...et nous avons tout à fait raison de le faire.
En bref, nous pensons, pour notre part, que les avis précités ont quelque titre à être entendus.
J'en viens aux cinq raisons que je voudrais succinctement exposer et qui fondent la présente motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Premièrement, ce texte pose de réels problèmes quant aux prérogatives du juge du siège. Il est évident que ce dernier voit ses pouvoirs très limités en raison de ce qui fait l'essence même de la procédure, ainsi que l'a exposé M. Robert Badinter.
Le texte reste très en deçà des exigences constitutionnelles relatives au pouvoir de contrôle du juge, puisque, si les choses restent en l'état dans la proposition de loi, le président du tribunal de grande instance n'est pas dans la situation d'interroger le procureur sur le dossier et sur les éléments qui fondent sa proposition de peine.
Le texte s'en rapporte à la souveraine appréciation du ministère public qui peut ou non être présent à l'audience d'homologation.
Or il s'agit, pour le magistrat du siège, de prononcer une peine qui peut être une peine d'emprisonnement. Il en portera, en toute conscience, la responsabilité.
Si le magistrat estime qu'il a des précisions, des éclaircissements à demander au ministère public qui lui a communiqué la proposition de peine, après lecture du dossier et audition de l'intéressé et de son avocat, nous considérons qu'il doit pouvoir le faire pour statuer en pleine connaissance de cause.
Le ministère public doit donc être présent à l'audience, pour répondre à toute question du président, voire aux observations de l'intéressé et de son avocat.
L'audience correctionnelle aboutissant au prononcé d'une peine ne peut se concevoir hors la présence du ministère public, prêt à intervenir à tout moment.
Subsidiairement, même si l'on acceptait que la présence du ministère public soit facultative, il devrait être précisé qu'il doit assister à tout ou partie de l'audience d'homologation si le président le demande.
A défaut, l'exigence que le président prononce la peine en pleine connaissance de cause est méconnue. C'est pourquoi nous considérons qu'il s'agit là d'une disposition contraire aux principes constitutionnels.
En deuxième lieu, je veux évoquer les droits de défense.
Les droits de la défense, vous le savez, ont valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 21 décembre 1972.
Ces droits ne sont pas, ne peuvent pas être respectés, selon nous, si le procureur est absent de la phase d'homologation.
Alors que le prononcé de la peine - peine parfois d'emprisonnement - est le fait du juge de l'homologation, l'accusé n'aurait pas le droit, devant lui, de discuter de façon contradictoire les faits qui lui sont reprochés par le procureur ? Ce serait contraire à l'essence même de la juridiction et du contradictoire ; ce serait contraire aux principes constitutionnels.
En troisième lieu, je veux indiquer que ce texte, pour nous, pose de très réels problèmes en ce qui concerne les libertés individuelles.
Le juge du siège se voit affaibli, dans son rôle de gardien de la liberté individuelle. Ce principe fondamental, énoncé à l'article 66 de la Constitution, n'est plus garanti si le juge peut prononcer des peines privatives de liberté sans que le jugement se soit déroulé dans les conditions d'impartialité et d'indépendance nécessaires au bon fonctionnement de la justice. Or ces conditions ne sont pas réunies dans le cadre de la procédure d'homologation.
Mes chers collègues, si vous adoptiez ce régime d'exception en matière de justice pénale, vous iriez à l'encontre des prérogatives des juges en matière de défense des droits civiques et des garanties fondamentales accordées aux citoyens visés à l'article 34 de la Constitution : les magistrats sont constitutionnellement les garants de la liberté individuelle.
Le magistrat du siège est appelé à homologuer une proposition de peine qui peut aller jusqu'à un an d'emprisonnement ferme.
Il n'est pas concevable qu'un magistrat du siège prononce une peine attentatoire au premier chef à la liberté individuelle sans que le ministère public ait justifié sa proposition au regard des faits reconnus, de la personnalité de l'intéressé et de l'intérêt de la société et de la victime.
Il s'agit, là encore, d'une forme d'inconstitutionnalité, et nous ne saurions l'accepter.
Je note, en quatrième lieu, que les dispositions constitutionnelles propres au déroulement d'un procès ne sont pas garanties en ce qui concerne la procédure même d'homologation du « plaider coupable », ou de ce que l'on appelle ainsi.
Doit-on en conclure qu'il ne s'agit pas d'un véritable procès, mais d'une procédure sui generis, pour reprendre les termes de la circulaire du 2 septembre 2004 de M. Dominique Perben, circulaire déjà évoquée ?
Avec la procédure d'homologation telle qu'elle est précisée par la proposition de loi de M. Béteille, il ne s'agit non plus d'un procès, mais de l'enregistrement des décisions du parquet.
Cela nous paraît absolument contraire aux dispositions de l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui prévoit que seule une juridiction a le pouvoir de déclarer une personne coupable.
Cinquièmement enfin, si ce texte était adopté en l'état, il serait, à l'évidence, source de graves ruptures d'égalité dans le traitement pénal des mêmes infractions.
Pour juger d'affaires identiques, dans tel tribunal, en effet, le parquet serait présent à l'audience d'homologation, dans tel autre il ne le serait pas, selon les obligations, les choix du ministère public.
Or il est un principe constant en matière constitutionnelle : l'égalité de traitement des justiciables. C'est un principe auquel on ne peut déroger et qui a valeur constitutionnelle.
Voilà, mes chers collègues, les cinq arguments que je voulais présenter devant vous.
Pourquoi cet acharnement ? Pourquoi cette proposition de loi qui, si elle est appliquée, déséquilibrera un peu plus encore le procès pénal ? Pourquoi rompre avec l'équité ? Pourquoi tenir si peu compte des déclarations du Conseil d'Etat, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation ? Nous ne comprenons pas.
Nous avons le sentiment que le seul objectif est, en définitive, de « faire du chiffre », d'atteindre un certain rendement.
Il nous semble que l'on ne peut rendre la justice au mépris des principes fondamentaux qui fondent l'équité du procès pénal.
Monsieur le garde des sceaux, au nom de notre groupe, je vous dis cela avec une certaine gravité, en ce jour où nous apprenons que tel de vos collègues du Gouvernement a cru devoir aborder un sujet qui ressortit à votre compétence, et dans des termes qui posent véritablement problème, ...