Notre doctrine n'est pas colbertiste, consistant à créer des entreprises à 100 % publiques pour satisfaire les besoins du pays. Il ne s'agit pas non plus de nationaliser l'économie nationale. Nos positions sont proches de celles qu'on retenues la plupart des pays, à l'exception notable des États-Unis, du Japon et, sans doute, de la Grande Bretagne. L'État a intérêt à utiliser les interventions en fonds propres pour protéger les fleurons de son industrie contre les interventions hostiles mais aussi pour favoriser l'émergence de filières jugées stratégiques. Nous nous interdisons, cependant, à la différence de beaucoup de fonds souverains étrangers, d'investir en direct à l'étranger ; si les entreprises auxquelles nous participons le font, leur tête n'en reste pas moins en France - j'excepte Airbus Group, société plurinationale dont il a fallu choisir le siège dans un pays « neutre ».
Nous avons fait le travail de benchmarking. Partout, de l'Arabie saoudite à la Chine, se mènent des politiques d'intervention très stratégiques, partiellement par l'État, partiellement en bourse, et l'on met même en concurrence des entreprises publiques - la Chine a quatre entreprises de transport aérien sous capital public, six pour l'automobile. On y allie l'intervention publique en capital à un mode de gestion normal. C'est assez différent de ce que furent longtemps nos pratiques, dont on trouve la traduction institutionnelle dans les EPIC, directement sous tutelle de l'État. Par un abus de langage, et parce que ces EPIC cherchent de plus en plus à se gérer comme des entreprises, on assimile, dans notre portefeuille, des choux et des carottes - car il y a une vraie différence de nature entre un EPIC et une société anonyme à laquelle l'État participe aux côtés d'autres investisseurs. En 1967, déjà, le rapport Nora invitait à distinguer entre sociétés commerciales et EPIC.
Certes, notre portefeuille est hérité du passé, mais notre doctrine est héritière de la création de l'APE, en 2004. Cette doctrine peut être efficace, sachant qu'il faut la mettre en oeuvre en « investisseur avisé », pour reprendre les termes de la Commission européenne, et être capable d'arbitrer, pour se remettre à jour, car les priorités stratégiques d'hier ne sont pas forcément celles d'aujourd'hui. N'oublions pas, non plus, que nous ne sommes pas un centre de coûts mais de revenus : l'« usine APE » produit 4 milliards d'euros de dividendes par an, ce n'est pas rien. Est-il toujours urgent d'opérer des cessions sur des produits qui rapportent 4 % par an pour éviter de la dette qui coûte nettement moins ? S'il peut être utile de céder de beaux actifs pour faire face aux exigences du moment, il serait dommage de vendre l'intégralité des « bijoux de famille », alors que le vrai sujet, pour parler en entrepreneur, ce sont les dépenses d'exploitation et le solde d'exploitation.
Si le débat persiste quant à l'application in concreto de ces principes, nous estimons que la doctrine est durable, au-delà des alternances. A la différence des Américains, qui ne conçoivent pas que le nucléaire puisse être contrôlé par l'État, ou des Britanniques qui estiment qu'une action chez BAE suffit au Gouvernement pour atteindre ses objectifs stratégiques, les Français considèrent que la participation de l'État au nucléaire est légitime. Nous pouvons nous retrouver sur cette façon dont nos concitoyens appréhendent le sujet. Reste la question du niveau de participation. Pour Aéroports de Paris, nous avons agi conformément à notre doctrine : détenir 60 % plutôt que 51 % ne change rien quant à la maîtrise de la gouvernance ; les 9 % supplémentaires ne sont que patrimoniaux. Une part de la participation était détenue par Bpifrance ; nous sommes convenus de joindre nos pas, après avis de la Commission des participations et des transferts.
Sur les mines, l'annonce du ministre est d'intention politique. Le ministère du redressement productif, qui a la tutelle des mines, a jugé que la France ne disposait pas d'un acteur minier susceptible de valoriser nos compétences d'exploration. En matière minière, c'est l'exploitation et non l'exploration qui est gourmande en capitaux. Il s'agit bien de créer un véhicule minier français sur l'exploration en faisant levier sur les compétences, la réputation et la capacité du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). La position d'Areva-Mines et d'Eramet n'est pas tranchée, nous en sommes encore à un stade préliminaire. Le montant annoncé est-il suffisant ? Avec 400 millions d'euros, nous pouvons entretenir des équipes d'exploration de manière tout à fait raisonnable pendant plusieurs années jusqu'à ce que, après plusieurs essais infructueux, vous puissiez régénérer les capacités de financement de votre entreprise.
La valeur de notre enveloppe ? Une partie de notre portefeuille, côté en bourse, est facile à estimer, le reste l'est moins. L'an dernier, nous étions autour de 100 milliards d'euros, dont 60 côtés en bourse, qui valent aujourd'hui autour de 80 milliards d'euros, bien que nous ayons cédé 3,3 milliards d'euros d'actifs. C'est une enveloppe qui n'est pas négligeable.