Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, en premier lieu, vous remercier toutes et tous, d’abord d’un vote qui sera, si j’ai bien compris, très massivement favorable à la prolongation de l’opération Sangaris, mais aussi de l’élévation de pensée qui s’est manifestée à cette tribune.
Nous savons que, dans les circonstances que traverse notre pays, faites de difficultés économiques, de tensions sociales, il peut être facile de faire écho à un discours que l’on entend ici ou là : « Que va faire la France en Afrique ? Ça coûte de l’argent ! Ça expose nos troupes ! Il vaudrait mieux… » Oui, mais… Vous avez su montrer, chacun avec sa sensibilité et ses mots, que la France doit, bien sûr, examiner les décisions avec attention, mais aussi avec hauteur, en sachant qu’existent une histoire, une géographie qui font que l’Afrique est proche de nous, qu’une responsabilité nous lie à un continent et à un pays qui sont un continent et un pays d’avenir.
Je n’ai évidemment pas connaissance de la tonalité et de la teneur des débats qui se déroulent en ce moment même à l’Assemblée nationale, mais je peux dire que le débat qui a eu lieu ici fait honneur autant à la Haute Assemblée qu’à la politique.
Je reprendrai simplement quelques points de chacune des interventions.
Mme Ango Ela, au nom du groupe écologiste, a insisté, à juste titre, sur le fait que cette prolongation était « une solution nécessaire et transitoire ». Cette prolongation n’en est pas moins nécessaire. Du reste, la chef d’État de la transition, une femme tout à fait remarquable, Mme Catherine Samba-Panza, vous a appelés à prendre la décision que vous vous apprêtez à prendre. Et le secrétaire général des Nations Unies, qui représente la plus haute instance de la communauté internationale, a fait de même.
Madame Ango Ela, j’ai également apprécié que vous ayez bien marqué la différence – d’autres orateurs l’ont également fait – entre l’opération qu’il faut mener à bien aujourd'hui et la perspective qui doit se dessiner pour l’avenir : il est indispensable que les Africains se dotent eux-mêmes de la capacité d’assurer leur propre sécurité.
La décision qui est prise aujourd'hui n’est donc pas du tout un blanc-seing. Il s’agit d’une décision nécessaire, transitoire et placée dans une certaine perspective, celle qui doit voir les Africains prendre leurs responsabilités.
M. Legendre, au nom de l’UMP, a parfaitement résumé la complexité de la situation, tant il est vrai qu’on ne peut décrire les choses à coup de serpe. Il a rendu avec raison un hommage particulier non seulement à nos soldats – chacun l’a fait, et c’est bien légitime –, mais aussi aux autorités religieuses. Je suis allé plusieurs fois en Centrafrique et je me suis entretenu avec ces autorités religieuses, qui incarnent parfaitement, par leur comportement, la conduite qu’il convient de tenir.
En effet, non seulement ces chefs religieux refusent l’entraînement des passions et agissent ensemble, mais, comme vous le savez sans doute, ils vivent sous le même toit : le chef des musulmans vit dans la maison du chef des chrétiens. Je pense qu’il s’agit d’un symbole extrêmement fort face à des affrontements religieux qui, il faut le savoir, gagnent petit à petit, malheureusement, bien des pays de la région. Lorsqu’il m’est donné de discuter avec des personnalités aussi différentes que le chef de l’État du Cameroun ou celui de l’Angola, j’entends que ces divisions, qui n’existaient pas il y a quelques années, deviennent menaçantes.
M. Legendre a donc eu tout à fait raison, selon moi, de souligner l’importance du rôle joué par les autorités religieuses centrafricaines.
Il a en outre posé la question : « Avons-nous agi assez vite ? ». Mesdames, messieurs les sénateurs, la réponse est claire comme de l’eau de roche.
Dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies, qui s’est tenue comme chaque année au cours de la dernière semaine de septembre, le Président de la République a été le premier à la saisir de la question de la Centrafrique. Il a alors surpris et frappé les esprits, comme il avait, l’année précédente, surpris et frappé les esprits en saisissant l’Assemblée générale des Nations unies de la question du Mali.
À partir de ce moment, nous avons déployé beaucoup d’efforts – c’est la tâche de la diplomatie – pour que l’ONU nous autorise à intervenir, car il n’était pas question d’intervenir sans autorisation.
Alors, avons-nous agi assez vite ? Je vous rappelle que nous sommes intervenus le lendemain du jour où les Nations unies nous ont donné l’autorisation de le faire. On peut bien sûr regretter qu’entre le mois de septembre, où le Président de la République a saisi les Nations unies, et le jour de décembre où les Nations unies se sont prononcées, trois mois et demi se soient écoulés. Mais vous savez ce que sont les procédures ! Et je puis vous assurer que nous n’avons pas ménagé nos efforts, ayant de multiples entretiens, passant d’innombrables coups de téléphones ; je le répète, c’est la tâche du chef de la diplomatie et de ses représentants.
