fait naître de légitimes craintes : il s'agit d'imposer uniquement des clauses garantissant le maintien des pratiques vertueuses préexistantes sans alourdir les contraintes. J'ai simplifié la clause miroir pour les coopératives agricoles. Un autre amendement évitera le blocage du fonctionnement des interprofessions, tout en garantissant le pluralisme et je soutiendrai les amendements en ce sens : 300 millions d'euros sont en jeu. J'ai suggéré des mesures de simplification, notamment la suppression du double agrément des GAEC et des parts de GAEC. Sur le volet foncier, il faut accompagner d'une compensation agricole les effets de la compensation écologique.

Je propose de renforcer les droits des éleveurs à la légitime défense contre les loups, qui ne sont plus une espèce menacée. Il faudra revoir la convention de Berne et la directive habitat. Je présenterai quelques ajustements techniques sur le volet sanitaire.

Notre commission devrait pouvoir adopter la quasi-totalité des propositions de la commission du développement durable, saisie pour avis. Je défendrai farouchement le transfert des décisions d'autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques du ministre, à qui je suggère de donner un droit de regard, à l'ANSES. Il est absurde de faire peser sur le ministre une responsabilité sur plus de 2 000 autorisations par an alors qu'il n'a pas les moyens techniques de décider.

Il me semble opportun, à ce stade, d'adopter certains des amendements de la commission de la culture sur l'enseignement agricole - je mets de côté l'amendement de suppression de l'IAVFF. À mon sens, l'institut pourrait être chargé du transfert des résultats de la recherche et de l'innovation en appui à l'enseignement technique agricole. Je suggère d'intégrer un volet « recherche et innovation agronomiques » dans la Stratégie nationale de recherche et de reconnaître la contribution du réseau des instituts techniques agricoles à l'enseignement agricole.

Je continue à réfléchir à une amélioration du texte sur les aspects innovation, recherche et développement. Je souhaite aussi me donner le temps de la réflexion sur le registre des agriculteurs actifs et les critères d'affiliation au régime social agricole - il convient à la fois de ne pas pénaliser les pluriactifs, notamment dans les zones de montagne, et de centrer le registre sur les agriculteurs professionnels. De même, la piste de modification du calcul du seuil de revente à perte doit être examinée plus avant.

Sans prétendre réformer l'agriculture d'un coup de baguette magique, ce projet dense et ambitieux renforce tous les outils à disposition du monde agricole pour répondre aux défis de l'économie, de l'environnement et des attentes sociales de la population. Nul doute que, lors des débats de commission et de séance, nous l'améliorerons.

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