Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier nos collègues du groupe centriste de cette initiative. Le sujet peut être abordé d’un point de vue technique, et j’en développerai quelques aspects, mais, à mon sens, il est avant tout politique et ne peut se réduire à la seule problématique du livret A. Notre collègue Joël Guerriau a d’ailleurs souligné sa dimension sociale, mutualiste, voire coopérative.
Historiquement, l’épargne populaire, à laquelle les Français sont attachés, s’est largement développée durant les Trente Glorieuses.
Dans les années soixante et soixante-dix, sous l’effet des augmentations de salaire et d’un faible taux de chômage, de nombreux Français ont pu emprunter pour acheter leur résidence principale. Le taux d’épargne financière et les remboursements des emprunts immobiliers ont ainsi fortement progressé pour atteindre un pic vers le milieu des années soixante-dix, autour de 20 % du revenu annuel brut de nos concitoyens.
Avec la déflation, la stagnation de la masse salariale et l’augmentation du taux de chômage au cours des années quatre-vingt, ce taux a progressivement décliné pour atteindre, en 1987, le seuil assez bas de 11 %.
Aujourd’hui, ce taux est un peu plus important et atteint environ 15 %, ce qui témoigne d’une épargne relativement forte. Celle-ci représente actuellement 10 000 milliards d’euros, ce qui équivaut à cinq années de PIB et à plus de huit fois le revenu disponible des Français.
Notre pays n’est pas le seul à enregistrer un taux élevé d’épargne : l’Allemagne et la Belgique affichent même un taux supérieur.
L’épargne des Français prend à 60 % la forme d’investissements immobiliers et à près de 40 % celle d’épargne financière, soit près de 4 000 milliards d’euros d’actifs financiers, c'est-à-dire environ deux fois la dette publique de la France.
L’année 2011 a constitué une année record pour l’épargne en France depuis 1982, avec un taux d’épargne des ménages français de 16, 8 %. Cependant, depuis 2012, nous assistons à une baisse : les flux de placements financiers des ménages ont connu les niveaux les plus faibles de ces dix dernières années avec 78 milliards d’euros sur les principaux supports, contre une moyenne de 110 milliards d’euros pour les années précédentes. L’assurance vie a notamment connu une décollecte historique. Pour la première fois, la collecte nette de ce produit a été inférieure à celle du livret A.
Dans un climat anxiogène, les épargnants ont privilégié les placements à court terme, comme les livrets bancaires, voire puisé dans leur « bas de laine ». C’est le constat de l’étude annuelle sur les placements financiers réalisée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et la direction générale des statistiques de la Banque de France.
Selon une étude réalisée en 2014 par le Cercle des épargnants, l’effort d’épargne a diminué depuis 2010 de 8 %, dont une baisse de 6 % des versements réguliers. Cette tendance s’explique non seulement par la stagnation des revenus professionnels, mais aussi par la hausse record des prélèvements obligatoires sur les ménages, décidée récemment.
Madame la ministre, c’est ici que le dossier prend une dimension politique. Le matraquage fiscal engagé en 2012 a abouti à un recul du pouvoir d’achat de 0, 9 % en 2012 et de 0, 1 % au troisième trimestre de 2013. Cette diminution du pouvoir d’achat a un impact direct et mécanique sur la capacité à épargner, quand elle ne contraint pas les ménages à consommer une partie de leur épargne. Si l’on veut développer l’épargne populaire, il faut laisser aux classes moyennes la faculté d’épargner et ne pas leur retirer fiscalement les quelques économies qu’elles peuvent réaliser. Or c’est très exactement le contraire qui a été décidé depuis 2012. Non content de s’attaquer aux riches, qui sont allés placer leurs capitaux en dehors de l’Hexagone, le Gouvernement a matraqué fiscalement les classes moyennes.
En 2012 et 2013, ce sont 16 milliards d’euros d’impôts et de prélèvements sociaux supplémentaires qui ont frappé les économies des ménages. En 2014, contrairement aux affirmations, aucune « pause fiscale » n’est prévue, et ce seront bien 12 milliards d'euros de plus qui seront prélevés : 6, 5 milliards d’euros d’augmentation de TVA, 2, 5 milliards d'euros dans le cadre de la réforme des retraites et 3 milliards à 4 milliards d'euros disséminés dans la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Ces prélèvements obligatoires touchent principalement les classes moyennes et non les riches !