En tout cas, à partir du moment où l’autorisation a été accordée, il ne s’est pas écoulé vingt-quatre heures avant que nos soldats soient sur le terrain.
Dès lors que l’on connaît ces données, il est impossible, me semble-t-il, de prétendre que les choses auraient pu, du point de vue de la France, être faites plus rapidement. Ou alors, il eût fallu ne pas attendre l’autorisation des Nations unies ! Or, de cela, il ne pouvait être question.
M. Legendre a également eu raison d’insister, comme d’autres l’ont fait, sur la nécessité d’éviter la partition.
Il a aussi posé une question sur l’Agence française de développement. Les instructions ont été données pour que celle-ci retourne sur le terrain. En liaison avec M. Canfin, qui suit particulièrement ces sujets, des programmes sont prévus à cet effet. J’ai moi-même, quelques minutes avant de vous rejoindre, rencontré Mme Paugam, la directrice de l’Agence française de développement, pour lui confirmer ces instructions.
La question du commerce a également été posée. Il est vrai que les musulmans tiennent une grande place dans cette activité, qui est profondément désorganisée. À cet égard, il est évidemment essentiel de rétablir la liaison entre Bangui et le Cameroun. Actuellement, il y a trois séries de convois chaque semaine. Les renforts, notamment les renforts européens, qui vont arriver permettront bientôt à Sangaris de dégager cette route.
J’en viens à la question de la mobilisation des collectivités locales.
Sans doute les collectivités locales françaises n’ont-elles pas les mêmes liens avec la Centrafrique qu’avec le Mali. Cependant, je vous rappelle que le ministère des affaires étrangères a créé un fonds spécial, le Fonds d’action extérieure des collectivités territoriales, ou FACECO, pour apporter une aide d’urgence en cas de catastrophe ou d’opération à l’étranger. Dites aux maires qui vous entourent qu’ils peuvent alimenter ce fonds. Il est bien entendu rendu compte de l’utilisation des sommes versées. Si telle ou telle collectivité souhaite soutenir l’opération en République centrafricaine, elle peut le faire par le biais de ce fonds, qui est évidemment soumis à des contrôles.
M. Bockel, qui intervenait au nom de l’UDI-UC, a également bien retracé la situation. Il a dit qu’il voterait l’autorisation de la prolongation de l’intervention, mais qu’il se posait des questions, à l’instar, du reste, de beaucoup d’entre vous.
Il a en particulier demandé si le lancement d’une opération de maintien de la paix entraînerait un retrait total ou un retrait partiel des soldats français déployés en Centrafrique. Retrait total, certainement pas, car, je vous le rappelle, nous avions déjà, avant le lancement de l’opération Sangaris, selon les moments, 250 à 450 soldats stationnés en Centrafrique.
Dans notre esprit, il doit se produire la même évolution qu’au Mali, où nos effectifs ont augmenté – ils ont même atteint un niveau bien plus élevé qu’en Centrafrique –, avant de diminuer. L’intention du Gouvernement – je me suis récemment entretenu avec le Président de la République à ce sujet – est de maintenir nos effectifs au niveau que nous avons fixé aujourd'hui, avant de les réduire progressivement, lorsque l’opération de maintien de la paix sera mise sur pied.
Il n’est pas question de renoncer à toute présence en Centrafrique : non seulement, je le répète, nous avions déjà des troupes stationnées en Centrafrique, mais ce serait contre-productif du point de vue de notre demande de création d’une opération de maintien de la paix.
Je remercie Michelle Demessine de son « verdict » final, plutôt positif, même si j’en ai bien perçu toutes les nuances, puisque le groupe CRC laisse la liberté de vote à ses membres. Elle a posé la question tout à fait judicieuse de la nécessité d’une transformation rapide de Sangaris en opération de maintien de la paix. C’est ce à quoi nous travaillons. Ce n’est pas si facile, mais c’est indispensable : d'une part, nous avons besoin, sur un plan matériel, que l’ONU prenne en charge une partie des opérations ; d'autre part, comme vous l’avez souligné, madame Demessine, la situation exige une opération à la fois militaire, civile, humanitaire et financière que seule l’ONU peut mettre en œuvre.
Au nom du groupe socialiste, André Vallini a apporté son soutien au Gouvernement, en se fondant sur une analyse précise et de qualité ; je l’en remercie. Il a redéfini les objectifs de l’opération. Il a tenu, au sujet de l’Europe, qu’a également évoquée le président Carrère, des propos que je partage totalement. Oui, l’Europe va être présente ; elle en a pris la décision de principe.
