Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 27 février 2014 à 10h00
Débat sur le bilan des 35 heures à l'hôpital

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher :

Monsieur le président, madame la ministre des affaires sociales et de la santé, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier le groupe UDI-UC, et tout particulièrement Jean Arthuis, d’avoir permis ce débat, car il me paraît important, plus de dix ans après la mise en place de la réforme du temps de travail, que nous en établissions le bilan, sans fard ou ni mots convenus, car il ne fait pas de doute que cette réforme a profondément affecté non seulement l’hôpital public, mais aussi un certain nombre d’équilibres dans notre pays, au point de constituer l’un des facteurs de notre perte de compétitivité.

Je me permets d’ouvrir ici une courte parenthèse pour évoquer un sujet qui est étranger à l’hôpital mais qui mérite réflexion, tant il me semble révélateur des effets de cette réforme. En 2004, grâce à sa filière agroalimentaire, notre pays était placé en tête du classement européen. Il ne sera bientôt plus qu’à la quatrième place, derrière l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie. Il va bien falloir que nous prenions ces réalités à bras-le-corps, au-delà des options idéologiques des uns et des autres, car il y va de l’avenir de notre pays.

Je ferme cette parenthèse pour revenir à ce qui fait précisément l’objet de ce débat.

Plus de dix ans après son entrée en vigueur, la loi sur les 35 heures a très largement modifié la gestion du temps de travail à l’hôpital, et tout particulièrement l’organisation des soins.

Ses incidences ont été d’autant plus fortes qu’elles sont intervenues dans un contexte hospitalier caractérisé par une évolution marquée des modes de prise en charge, un ONDAM hospitalier faible, une pénurie d’infirmiers diplômés d’État – à partir de 2008 – et une pénurie de médecins hospitaliers dans certaines spécialités.

Quels sont donc ces impacts majeurs constatés pour les établissements hospitaliers et médico-sociaux et quelles pourraient être les pistes d’évolution ?

L’instauration des 35 heures a eu des impacts sociaux d’apparence positifs, avec des avantages certains sur le plan individuel, notamment en termes de jours de récupération et d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Elle a aussi été un facteur de relative paix sociale et a surtout fourni l’occasion d’une large concertation sociale.

Mais la loi a fait de la durée du travail le cœur des discussions, au détriment de l’aménagement et de l’organisation du temps de travail, avec des accords trop souvent déséquilibrés – il n’est que de lire un certain nombre de rapports ! –, par souci de tranquillité sociale ou du fait d’enjeux politiques locaux, faute d’une révision suffisante des organisations du travail.

J’en viens au second impact majeur qui me paraît, lui, entièrement négatif, car il a mis en cause la continuité du service public à l’hôpital.

Je demande à chacun d’entre vous, mes chers collègues, de songer à ce qui s’est passé sur son territoire depuis 2002 : les fermetures de lits se sont généralisées pendant les congés d’été, les amplitudes horaires de travail ont diminué, faute de recrutements à la hauteur des besoins. Voilà la réalité !

Dès lors, la continuité des organisations est en fait utilisée comme variable d’ajustement.

Les 35 heures ont accentué les divergences d’organisation entre les établissements ; j’y reviendrai lorsque je formulerai quelques propositions.

Dans les établissements ayant accordé de nombreuses « RTT », le temps de travail a été arithmétiquement réduit sans pour autant que les organisations de travail soient, la plupart du temps, réellement modifiées. À activité constante, la création de postes médicaux et non médicaux a été alors insuffisante pour compenser la baisse du temps de travail liée au passage aux 35 heures.

Les effets organisationnels des 35 heures à l’hôpital sont particulièrement visibles, et frappants, si on les observe à travers le prisme des cadres de santé, qui sont en définitive les principales « victimes » des 35 heures. Plongés, noyés dans les plannings, les cadres de santé sont désormais perçus seulement comme des gestionnaires déconcentrés des temps de travail, non comme des animateurs d’une unité de soins, alors que c’est là leur fonction essentielle.

