Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 24 février 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel, rapporteur :

Espérons qu’il n’en sera rien et que la pratique conduira bien à différencier témoin, suspect et gardé à vue.

En tout état de cause, un important effort d’accompagnement et de pédagogie sera nécessaire auprès de l’ensemble des personnels exerçant des missions de police judiciaire et qui, ne nous le cachons pas, sont inquiets des évolutions en cours. C’est notamment le cas des enquêteurs travaillant dans les commissariats de quartier ou dans les gendarmeries rurales. Les grands enquêteurs appartenant aux grands services, comme les SRPJ – services régionaux de police judiciaire – voient les choses un peu différemment des enquêteurs de base, des simples officiers de police judiciaire, pour qui la mise en œuvre de ces dispositions sera un peu plus difficile.

Sur l’ensemble de ces points, la commission des lois a apporté un certain nombre de modifications, en général d’ordre rédactionnel, mais touchant aussi, parfois, au fond. Le Gouvernement les a acceptées, ainsi que vient de l’indiquer M. le ministre.

Nous avons également prévu que la victime pourrait être assistée par un avocat lorsqu’elle est confrontée à un suspect entendu dans le cadre d’une audition libre. Nous avons en effet tenu à ce que les droits de la victime ne soient pas oubliés. Car, dans notre pays, il faut le dire clairement et hautement, les droits des victimes sont reconnus ! Le Gouvernement a d’ailleurs appuyé cette volonté en déposant deux amendements visant à permettre à la victime de bénéficier de l’aide juridictionnelle dans ce cas. Nous-mêmes ne pouvions pas le faire sans contrevenir à l’article 40 de la Constitution.

Au-delà, nous avons estimé, monsieur le ministre, qu’il était urgent de repenser rapidement la phase préparatoire du procès pénal. Ce n’est pas nouveau, et vous avez eu vous-même à connaître de cette nécessité lorsque vous siégiez dans l’autre assemblée. De nombreux rapports se sont succédé depuis vingt ans, ceux de Mme Delmas-Marty, de M. Truche, de M. Léger, notamment, auxquels on peut ajouter le rapport d’information que Jean-René Lecerf et moi-même avions fait au nom de la commission des lois du Sénat, sans que rien ne bouge… jusqu’à ce que nous soyons contraints d’agir pour répondre à nos obligations européennes !

Aujourd’hui, l’instruction est résiduelle : plus de 96 % des affaires pénales sont traitées à l’issue d’une phase d’enquête qui est écrite, secrète et non contradictoire.

En outre, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – CEDH – fragilise le statut du ministère public, notamment en estimant que l’autorité chargée des poursuites ne peut pas être considérée comme un magistrat indépendant au sens de l’article 5 de la Convention européenne.

Il faut donc repenser notre procédure pénale et revoir le statut du parquet. À cet égard, il me semble que le président de la commission des lois a récemment transmis au Gouvernement un certain nombre de propositions qui constituent un minimum. Il nous faut, certes, renforcer de façon importante les droits de la défense et le contradictoire, mais, selon moi, en laissant à l’autorité judiciaire la maîtrise totale de l’enquête.

Il ne faudrait pas tomber dans les travers de la procédure accusatoire à l’anglo-saxonne, qui pose de véritables difficultés au regard de la loyauté de la preuve et tend à favoriser le développement d’une justice à deux vitesses, selon que les mis en cause ont, ou non, les moyens d’avoir recours à un avocat. Ce n’est pas parce qu’ils ont une plus grande propension à la délinquance que les « Blacks », les « Latinos », les défavorisées et les pauvres remplissent les prisons américaines ! C’est bien plutôt parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer un bon cabinet d’avocats !

J’insiste : la procédure pénale doit continuer à reposer essentiellement sur l’autorité judiciaire et les services de police judiciaire, mais selon des modalités qu’il convient sans doute de repenser.

De ce point de vue, la commission des lois forme le vœu que la mission que la garde des sceaux a récemment confiée à M. le procureur général Jacques Beaume aboutisse rapidement, afin d’envisager concrètement des propositions équilibrées et viables, susceptibles d’être intégrées rapidement dans le code de procédure pénale quand elles nous auront été présentées et que nous les aurons votées.

J’en terminerai en disant quelques mots de l’article 10 de ce projet de loi. Il s’agit d’un article d’habilitation du Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance, un type d’article que le Sénat répugne à voter. Le Sénat est là pour voter la loi et le Gouvernement pour la préparer et l’exécuter.

Cet article tendait, en l’occurrence, à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à l’application du règlement Dublin II, relatif à la détermination du pays responsable de l’examen d’une demande d’asile. Il s’agit plus précisément de créer un recours suspensif – dans une optique de protection du demandeur – contre les décisions de transfert des demandeurs d’asile dans d’autres pays, en général le pays par lequel ces demandeurs sont entrés dans l’Union européenne.

Sur le principe, un vaste accord avait été trouvé au sein de la commission des lois en faveur d’un texte réglant cette question – mais qui ne soit pas une ordonnance – avant même que le Gouvernement ne présente un texte général sur ce droit constitutionnel qu’est le droit d’asile.

Je rappelle d’ailleurs que, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, en février 2011, le Sénat avait adopté un amendement de Richard Yung, cosigné par plusieurs de nos collègues, qui créait un tel recours.

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