Je suis un agent public, mais pas un haut fonctionnaire, puisque j'ai quitté la fonction publique il y a plusieurs années. Je me destinais à exercer mes fonctions exclusivement dans l'entreprise, que celle-ci soit privée ou publique. J'ai été, à ma grande surprise, sollicité pour exercer les fonctions que j'occupe aujourd'hui. Quittant l'entreprise Kéolis que j'avais rejointe huit semaines seulement auparavant, je les ai acceptées, en signant un contrat de droit public à durée déterminée. Ma vocation future est de retourner, si possible, dans le monde de l'entreprise. La presse ayant écrit que je serais candidat à des fonctions au sein d'une entreprise privée, j'ai fait une déclaration très courte et très pesée à l'agence Reuters, dans laquelle j'indique qu'il n'y a pas eu de sollicitation ferme de la part de cette entreprise à mon égard. En l'absence de poste, je ne suis pas candidat et n'ai donc pas déposé de dossier devant la commission de déontologie. Le reste relève de spéculations.
Cette clarification posée, je vous exposerai brièvement ce que sont les éléments de doctrine sur lesquels vous m'avez interrogé, et les mettrai en perspective, pour montrer qu'ils sont en continuité avec l'ambition qui a présidé à la création de l'APE, il y a dix ans.
Lorsque je suis entré en fonction, le 1er septembre 2012, un rapport de l'Inspection générale des finances venait d'être publié en juillet, qui dressait un bilan du fonctionnement de l'Agence qui, sans mettre en cause ni ses finalités ni son fonctionnement, soulignait certaines faiblesses. Nous nous sommes alors livrés à une tâche de réflexion pour améliorer le fonctionnement de l'État actionnaire, et avons cherché à y répondre en trois étapes.
Il s'agissait, tout d'abord, de clarifier le pourquoi de notre mission. Nous nous sommes rendu compte que la doctrine de l'État actionnaire était plus implicite qu'explicite. Nous gérions « en bon père de famille », un portefeuille hérité du passé, sans être très au clair sur nos orientations. D'où la réflexion à laquelle nous nous sommes attelés, et qui a donné lieu aux deux communications en conseil des ministres que vous avez évoquées.
Nous nous sommes demandé, ensuite, si les textes encadrant notre action étaient adaptés. Il est apparu que ces textes résultent d'une longue et lente stratification de dispositions difficiles à utiliser en pratique et qui consomment beaucoup de temps pour des résultats minimes. Nous avons donc entrepris de procéder à un toilettage.
Nous nous sommes, enfin, attelés à revoir notre mode d'organisation, nos principes de fonctionnement, nos règles de management, pour plus d'efficacité dans le suivi et le dialogue stratégique avec les entreprises.
En quoi consiste notre doctrine ? Nous assumons clairement, tout d'abord, qu'il est légitime pour l'État d'intervenir en fonds propres dans les entreprises, selon un niveau de participation et un horizon temporel qui peuvent être variables. Une telle démarche est parfaitement légitime et ne relève pas, pour nous, d'une erreur historique qu'il s'agirait de corriger en vendant tout le plus vite possible.
Quels motifs peuvent justifier que l'on mobilise une part du patrimoine public pour l'investir dans des entreprises ? Nous avons retenu quatre grands principes.
Le premier veut que l'État s'ancre au sein des entreprises structurellement stratégiques. Deux domaines répondent, pour nous, à cette définition, étant entendu que ces choix pourront toujours être revisités par le futur comité stratégique de l'État actionnaire : l'industrie nucléaire, d'une part, autour de ses deux acteurs principaux que sont EDF, l'opérateur, qui exploite 58 tranches nucléaires en France et doit en lancer deux nouvelles en Grande Bretagne, et Areva, industriel majeur de la filière ; les industries de défense, d'autre part, dans lesquelles la part du capital détenu par l'État est variable : il est présent dans Airbus Group, Thalès, Safran, DCNS, Nexter, toutes les grandes entreprises de défense à l'exception de Dassault Aviation - dont je rappelle cependant que 46 % du capital est détenu par Airbus Group avec lequel l'État est entré dans un pacte d'actionnaires à ce sujet, suite à l'achat, par l'Etat, d'une action de Dassault Aviation.