L’implication de l’Europe constitue évidemment une préoccupation pour beaucoup d’entre vous. M. Adnot nous a même confié que, si l’Europe n’avait pas pris cette décision, son vote aurait peut-être été différent.
Nous savons qu’il n’existe malheureusement pas de vraie politique européenne de défense, mais nous devons avancer dans ce sens. Nous avons obtenu un vote de principe de nos partenaires européens. Maintenant, il faut « remplir les cases », et c’est difficile. Une deuxième conférence de génération de forces s’est tenue aujourd'hui même ; il y en aura une troisième dans quelques jours. Cette conférence a montré que nous n’en étions pas encore au chiffre indiqué par Mme Catherine Ashton, Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui a parlé de 1 000 soldats européens en Centrafrique. Il nous faut donc aiguillonner nos partenaires.
André Vallini a eu raison de souligner, en termes choisis – des termes de diplomate ! –, que, pour telle ou telle raison, les pays comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Italie, qui ont des moyens militaires importants, ne sont malheureusement pas, malgré leurs affirmations, au rendez-vous dans les proportions que l’on pouvait escompter. C’est à coup sûr le cas de la Grande-Bretagne. L’Allemagne n’a pas envoyé de troupes au sol. Quant à l’Italie, nous verrons ; je rencontrerai bientôt ma nouvelle homologue.
Il faut absolument que, par le jeu de nos influences respectives, nous les convainquions que, de même qu’il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour, il n’y a pas de défense européenne, il n’y a que des preuves de défense européenne ! §
Si nous nous engageons sur la voie d’une défense et d’une sécurité européennes, il faut en tirer les conséquences.
Jean-Pierre Chevènement a, lui aussi, apporté au Gouvernement le soutien de son groupe, le RDSE. Il a souligné à quel point la création d’une opération de maintien de la paix était nécessaire. Il a posé, à la manière facétieuse dont il a le secret, une question sur l’attitude des États-Unis. Nous sommes évidemment en discussion avec nos partenaires américains, qui, pour différentes raisons, notamment financières, ne sont jamais très enclins à approuver de tels dispositifs. J’ai cependant bon espoir de parvenir à les convaincre, comme cela avait été le cas au sujet du Mali. Les Américains savent en effet que, en matière africaine, il existe un leadership et qu’il faut faire en sorte qu’il puisse s’exercer.
À la fin de son intervention, Jean-Pierre Chevènement a posé une question centrale, celle que nous posent nos électeurs lorsque nous bavardons avec eux, quand ils dressent la liste des enjeux et même des inconvénients de la décision que nous nous apprêtons à prendre. La sphère de la politique n’est pas l’empyrée ! Aucune solution ne présente 100 % d’avantages !
Comme souvent, il faut ici comparer le coût de la décision et celui de la non-décision ; c’est ainsi que se présente une problématique de premier rang comme celle qui nous occupe aujourd'hui. Or le coût de la non-décision, c'est-à-dire d’une interruption de l’opération Sangaris, c’est quelque chose que l’on ne peut même pas envisager ; votre vote va d'ailleurs montrer l’absurdité d’une telle hypothèse.
De la même manière – chacun d’entre vous l’a dit avec ses mots –, il eût été inconcevable que la France, seul pays ayant des troupes à proximité, n’intervînt pas alors que la RCA avait déjà un pied dans le gouffre.
Jean-Pierre Chevènement a posé la question comme elle devait l’être.
J’y ai déjà fait allusion, Philippe Adnot a déclaré que, si nos partenaires européens n’avaient pas pris la décision de principe que j’ai évoquée, son vote aurait sans doute été différent. Son vote sera finalement positif, et je l’en remercie.
Le président Carrère a commencé par évoquer l’Ukraine, et je le remercie des propos qu’il a bien voulu tenir. Bien sûr, l’Ukraine, c’est un autre sujet, mais il recoupe malgré tout celui qui est au centre de ce débat. Jean-Louis Carrère a salué la contribution de l’Europe à la résolution de la tragédie ukrainienne.
On fait beaucoup de reproches à l’Europe et, souvent, ils ne sont pas infondés. Cependant, force est de reconnaître que, en l’espèce, mes homologues allemand et polonais et moi-même sommes arrivés un matin dans une ville en état de siège, où des snipers avaient déjà tué plusieurs dizaines de personnes, mais que, quand nous sommes repartis, un accord avait été conclu, même si ses termes ont ensuite été modifiés par la dynamique de la situation révolutionnaire. Le président Ianoukovitch, qu’à Kiev on appelle « Ianoucescu »