Intervention de Robert Badinter

Réunion du 23 juin 2005 à 15h00
Audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité — Article unique

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Je ne vais pas reprendre, en cet instant, la discussion concernant la question de la constitutionnalité de cette proposition de loi ou celle de la hiérarchie des normes. Je veux vous mettre en garde : ce que vous proposez n'est pas bon, et c'est pourquoi je soutiens ces amendements de suppression.

Il n'est pas bon de vouloir faire l'économie de l'audience pénale. Vous nous demandez, monsieur le ministre, quel est l'intérêt pour celui que vous appelez le condamné, ce qui est aller vite en besogne puisque nous sommes encore à l'audience et qu'il s'agit donc de l'intéressé, selon la terminologie en usage. Or ce n'est pas seulement sous cet angle-là que l'on se doit d'aborder le problème.

Je rappelle que l'audience, lorsqu'elle est juridictionnelle - et le Conseil Constitutionnel a pris le soin d'en rappeler la nature -, est toujours soumise à des principes, et c'est ce principe de la présence du procureur de la République qu'a rappelé la Cour de cassation.

Vous dites que la présence du ministère public n'est pas obligatoire pour les audiences pénales et que l'on peut parfaitement y déroger ; elle ne serait obligatoire que quand elle est expressément prévue. C'est là une grave erreur d'interprétation ! L'article 32 qu'a visé la Cour de cassation est d'une portée générale, contrairement à la dérogation qui, elle, devrait être expresse. Cela va de soi !

Ici, ce que vous voulez faire, c'est précisément une exception.

Autrement dit, monsieur Béteille, votre proposition de loi déroge à un principe fondamental du procès contradictoire, à ce qui est une garantie pour le juge, pour les justiciables et pour l'ensemble du système judiciaire ; elle fait exception. Eh bien, une loi qui instaure une exception aux principes fondamentaux, c'est, pardonnez-moi de le dire, une loi d'exception. Je n'ai pas de goût pour les lois d'exception.

Vous avez dit, monsieur le rapporteur, qu'il existait des exemples d'audiences pénales qui se déroulaient sans la présence du ministère public. Vous avez évoqué les placements en détention. J'ai tenu à vérifier.

M. Clément s'en souvient certainement encore : c'est en 1983 que nous avons, à l'unanimité, instauré le débat contradictoire préalable au placement en détention, et nous avions tous souligné qu'il n'était que temps de prévoir qu'un débat contradictoire ait lieu entre le ministère public, donc nécessairement présent, le magistrat instructeur - à cette époque, il n'y avait pas de juges des libertés et de la détention - et l'avocat. Et ce système a survécu avec le placement par le juge des libertés et de la détention ; c'est à l'article 145 du code de procédure pénale.

Alors, il y a le cas de la comparution immédiate où le ministère public souhaite le placement en détention, mais où il n'a pas à sa disposition le tribunal duquel il souhaite obtenir cette décision. A ce moment-là, il saisit le juge des libertés. Il n'est pas dit pour autant qu'il ne doit pas y débattre : il n'est rien dit du tout. Ce silence du législateur par rapport à cette exception faite à l'article 32 du code de procédure pénale ne saurait constituer autre chose qu'un sujet soumis à interprétation. Je n'ai rien trouvé dans la jurisprudence sur ce point.

On ne peut, en tout cas, en tirer aucun argument. J'ai vu que le conseiller-rapporteur en avait tiré un. La Cour de cassation, à cet égard, n'a pas suivi les conclusions du rapporteur dans son avis.

Là est l'équilibre.

Je vais plus loin. Pourquoi faut-il la présence d'un représentant du parquet ? Parce que cela est nécessaire à la bonne justice. Il ne s'agit pas ici d'une justice-distributeur automatique ! Nous ne sommes pas ici au niveau d'une ordonnance pénale ; nous nous trouvons dans un domaine tout à fait différent. Je rappelle que l'ordonnance pénale, comme d'ailleurs la composition pénale, s'arrête devant les peines privatives de liberté.

Ce que l'on demande ici au juge, je ne cesserai jamais de le rappeler, c'est d'homologuer une peine proposée par le ministère public. Le juge prend sur lui de rendre exécutoire la peine proposée. A cet instant, et avant de prendre cette décision qui est l'expression de sa liberté, de sa responsabilité et de sa conscience de juge, il doit pouvoir, s'il le désire, poser au ministère public toutes les questions qu'il estime souhaitables. Cela suppose bien la présence du ministère public. On ne peut pas se contenter d'envoyer un formulaire avec quatre observations écrites.

Evidemment, quand l'audience commence, nul ne sait quelles questions vont jaillir. Des interrogations peuvent naître de la dialectique, des propos de l'intéressé, de ceux de la victime, d'un fait nouveau. Comment, alors, s'il n'est pas présent, le ministère public pourra-t-il justifier sa proposition ?

La question n'est donc pas de savoir ce que le représentant du parquet fait mais bien de savoir si sa présence est nécessaire. Cette nécessité est inhérente à la complexité du débat contradictoire dès l'instant où, en fin de compte, le magistrat va prononcer une peine, s'il estime qu'elle doit être prononcée, en homologuant.

On ne peut pas échapper à ce principe du contradictoire : il est au coeur même du procès pénal. Sauf à dire que ce n'est plus un procès pénal. Or c'est un procès pénal.

Si vous admettez que c'est une audience pénale, comme le Conseil constitutionnel l'a justement rappelé, vous ne pouvez pas échapper au principe du contradictoire, et il vous faut prévoir que le ministère public est présent.

Sinon, permettez-moi de vous le dire, vous avez une justice boiteuse : un premier acte dans le bureau du procureur, un deuxième acte dans le bureau du président, et hop ! on passe des écrits, et c'est terminé. Est-ce là l'idée qu'une grande justice doit se faire des exigences du procès contradictoire ?

On nous dit que cette solution est plus commode, que l'on ne perd pas de temps, etc.

Vous avez raison, et je suis heureux de vous l'entendre dire, monsieur le garde des sceaux, il faut remédier aux difficultés actuelles rencontrées avec la comparution immédiate. Mais c'est là qu'il fallait porter le fer.

J'ajoute que, comme l'a si fortement écrit Ronald Dworkin, à mon sens le meilleur des philosophes du droit contemporains, dans son livre Taking rights seriously - en français : prendre les droits au sérieux -, la grande différence entre la procédure existante et celle, sommaire, du plaider coupable, c'est que la première découle de la volonté de la partie poursuivante alors que la seconde est au choix de celui qui est poursuivi. Quelle immense différence en termes de libertés.

Je le dis simplement, vous ne pouvez pas avoir une audience pénale aboutissant au prononcé d'une peine d'emprisonnement sans la présence du ministère public.

Je terminerai par une simple observation, ou plutôt une question concernant un problème dont j'ai déjà fait état lors de la discussion générale.

Qui va prendre la décision quant à la présence ou à l'absence du ministère public ? Le procureur de la République, chef hiérarchique ? Le substitut en charge du dossier ? Le parquet, qui décidera ainsi de lui-même s'il doit ou non assister ou participer à une audience pénale ? Cela n'est pas possible !

Il est évident que nous devons prévoir que le ministère public viendra présenter ses observations si le magistrat du siège le demande. Sur ce point, monsieur le garde des sceaux, je vous demande de prendre position. On ne peut pas concevoir un autre système, cette solution n'étant au demeurant, au regard des principes, qu'un strict minimum, car on ne sait jamais ce qui peut advenir au cours d'une audience où une peine d'emprisonnement peut être prononcée.

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