Intervention de René-Paul Savary

Réunion du 27 février 2014 à 10h00
Débat sur le bilan des 35 heures à l'hôpital

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary :

L’organisation de la réduction du temps de travail a permis un gain de temps de 10 %, mais celui-ci n’a pas été compensé à une hauteur satisfaisante.

Dans le cadre de la dotation globale – puisque, à l’époque, la T2A, la tarification à l’activité, n’avait pas encore été mise en place –, le ministère des affaires sociales et de la santé avait autorisé les établissements à procéder à un recrutement supplémentaire à hauteur de 5 % environ, le reste devant être comblé grâce à la réorganisation du temps de travail, mais sans qu’il y ait de directive précise en la matière : il appartenait à chacun des établissements de trouver les modalités adéquates.

Ainsi, l’ensemble des organisations a été revu, les temps de transmission ont été réduits et la pose de journées de RTT a été particulièrement encadrée. D’ailleurs, compte tenu de la complexité du travail, les structures hospitalières ont bien souvent fait appel à des cabinets spécialisés. C’est finalement l’annualisation du temps de travail qui a vraiment permis de régler les difficultés.

Je me permets d’évoquer ici le témoignage d’une aide-soignante : elle commençait sa journée à cinq heures trente-huit pour la terminer à onze heures douze ou, d’autres jours, à douze heures trente-huit. C’était précis ! Elle devait respecter scrupuleusement son temps de travail, même si elle se trouvait, au moment de la fin de son service, au chevet d’un malade, en train de lui dispenser des soins. La personne qui lui succédait devait prendre le relais en plein milieu des soins ! La seule valeur prise en compte était la valeur comptable du temps de travail. §

Certaines équipes se sont constituées sur la base d’une durée de travail journalière de 8 heures, souvent de 10 heures pour les agents de nuit, voire 12 heures pour les personnels des urgences ou les sages-femmes, ce qui a entraîné des repos compensateurs mixtes dus au titre de la RTT ou d’heures supplémentaires diverses. Comme l’a relevé notre collègue Gérard Larcher, il en est résulté une refonte complexe de l’organisation temporelle du travail.

Celle-ci, fondée sur des bases uniquement horaires, et non fonctionnelles, s’est faite au travers d’accords locaux, largement déterminés par l’état des rapports de force avec les syndicats. Elle a, en fait, provoqué une désorganisation importante et, surtout, une hétérogénéité des situations, qui s’est ajoutée aux coûts non compensés, très variables d’une structure hospitalière à l’autre.

Des aménagements ont été apportés, tels que la réduction des temps de transmission, l’encadrement des RTT ou la mise en place des fameux repos compensateurs. Toutefois, cette situation a entraîné une diminution du temps d’échange, ce qui n’a fait qu’accentuer la position de défense des équipes du matin par rapport à celles de l’après-midi ou de la nuit. La mise en place des 35 heures a en effet augmenté la concentration de la charge de travail des infirmières et des aides-soignantes sur un temps de présence plus court, principalement pour les équipes du matin, qui doivent assurer une tâche beaucoup plus lourde dans la plupart des services.

De même, par manque de personnels soignants, certains établissements ont dû faire appel à des médecins ou des infirmières, venus éventuellement d’autres pays, ou encore à des intérimaires, à qui il a fallu quelquefois dispenser une formation courte. Tout cela a représenté un coût important pour les établissements.

Cela m’amène justement à aborder maintenant les conséquences financières de la réforme.

La mise en place des 35 heures a été, je l’ai dit, compensée à hauteur de 5 %. Ces compensations financières se discutaient directement avec le ministère. Ainsi, eu égard notamment aux forces politiques en présence dans les conseils d’administration, certains établissements ont peut-être, à l’époque, été davantage indemnisés que d’autres, ce qui a créé des inégalités budgétaires. En revanche, certains établissements ont été mieux pourvus lors du passage à la T2A. Les établissements les mieux dotés dans le cadre de la dotation globale ne sont pas toujours ceux qui ont été le plus avantagés avec la T2A.

La T2A a, certes, permis une amélioration, mais elle n’a pas conduit à une évolution du comportement des personnels, soignants ou non soignants. Elle a induit une vision un peu plus productiviste du soin, davantage liée à la progression des activités. Au vu des enseignements que nous pouvons en tirer aujourd'hui, il conviendrait peut-être de revoir certains aménagements.

Rappelons quelques chiffres indispensables à la réflexion sur notre modèle social, qui, il faut l’avoir à l’esprit, vit à crédit. Car on oublie trop souvent que nous empruntons pour préserver notre modèle social !

Tout d’abord, la France compte 17, 8 employés hospitaliers pour 1 000 habitants, un ratio parmi les plus élevés d’Europe, pour un taux de remplissage de 75 % en moyenne, l’un des plus faibles de l’Union ! Voilà qui devrait nous interpeller.

Au cours des deux dernières années, le Gouvernement a fait le choix de dégager 2, 5 milliards d’économies, un objectif tout à fait respectable. Mais il faut savoir que les établissements ont affiché un déficit de 400 millions d’euros, un déficit chronique imputable pour une bonne part aux 35 heures. Je rappelle que le coût de cette réforme pour les établissements hospitaliers s’élève actuellement à plus de 600 millions d’euros.

On parle de réduire les dépenses publiques : le chiffre de 50 milliards d’euros a été évoqué, mais, on l’a bien compris, sans que des domaines aient été ciblés ! Les dépenses de santé sont donc concernées et peuvent être directement mises en cause, madame Cohen.

Les témoignages que j’ai recueillis sont concordants : l’état d’esprit du personnel hospitalier a évolué avec le passage aux 35 heures. Auparavant, bon nombre de personnels soignants ne comptaient pas les heures, encore moins les minutes !

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