Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ayant le privilège d’intervenir le dernier, je commencerai par rendre un hommage appuyé et, je le pense, mérité, à la qualité de notre diplomatie et de son chef, Laurent Fabius.
Votre engagement personnel, monsieur le ministre, ainsi que celui de vos homologues allemand et polonais, a selon moi été décisif pour accompagner le peuple ukrainien dans sa lutte pour la liberté. Quel bel exemple, à quelques mois des élections européennes, de ce que peut faire l’Europe quand elle prend son destin en mains ! Évidemment, les problèmes demeurent, mais au moins un espoir a jailli, et il m’est très agréable de le souligner.
C’est aussi l’espoir que la France est venue rallumer en République centrafricaine, grâce à la décision, à la fois courageuse, lucide et responsable, qu’a prise le Président de la République d’intervenir militairement le 5 décembre dernier, alors que ce pays était au bord du chaos. On doit d’ailleurs regretter que l’alerte lancée par la France dès le mois de septembre 2013 à la tribune des Nations unies n’ait pas été entendue plus tôt. La France, elle, avait joué son rôle.
Qui peut dire ce que serait aujourd’hui la Centrafrique s’il n’y avait pas eu la France ? Pays laminé, pays déchiré, la République centrafricaine était aussi un pays oublié par la communauté internationale. C’est pourtant un pays situé à la charnière de régions sensibles : le Sahel, la Corne de l’Afrique, les Grands Lacs. Quelles auraient été les conséquences d’un effondrement dans la violence de ce cœur de l’Afrique ?
Je salue, monsieur le ministre, l’engagement de nos soldats. Trois d’entre eux y ont laissé la vie. Hommage leur soit ici rendu. Leur mission est particulièrement délicate, mêlant action de combat, assistance humanitaire et maintien de l’ordre. Il faut faire preuve de sang-froid, maîtriser sa force, agir avec doigté et souci d’équilibre entre les différentes communautés. Professionnalisme, détermination, courage : ce sont là des qualités dont les armées françaises ne manquent pas. Notre commission, mes chers collègues, se rendra prochainement auprès de ces soldats pour leur manifester le soutien, j’en suis convaincu, du Sénat tout entier.
Je ne peux nier que la situation n’a pas évolué comme nous l’avions espéré. L’exode massif des populations musulmanes – Tchadiens et Peuls – du sud et de l’ouest, le repli des membres de la Seleka vers l’est, les risques de partition du pays, les représailles sauvages exercées contre les « enclaves » musulmanes de Bangui par les milices anti-balakas, soutenues par une partie de la population chrétienne complètement traumatisée par des mois passés sous le joug de la Seleka, aggravent encore une situation humanitaire déjà désespérée.
Le conseil de défense en a tiré la conclusion qui s’imposait : 400 soldats supplémentaires viennent porter notre effectif à 2 000, pour consolider une situation qui reste malgré tout fragile.
Cela étant, nous avons remporté des succès : Bangui est globalement sécurisée, beaucoup de miliciens y ont été désarmés, regroupés et seront prochainement, pour une bonne part d’entre eux, réintégrés dans les forces armées centrafricaines.
Oui, je voterai pour la prolongation de l’opération Sangaris, car, à l’évidence, notre mission n’est pas achevée et, n’en déplaise à ceux – ils ne sont pas ici – qui agitent comme une rengaine le spectre d’un prétendu « enlisement », je pense que notre approche est juste.
Il est indéniable que notre action militaire a permis d’enrayer la spirale des atrocités, même si elle ne l’a pas fait aussi complètement et aussi rapidement que nous l’aurions souhaité. Partout où sont installées les forces de l’opération Sangaris, le niveau de violence diminue. Le problème, c’est que ces forces ne peuvent pas, pour l’instant, être partout. N’oublions pas que le 5 décembre – ce n’est pas loin –, la folie meurtrière avait fait 1 000 morts en quarante-huit heures ! La violence, mes chers collègues, a heureusement changé d’échelle à partir de cette date. Elle demeure néanmoins, j’en conviens, préoccupante.
