Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 24 février 2014 à 16h00
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter M. le rapporteur pour son important travail et pour ses efforts d’explication.

Je ne reviendrai pas sur tous les aspects du projet de loi, M. le ministre l’ayant présenté de façon détaillée. Du reste, nous nous accordons sur la nécessité de l’adopter, ne serait-ce que parce qu’il opère la transposition de directives européennes et qu’il vaut tout de même mieux ne pas nous faire condamner trop régulièrement par la Cour de justice de l’Union européenne.

Pour ce qui concerne la directive du 22 octobre 2013, on procède à la transposition anticipée de certaines de ses dispositions ; mais, comme M. le rapporteur l’a souligné, il faudra bien reprendre le travail pour le mener à bien.

Il faut constater que, petit à petit, par petites touches, notre procédure pénale est bouleversée par les modifications que lui apporte le droit communautaire et, quelquefois, des décisions de jurisprudence.

Les réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel ne soulèvent pas de problème, mais il faut tout de même en tenir compte. Quant à la Cour de cassation, elle nous joue parfois des tours qui nous obligent à aller vite. Souvenez-vous, mes chers collègues, de l’affaire de la géolocalisation : les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi rendu nécessaire par la position de la Cour de cassation seront examinées tout à l’heure. Et je ne parle pas de ce qui s’est passé pour la garde à vue !

En vérité, je pense qu’une refonte globale de notre procédure pénale est à terme inévitable ; M. le rapporteur l’a d’ailleurs très bien expliqué.

Le travail de la commission des lois a permis d’apporter au projet de loi des modifications de nature à le rééquilibrer. En effet, si l’on veut que les poursuites soient efficaces, il faut bien tenir compte aussi des difficultés que rencontrent la police nationale et la gendarmerie : la presse s’en fait l’écho et les représentants des services d’enquête auditionnés par la commission les ont décrites.

Cela dit, le droit à l’information doit être amélioré, non seulement parce que les normes européennes nous y contraignent, mais aussi parce que cela est normal. Du reste, nous avons tort quand nous disons que nous faisons telle ou telle chose parce que l’Europe nous l’impose : nous avons signé les traités, même si nous avons émis un certain nombre de réserves dont nous ne tenons pas toujours compte.

Le présent projet de loi vise à transposer la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales et, pour partie, la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales.

Pour ce qui concerne le droit reconnu à la personne gardée à vue d’accéder à l’intégralité de son dossier, M. le rapporteur a fait toutes les remarques nécessaires ; pour ma part, je mentionnerai seulement, dans quelques instants, quelques inconvénients supplémentaires.

Le projet de loi prévoit un renforcement important des droits de la défense dans l’ensemble des phases de la procédure. En particulier, il tend à encadrer le déroulement des auditions libres en rendant plus systématique le droit de la personne suspecte à être assistée d’un avocat.

Ces mesures me rappellent tous les dispositifs que nous avons essayé de fabriquer : après l’inculpation, on a parlé de détention préventive, puis de détention provisoire, avant d’inventer le témoin assisté, qui est un semi-suspect, voire très largement un suspect, et qui a droit à un avocat. Comment tous ces systèmes s’articulent-ils ? Preuve en est que nous devrons encore réfléchir à l’homogénéisation de la procédure pénale !

J’en reviens à mon propos. Les forces de l’ordre ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de tirer les conséquences de l’assistance par un avocat du suspect libre. En effet, pour des raisons pratiques qui tiennent à l’organisation des services de police – il sera nécessaire d’attendre l’arrivée de l’avocat ou de reporter l’audition, voire, comme l’a dit élégamment M. le rapporteur, d’aller consulter la maison de justice et du droit d’à côté –, cette mesure pourrait avoir pour effet d’inciter les forces de police à recourir plus volontiers à la garde à vue, alors même que celle-ci n’est pas toujours justifiée.

Par ailleurs, un flou persiste sur le statut de témoin dans la mesure où, si le témoin devient suspect, la procédure pourrait être entachée d’irrégularité. J’insiste : du fait de la création du suspect libre, nous devrons faire très attention. Si, à la fin de l’audition, on s’aperçoit que la personne entendue comme témoin, les services de police étant de bonne foi, est en réalité l’auteur de l’infraction, que fera-t-on ?

L’article 5 du projet de loi prévoit que le témoin assisté aura copie du dossier, sans que cette communication passe nécessairement par l’avocat. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous le demande : avec un tel dispositif, qui protégera le secret de l’instruction ?

Au demeurant, l’obligation de communiquer à la personne gardée à vue tous les éléments de son dossier, alors que dans le même temps sont peut-être menées des perquisitions ou d’autres investigations, posera également des problèmes. Supposez, mes chers collègues, que, grâce à des écoutes téléphoniques, on sache que cette personne a communiqué avec telle ou telle personne : devra-t-on le lui dire, alors que les transcriptions ne sont pas forcément faites ? Pour ma part, je ne vois pas comment, en pratique, cela sera possible.

Rendre obligatoire la présence d’un avocat dès le stade de l’audition libre, nous en sommes d’accord ; mais comment l’aide juridictionnelle sera-t-elle financée ? De fait, de nombreux citoyens vont avoir recours à cette aide, dont le budget va exploser sous l’effet de la nouvelle procédure alors même qu’elle est un point faible de la politique judiciaire de notre pays.

Monsieur le ministre, selon l’étude d’impact du projet de loi, cette mesure coûtera entre 13 161 720 et 29 534 900 euros. La précision n’est-elle pas remarquable ? En vérité, j’admire ceux qui ont rédigé cette étude !

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