Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite, ayant accompagné récemment une personne soignée, porter témoignage du fonctionnement de l’hôpital public. À rebours du constat délétère que vous avez dressé, mon cher collègue, je tiens à souligner la compétence professionnelle de l’ensemble des personnels tant médicaux que paramédicaux, associée à des conditions d’accueil de grande qualité.
Mais je veux aussi signaler la demande très forte de reconnaissance de la part de ces personnels et leur souhait de retrouver les repères de leur parcours professionnel à l’intérieur de la communauté hospitalière. À cet égard, il est important d’agir, et c’est là une des priorités du futur projet de loi de réforme du système de santé.
Traiter du sujet de l’application des 35 heures à l’hôpital – et je m’en tiendrai à ce sujet – suppose de dissocier, d’une part, les médecins, d’autre part, le personnel paramédical et administratif. La réduction du temps de travail résulte de deux protocoles d’accord : celui du 27 septembre 2001, qui concerne l’ensemble de la fonction publique hospitalière, et celui du 22 octobre de la même année, relatif plus particulièrement au personnel médical.
Pour le personnel paramédical, il s’est agi le plus souvent de réduire le temps de travail quotidien à 7 heures 30, avec en outre l’attribution de quinze jours de repos compensateurs par an intégrés dans les cycles de travail. Une organisation plus rationnelle des soins était ainsi visée. Néanmoins, force est de constater que la mise en place de cette réforme n’a pas été évidente. Fin 2002-début 2003, participant à une mission parlementaire sur l’organisation interne des hôpitaux, présidée par René Couanau, alors député-maire, j’ai très souvent entendu le personnel hospitalier nous faire part des difficultés qu’il rencontrait dans la mise en place du nouveau dispositif d’organisation du travail.
Deux raisons, me semble-t-il, étaient à l’origine de ces difficultés.
La première tient à l’inadéquation entre, d’une part, les besoins, y compris quand des postes étaient créés, et, d’autre part, la demande, dès lors que les écoles d’infirmières, en particulier, ne formaient pas le nombre de personnel nécessaire.
La seconde raison est peut-être la plus déterminante : une demande d’application rapide de la réforme n’a pas permis une mise en œuvre qualitative qui, après évaluation fine du fonctionnement d’un service, aurait dû permettre de formuler des propositions prenant en compte une nécessaire complémentarité entre les différents professionnels.
Trop souvent, la réduction du temps de travail a été appliquée par filière pressionnelle, ce qui a pu engendrer des dysfonctionnements. Pour les personnels médicaux, la réduction du temps de travail a été mise en place de façon concomitante à la transposition de la directive européenne relative à leur temps de travail. Ainsi, depuis 2002, dans le cadre de mise en œuvre de la réduction du temps de travail, les praticiens bénéficient d’une réduction forfaitaire de la durée annuelle de travail de vingt jours ; ils peuvent ouvrir un compte épargne-temps et y affecter congés ou jours de RTT non pris ou jours de compensation des plages de temps de travail additionnel non indemnisées.
En effet, la transposition de la directive européenne sur le temps de travail a eu pour conséquence de comptabiliser les gardes comme du temps de travail effectif – cela me semble extrêmement important pour la prise en compte du parcours professionnel des praticiens hospitaliers –, de créer l’indemnité de sujétion versée pour chaque période de garde intégrée dans les obligations de service, de recourir à du temps de travail additionnel sur la base du volontariat, de considérer le temps de soins accompli durant les périodes d’astreinte à domicile comme du temps de travail effectif et indemnisé forfaitairement, et enfin de confirmer l’obligation de repos quotidien, au moins 11 heures consécutives par période de 24 heures. Ce dernier point est très important, et je parle en connaissance de cause pour avoir longtemps exercé comme praticien hospitalier anesthésiste dans un centre hospitalier : il était évidemment dangereux, après 48 heures de garde passées debout quasiment sans interruption, de reprendre son poste de travail, après le week-end, à 8 heures du matin.