Le deuxième principe, produit de l'évolution historique de l'actionnariat public, veut que l'État soit présent dans les entreprises qui fournissent au pays des services essentiels - c'est volontairement que je n'use pas du terme de services publics, juridiquement plus restrictif. Il peut arriver que ces entreprises soient issues du secteur public, voire de l'État lui-même, comme Orange et La Poste. Il est légitime que l'État y soit actionnaire, et d'autant plus qu'il s'agit de secteurs peu ouverts à la concurrence, donc où existent peu d'offres alternatives. Le niveau de participation est ainsi variable, allant de 100 % d'actionnariat public pour La Poste à moins de 30 % pour Orange et 36 % pour GDF Suez, le niveau de participation s'appréciant au cas par cas.
Le troisième principe, le plus novateur, vise à accompagner le développement et la consolidation d'entreprises dans les secteurs et filières déterminants pour la croissance. La participation de l'État peut s'y décliner au niveau de l'APE, mais aussi via Bpifrance participations, qui entre au capital des entreprises, avec un horizon de détention limité, pour accompagner une phase de croissance internationale ou une phase de consolidation avec d'autres acteurs du secteur. Je pense, par exemple, aux entreprises de biotechnologie. Cette logique, qui était au coeur de la création du Fonds stratégique d'investissement, peut aussi exister au niveau de l'État. C'est elle qui a guidé l'opération PSA. L'entreprise était en phase de reconfiguration de son actionnariat qui, jusqu'à présent familial, va devenir ouvert, avec l'entrée d'un partenaire étranger. L'État s'associe à l'opération pour assurer l'ancrage de l'entreprise en France. Vous avez évoqué le précédent d'Alstom, mais pour PSA, l'horizon de sortie ne peut être aujourd'hui déterminé : l'État reverra sa présence quand il sera absolument convaincu que le futur stratégique de l'entreprise est assuré, que son développement est garanti, que son succès est sur les rails. J'ajoute que d'un point de vue strictement patrimonial - mais vous avez compris que ce n'est pas le seul angle d'examen de l'APE - c'est une diversification de portefeuille intéressante, dans un secteur où nous sommes peu présents. Ce n'est donc pas un mauvais calcul.
Le quatrième principe, enfin, le plus spectaculaire, bien que le moins important en termes d'occurences, tend à assurer le sauvetage d'entreprises après approbation de la Commission européenne, comme ce fut le cas pour Dexia, dès lors qu'une défaillance comporterait un risque systémique. C'est, certes, un moyen d'action hors norme, mais dont l'État ne saurait se priver dès lors qu'il est conforme aux traités communautaires.
J'ai évoqué l'entrée au capital de PSA, qui répond au troisième principe, mais l'État est également présent dans Renault, à hauteur de 15 %. Vous me direz que l'entreprise se porte de mieux en mieux ; mais elle n'est pas au bout, stratégiquement, de ses différentes étapes de développement. Les formes de l'alliance avec Nissan ne sont pas totalement abouties. Nous demeurons donc au capital, tant que cette hypothèque n'est pas levée. Même chose pour Air France, que la présence de l'État stabilise, lui évitant d'être prise pour cible d'une OPA et lui permettant de traverser sereinement cette période difficile. On se donne beaucoup de mal pour constituer des noyaux durs : l'État joue aussi ce rôle de stabilisation du capital.
Cela étant, la prise de participations n'épuise pas l'ensemble des relations que peut avoir l'État avec les entreprises : l'État actionnaire ne porte pas l'ensemble des politiques publiques. L'État est présent en fonds propres mais les administrateurs, même s'ils sont nommés par lui, sont administrateurs de l'entreprise. C'est le commissaire du Gouvernement qui vient porter les autres éléments de la parole publique. Cette distinction est importante, elle évite toute accusation de schizophrénie de la part de nos interlocuteurs au sein des conseils d'administration. L'État actionnaire apporte les fonds et noue le dialogue stratégique, mais la fonction de régulation doit être portée par d'autres. Car le régulateur peut prendre des décisions qui ne favorisent pas nécessairement les actionnaires, dont l'État. Dura lex, sed lex. L'État actionnaire invite évidemment l'entreprise à ne pas se soustraire à ses obligations, mais la régulation est autre chose.