Nous sommes face, pour l’heure, à quatre impératifs : sécuriser la province et éviter une partition de fait ; consolider le processus de démilitarisation, de démobilisation et de réintégration des différentes milices au sein des forces armées centrafricaines ; mettre fin à l’impunité, rétablir un minimum de police, de gendarmerie et de justice pour pouvoir condamner et les pillards et les criminels ; enfin, appuyer le faible État centrafricain et son administration dans sa marche vers la transition politique. Il faut, mes chers collègues, payer les fonctionnaires. Il faut faire fonctionner l’État ! L’importante mobilisation internationale doit nous y aider.
Je suis confiant, car nous avons su nous appuyer sur trois piliers solides de notre politique africaine telle que l’a reformulée le président Hollande : l’Union africaine, l’Union européenne, l’ONU.
Il faut s’appuyer, d’abord, sur les Africains. Cette conclusion du sommet de l’Élysée, dans la perspective de la construction d’une architecture africaine de sécurité, nous la mettons aujourd’hui en œuvre. Notre objectif politique est que la sécurité de l’Afrique soit assurée, à terme, par les Africains. L’opération Sangaris n’est précisément là qu’en appui de la MISCA.
Même avec des moyens encore trop limités, l’Union africaine a d’ailleurs réagi avec détermination : ses contingents – 6 000 hommes, je vous le rappelle, soit deux fois plus que ce qui avait été initialement envisagé – montent progressivement en puissance. Au total, 1 800 soldats africains œuvrent aujourd’hui en dehors de Bangui. Des centaines de millions de dollars de dons ont été promis par les États africains. Les États de la sous-région, le Tchad et le Congo en particulier, ont su gérer de façon pour l’instant exemplaire le volet politique de la crise centrafricaine.
Oui, je le dis : l’Afrique est au rendez-vous de la République centrafricaine. Nous entrons, me semble-t-il, dans une ère nouvelle, plus mature, plus partenariale, dans nos rapports avec ce grand continent qui peut, qui doit devenir notre avenir, comme cela était souligné dans un récent rapport de notre commission. Je m’en félicite.
Il faut, ensuite, impliquer l’Europe. Que n’a-t-on entendu sur l’Europe impuissante et divisée, sur la France isolée – cela vient encore d’être dit –, sur l’inconsistance de la politique de sécurité européenne, sur l’égoïsme ou l’aveuglement de nos partenaires ! C’est parfois justifié, force est de le reconnaître. Toutefois, si je regrette les lenteurs de l’Europe, qui n’a pas l’agilité décisionnelle ni la volonté politique que nous aurions souhaitées, il faut essayer tous ensemble de convaincre les pays européens d’accélérer le pas. La France, mes chers collègues, plutôt que de se plaindre, doit se faire entendre de ses partenaires européens.
La génération de forces qui est en cours n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Il faut aller au-delà des seuls contingents polonais, estoniens, roumains, portugais, lettons, en plus de ceux de la Géorgie, État associé, voire de la participation finlandaise, espagnole et suédoise. Il s’agit bien, je le souligne, de troupes combattantes, car l’Union ne doit pas se cantonner au rôle facile de « super ONG ». Nous en sommes, mes chers collègues, à quelque 400 combattants. Il faut aller à 1 000, au moins ! Il faut demander à l’Europe de consentir un effort nettement plus substantiel.
Sans doute l’Union européenne n’a-t-elle pas dit son dernier mot. On peut imaginer qu’elle acceptera de créer, le moment venu, une mission de formation de la future armée de la République centrafricaine, sur le modèle de ce qui s’est fait au Mali, voire, compte tenu du délitement de l’État centrafricain, une mission de formation des forces de police et de gendarmerie. Cela devra se faire parallèlement à l’effort de reconstruction des institutions, œuvre indispensable et de longue haleine.
