Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 23 juin 2005 à 15h00
Audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité — Question préalable

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Quoi qu'il en soit, en ce qui nous concerne, il nous appartient, nous, législateur, de faire respecter cette exigence de justice, ainsi que son corollaire, celui du délai raisonnable. Si les délais sont trop longs, nous devons nous interroger sur le pourquoi de l'encombrement des tribunaux, qui en est la cause.

La première cause réside dans l'inflation législative en matière pénale à laquelle nous assistons depuis bientôt dix ans. Le nombre d'infractions augmente, ce qui entraîne une augmentation des audiences et donc un encombrement des tribunaux. Voilà des questions qui méritent réflexion : la judiciarisation de la société ou encore les moyens de la justice pour répondre à l'encombrement des tribunaux.

Vous préférez vous intéresser à une seule question : l'accélération des procédures.

Cette tendance avait débuté en 1993, avec l'introduction, dans l'article 41 du code de procédure pénale, de la médiation pénale, mais s'était ralentie en 1995, lorsque le gouvernement de l'époque avait échoué dans sa tentative d'instauration d'une procédure d'injonction pénale.

Je rappelle que l'on avait proposé de reconnaître au procureur de la République le pouvoir, sous certaines conditions tenant à la nature des faits, à l'absence d'antécédents et à l'acceptation de la personne concernée, d'enjoindre à cette dernière de verser une certaine somme au profit du Trésor public, d'effectuer un travail rémunéré ou encore de réparer le préjudice causé à la victime.

Ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel, au motif que ces mesures s'apparentaient à des peines et nécessitaient donc l'intervention du juge du siège.

Puis, en 1999, fut introduite la composition pénale, inspirée de l'ancienne injonction pénale, mais avec validation par un juge du siège. Son champ d'application a été élargi ensuite, en 2002 et en 2004, par la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité constitue le point culminant des procédures accélérées de jugement puisque, à la différence de la composition pénale, qui constitue une alternative aux poursuites et dont les mesures n'ont pas de caractère exécutoire, cette nouvelle procédure permet le prononcé de peines d'emprisonnement ferme, immédiatement exécutoires.

Là est tout le problème. Nous sommes devant une procédure de jugement tronquée qui peut néanmoins aboutir à une peine privative de liberté. Nous avons atteint le summum en termes de rapidité de traitement des affaires pénales !

En l'espace d'une dizaine d'années, notre procédure pénale a changé de nature, et cela uniquement, dit-on, pour des raisons de gestion des flux. D'inquisitoire, elle devient progressivement accusatoire.

En effet, la nature inquisitoire de la procédure pénale signifie que les poursuites auront lieu sur la base d'une enquête qui aura révélé ou non des faits constitutifs d'une infraction, faits qui motiveront ou non ces poursuites.

Avec le plaider coupable, il n'y a plus d'enquête, plus de recherche de la vérité, l'aveu du prévenu devient la seule motivation des poursuites par le procureur ; sans compter que le prévenu préférera céder devant le procureur et négocier une peine avec lui plutôt que d'attendre d'être jugé dans une audience correctionnelle à l'issue de laquelle il risque, ainsi qu'on le lui aura fait comprendre, d'être condamné à une plus lourde peine de prison.

Nous tombons donc dans le travers que je dénonçais en introduction, à savoir qu'avec le plaider coupable la rapidité de jugement nuit gravement à la qualité de la justice.

Pour nous, il s'agit d'une justice au rabais.

Justice au rabais, car ce n'est pas un magistrat du siège qui va rendre un jugement sur la base d'éléments de preuve permettant d'éclairer et de justifier celui-ci.

Justice au rabais, car le plaider coupable rend caduc le principe de présomption d'innocence. En effet, la personne reconnaît sa culpabilité et cet aveu est la seule base juridique de la procédure. La recherche de preuves devient alors inutile.

Justice au rabais, enfin, car cet aveu n'est pas à l'abri de pressions quand le prévenu est en garde à vue, éventuellement seul : s'il n'y pas d'avocat présent, le choix de la personne déférée devant le procureur ne sera pas libre ; soit, en avouant immédiatement sa culpabilité, elle bénéficiera d'une réduction de peine, soit elle prendra le risque - car, désormais, cela s'apparente à un risque - d'avoir un procès équitable devant un magistrat du siège, où, lui dira-t-on, elle risque une peine beaucoup plus lourde.

Nous le voyons, cette « négociation » - c'est bien de cela qu'il s'agit - est loin d'offrir toutes les garanties suffisantes aux justiciables qui pourraient se la voir appliquer.

Lors de l'examen du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, nous jugions cette réforme de notre procédure pénale non seulement dangereuse pour les libertés individuelles, mais également inefficace et source probable d'erreurs judiciaires, d'inégalités et de vices de forme. Ce n'est pas parce que les tribunaux l'appliquent que nous avons changé d'avis !

D'ailleurs, aussi bien le Conseil constitutionnel que la Cour de cassation et le Conseil d'Etat ont émis des avis sur cette procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Mais le législateur n'est pas du tout tenu de respecter, cela va sans dire...

C'est tout d'abord la non-publicité des débats qui a été censurée par le Conseil constitutionnel. C'est ensuite la présence du procureur lors de l'audience d'homologation qui a été exigée aussi bien par la Cour de cassation que par le Conseil d'Etat. Eh bien, tout cela, il n'est pas obligatoire de le respecter !

L'obstination dont le Gouvernement fait preuve aujourd'hui en maintenant, malgré les décisions claires et motivées de ces juridictions, sa position quant à la présence facultative du procureur à l'audience d'homologation ne peut que nous inquiéter au regard du sort des principes fondamentaux de notre procédure pénale et des droits des justiciables qui en découlent.

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