Intervention de Virginie Klès

Réunion du 25 février 2014 à 14h30
Débat sur la justice de première instance

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès, corapporteur :

Vous, vous le savez, monsieur Mézard, mais je ne suis pas certaine que cela soit le cas de tout le monde dans l’hémicycle. De même, je ne suis pas sûre que tout le monde sache quelles procédures sont écrites ou orales, ni même dans quels cas on a besoin d’être représenté ou non par un avocat. Ces informations ont besoin d’être rendues plus lisibles pour nos concitoyens et plus accessibles.

Pour accompagner les justiciables vers la justice et à l’intérieur de la justice, nous avons envisagé la création de ce que nous avons appelé le « guichet universel de greffe », et non pas le guichet unique de greffe. En règle générale, le greffe est la première porte d’accès à la justice. Il nous semble donc qu’il faut véritablement renforcer son rôle et ses moyens, y compris ses moyens matériels, en particulier en informatique, afin qu’il puisse être en mesure de mieux orienter et de mieux accompagner les justiciables.

Une telle réforme nécessite – c’est un préalable, madame la garde des sceaux, et je suis certaine que vous serez extrêmement attentive sur ce point – de rassurer les personnels des greffes et d’affirmer, ainsi que l’a dit mon collègue Yves Détraigne, qu’il ne s’agit pas de mettre en place une nouvelle carte judiciaire. Il faut leur dire que cette réforme n’entraînera pas de suppressions de postes, bien au contraire. Il faut enfin leur donner des garanties statutaires en termes de mobilité géographique. Ils doivent savoir qu’ils ne seront pas déplacés au gré des humeurs des chefs de juridiction du futur tribunal de première instance, s’il doit voir le jour. Cela signifie que le maillage territorial sera respecté et que les personnels des greffes verront leur situation s’améliorer, tant en termes de formation que de rémunération.

Les personnels des guichets universels de greffe devront pouvoir accompagner les justiciables et les informer, tant en matière pénale que civile par exemple. Un tel accompagnement nécessitera une formation et des compétences complémentaires et donc une rémunération supplémentaire.

Il faudra bien évidemment aussi penser à harmoniser les procédures.

Si nous voulons réellement être efficaces, ces lieux de premier accès à la justice devront pouvoir faire le lien avec les associations d’aide aux victimes, avec les médiateurs et les conciliateurs afin de « déjudiciariser » tout ce qui peut l’être. Les Français sont d’accord sur le fait que, dans nombre de cas, l’intervention du juge n’est pas absolument nécessaire et qu’une médiation ou une conciliation sont des outils tout aussi efficaces pour régler certains différends.

L’accessibilité doit être géographique, disais-je, car tous les services que je viens d’évoquer doivent être rendus à proximité immédiate des citoyens, au sein d’un guichet universel de greffe. Notre idée – nous sommes loin de la réforme de la carte judiciaire ! – est de maintenir tous les lieux d’accès à la justice qui existent aujourd'hui, à savoir le maillage territorial des tribunaux d’instance, ainsi que celui des maisons de justice et du droit, lesquelles gagneraient sans doute à voir leurs moyens renforcés afin d’être mieux connues des Français. Aujourd'hui, seuls 18 % de nos concitoyens savent ce que sont les maisons de justice et du droit.

Si les tribunaux de première instance doivent voir le jour demain, il doit y en avoir au moins un par département et ils doivent sans doute s’établir dans les lieux qui sont aujourd'hui le siège des tribunaux de grande instance. Dans certains départements, il est impossible d’imaginer que la justice puisse fonctionner sans deux tribunaux de première instance, des chambres détachées reprenant le maillage des tribunaux d’instance, ainsi que des maisons de justice et du droit. En tout cas, il est nécessaire d’établir un maillage territorial important.

Les juridictions de proximité seront sans doute supprimées, mais les juges de proximité, eux, ne doivent pas être oubliés. Ils doivent être reversés aux actuels tribunaux de grande instance, puis aux futurs tribunaux de première instance. Il est sans doute nécessaire que leur formation soit consolidée, afin que les contrats puissent être renouvelés. Ne nous passons pas des juges de proximité !

