Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 26 février 2014 à 21h30
Lutte contre la contrefaçon — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la contrefaçon a pris une dimension nouvelle ces dernières années. Le trafic mondial de produits contrefaisants représenterait 10 % du commerce mondial, soit environ 250 milliards d’euros par an. À l’échelon national, la contrefaçon pourrait entraîner chaque année jusqu’à 38 000 destructions d’emplois et 6 milliards d’euros de manque à gagner pour l’économie. Surtout, elle représente une menace pour la santé et la sécurité des consommateurs en raison de ses conséquences sanitaires et sociales, qui peuvent être désastreuses.

La lutte contre la contrefaçon est donc un enjeu majeur qui doit viser avant tout à protéger les consommateurs contre les produits dangereux et à préserver l’emploi. C’est pourquoi nous estimons que le texte qui nous est soumis va globalement dans le bon sens, étoffant l’arsenal juridique à disposition des douaniers.

Nous soutenons les principales dispositions que sont le renforcement des dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçon, l’harmonisation des procédures existantes en matière de contrefaçon, notamment via la clarification de la procédure du droit à l’information, la procédure de saisie-contrefaçon entre les différents droits de propriété intellectuelle, l’alignement des délais de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon sur le délai de droit commun de cinq ans et, globalement, l’accroissement des moyens d’action juridique des douanes.

Cela étant dit, madame la ministre, se pose tout de même la question de l’efficacité des nouvelles mesures juridiques conférées à l’administration des douanes, eu égard à la situation dans laquelle elle se trouve, tant en termes d’effectifs que de moyens.

Les services des douanes ressortent particulièrement meurtris de la RGPP, la révision générale des politiques publiques, qui a entraîné la suppression de plus de 8 % des postes : le nombre des agents, qui s’élevait à 22 000 au début des années quatre-vingt, est aujourd’hui d’à peine plus de 16 000. Alors que les services des douanes sont au bord de la rupture, leur budget est encore en baisse pour 2014.

Notre débat est aussi l’occasion de rappeler que le service des douanes est un levier de régulation économique, de sauvegarde du tissu industriel et de lutte contre le dumping social et écologique dont la France ne peut se passer. S’il est important de renforcer l’arsenal juridique, il nous semble tout aussi indispensable d’augmenter les moyens humains et budgétaires alloués à son application.

Ces remarques générales étant faites, je voudrais maintenant aborder deux points particuliers.

Le premier concerne les semences de ferme. Comme l’a dit mon collègue Gérard Le Cam en première lecture, nous avons soutenu pleinement l’action de la Confédération paysanne visant à introduire une exception agricole, afin que les paysans ne voient pas leurs récoltes saisies ou détruites à la moindre demande des multinationales. Nous faisons du droit des paysans à utiliser leurs propres semences végétales et animales l’une des conditions de l’existence d’une agriculture paysanne répondant à la satisfaction des besoins humains.

Je sais que l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à affirmer dans la loi que l’utilisation des semences de ferme n’est pas une contrefaçon. Reste que le débat n’est pas clos. L’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt sera l’occasion de revenir sur cette question.

Je voudrais déplorer encore une fois le mandat donné à la Commission européenne dans le cadre des négociations de l’accord de libre-échange transatlantique, qui portera sur des questions liées aux droits de propriété intellectuelle. Nous pensons qu’il devrait exclure toutes les dispositions y afférentes, car nous ne souhaitons pas importer un système dans lequel les firmes de l’industrie chimique polluent les cultures et attaquent ensuite les agriculteurs pour contrefaçon.

La Cour suprême des États-Unis a donné raison, en mai dernier, au géant de l’agrochimie Monsanto dans un litige qui l’opposait à un producteur de soja de l’Indiana, accusé d’avoir enfreint ses brevets par l’utilisation de graines transgéniques. La Haute Cour a pris cette décision à l’unanimité, considérant que la protection intellectuelle « ne permet pas à un agriculteur de reproduire des graines brevetées en les plantant et en les récoltant sans détenir une permission du propriétaire du brevet ». Voilà ce à quoi nous nous exposons !

C’est pourquoi – je le dis avec force – notre inquiétude est grande pour notre agriculture, face à la tendance actuelle d’accepter de breveter, non des inventions, mais des découvertes, et de les transformer en outil mercantile, alors même qu’elles devraient être au service de la recherche agricole, afin de favoriser la construction, avec les agriculteurs, d’un modèle agricole alternatif vertueux sur les plans social et environnemental.

Le second point a trait à l’article 13 de la proposition de loi, qui présente des risques d’atteinte à la vie privée et aux libertés publiques, dans la mesure où il prévoit la transmission aux douanes des données détenues par les opérateurs du fret express et de La Poste. Ces données seront enregistrées sur un fichier informatisé, mis à disposition de la direction générale des douanes. Le champ d’application de cet article est très large, même si l’Assemblée nationale a défini les opérateurs de fret express soumis à cette obligation en référence aux règles européennes et précisé la durée de conservation des données ainsi que les modalités de destruction. Vous connaissez notre position sur la création de fichiers, quels qu’ils soient, et nous en appelons à la plus grande vigilance.

Pour finir, mes chers collègues, je voudrais rappeler l’essentiel, en tout cas selon nous : la lutte contre la contrefaçon ne saurait se cantonner au simple champ judiciaire ; elle doit aussi avoir pour objectif de freiner les délocalisations de productions et nous permettre de repenser nos modèles d’échanges économiques, notamment avec les pays en voie de développement.

Sous réserve de ces quelques remarques, nous voterons le texte.

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