Ils doivent maintenant gérer aussi les effets des 35 heures sur la mentalité des agents, en ajustant l’organisation des temps de travail, des soins, des parcours de soins, ainsi que les modes managériaux pour répondre à ces évolutions.

Ils doivent tenir compte du changement de paradigme à l’hôpital, qui fait que le temps individuel prime dorénavant sur le temps collectif.

Mais il faut aussi parler finances !

Cela a été dit, la mise en place des 35 heures a conduit à la création de 35 000 postes de personnels non médicaux et de 3 500 postes de personnels médicaux. Ce « partage du temps de travail » s’est traduit en fait par un alourdissement sans précédent de la masse salariale des établissements.

La réduction du temps de travail a, au surplus, créé des charges financières de gestion des jours de RTT.

En outre, si la durée du travail de nuit, ramenée à 32 heures 30 par semaine pour le secteur public, est un élément d’attractivité certain, son coût est élevé pour les établissements.

À tout cela il faut ajouter que le cumul des RTT a engendré un stock de comptes épargne-temps très important : entre 2002 et 2012, 2 millions d’heures de RTT ont ainsi été stockées. Or les RTT de 2002 devant être prises au plus tard en 2012, les hôpitaux ont dû payer une partie des jours stockés, ce qui a induit un surcoût de 600 millions d’euros pour les finances hospitalières !

Enfin, si le recours à l’intérim paramédical a certes tendance à diminuer depuis quelques mois, l’intérim médical augmente sans cesse. Toujours est-il que, entre la rétribution des sociétés d’intérim – 67 millions d’euros – et les rémunérations versées aux contractuels – 700 millions d’euros –, qui sont finalement des intérimaires employés directement, la nécessité de combler le vide créé par les 35 heures à l’hôpital représente une facture annuelle de 767 millions d’euros !

Car cette diminution du temps de travail, censée inciter les établissements à mieux maîtriser leurs effectifs et à réaliser des gains de productivité, ne s’est pas réellement concrétisée. Les conséquences financières que je viens de décrire se sont donc accompagnées d’une dégradation des conditions d’exercice du service public à l’hôpital et d’un bouleversement du rapport des professionnels à la valeur travail.

Quelles évolutions paraissent souhaitables ?

Je n’entrerai pas ce matin dans le débat sur le temps de travail, même s’il s’agit d’un sujet essentiel, qui dépasse la seule fonction publique hospitalière, qui dépasse la fonction publique dans son ensemble, qui concerne en vérité tout le pays.

Il me semble d’abord qu’il est de la responsabilité du Gouvernement et des agences régionales de santé de soutenir les établissements dans la révision de leurs accords locaux.

Afin de rétablir quelque peu leurs équilibres budgétaires, nombre d’établissements ont procédé ou sont en train de procéder à la révision de ces accords locaux, certains étant très généreux. Ces démarches doivent être encouragées par les pouvoirs publics, car elles sont difficiles et parfois impopulaires. C’est une des conditions du redressement des finances hospitalières, objectif affiché par le Gouvernement. Il est essentiel que l’on ne procède pas, à cet égard, à une uniformisation au niveau national : cela doit se faire à l’échelon de chaque territoire, avec une réelle coordination entre les établissements d’un même territoire.

Il faut également centrer les processus organisationnels sur la prise en charge du patient.

Depuis douze ans, on planifie d’abord le temps de travail et ensuite les prestations de prise en charge, ensuite seulement ! Il faut recentrer le processus organisationnel autour du soin et remettre les processus de prise en charge au centre des préoccupations. Le cœur de l’organisation, ce qui la justifie au premier chef, ce doit être le malade !

Il convient donc, d’abord, d’évaluer les organisations requises par les prestations de soins à assurer, puis de planifier les temps de travail qui permettront de les réaliser.

L’enjeu est aussi de rapprocher au maximum les organisations du travail des personnels médicaux et non médicaux au sein de chaque établissement.

Il me semble également important d’utiliser l’annualisation du temps de travail pour mettre en place ce qui n’existe pas encore : une politique à destination des seniors.

