Intervention de André Vallini

Réunion du 25 février 2014 à 14h30
Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en république centrafricaine — Débat et vote sur une demande du gouvernement

Photo de André ValliniAndré Vallini :

… devant l’Assemblée générale des Nations unies, invitant la communauté internationale à se mobiliser pour « éviter le pire en Centrafrique ».

Face à ce drame, la France ne devait pas, ne pouvait pas rester sourde aux appels à l’aide des autorités centrafricaines et de l’Union africaine. La France était en effet le seul pays extérieur à l’Afrique à disposer de forces aux frontières de la Centrafrique, notamment au Gabon et au Tchad.

Nos troupes auraient été stationnées à proximité des massacres, et nous aurions laissé faire ? Ce serait alors en milliers, voire en dizaines de milliers de morts que l’on compterait aujourd’hui les victimes de cette tragédie, et chacun a en mémoire celle du Rwanda.

C’est donc sur la base d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, sa résolution 2127, et en appui à la mission internationale de soutien à la Centrafrique, la MISCA, que la France a décidé d’engager Sangaris. En deux jours, nous avons réussi à porter notre présence sur place à 1 600 hommes, entre nos troupes stationnées dans la région et celles qui sont venues de France.

À l’appel du secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, le Président de la République a décidé le 14 février dernier l’envoi de 400 hommes supplémentaires, portant ainsi l’effectif français à 2 000 soldats en RCA.

Notre action, aux côtés des 6 000 militaires africains de la MISCA, vise trois objectifs : tout d’abord, éviter un bain de sang, ensuite, faciliter l’action humanitaire, enfin, rétablir la sécurité pour favoriser le rétablissement d’un processus démocratique.

Concernant le premier objectif, depuis décembre dernier, les militaires français et africains sécurisent les sites les plus sensibles et participent aux actions de cantonnement et de désarmement des groupes armés. Certes, il y a encore des exactions, des meurtres, des lynchages, mais sans commune mesure avec la situation qui prévalait avant notre intervention, comme l’a indiqué avant-hier le général Soriano, qui commande l’opération Sangaris.

Trois mois après son lancement, l’intervention française a donc permis d’atteindre l’objectif immédiat qui était de diminuer le nombre de massacres et d’arrêter le basculement de tout le pays dans la guerre civile.

Le deuxième objectif de Sangaris est de faciliter la réponse humanitaire. Certes, six habitants sur dix ont encore besoin d’assistance. Certes, près d’un tiers de la population est encore sous-alimenté, dont un grand nombre de femmes et d’enfants. Certes, le nombre de personnes déplacées reste très élevé : environ 700 000, soit près d’un habitant sur six, dont 275 000 pour la seule capitale, Bangui.

Cependant, les organisations non gouvernementales peuvent désormais couvrir les besoins les plus urgents de la population, et la conférence des donateurs qui s’est tenue à Addis-Abeba, le 1er février dernier, a permis de confirmer la mobilisation de la communauté internationale en faveur de la RCA.

Pour sa part, la France soutient des programmes d’aide alimentaire et d’aide médicale d’urgence, dont elle a confié la mise en œuvre au CICR, le Comité international de la Croix-Rouge, au HCR, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, à l’UNICEF, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, ainsi qu’aux grandes ONG internationales.

Enfin, concernant le troisième objectif, le rétablissement de l’État de droit, la Centrafrique est entrée dans une nouvelle séquence, puisque l’opération Sangaris a précipité la chute du pouvoir Séléka et du tandem politique Djotodia-Tiangaye.

Mme Catherine Samba-Panza a été élue chef d’État de transition le 20 janvier dernier et elle a nommé un premier ministre. L’un comme l’autre sont aujourd’hui pleinement investis dans leurs fonctions en faveur de la stabilisation de la République centrafricaine, de la réconciliation nationale et de la tenue d’élections libres.

Sangaris était donc nécessaire, Sangaris était évidemment urgente et Sangaris a commencé à réussir. Pour autant, rien n’est acquis, et la France doit continuer sa mission, d’autant que la communauté internationale s’apprête à venir en renfort.

Tout d’abord, des renforts en provenance d’Europe. L’Union européenne n’a pas attendu la récente explosion de violence pour aider la Centrafrique, puisque ce sont plus de 360 millions d’euros d’aide humanitaire, mais aussi de soutien à la MISCA, qu’elle a déjà mobilisés avant même qu’elle n’enclenche une action militaire.

En outre, le 20 janvier dernier, le Conseil des affaires étrangères de l’UE a franchi une nouvelle étape en décidant de contribuer « par un appui temporaire, pour une période pouvant aller jusqu’à six mois, à fournir un environnement sécurisé, dans la région de Bangui, en vue de passer le relais à l’Union africaine ».

Ce dispositif Eufor-RCA, dont les coûts communs sont estimés à 26 millions d’euros, sera opérationnel au début du mois de mars prochain, aux côtés de la force Sangaris et de la MISCA, et il devrait monter progressivement en puissance, jusqu’à atteindre plus de 1 000 hommes.

Ces soldats européens arriveront de France, évidemment, mais aussi de Pologne, de Roumanie, du Portugal et de pays plus petits, qui n’ont aucun intérêt stratégique, ni même économique en Afrique, et dont il faut saluer l’engagement : je pense à l’Estonie, à la Lettonie et à la Géorgie. La Finlande, l’Espagne, le Luxembourg et la Suède pourraient, eux aussi, annoncer prochainement leur participation, et la gendarmerie européenne sera également présente.