Évidemment, on peut toujours dire que ce n’est pas assez ! Moi, j’affirme qu’il s’agit déjà d’un premier pas non négligeable, qui donne progressivement corps à la politique européenne de sécurité et qui ouvre – pourquoi pas ? – la voie à une défense commune.
J’observe d’ailleurs que, à la suite du conseil des ministres franco-allemand, la brigade franco-allemande va être projetée au Mali. C’est un symbole fort, n’est-ce pas, cher collègue Jean-Marie Bockel ?
Il y a donc support de l’Europe, mais aussi des États-Unis, qui viennent épauler notre effort, comme cela a été confirmé lors de la visite d’État du Président de la République à Washington.
Il faut, enfin, donner à l’ONU tout le rôle qui doit être le sien. L’armée française n’a pas vocation à s’interposer indéfiniment. En RCA, nous avons besoin de l’ONU, en complémentarité de l’Union africaine, pour accompagner la transition politique et assurer la stabilisation durable du pays.
Pour reconstruire l’État et la sécurité dans ce pays en lambeaux, il est également indispensable de faire cesser l’impunité, de châtier les crimes de guerre, de rétablir une chaîne de réponse pénale face aux exactions. C’est une opération de l’ONU qui doit conduire toutes ces missions. Là réside tout l’enjeu des semaines à venir. Un rapport au Conseil de sécurité est attendu dans les tout prochains jours ; des discussions débuteront le 5 mars ; une résolution sera peut-être adoptée en avril ; le déploiement d’une opération de maintien de la paix sera possible à partir de la fin de l’été.
Une opération sous « casques bleus » présenterait l’avantage d’assurer un financement pérenne, d’adjoindre d’autres forces à celles de la MISCA et, surtout, de déployer un important volet civil, combinant aide à la transition politique, action humanitaire et formation.
Je pense que, si ces conditions sont remplies, la date de février 2015 évoquée pour les élections est à portée de main, ces élections pouvant être organisées avec l’aide et l’expertise des différentes agences onusiennes. Je sais, monsieur le ministre, que notre diplomatie s’emploie activement à la réalisation de cet objectif.
Quels sont les enseignements à tirer, pour nous-mêmes, de cette crise ?
Le premier est celui de la pertinence des décisions prises au plus haut niveau de l’État et de l’efficacité de notre système institutionnel.
Le chef de l’État, le Gouvernement, notre diplomatie et notre défense ont été à la hauteur de l’urgence, et ils ont été fidèles à l’image que nous nous faisons de la France. Je salue l’action du Président de la République, qui a su prendre lucidement une décision courageuse. C’est la France qui a inscrit à l’agenda international ce drame oublié. C’est la France qui a été la cheville ouvrière des résolutions des Nations unies. Nous avons su agir en temps utile, alors qu’il était si facile, si confortable, de faire l’autruche ! Mais quelles auraient été conséquences d’une telle attitude ? Sans doute le délitement de l’État centrafricain !
Le deuxième enseignement, c’est la nécessité, en matière de défense, de ne pas baisser la garde face à la permanence des menaces. Je partage pleinement vos recommandations à cet égard, monsieur Legendre.
Nous venons de voter une loi de programmation militaire qui nous garantit de disposer d’un outil de défense fiable, sans l’exonérer d’une participation au redressement des finances publiques. Toutefois, l’effort de redressement des comptes et les 50 milliards d’euros d’économies – effort que je soutiens, car c’est aussi une question de souveraineté – ne manqueront pas de susciter, chez quelques-uns, des tentations. Il est d’ailleurs dommage que certains ministres nous aient quittés, car je les aurais regardés dans les yeux en expliquant cela. Mais ils auront tout de même connaissance de mes propos !
L’arbitrage très clair et très ferme du Président de la République pour stabiliser le budget de la défense a encore été rappelé au moment de ses vœux aux armées. Nous nous appuierons sur lui pour veiller à la bonne mise en œuvre de la loi de programmation dans les années à venir. Que le Gouvernement sache qu’il faudra compter avec notre vigilance.