Alors que les seniors travaillant à l’hôpital ne bénéficient pas encore de mesures spécifiques, l’annualisation du temps de travail doit être employée comme un levier d’accompagnement des populations soignantes dans la troisième phase de leur vie professionnelle. Elle doit permettre de développer une politique managériale des seniors.

Par ailleurs, un cumul des comptes épargne-temps sur les trois dernières années pourrait permettre des départs progressifs à la retraite. Ainsi, il serait possible d’agir sur la pénibilité tout en assurant un transfert de compétences vers de plus jeunes professionnels.

Il faut aussi revoir l’organisation hospitalière dans le cadre du service public territorial de santé.

Les démarches de renégociation des accords locaux doivent être conduites dans un cadre territorial, où les hôpitaux d’un territoire donné définiraient ensemble de nouvelles règles et de nouvelles organisations. Comment voulez-vous parler de groupements de coopération sanitaire ou de communautés hospitalières de territoire s’il n’existe pas une certaine logique d’organisation garantissant la continuité ?

Parallèlement, il va falloir simplifier. Je dirai même, pour employer une expression à la mode, qu’il faut provoquer un « choc de simplification » de la réglementation du temps de travail.

Vous le savez, cette réglementation est complexe et abondante. Rappelons-nous les débats que nous avons eus sur les temps d’habillage, de déshabillage ou de passation de consignes ! On en finissait par oublier l’essentiel, c'est-à-dire l’activité professionnelle elle-même !

Il est capital que les acteurs de terrain bénéficient de plus de souplesse et d’autonomie pour gérer le temps de travail des personnels médicaux et non médicaux, afin de s’adapter aux réalités territoriales et aux besoins réels des organisations.

Voilà pourquoi cette simplification doit s’accompagner d’un système d’information performant, réduisant ce que j’appelle la « pénibilité d’application des 35 heures ».

Pour traiter ce sujet sous un angle positif, il faut réinventer ce qui n’existe que trop peu à l’hôpital public : le management des personnels. À mes yeux, il s’agit d’un point tout à fait fondamental, qui doit être au cœur de la stratégie des établissements publics. L’enjeu, c’est l’instauration d’une gestion des ressources humaines plus ouverte, plus « responsabilisante », fondée sur l’éthique des pratiques professionnelles et plus intégrée – j’y reviens – aux territoires.

Madame la ministre, il va bien falloir repenser le statut de l’hôpital, pour garantir la réactivité et la capacité d’adaptation de nos établissements aux enjeux de santé publique et aux réalités territoriales.

Cette évolution doit non seulement rassurer les professionnels mais aussi donner aux hôpitaux les moyens de mettre en place des organisations du travail modernes, adaptées aux besoins des patients, à leurs responsabilités territoriales, à l’extension de l’hospitalisation à domicile et aux réalités de la prévention. C’est la raison pour laquelle il faut garantir l’autonomie des acteurs, l’assouplissement et la simplification de la réglementation.

Voilà quelques mots clefs pour l’avenir de l’hôpital public.

Je l’avais déjà souligné lorsque, en tant que président d’une grande fédération des hôpitaux publics, j’avais débattu de ce dossier avec Mme Aubry et M. Kouchner : à mon sens, nous avons dangereusement affaibli l’hôpital public en y appliquant ainsi les 35 heures.

Que l’on se penche sur le temps de travail et sur l’organisation des services au sein de ces établissements me paraît nécessaire et, à ce titre, le débat qui a eu lieu à l’époque n’était pas totalement inutile. Cependant, on a considérablement alourdi la facture du système hospitalier, le mettant ainsi partiellement en péril, par exemple au regard de la continuité des soins.

L’hôpital doit continuer à s’adapter et à évoluer. On ne pourra pas conserver tous les plateaux techniques, maintenir des professionnels partout. Le véritable sujet est celui-ci : comment répondre, en respectant les impératifs de qualité et d’égalité, aux besoins de santé de tous nos compatriotes ? Voilà un défi pour le Parlement !

S’y ajoute un autre enjeu, que Jean Arthuis a bien rappelé : comment relever ce défi tout en économisant 50 milliards d’euros sur la dépense publique ?

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