Quant à Londres et Berlin, elles ont déclaré qu’ils apporteraient un soutien seulement logistique et financier. Ces réticences à s’engager sur le terrain, au sol, comme disent les militaires, sont regrettables, provenant de deux grands pays qui ont, comme la France, des liens historiques, mais aussi économiques avec l’Afrique.

Si nos amis britanniques et germaniques savent bien que l’avenir de l’Europe passe par celui de l’Afrique, un continent riche de sa jeunesse et de ses ressources et qui pourrait bien être le continent du XXIe siècle, ils doivent savoir aussi que, si le développement de l’Afrique est potentiellement porteur d’avenir pour l’Europe, c’est à la condition que l’Europe, les grands pays européens en particulier, ne se désintéresse pas de ce qui s’y passe sur le plan politique.

Or l’anarchie en République centrafricaine était une menace de déstabilisation pour toute la région : je pense aux Grands Lacs, aux deux Soudans, au Congo, mais aussi au Tchad et au Cameroun, sans oublier le Nigeria voisin. La porosité des frontières, l’exploitation illégale et le commerce de ressources naturelles, le trafic d’armes au profit de groupes terroristes, nombreux dans cette zone, favorisent une multiplication de conflits, latents ou potentiels. L’Europe ne peut y être indifférente, et en Europe les plus grands pays moins que les autres.

Après l’Europe, c’est bien sûr à l’ONU de s’engager, et la création d’une OMP, cela a déjà été dit, semble désormais indispensable, car il est évident que le simple renforcement du Bureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine, le BINUCA, ne permettra pas de relever les nombreux défis qui sont devant nous.

Seule une OMP sera en mesure d’apporter à la Centrafrique les moyens d’accroître, dans la durée et de façon efficace, le volume de troupes et de policiers nécessaire pour reconstruire l’État, préparer les élections, protéger les droits de l’homme et permettre l’acheminement de l’aide humanitaire. Des discussions s’engageront à la fin de cette semaine au Conseil de sécurité de l’ONU, à New York, et elles seront évidemment cruciales.

Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, si la France a pris ses responsabilités en Centrafrique, c’est parce qu’elle a le sens de ses responsabilités, notamment internationales, comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

Si la France a pris ses responsabilités en Centrafrique, c’est aussi parce qu’elle a une histoire en Afrique, et cette histoire nous oblige, hier au Mali, aujourd’hui en République centrafricaine.

Il y a un an, le Mali allait tomber aux mains de groupes djihadistes : la charia était la loi, on coupait des mains et les terroristes se préparaient à prendre tout le pays en otage. Un an après le lancement de l’opération Serval, le Mali est devenu un pays sécurisé, avec un président élu au suffrage universel, une assemblée nationale, un gouvernement et un début de reprise économique.

La compétence de nos forces armées et la vaillance de nos soldats ont permis la réussite de Serval. Même si l’intervention française en RCA est évidemment différente, dans ses raisons comme dans sa nature, l’objectif est le même : permettre à un pays ami d’éviter de sombrer dans le chaos et à une population d’éviter d’être massacrée.

Pour autant, si la France aujourd’hui, l’Europe demain, l’ONU bientôt répondent présent au Mali comme en Centrafrique, c’est bien sûr d’abord à l’Afrique elle-même de prendre son destin en main. Si j’ai dit que ce continent était porteur des plus grandes promesses de développement dans le siècle qui commence, il doit aussi savoir relever, par lui-même, le défi de sa sécurité.

C’est pourquoi il faut se féliciter que le sommet franco-africain de l’Élysée, réuni autour du Président de la République en décembre dernier, a rappelé la nécessité de renforcer les capacités africaines de réponse aux crises sur le continent avec la mise en place d’une véritable force panafricaine de réaction rapide.

Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question qui nous est posée aujourd’hui est simple : Sangaris doit-elle continuer ? Imagine-t-on un seul instant de répondre non ? Certes, nous sommes confrontés à des difficultés, plus importantes que prévu. Certes, l’opération va durer plus longtemps qu’on pouvait le penser en décembre dernier. Est-ce pour autant qu’on devrait renoncer et quitter la Centrafrique pour l’abandonner à la guerre civile ?

J’entends les critiques qui commencent à poindre, je vois les doutes qui commencent à se manifester. Toutefois quelle solution de rechange proposent ceux qui émettent ces doutes et ces critiques ? Quitter purement et simplement la Centrafrique ? Personne n’y pense sérieusement. Exiger le renfort de l’Europe ? Il va arriver. Demander la création d’une OMP à l’ONU ? Elle est en cours.

En attendant, nous devons évidemment rester aux côtés des forces africaines pour remplir notre mission. Les soldats français doivent pouvoir compter sur le soutien le plus large de la nation, donc de la représentation nationale. Je veux bien sûr, à mon tour, rendre hommage à la mémoire des militaires qui sont tombés en accomplissant leur devoir au service de la France, dans le cadre de l’opération Sangaris : les soldats de première classe Nicolas Vokaer et Antoine le Quinio, tombés dans la nuit du 9 au 10 décembre 2013, le caporal Damien Dolet, mortellement blessé dimanche dernier.

Parce que c’est l’honneur de la France d’assumer son rôle en Afrique, au service de la paix, et sur mandat des Nations unies, c’est en toute lucidité, monsieur le ministre, que le groupe socialiste votera résolument en faveur de la prolongation de l’opération Sangaris en Centrafrique.

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