La fiscalisation des heures supplémentaires, la hausse du forfait social, de la TVA, des cotisations retraite, des cotisations de mutuelle, la baisse du quotient familial et la réforme de la participation sont quelques-unes des mesures qui ont eu un impact direct sur les classes moyennes et populaires, mesures dictées par des considérations plus idéologiques qu’économiques, comme en attestent les chiffres que je viens de citer. En conséquence, devenir propriétaire est aujourd'hui un rêve presque inaccessible pour la grande majorité des Français. Or être propriétaire participe de cette épargne populaire et permet d’acquérir un capital pouvant être mobilisé en cas de revers de fortune. Le revenu net moyen par foyer du candidat à la propriété s’établit en 2013 à 4 500 euros. Autant dire qu’il exclut de fait nombre de nos concitoyens. Selon les derniers chiffres publiés par l’INSEE en 2010, moins de 20 % des foyers hexagonaux perçoivent plus de 4 400 euros par mois, tous revenus confondus.
L’assujettissement au barème de l’impôt sur le revenu d’un grand nombre de produits financiers a également conduit certains ménages à réduire leur effort d’épargne. La volonté du Gouvernement d’harmoniser au taux unique de 15, 5 % le taux des prélèvements sociaux sur les gains réalisés sur certains contrats d’assurance vie, certains PEA, PEL ou plans d’épargne salariale a suscité la colère des épargnants et provoqué leur désaffection. Nous nous y sommes fort heureusement opposés, et vos projets se sont limités à l’assurance vie.
Globalement, le taux d’épargne fluctue en fonction de la santé de l’économie. Il augmente quand l’activité se dégrade, les Français voulant se protéger d’un coup dur, mais cette théorie de la constitution d’une épargne de précaution en cas de crise trouve sa limite quand celle-ci touche directement le pouvoir d’achat. Dans ce cas, les Français n’ont d’autre choix que de puiser dans leur épargne pour leur consommation courante. C’est justement là que le bât blesse ! La crise et les mauvais choix du Gouvernement entraînent une perte de pouvoir d’achat, donc une diminution de l’effort d’épargne, alors même que l’épargne est déjà insuffisamment orientée vers le financement à moyen ou long terme des entreprises, qui sont les plus à même de créer des emplois, de la richesse, de la croissance, donc du pouvoir d’achat. Nous sommes actuellement enfermés dans un cercle vicieux maléfique qu’il convient de briser.
Au troisième trimestre de 2013, le taux de marge brute des entreprises était de 27, 7 %, niveau le plus bas depuis 1985 et le plus faible de la zone euro. Les entreprises ne peuvent donc pas investir et bâtir la croissance de demain. Elles manquent de fonds propres et éprouvent de plus en plus de difficultés pour accéder aux crédits bancaires. Toute diminution de l’épargne restreint par conséquent la capacité de financement des entreprises. Il conviendrait d’orienter davantage l’épargne vers le financement de celles-ci. Certes, nous mettons au crédit du Gouvernement de tenter d’orienter une partie de l’assurance vie dans ce sens, avec les contrats euro-croissance ; c’est là un premier pas que nous tenons à souligner.
Les actions et les obligations continuent de faire peur aux épargnants. Or le problème de long terme de l’économie française vient du manque de fonds propres de nos entreprises, c’est-à-dire du manque de candidats à l’acquisition d’actions pour les financer. Sur les presque 4 000 milliards d’euros d’épargne financière, seul le quart constitue de l’épargne en actions et obligations. Il convient donc d’encourager la prise de risque chez les épargnants, par exemple au moyen d’une fiscalité attractive, plutôt que de favoriser des comportements de rente.
Là encore, on le voit, il s’agit bien d’un problème politique. Ce ne sont pas les déclarations autour de l’argent sale que constitueraient les revenus du capital et de l’ennemi déclaré que serait la finance qui peuvent donner confiance aux épargnants et les inviter à investir et à prendre des risques. Certes, afin d’orienter l’épargne financière des ménages vers le financement des PME et des ETI, le Gouvernement vient de mettre en place le PEA-PME. C’est un point positif, madame la ministre, qui va dans le bon sens. Nous regrettons cependant que le plafond d’investissement de ce dispositif soit rogné de 50 % par rapport à la version courante du PEA et que certains supports ne soient pas éligibles au PEA-PME. En outre, il faut reconnaître qu’il concernera surtout les investisseurs avertis.
Préserver les capacités d’épargne des Français passe par le maintien et surtout l’amélioration de leur pouvoir d’achat. Cela nécessite une diminution de la pression fiscale, tout comme un allégement des charges permettrait aux entreprises de retrouver de la compétitivité. Pour ce faire, le préalable, c’est la diminution de la dépense publique afin de se redonner des marges de manœuvre en termes de recettes. Tout se tient ! Je veux croire que le pacte de responsabilité annoncé permettra enfin de s’engager dans cette voie.