Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, autant le dire d’emblée, notre commission des lois est satisfaite du texte adopté par l’Assemblée nationale en séance publique et propose donc au Sénat d’adopter conforme en deuxième lecture la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.
Entre la réunion de la commission des lois et la séance publique à l’Assemblée nationale, j’ai pu avoir des échanges approfondis tant avec le Gouvernement qu’avec mon homologue rapporteur Jean-Michel Clément, que je tiens ici à remercier pour son écoute, son ouverture à la discussion et au compromis. Ces échanges ont permis d’aboutir, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale en séance publique, le 4 février dernier, à une rédaction tout à fait proche des préoccupations du Sénat et ne remettant en cause aucune de nos positions. Je ne peux que m’en féliciter.
Je rappelle que le texte dont nous discutons tire son origine d’une proposition de loi déposée par notre collègue Richard Yung le 30 septembre 2013, elle-même reprenant pour l’essentiel le texte de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon déposée par notre ancien collègue Laurent Béteille, tel que notre commission l’avait adopté le 12 juillet 2011, sans que ce texte puisse être inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
Avant de présenter les modifications apportées par l’Assemblée nationale, permettez-moi de faire le point sur la question des « semences de ferme ». Comme lors des débats en séance au Sénat, cette question a quelque peu détourné les débats de l’Assemblée nationale de l’objet même du texte, dont je rappelle qu’il consiste à renforcer les moyens de la lutte contre le phénomène de la contrefaçon, en harmonisant et en améliorant les procédures existantes, dans le respect du cadre fixé par le droit communautaire.
Je veux redire ici qu’en aucun cas ce texte ne modifie le fond du droit applicable aux obtentions végétales et à la dérogation prévue pour les semences de ferme. Je rappelle également que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, adopté par l’Assemblée nationale le 14 janvier dernier, doit être examiné en avril par le Sénat ; c’est le texte idéal pour ceux qui souhaitent avoir un débat sur les semences de ferme.
Toutefois, afin de répondre aux inquiétudes qui se sont développées sur cette question, trois amendements ont été adoptés au cours de la navette : le premier au Sénat, sur l’initiative de notre collègue Nicole Bonnefoy, et les deux autres à l’Assemblée nationale. Ces amendements ont une vertu didactique pour deux d’entre eux : rappeler la dérogation prévue par le code de la propriété intellectuelle pour les semences de ferme lorsque l’on énumère les utilisations interdites d’un certificat d’obtention végétale sans le consentement de son titulaire et préciser que les semences de ferme utilisées dans le cadre prévu par le code de la propriété intellectuelle ne sont pas des contrefaçons. Le troisième amendement a une portée plus normative, mais son impact pratique demeure très limité et ne remet pas en cause la logique d’harmonisation du texte : il s’agit d’exclure les semences de ferme de la procédure de retenue douanière et de destruction simplifiée.
Pour conclure sur cette question des semences de ferme, je déplore qu’elle nous ait éloignés du véritable enjeu de ce texte, c’est-à-dire l’activité économique et les emplois que nous perdons à cause du développement de ce fléau multiforme de la contrefaçon. Ne l’oublions pas !
J’en reviens à présent à l’objet réel de la proposition de loi, à savoir le renforcement des moyens de la lutte contre la contrefaçon.
Sur vingt et un articles en navette, huit ont été adoptés conformes par l’Assemblée nationale. Il s’agit des articles 9, 10, 14, 15, 16, 16 bis, 17 et 18.
Je souhaite dire quelques mots de l’article 16, car il a fait l’objet d’importantes discussions avec l’Assemblée nationale. Cet article vise à aligner sur le délai de droit commun de cinq ans les délais de prescription en matière civile figurant dans le code de la propriété intellectuelle, conformément à la réforme souhaitée par notre commission des lois, sur l’initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest, dans le cadre de la loi du 17 juin 2008.
Dans un premier temps, sur proposition de son rapporteur, la commission des lois de l’Assemblée nationale avait approuvé le relèvement de trois à cinq ans du délai de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon. Elle avait toutefois souhaité maintenir à dix ans le délai de prescription de l’action en paiement des sommes recouvrées par les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur lorsque ces sommes n’ont pu être versées à un ayant droit, considérant qu’il s’agissait d’une action en paiement et que la réduction à cinq ans serait moins favorable aux ayants droit.
