Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise, et dont on a quelque peine à croire qu'elle n'a pas été « inspirée », traduit et trahit une forme peu commune d'acharnement, une volonté peu commune non pas de ne pas comprendre - car, bien sûr, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues de la majorité, vous comprenez fort bien de quoi il s'agit - mais de ne pas entendre : un acharnement, donc, que je considère extrêmement préjudiciable au fonctionnement de nos institutions.
Car enfin, cette proposition de loi est d'abord contraire à la décision du Conseil constitutionnel.
En effet, s'il est un point sur lequel le Conseil constitutionnel a été particulièrement clair, c'est le suivant : « Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles VI, VIII, IX et XVI de la Déclaration de 1789 que le jugement d'une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit, sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos, faire l'objet d'une audience publique.
« Considérant que constitue une décision juridictionnelle l'homologation ou le refus d'homologation par le président du tribunal de grande instance de la peine prononcée par le parquet et acceptée par la personne concernée, ... »
Comme l'a exposé ce matin avec beaucoup de force M. Robert Badinter, dès lors qu'il s'agit d'une décision juridictionnelle, donc d'une juridiction, il faut nécessairement que toutes les caractéristiques qui définissent le bon fonctionnement d'une juridiction se retrouvent ; il faut, par conséquent, que le ministère public soit présent.
Cette proposition de loi est donc contraire à la décision du Conseil constitutionnel.
Elle est aussi contraire à l'avis de la Cour de cassation selon laquelle : « Lorsqu'il saisit le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui d'une requête en homologation de la ou des peines qu'il a proposées dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le procureur de la République est, conformément aux termes de l'article 32 du code de procédure pénale, tenu d'assister aux débats de cette audience de jugement, la décision devant être prononcée en sa présence. »
Quoi de plus clair, mes chers collègues ?
Cette proposition de loi est donc également contraire à l'avis de la Cour de cassation.
Cette proposition est aussi, subsidiairement, contraire à l'une des circulaires de M. Dominique Perben, alors garde des sceaux. Celui-ci a, en effet, pris le 19 avril 2005 une circulaire qui contredisait en quelque sorte la précédente circulaire du 2 septembre 2004, qui stipulait : « Rien n'interdit toutefois à ce magistrat » - sous-entendu, le procureur de la République - « à titre exceptionnel et s'il l'estime indispensable d'être présent pour indiquer oralement au juge du siège les raisons pour lesquelles il a recouru à cette procédure et le bien-fondé des peines proposées ».
Le 19 avril 2005, on assiste à un changement de décor. M. le garde des sceaux Dominique Perben nous dit que sa circulaire ne doit finalement ne pas être appliquée - ce qui, soit dit en passant, est assez singulier - mais du moins a-t-il entendu la voix de la Cour de cassation. D'ailleurs, il écrit : « Seule la décision d'homologation présente un caractère véritablement juridictionnel puisqu'elle est seule susceptible d'appel. Il s'ensuit qu'en cas d'homologation, à la différence de la circulaire du 2 septembre 2004 » - et dont l'auteur n'est autre, je le rappelle, que M. Dominique Perben lui-même -« l'ordonnance devra être lue à une audience publique à laquelle le ministère public doit assister en application de l'article 32 ».
Cette proposition de loi n'est donc même pas en accord avec la position de repli de M. Dominique Perben, adoptée à la suite de l'avis de la Cour de cassation.
Enfin, comme l'a très brillamment montré, ce matin, M. Robert Badinter, cette proposition de loi est contraire à la position du Conseil d'Etat.
Le Conseil d'Etat a en effet jugé que « les autres articles applicables à la procédure du plaider coupable, ainsi que les réserves d'interprétations émises par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée et s'imposant, pour leur part, à toutes les autorités, distinguaient, certes, l'audience d'homologation des audiences correctionnelles ordinaires, mais tendaient toutefois à lui conférer dans une très large mesure le caractère d'audience préalable à la prise d'une décision juridictionnelle au sens des dispositions générales du code de procédure pénale, dès lors notamment qu'ils impliquaient l'information de la victime sur la tenue de cette audience, ainsi que l'examen par le juge du siège de la justification de la peine au regard des circonstances de l'infraction - elles-mêmes éclairées, le cas échéant, par les déclarations de la victime - et de la personnalité de l'auteur des faits.
« Or, l'article 32 du code de procédure pénal, que la loi du 9 mars 2004 a laissé inchangé, prévoit que le ministère public (...) assiste aux débats des juridictions de jugement » et que toutes les décisions sont prononcées en sa présence. Dans ces conditions, le juge des référés a estimé contestable la position du garde des sceaux selon laquelle les dispositions particulières du deuxième alinéa de l'article 495-9 devaient être regardées comme dérogeant, implicitement mais nécessairement, à ces prévisions générales. »
En conséquence, le Conseil d'Etat a jugé que même la position de repli de M. Dominique Perben était contraire à la loi.
Tout cela explique notre étonnement devant le contenu de cette proposition de loi. Nous ne comprenons pas cet acharnement à n'entendre ni la Cour de cassation, ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d'Etat.
Il fallait le faire, monsieur le président de la commission des lois ! Personnellement, je nourrissais l'espoir que la commission des lois du Sénat, dans sa majorité, mue par une sorte de révélation nocturne, s'élèverait pour dire : « Mais enfin, écoutons la Cour de cassation, entendons le Conseil constitutionnel, soyons attentifs à ce que dit le Conseil d'Etat ». Hélas, ce fut un rêve !