La principale modification du temps de travail des médecins à l’hôpital ces dernières années est donc moins la mise en place de la réduction du temps de travail que l’intégration des gardes dans le temps de travail, associée à l’obligation de repos quotidien et à l’interdiction de cumuler des gardes successives.
Par ailleurs, la réduction du temps de travail a conduit à introduire de nouveaux outils de gestion, notamment le compte épargne-temps, déjà mentionné, dont le format s’est adapté au fil du temps. Ce compte a été créé pour permettre aux agents de la fonction publique hospitalière d’y porter une partie des jours de congés annuels non pris, ainsi qu’une partie des jours accordés et non pris au titre de la réduction du temps de travail, et des heures supplémentaires non récupérées et non indemnisées. Il permet également au personnel médical, je viens de l’indiquer, d’y porter une partie des jours de congés ou de temps additionnel non pris dans l’année.
Il faut reconnaître que le personnel paramédical a peu recours à cet outil. Les bilans successifs de l’application des 35 heures ont montré la nécessité de revoir le dispositif d’accumulation des jours de congé et des jours de réduction du travail non consommés. D’où le décret du 6 décembre 2012, qui prévoit notamment qu’un maximum de dix jours peut-être intégré chaque année dans le compte épargne-temps, avec un plafond maximal de soixante jours, le compte épargne temps ayant une durée illimitée.
Aujourd’hui, quel constat pouvons-nous tirer ? L’instauration des 35 heures dans la fonction publique hospitalière est unanimement plébiscitée, quel que soit le personnel concerné : médical, paramédical ou administratif. Pour autant, on ne peut ignorer les tensions qui existent, en particulier au regard de l’intensification des rythmes de travail. Celle-ci relève de facteurs internes mais aussi externes à l’hôpital.
Parmi les causes endogènes, on peut citer la nécessité pour les personnels d’adapter en permanence leur travail aux progrès de la médecine et celle de s’adapter aux changements d’organisation du travail à l’hôpital, avec, par exemple, le développement de la chirurgie ambulatoire, de l’hôpital de jour ou de l’hôpital de semaine.
À cela s’ajoute la demande qui est faite à l’ensemble du personnel de travailler sur tous les postes de travail, le matin, l’après-midi et la nuit, ce qui auparavant était principalement réservé aux services de soins intensifs. Ce mode d’organisation du travail est favorable à la prise en charge du patient quand ses temps de vie sont différents, le matin, l’après-midi et la nuit, mais il entraîne une pénibilité accrue pour le personnel, puisque les postes de jours et de nuits étaient antérieurement dissociés.
Les causes de tension sont aussi externes à l’hôpital. En effet, si celui-ci sert ordinairement de recours en cas de défaillance du système de santé, il lui est difficile d’en absorber les conséquences en permanence.
Je prendrai le seul exemple de la permanence des soins. Le constat des difficultés d’organisation du système de santé libéral conduit à l’augmentation continue de la fréquentation des services d’urgence, qui, par ailleurs, connaissent en aval des difficultés à admettre les patients dans des services de plus en plus spécialisés.
Madame la ministre, vous travaillez bien sûr activement à trouver des solutions à ces problèmes, et en particulier à la réorganisation de la médecine des premiers recours. Vous avez notamment proposé qu’une personne régule les entrées dans les services selon l’urgence des situations.
Pour remédier aux tensions résultant des problèmes de disponibilité des personnels, il est important d’établir un diagnostic fin, entre, d’une part, le manque structurel de personnel hospitalier, conséquence de réorganisations lourdes – et il faut dire que, depuis dix ans, on a subi de telles réorganisations –, et, d’autre part, l’obligation d’assumer les dysfonctionnements de l’organisation de notre système de santé.
Au nom de mon groupe politique, je veux exprimer notre attachement à l’application des 35 heures dans la fonction publique hospitalière, sans néanmoins méconnaître les difficultés réelles qui découlent de leur mise en place.