Une telle modification remettait évidemment en cause la position défendue par notre commission, attachée à l’alignement sur le délai de droit commun de cinq ans, selon une logique d’harmonisation des délais de prescription. Cependant, après discussion, sur l’initiative du Gouvernement et avec l’accord du rapporteur de l’Assemblée nationale, l’article 16 a été rétabli en séance publique dans la rédaction adoptée par le Sénat, de sorte que l’article a été voté conforme.
D’autres articles ont fait l’objet de modifications notables, mais sans dénaturer ou remettre en cause la portée du texte que nous avons voté en première lecture. Je les évoque rapidement.
À l’article 2, destiné à améliorer les dédommagements civils pour les victimes de contrefaçon, l’Assemblée nationale a quelque peu modifié les modalités de l’indemnisation forfaitaire et apporté des précisions, sans remettre en cause la rédaction du Sénat visant à écarter tout risque de dommages et intérêts punitifs, contraires à notre tradition juridique.
À l’article 5, concernant les conséquences de l’absence d’action civile ou pénale de la part du saisissant à la suite d’une saisie-contrefaçon, l’Assemblée nationale a préféré s’en tenir à l’état actuel du droit en matière de propriété industrielle, c’est-à-dire l’annulation de l’ensemble des opérations de saisie-contrefaçon – saisie réelle comme saisie descriptive –, plutôt que de suivre la voie intermédiaire adoptée par le Sénat d’une mainlevée de la seule saisie réelle, permettant à la saisie descriptive de demeurer valable dans la perspective d’une éventuelle action ultérieure devant la justice.
Suivant la logique d’harmonisation du texte, l’Assemblée nationale a cependant aligné la procédure prévue en matière de propriété littéraire et artistique, douteuse d’un point de vue constitutionnel, sur celle prévue en matière de propriété industrielle. Il s’agit d’une question de conciliation entre les droits de la défense, dans le cadre d’une procédure quelque peu exorbitante, et l’efficacité de l’action des personnes victimes de contrefaçon. Nous pouvons nous rallier sans nous renier à la solution de l’Assemblée nationale, qui a au moins le mérite de s’en tenir au droit en vigueur, lequel n’est pas contesté...
L’article 13, vous vous en souvenez peut-être, instaure une obligation de transmission aux douanes des données relatives aux colis transportés par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, à des fins de contrôle par la mise en place de traitements automatisés de ces données.
L’Assemblée nationale a poursuivi la démarche d’encadrement de ce dispositif – très contesté par les entreprises concernées – engagée par le Sénat sur ma proposition, au nom du principe de proportionnalité et de l’exigence de protection des données personnelles. La collecte des données relatives aux personnes concernées par les colis a notamment été supprimée, ce qui constitue une garantie substantielle pour la protection de la vie privée. En outre, le dispositif est expressément soumis aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Le délai de conservation des données est fixé à deux ans par la loi.
S’agissant de l’exclusion des envois domestiques du dispositif, c’est-à-dire ce qui est envoyé en France à destination de la France, votée par le Sénat pour assurer une meilleure proportionnalité du dispositif, l’Assemblée nationale a estimé qu’elle posait une difficulté au regard des principes de non-discrimination et de libre circulation des marchandises dans l’Union européenne. Seuls seraient exclus du dispositif les envois en provenance ou à destination des États extérieurs à l’Union européenne, car ils sont déjà couverts par une obligation européenne similaire de transmission de données. Même si les paramètres sont un peu différents de ceux que nous avions proposés en première lecture, l’encadrement de ce dispositif sort renforcé de la navette et des débats parlementaires, ce dont il faut se féliciter.
Enfin, concernant l’article 20 relatif à l’application du texte dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie – vous savez combien la commission des lois est attentive à l’application de la loi outre-mer –, les échanges avec le rapporteur de l’Assemblée nationale ont permis de parvenir à une rédaction conforme aux textes organiques statutaires des collectivités concernées et à la répartition des compétences entre l’État et ces collectivités.
Dans ces conditions, notre commission a considéré que les positions adoptées par le Sénat en première lecture n’avaient pas été remises en cause par l’Assemblée nationale, laquelle a partagé notre vision des finalités comme des modalités d’application du texte. Elle a donc adopté la proposition de loi sans modification et invite aujourd’hui le Sénat à faire de même, car, comme vous l’avez dit, madame la ministre, il est urgent que ces mesures entrent en vigueur.