Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 23 juin 2005 à 15h00
Audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité — Demande de renvoi à la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

C'est là que les problèmes de forme rejoignent la question de fond.

Pourquoi, monsieur le ministre, traiter de manière aussi cavalière les assemblées parlementaires ? Pourquoi multiplier les procédures de jugement accélérées ? Pourquoi, faute d'avoir pu obtenir une homologation en chambre du conseil, rendre facultative la présence du procureur lors de l'audience publique d'homologation de la CRPC ? Parce que, pour vous, les débats des chambres, tout comme la présence des procureurs en audience publique d'homologation, sont du temps perdu, un formalisme, un rituel désuet dont n'ont que faire des gestionnaires modernes, efficaces et assoiffés d'innovation. Nous vivons, comme le disait un humoriste, une époque moderne : le progrès fait rage ! Vous nous l'avez d'ailleurs rappelé encore tout à l'heure.

J'entends déjà les réponses qui vont m'être faites : pourquoi perdre du temps, pourquoi compliquer une proposition aussi anodine que la suppression de l'obligation de la présence d'un muet dans une audience, même publique ?

Si pour vous, monsieur le ministre, si pour vous, monsieur le rapporteur, chers collègues, la justice n'a qu'une fonction de régulation sociale, au même titre et sur le même plan que le ministère dit « de la cohésion sociale » ou que le ministère de l'intérieur - vous l'avez constaté, son actuel titulaire vient de s'autoproclamer juge de l'application des peines en chef -, si pour vous les jugements ne sont qu'un moment dans un processus de re-conditionnement des délinquants - de « renforcement », dirait-on dans le langage mécanicien des behavioristes - et un moyen de réconforter la population, vous avez mille fois raison ! Concentrons-nous donc sur la gestion des flux, économisons le temps et les moyens insuffisants dont nous disposons ! Tel est d'ailleurs le thème récurrent de la plupart des débats sur les procédures accélérées de jugement, telle est la justification régulière des « innovations » passées et telle sera la justification des innovations futures.

Mais est-ce seulement cela, est-ce essentiellement cela, l'oeuvre de justice ?

Comme le souligne Kelsen, nous sommes là dans le domaine non pas du fait, mais du droit, du normatif. Le jugement ne « répond » pas, dans une relation de cause à effet, à l'acte délictueux ou criminel : il rappelle ce qui « doit être ». La conception managériale dominante de la justice veut ignorer que, fondamentalement, c'est de son déploiement dans l'ordre symbolique que le jugement tire l'essentiel de son efficace. D'où l'importance des symboles, du formalisme et des rites.

Même muet, le procureur de la République, par sa présence, rappelle au prévenu - ici, à la personne intéressée - qu'il a porté tort non pas seulement à quelqu'un, mais aussi à l'ordre juridique qui garantit le pacte social et politique.

Plus fondamentalement encore, si l'on suit Pierre Legendre, le procureur porte l'interdit qui fera barrière au phantasme et à la transgression.

L'important, ce n'est pas, contrairement à ce qu'on a pu dire à propos de la CRPC, que la personne intéressée « accepte » mieux sa peine parce qu'elle aura l'impression d'avoir fait une bonne affaire : si elle a fait une bonne affaire une fois, elle pourra en faire une deuxième fois. L'important, c'est qu'elle ait l'impression que, symboliquement, cette peine lui redonne sa place parmi les autres.

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