Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 25 février 2014 à 14h30
Débat sur la justice de première instance

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

... le trait d’humour.

Il faut également mettre en œuvre la mutualisation des moyens, qui doit être le fleuron d’une réforme efficace de la justice de première instance.

Le meilleur moyen de faciliter l’accès à la justice, comme je l’ai dit, c’est d’avoir un nombre de magistrats et de greffiers suffisant. Il faut également accroître la dématérialisation dans le domaine judiciaire.

L’accessibilité à la justice, vous le savez car nous nous en sommes déjà entretenus, pose aussi la question difficile de la réforme indispensable du système de l’aide juridictionnelle. Cette aide bénéficie aujourd’hui à plus de 900 000 personnes et est absorbée aux deux tiers par le contentieux civil.

La suppression du droit de timbre de 35 euros, qui est une bonne mesure que vous avez initiée, entraîne des pertes de recettes qu’il faut compenser. Je travaille avec d’autres sénateurs et sénatrices à un rapport qui sera prêt dans quelques semaines. En effet, il faut absolument trouver des sources de financement diversifiées, d’autant que nous connaissons la situation du budget de l’État.

La question de l’accès à la justice est un vrai problème aujourd'hui. Ne revenons pas sur le rapport de la commission Darrois, qui est assez original et qui ne mérite pas qu’on en dise davantage… Reste que le système actuel ne garantit pas un égal accès de tous les justiciables. En particulier, on sait que nombre de nos concitoyens qui ont des revenus faibles, de 1 000 à 1 500 euros par mois, ne peuvent pas avoir un véritable accès à la justice. Il faut donc progresser rapidement dans ce domaine.

Je m’interroge sur les bons moyens de conforter les juridictions de première instance et de développer la conciliation judiciaire. Il est en effet nécessaire de conserver la proximité. Or la suppression d’un certain nombre de tribunaux d’instance a posé beaucoup de problèmes. Dans une vie de justiciable, il est rare d’avoir affaire à la cour d’appel. Et ne parlons pas de la Cour de cassation ! En revanche, quand on est confronté aux problèmes du quotidien, on a besoin d’une justice de proximité, aussi bien spatiale que temporelle.

Nombre de gouvernements, toutes sensibilités confondues, ont tendance à aller vers la déjudiciarisation. C’est à la mode, parce que ce moyen permet, paraît-il, de faire des économies. Or ce n’est pas de cela que nous avons besoin. Si le seul objectif de la déjudiciarisation est de désengorger les tribunaux, il ne faut pas oublier quelle est la raison d’être du magistrat. Je suis de ceux qui considèrent, par exemple, qu’il ne peut pas y avoir de divorce sans juge, car il faut vérifier la réalité du consentement des parties et préserver un certain équilibre. Plus on dit qu’il faut sortir du cadre judiciaire, plus, à mon avis, on s’éloigne de la justice.

Je ne suis pas favorable non plus au rapport Delmas-Goyon, qui privilégie les économies pécuniaires à l’économie de la justice elle-même.

Les juridictions sont très encombrées, nous le savons. Les charges n’ont cessé d’augmenter, alors que les effectifs de magistrats sont restés à un niveau très faible ; c’est ça, le véritable problème ! Il y a plusieurs centaines de postes vacants. Vous avez hérité d’une situation difficile. Je ne dis pas – loin de là – qu’elle s’est aggravée, mais elle demeure atypique par rapport aux autres pays européens.

Je suis de ceux qui croient à la nécessité de conforter le rôle et la présence du magistrat et du greffier. Nous avons ici une statue de Portalis. Voici ce qu’il écrivait : « Les questions de divorce étaient attribuées à des conseils de famille ; nous les avons rendues aux tribunaux. L’intervention de la justice est indispensable, lorsqu’il s’agit d’objets de cette importance. » Si nous ne sommes pas opposés par principe aux modes alternatifs de règlement des litiges, qui sont une forme de déjudiciarisation, nous nous interrogeons sur leur efficacité. La gestion de la pénurie judiciaire ne saurait tout justifier. Nous avons vu les résultats de l’expérimentation des citoyens assesseurs ; Yves Détraigne connaît bien ce sujet, sur lequel il a rédigé un excellent rapport.

En conclusion, madame la garde des sceaux, l’amélioration de notre système judiciaire de proximité passe – je vous l’ai déjà dit – par le renforcement de l’office conciliateur du juge, de l’ancien juge de paix. Aux termes de l’article 829 du code de procédure civile – j’aime la procédure –, « la demande en justice est formée par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement, sauf la faculté pour le demandeur de provoquer une tentative de conciliation avant d’assigner ». C’est le rôle de conciliateur du juge d’instance qu’il faut renforcer. Le problème est qu’il n’a plus le temps de mener cette action de proximité. Quand il a le temps, il résout les litiges dans le calme, par la transaction. C’est cette voie que nous devons privilégier. Elle est toujours prévue par le code de procédure civile ; il faudrait qu’elle redevienne une réalité. Cette mission légale du juge présente pour nous un caractère impératif.

« La justice est la première dette de la souveraineté », écrivait encore Portalis. Nous vous demandons simplement de mettre cet excellent principe en application.

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