Intervention de Aline Archimbaud

Réunion du 27 février 2014 à 10h00
Débat sur le bilan des 35 heures à l'hôpital

Photo de Aline ArchimbaudAline Archimbaud :

L’hôpital est l’un des lieux de travail au sein desquels cette réforme peut prendre tout son sens. La charge physique et émotionnelle des personnes qui y travaillent est énorme, quel que soit leur poste, et les horaires y sont atypiques, car les patients doivent faire l’objet d’une attention continue.

De surcroît, les personnels hospitaliers ne peuvent pas un instant baisser la garde sur la qualité de leur travail, qu’il s’agisse de l’accueil des patients, de l’écoute qui doit leur être accordée ou, bien sûr, des soins qui leur sont prodigués, car ces trois aspects du travail à l’hôpital ont un impact direct sur l’état de santé des personnes qui sont amenées à y consulter ou à y séjourner. C’est bien pourquoi la réforme des 35 heures, qui est l’une des avancées sociales majeures du gouvernement de Lionel Jospin, avait un sens particulier à l’hôpital.

Cette réduction du temps de travail y a été mise en œuvre sur la base de deux protocoles, le premier, en date du 27 septembre 2001, qui concernait les personnels non médicaux, le second, en date du 22 octobre 2001, qui concernait les personnels médicaux.

Le protocole visant les personnels non médicaux prévoyait notamment d’améliorer les organisations de travail et les conditions de vie au travail, avec une durée hebdomadaire moyenne de 35 heures et de 32 heures 30 pour les personnels travaillant de nuit, des heures supplémentaires limitées à 20, puis à 15 et enfin à 10 heures par mois. Il prévoyait aussi la création de 45 000 emplois non médicaux, répartis entre le secteur sanitaire – 37 000 –, et le secteur social et médico-social – 8 000.

Quant au protocole visant les personnels médicaux, il prévoyait le financement de l’intégration des gardes dans le temps effectif de travail, la rémunération d’une partie des plages additionnelles et la création de 3 500 emplois médicaux, ce qui correspondait à un objectif réaliste compte tenu des capacités de recrutement et de la démographie médicale, mais qui nécessitait un effort de rationalisation dans l’utilisation du temps médical.

Par la suite, au mois de janvier 2003, un contrat d’assouplissement a été conclu, qui introduisait la possibilité de payer des jours de congés non pris du fait de la montée en charge de la RTT, et élargissait les conditions d’utilisation des comptes épargne-temps.

En énumérant les conséquences de la réforme, on mesure l’avancée sociale qu’elle a constituée pour tous les personnels hospitaliers. Toutefois, pour être complet, il faut avouer que tout n’a pas été si simple ni si fluide.

De fait, les créations d’emplois non médicaux n’ont pas pu être effectives dès le mois de janvier 2002 : elles se sont étalées, du point de vue des autorisations notifiées aux établissements, entre 2002 et 2004. À ces délais s’est ajouté un laps de temps plus ou moins important, selon les établissements et les régions, en fonction du contexte de pénurie de personnel, avant que le recrutement soit achevé.

Par ailleurs, il semble que le nombre des emplois créés ait été inférieur aux chiffres initialement avancés : par exemple, au lieu des 37 000 emplois non médicaux supplémentaires prévus dans le secteur sanitaire, seuls 35 000 ont été créés. En outre, alors que la création de 3 500 postes médicaux était prévue pour combler les RTT des professionnels de santé, la totalité de ces postes n’a pas été pourvue, faute de candidats et surtout faute de crédits accordés aux établissements pour embaucher et compenser l’effet de la mesure.

De toute manière, la Cour des comptes a indiqué, dans son rapport de mai 2006 sur les personnels des établissements publics de santé, que le nombre de postes annoncés était déjà insuffisant pour compenser la baisse du temps de travail.

Au-delà des créations d’emplois, les 35 heures, associées à une maîtrise des effectifs, étaient supposées amener les services à effectuer des gains de productivité pour compenser la perte de volume horaire, grâce à la réduction, par exemple, des chevauchements d’équipes et la mise en commun des moyens. Au lieu de cela, la réforme a débouché, c’est vrai, sur une dégradation du service public à l’hôpital.

Pour limiter les dégâts et assurer la continuité du service public, un certain nombre de personnels, principalement les médecins, ont dû repousser la prise de leurs RTT. Entre 2002 et 2012, ce sont ainsi plus de 2 millions d’heures de RTT qui ont été stockées. Or les RTT ne peuvent être prises que dans un délai maximal de dix ans. En 2012, le choix a donc été laissé aux personnes concernées d’être payées au titre de ces RTT, de les convertir en points de retraite ou de prendre des congés, ce qui a engendré un surcoût pour les hôpitaux de près de 600 millions d’euros.

Les hôpitaux n’ayant pas tous provisionné les sommes nécessaires au financement de ces RTT retardées, des problèmes budgétaires se sont posés à un certain nombre d’entre eux. En 2012, les comptes épargne-temps ont, en conséquence, été modifiés de façon que la possibilité de stocker des congés soit réduite.

Quel bilan tirer finalement de la mise en œuvre des 35 heures dans les hôpitaux publics ? L’idée était bonne et salvatrice, mais sa mise en œuvre, forcément complexe, a connu des failles, des difficultés, parfois importantes, dont nous devons tirer les leçons rapidement afin de dégager des propositions.

Ce qui est sûr, c’est qu’il est vain, pour les gouvernements qui se sont succédé depuis la mise en place des 35 heures, de se rendre mutuellement responsables des problèmes qui ont surgi. En vérité, l’insuffisance de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie – ONDAM – figurant dans les projets de lois de financement de la sécurité sociale successifs ainsi que le déficit persistant des comptes sociaux ont, eux aussi, considérablement compliqué l’application de la réforme.

À nos yeux, la mise en place des 35 heures à l’hôpital n’était ni une utopie ni un objectif démagogique. Certes, sa mise en œuvre a entraîné de graves difficultés, mais les débats que nous aurons prochainement lors de l’examen du projet de loi de santé publique devraient nous permettre d’intégrer cette question dans le sujet plus vaste de la réforme de notre système de santé publique. Ils seront l’occasion d’articuler l’objectif de la réduction du temps de travail à 35 heures à l’hôpital, qu’il faut toujours chercher à atteindre, avec la diminution des déficits de l’assurance maladie, la lutte contre les inégalités dans l’accès aux soins, la volonté de placer davantage la prévention au cœur de notre politique, ainsi que l’amélioration du fonctionnement général de l’hôpital public, tout en développant la démocratie sanitaire.§

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