Les moyens matériels nécessaires sont essentiellement de nature informatique. En matière pénale, il faut conserver le logiciel CASSIOPÉE. En matière civile, en revanche, l’application Portalis doit impérativement faire l’objet de mesures prioritaires et urgentes de la part de la Chancellerie. Si l’on veut vraiment que les chambres détachées des futurs tribunaux de première instance ou les maisons de justice et du droit fonctionnent bien et mieux, il est nécessaire que tous les magistrats et greffiers qui travailleront dans ces lieux de justice puissent entrer les données et y accéder afin d’informer correctement les justiciables et de rendre un vrai service de justice de proximité. L’informatisation est une urgence dont il faut faire une priorité absolue dans le cadre de la réorganisation de la justice. Cela correspond d’ailleurs à une demande des Français, qui trouvent que leur justice fonctionne parfois de manière un peu désuète. Ils pourraient ainsi effectuer un certain nombre de démarches depuis leur domicile grâce à internet et en communiquant par mails.

Par ailleurs, il serait bon que la loi fixe un bloc de compétences minimales aux chambres détachées des tribunaux de première instance. Celles-ci pourraient reprendre peu ou prou les compétences exercées par les tribunaux d’instance et de grande instance. Les chefs de juridiction pourraient également confier à ces chambres détachées des compétences supplémentaires en fonction des besoins recensés localement. J’ajoute que, si le bloc de compétences minimales doit être fixé par la loi, c’est pour éviter que les juges, comme il est naturel et humain, concentrent ce qui les intéresse au siège du tribunal de première instance et délèguent ce qui ne les intéresse pas aux chambres détachées.

Petit à petit, évitant ainsi les révolutions, qui font beaucoup de dégât quand elles ont lieu brutalement, les juridictions pourraient être rapprochées. Je pense par exemple aux tribunaux des affaires de sécurité sociale et aux tribunaux du contentieux de l’incapacité. Il est nécessaire que les membres de ces tribunaux apprennent à se connaître, à travailler ensemble, à répartir les compétences. Le Défenseur des droits – cet exemple est très parlant, même s’il ne concerne pas directement la Chancellerie – a su rassembler sous un même toit des compétences, des façons de fonctionner et des cultures différentes, pour le plus grand bénéfice de tous et pour un meilleur fonctionnement de cette institution. On doit pouvoir réaliser le même travail avec les juridictions. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais progressivement, par la persuasion, par la pédagogie et non par la contrainte. Madame la garde des sceaux, je sais que vous partagez cette façon de voir les choses. Il s’agit de convaincre encore et encore !

Notre rapport examine de nombreuses autres possibilités de rapprochement entre les différents acteurs, mais je ne vais pas toutes les exposer aujourd'hui. Je vais simplement revenir en quelques mots sur ce que j’ai appelé l’« accessibilité temporelle ».

Le grand principe du rapprochement des juridictions qui figure dans notre rapport rejoint les recommandations d’autres rapports, notamment celui de Didier Marshall. Si la justice est réorganisée progressivement, comme nous le proposons, nous pensons que, grâce à la mutualisation des compétences, son fonctionnement en sera amélioré. Nous pensons également que le ressenti des justiciables sera meilleur. En effet, s’ils peuvent régulièrement consulter leur dossier pas trop loin de chez eux, comprendre pourquoi la procédure n’a pas avancé davantage, savoir quelle est la prochaine étape, le temps leur semblera moins long que s’ils restent des mois durant sans aucune nouvelle de l’institution judiciaire au sujet de l’affaire qui les occupe.

J’en viens à l’avenir.

Je précise qu’il nous manquait de nombreuses données pour aller plus avant dans notre rapport, notamment celles que présentera la mission d’information sur la justice familiale, dont nous examinerons demain en commission des lois le rapport rédigé par nos collègues Catherine Tasca et Michel Mercier.

Il faudra également veiller à la cohérence de l’éventuel tribunal de première instance avec la deuxième instance, en tenant compte de la réflexion actuelle sur les cours d’appel. Sur ce point également, le Sénat a constitué une mission d’information qui publiera bientôt un rapport présenté par nos collègues Alain Richard et Bernard Saugey.

Enfin, il faudra réfléchir à nouveau à la dualité de notre justice juridictionnelle et de notre justice administrative. Certains points méritent peut-être d’être retravaillés ; toutefois, je me sens bien trop peu juriste aujourd'hui pour m’engager sur ce chemin extrêmement compliqué.

Pour conclure, je dirai que la première étape nous semble être celle des guichets universels de greffe. Si nous arrivons à la franchir en confiance avec les personnels de la justice de première instance d’aujourd'hui, nous aurons déjà fait beaucoup pour l’accessibilité de la justice et l’amélioration de son fonctionnement.

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