Je veux bien rédiger une ou deux pages sur ce sujet que j'ai déjà évoqué lors de notre précédente réunion. Il me semble qu'en vingt ans nous n'avons pas avancé ; au contraire, nous avons régressé. Nous fêtons en ce moment le trentième anniversaire de la Marche pour l'égalité et contre le racisme, qui avait été renommée abusivement « Marche des Beurs ». Or, lors du vote pour la primaire socialiste à Marseille, ceux des votants qui se sont prononcés en faveur de Samia Ghali ont été accusés de vote communautaire. À partir du moment où les élites, et j'englobe beaucoup de choses sous ce vocable, ont décidé que ce vote était communautaire, on a renvoyé tous ces électeurs à leur identité, alors que la République doit s'incarner dans le primat de la citoyenneté sur l'identité. J'y vois une régression, ce qui conduit certains à se radicaliser. Après la marche, on a vu éclore tout un panel de qualificatifs, allant de « Beurs », « enfants d'immigrés », « diversité », « minorité visible », à « racaille » et même « terroristes » ou « islamistes ». Finalement, Jean-Pierre Chevènement, en parlant de « sauvageons », était encore le plus gentil... Même si toutes ces appellations auront disparu dans dix ans, il est une chose qui ne disparaîtra pas, parce qu'on les a renvoyés à leur identité, c'est le fait qu'ils soient musulmans. Ils sont musulmans pour trois raisons : la première, c'est que la spiritualité est inhérente à la nature humaine et que, dans des périodes de crise, comme c'est le cas actuellement, il y a un besoin de sens. La deuxième, c'est que lorsqu'on lutte, on a besoin d'un matériau qui s'appelle une origine, pour se réinscrire dans une histoire collective sujette à réinterprétation. La troisième raison rejoint ce qu'a dit Sartre : tout comme c'est l'antisémite qui fait le juif, c'est l'islamophobe qui fait le musulman. L'acceptation de ces gens qui sont d'ailleurs, qui ont une religion différente doit être le test de crédibilité de notre République laïque. Si, dans dix ans, nous n'avons pas réussi à écrire un récit commun où l'on est d'abord citoyen, avant d'être juif, chrétien ou musulman, c'est un échec annoncé. Enfin, le rapport au sacré est important pour savoir décrypter un tableau de la Renaissance, comme il est important pour dire que nous sommes tous pareils. L'islam n'est pas en rupture avec le judaïsme ou le christianisme ; il s'inscrit dans un même continuum. Si on ne sait pas à seize ans que ces trois religions monothéistes proviennent du même socle abrahamique, alors forcément des violences éclatent entre les différents groupes.