Intervention de André Reichardt

Réunion du 25 février 2014 à 14h30
Débat sur la justice de première instance

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi – une fois n’est pas coutume – de commencer cette intervention par une citation de Franklin Delano Roosevelt : « Gouverner, c’est maintenir les balances de la justice égales pour tous ». C’est en ce sens que, depuis toujours, les gouvernements successifs veillent, avec les moyens qui sont les leurs, à rendre la justice accessible à tous. Cela passe notamment par un arbitrage entre proximité et rationalisation, entre efficacité et économie, entre spécialité et lisibilité.

On le sait depuis près de quarante ans maintenant, la technicité des litiges a conduit les pouvoirs publics sur la voie de la spécialisation. C’est aussi la judiciarisation croissante des rapports sociaux qui nous a incités à développer les strates juridictionnelles pour pallier l’encombrement de certains tribunaux. Mais voilà, parce qu’il est bien difficile, dans toute action déterminée, de mêler la mesure à la vigueur, il nous faut aujourd’hui, pour les mêmes raisons de lisibilité et d’accessibilité, rationaliser notre organisation judiciaire pour lui rendre un peu de la clarté qu’elle a perdue. C’est essentiel pour la vie quotidienne de nos concitoyens.

Nous convenons tous qu’il ne faut plus forcément chercher d’antagonisme entre accessibilité et rationalisation. Nous savons que, en réalité, l’accessibilité n’est pas seulement physique et qu’un dossier peut être traité à distance, à condition que les citoyens aient accès au suivi de la procédure qu’ils ont entamée. C’est en ce sens que nous entendions développer les greffes uniques et les greffes universels.

Il est temps que nous engagions en profondeur cette réforme de la justice de première instance, en ayant toutefois conscience des difficultés que nous devrons surpasser.

Il convient de rassurer avant tout les personnels de justice, sans lesquels rien ne sera possible. Les erreurs d’hier ne doivent pas se reproduire, osons le reconnaître. Dans cette assemblée qui n’a jamais hésité à appeler l’attention des différents gouvernements sur les risques potentiels de réformes trop brutales, nous savons que l’initiative que nous défendons ici ne peut pas comporter que des mesures comptables.

Nous savons également que notre action doit s’inscrire sur le long terme, qu’il faut procéder à une répartition des contentieux et rapprocher progressivement les juridictions de première instance avant d’envisager toute unification.

Nous sommes convaincus, enfin, que l’expérience que nous avons dans ce domaine doit nous guider avec modestie. Certains tribunaux, caractérisés justement par la proximité et l’accessibilité de leurs décisions, ont fait leurs preuves. La rationalisation des conseils de prud’hommes et des tribunaux de commerce doit ainsi être appréhendée avec prudence, comme le préconisent nos rapporteurs.

Tous ces constats ont été développés très largement par Yves Détraigne et Virginie Klès dans leur rapport. J’en profite pour saluer à nouveau le travail très important qu’ils ont mené en ce sens.

Madame la garde des sceaux, nous sommes nombreux à savoir ici à quel point il peut être stimulant de réformer lorsqu’on est engagé dans la vie publique. Sur le plan national, l’un ou l’autre ministère – pas spécialement celui de la justice, je le concède – est connu pour engager une réforme à chaque changement de ministre, ou presque. Mais l’histoire sait également reconnaître les actions plus modestes, rendues vénérables par l’action du temps qui vient éprouver, à n’en pas douter, la solidité de leurs fondements.

Actuellement, vous l’aurez compris, il ne saurait à mon sens y avoir de « grand soir » de la justice de première instance. Mais trois actions importantes pourraient nous y préparer : tout d’abord, le développement des outils permettant un accès de proximité à la justice et, parmi ceux-ci, le développement des greffes universels ainsi que l’installation du logiciel Portalis offrant à ces greffes une base de données unique ; ensuite, cela a été dit, la rationalisation des contentieux et le rapprochement des juridictions de proximité ; enfin, un engagement budgétaire à la hauteur de l’ambition que nous affichons. La justice en a besoin ! Je n’y insisterai pas, car M. Mézard s’est largement exprimé sur le sujet. C’est seulement après que nous pourrons, à mon sens, entamer sérieusement la création d’une grande juridiction de première instance.

Je souhaiterais maintenant aborder un sujet spécifique à l’Alsace, ma région, et vous sensibiliser à nouveau, brièvement, aux importants problèmes liés aux transferts de compétences entre le tribunal de grande instance de Strasbourg et celui de Nancy.

À plusieurs reprises, les bâtonniers successifs du barreau de Strasbourg ont appelé l’attention de vos prédécesseurs, ainsi que la vôtre, sur les transferts progressifs de compétences qui ont eu lieu depuis le tribunal de grande instance de Strasbourg vers celui de Nancy, au détriment de la proximité, mais souvent aussi de la rationalité et, oserais-je dire, de la raison.

Lors d’une réunion à la Chancellerie, tenue il y a quelques mois en présence de plusieurs parlementaires de mon département, les différents services transférés successivement à Nancy vous ont été présentés. Permettez-moi de les citer ; cette énumération, certes fastidieuse, est nécessaire pour comprendre le problème qui se pose.

Ont donc été transférés à Nancy : le centre de protection judiciaire de la jeunesse du Grand Est ; la juridiction interrégionale spécialisée en matière de délinquance et criminalité organisée ; la juridiction interrégionale spécialisée en matière d’infractions économiques et financières ; le pôle de compétence en matière de pratiques restrictives de concurrence et de propriété intellectuelle, et Dieu sait pourtant si l’université de Strasbourg est compétente en la matière ; le pôle de compétence pour les contestations concernant les obligations de publicité et de mise en concurrence des contrats de droit privé relevant de la commande publique ; la juridiction spécialisée dans les procédures concernant les accidents collectifs ; enfin, le pôle interrégional des commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux.

Dernièrement, dans le cadre de la loi de programmation militaire, une nouvelle juridiction, la juridiction spécialisée des forces armées du tribunal de grande instance de Strasbourg, a également été transférée à Nancy. Même si je reconnais que celle-ci n’avait qu’une activité limitée au sein du TGI de Strasbourg, son transfert a néanmoins une implication importante sur l’activité de ce dernier.

Outre le fait que le TGI de Strasbourg perd à nouveau une compétence, deux postes de greffiers vont être supprimés. Ils rendaient pourtant d’importants services au parquet ou aux juridictions correctionnelles. Leur disparition aura nécessairement des répercussions sur les autres postes, à un moment où ces fonctionnaires de greffe sont déjà surchargés de travail.

Madame la garde des sceaux, seule une volonté politique forte pourra stopper cette hémorragie. Dès lors, je compte sur vous pour prendre les mesures qui permettront de mettre définitivement fin, à l’avenir, à ces pratiques contraires aux intérêts de Strasbourg et de l’Alsace. Il y va aussi d’une forme d’équilibre à trouver entre la proximité et la rationalisation, lesquelles sont largement mises en exergue dans le rapport de Virginie Klès et d’Yves Détraigne.

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